Notes pour un parloir avec Jean Zay

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Un mur de cinq à six mètres de haut ferme de toute part ma petite cour / Que ne suis-je un monte en l’air… Un condamné à mort qui occupa votre cellule réussit le prodige d’escalader ce mur et fut repris, de l’autre côté, jambe cassée. On s’interroge la nuit ; on hésite. Les risques ne se limitent pas à votre personne de prisonnier politique car dans les temps que nous vivons, temps de délations représailles torture et otages, l’évasion menacerait votre famille. Le pire est à craindre du « nouveau régime », l’Hôtel des Voyageurs soudain trop proche de la maison d’arrêt. La force de ces liens vous fait vivre, vous entrave. Épouse, filles, père, sœur… Plutôt les voir, les étreindre, respirer leur odeur, écouter la musique de leurs voix, embrasser leur amour — vous ne serez jamais un prisonnier oublié, sans eau ni pain, qui se dévore les mains et meurt longtemps après avoir cessé de crier. —, plutôt la prison que les perdre, la captivité que certains exils dans la solitude et l’impuissance. Lorsque le prisonnier constate qu’il ne songe plus à l’évasion, il apprend par là, non qu’il en a reconnu l’impossibilité, encore moins qu’il a abouti à l’acceptation ou à la résignation, mais bien qu’il a enfin réalisé la suprême conquête : celle de sa liberté intérieure. C’est que désormais les grilles n’existent plus pour lui. Il a trouvé dans le travail, dans la réflexion, dans l’indifférence aux plaisirs perdus, l’évasion véritable, celle qui, insensible aux entraves corporelles, ouvre à son esprit les plus vastes espaces et lui découvre des libertés qu’il eût ignorées sans cette épreuve (24 juin 1941). Le combat se poursuivra entre les murs, même si de nouveau la surveillance et les restrictions devaient s’y aggraver et la guillotine s’y dresser. Il s’agit de préparer le temps à venir, se préparer. 107


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