Armance

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fait imiter l’écriture des amants et fabrique de fausses lettres. Le commandeur ne lisait guère, mais il avait adoré les belles reliures. Le chevalier se résolut à tenter un dernier essai ; s’il ne réussissait pas, il abandonnait le commandeur à toute l’aridité de ses moyens. Un ouvrier de Thouvenin magnifiquement payé travailla nuit et jour et revêtit d’une reliure superbe le roman où l’on employait l’artifice de fabriquer des lettres. Le chevalier prit ce livre magnifique, l’apporta à Andilly et tacha avec du café la page où la supposition des lettres était expliquée. – Je suis au désespoir, dit-il un matin au commandeur, en entrant dans sa chambre. Mme de *** qui est folle de ses livres, comme vous savez, a fait relier d’une manière admirable ce roman pitoyable. J’ai eu la sottise de le prendre chez elle, j’ai taché une page. Vous qui avez rassemblé ou inventé des secrets étonnants pour tout, ne pourriez-vous pas m’indiquer le moyen de fabriquer une page nouvelle ? Le chevalier, après avoir beaucoup parlé et employé les mots les plus voisins de l’idée qu’il voulait inspirer, laissa le volume dans la chambre du commandeur. Il lui en parla bien dix fois avant que M. de Soubirane eût l’idée de brouiller les deux amants par de fausses lettres. Il en fut si fier que d’abord il s’exagéra son importance ; il en parla dans ce sens au chevalier qui eut horreur d’un moyen si immoral, et le soir partit pour Paris. Deux jours après, le commandeur en lui parlant revint sur cette idée. – Une supposition de lettre est atroce, s’écria le chevalier. Aimez-vous votre neveu avec une affection assez vive pour que la fin puisse justifier le moyen ?

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