TD- Les institutions du royaume de Jérusalem

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HOUEIX Yoann Histoire médiévale L3 Histoire

13 novembre 2008 TD n°5

Les institutions du royaume de Jérusalem (les Assises)

Introduction: La première croisade prêché à la fin de l'année 1095 et démarrant en août 1096 aboutit à la création de ce que l'on a appelé plus tard les États latins d'Orient fondés par les croisés en SyriePalestine. De cette création résulte quatre principautés, dont le royaume de Jérusalem était la plus prestigieuse, mais sans aucune autorité institutionnelle sur les autres. Sur place, moyennant de substantiels avantages consentis au clergé, la solution fut celle d'une monarchie ordinaire, en raison de la nécessité, reconnue par le clergé même, d'un pouvoir militaire fort, devant l'incertitude permanente des frontières. Cependant, c'est seulement au XIIIè siècle que l'on voit apparaître plusieurs recueils et corpus juridiques des lois fondamentales de l'Orient latin à l'instar des Assises du royaume de Jérusalem qui sont attribuée à Jean d'Ibelin et à Philippe de Navarre. Ces Assises constituent la principale source de l'histoire des institutions et du droit féodal de l'Orient latin qui nous sont parvenus. Jean d'Ibelin (né vers 1200 – mort vers 1266), seigneur de Jaffa, Rama et Ascalon, est issu de la plus puissante famille féodale de l'Orient latin au XIIIè siècle. Il fait partie de cette école de jurisconsultes chypriotes, appartenant presque tous à la noblesse, qui composèrent de nombreux travaux de jurisprudence féodale dans l'entourage des rois de Chypre et de Jérusalem. Homme de guerre aussi bien que juriste célèbre, il rédigea vers 1260 un traité considérable en 273 chapitres, appelé Livre de Jean d'Ibelin et inséré dans les Assises de Jérusalem. Ainsi, dans son Livre, il décrit l'organisation du royaume et les règles de droit de féodalité qu'on y appliquait: cours de justice, droits des indigènes, hommages-liges, succession au fiefs, indivisibilité de la terre, garde de l'héritier mineur, mariage de la femme noble, autant de thèmes qui prouvent la nécessité, pour un pays sans cesse menacé par la reconquête de posséder un ensemble d'institutions capable d'assurer son unité et sa défense. Le XIIIè siècle en Orient est une époque troublée après la chute de Jérusalem en 1187 face à l'armée coalisée de Saladin où le royaume de Jérusalem se désagrège peu à peu face aux assauts répétés des musulmans. De plus, on observe une succession de régences à la tête du royaume affaiblissant encore plus le pouvoir royal initialement chargé de la défense des territoires francs en Terre Sainte. On peut donc se demander dans quel but ces recueils décrivant les institutions et les coutumes du royaume de Jérusalem ont été publié à cette époque tardive? Tout d'abord, nous allons montrer les origines de ses Assises et leur fonctionnement. Puis, par la suite, il sera nécessaire de décrire les institutions du royaume de Jérusalem pour monter leur originalité. *****

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Plan du TD: I- Les origines des Assises de Jérusalem: A - Godefroi de Bouillon, l'image du bon roi? En remarque que dès le début de son Livre, Jean d'Ibelin insiste sur le souci de Godefroi de Bouillon de donner au royaume une base juridique la plus convenable pour toutes les franges de la population y résidant ou y stationnant que temporairement. « Il était très soucieux et désireux de bien organiser le royaume, afin que ses hommes et son peuple, et tout ceux qui allaient et venaient dans le royaume ou y demeuraient, fussent gardés et gouvernés, tenus et maintenus, menés et administrés selon le droit et la raison. » « Ils procédèrent de cette façon à plusieurs reprises, jusqu'à ce qu'il aient établis les assises et les usages les meilleurs et les plus convenables possibles pour le seigneur et ses hommes, les chevaliers et les pèlerins, et toutes les personnes allant et venant par le royaume ou y demeurant, pour les gouverner, garder, tenir, maintenir, mener et administrer, bien loyalement et droitement, selon la qualité de chacun et de chacune ». Ceci pourrait s'apparenter à la triple vocation du Roi établie par Alcuin au IXè siècle. Le roi est le vengeur des crimes et doit donc exercer de la vengeance de Dieu contre les païens de l'extérieur et les hors-la-loi de l'intérieur. Il doit donc faire régner la paix voulue par Dieu pour lui construire son domaine-cité où règne la justice. Il est aussi le correcteur des erreurs et peut donc à rectifier le dogme de l'Église lors des conciles. Enfin, il est un pacificateur en instaurant la « concordia » afin de faire régner la justice divine et l'ordre voulu par Dieu. Tout cela semble être très important pour Godefroi de Bouillon en tant qu'ancien avoué en Occident comme en Orient et donc très respectueux de la religion comme on peut le voir par le fait qu'il est refusé le titre de roi au profit de celui de protecteur du St Sépulcre. Cependant, cette triple vocation peut être interpréter différemment en Orient où Godefroi de Bouillon ne cherche pas à convertir la population ni à lutter contre l'infidèle. Il cherche ici selon Jean d'Ibelin à protéger et gouverner son peuple de la meilleur façon possible. Enfin, des historiens comme Guillaume de Tyr substitue volontiers au nom de Francs celui de Latini que les Assises de Jérusalem rendent par l'expression « de la loi de Rome » qui désigne tous les chrétiens de rite latin venus d'Occident. De plus, on voit par la suite que ses Assises furent mis en place avec l'aide de ses vassaux tel que les liens de la vassalité le préconise en leur demandant conseil. De même, il demande conseil à l'Église en la personne du patriarche dont on ne sait qui il est précisément: soit il s'agit d'Arnoul de Choques qui fut élu en même temps que Godefroi au patriarchat de Jérusalem; soit il s'agit de Daimbert, évêque de Pise qui fut élu six mois plus tard après avoir déposé Arnoul pour cause d'élection irrégulière et grâce à ses pouvoirs de légat du Pape. Le duc Godefroi de Bouillon décrit comme ici semble donc être l'archétype du bon roi voulant le bien de son peuple et gouvernant en harmonie avec ses élites. B - Véracité de l'écriture « Ici commence le livre des assise et des bons usages du royaume de Jérusalem, établis et mis par écrit par le duc Godefroi de Bouillon » Selon la tradition et les dires de l'auteur, les Assises de Jérusalem auraient été commandés et mis par écrit sous le règne de Godefroi de Bouillon. Cependant, ces textes originaux, conservés selon les dires de l'auteur dans un grand coffre de l'église du St Sépulcre, se serait perdus lors de la prise de Jérusalem en 1187 par Saladin. Cette conception sur les Assises de Jérusalem peut donc être mis en doute et est parfois contredites par des témoignages contemporains; et voire même remise en cause par les historiens. Ainsi, Guillaume de Tyr, chroniqueur du royaume franc de Jérusalem et précepteur de Baudouin IV dans la seconde moitié du XIIè siècle affirme qu'elles n'étaient guère connues que sous formes orale. « Si un litige survenait à la cour à propos d'une assise ou d'un usage et qu'il convenait d'en voir le texte, on ouvrait le coffre où se trouvaient ces lettres, devant au moins neuf personnes. » Page 2


La procédure de lecture, décrite par Jean d'Ibelin est si complexe que les Assises ne devaient pas être souvent consultées, et que ces consultations devaient faire l'objet de procès verbaux dont on a aucune trace. De plus, aucun document contemporain ne parle de la rédaction de ce document, pourtant important juridiquement et institutionnellement pour le royaume. S'il y avait réellement eu une rédaction durant le gouvernement de Godefroi de Bouillon, ce document décrirait les institutions d'une théocratie imposée par Daimbert de Pise et accepté par Godefroi, et n'aurait aucune utilité pour le royaume tel que Baudouin Ier l'a fondé. Aussi, l'historien Gaston Dodu estimet-il que les Assises sont le produit d'une rédaction jurisprudentielle qui s'est faite de 1099 à 1186. René Grousset estime de son côté que les premiers rois, de 1100 à 1185, avaient une forte personnalité et n'auraient pas accepté de voir leur autorité entravée par une constitution si contraignante pour le pouvoir royal, même si l'on voit le roi Foulque d'Anjou obligé de citer Hugues du Puiset, coupable de révolte et de trahison, devant la Haute Cour ou le témoignage d'Ibn Jobaïr (auteur arabe musulman d'Espagne qui a fait un pèlerinage à La Mecque en 1180) sur le fonctionnement des tribunaux du royaume. Il est clair que ces recueils s'appuie plus sur une tradition orale que sur de réels documents existants et que les rédacteurs de ces lois mettent en valeur les lois en fonction de leur objectif politique plutôt qu'en cherchant une exhaustivité des pratiques antérieures. En réalité, ces recueils de lois du XIIIè siècle ne sont pas le produit des lois des siècles antérieurs, mais de lois contemporaines à l'écriture. C'est ainsi que les différents recueils se contredisent souvent entre eux, et l'un omet parfois un point figurant dans un autre. Cependant, ils constituent ensemble la plus grand collection de lois écrites dans un état européen de cette période. C - La recherche perpétuel du meilleur gouvernement On a montré que Godefroi de Bouillon a cherché à donner des bases juridique et institutionnelles destinés à gouverner au mieux toutes la population du Royaume de Jérusalem et ceux sans aucunes distinctions. D'après l'auteur, ses successeurs resteront dans la même ligne de conduite politique en amendant les amendant régulièrement pour s'adapter aux mieux aux demandes des populations locales et latines. « Après la rédaction des assises et l'établissement des usages, le duc Godefroi et les rois et seigneurs qui lui succédèrent à la tête du royaume, amendèrent ceux-ci plusieurs fois: sur le conseil du patriarche de Jérusalem, des barons et grands personnages du royaume, des plus sages hommes qui y demeuraient, chevaliers, clercs et laïcs, il fit aux assises et usages tout les ajouts et changements qui lui parurent nécessaires. » Par la succession des personnages auprès de qui le roi prend conseil, il faut comprendre qu'il s'agit de la Curia Regis (ou Haute Cour) dont nous parlerons plus tard. Cette Haute Cour a donc entre autre pour attribution d'amender les Assises sur demande du roi après qu'il en est reçu la demande par une partie de la population ou qu'il est envoyé ces juristes dans le royaume et ses alentours pour en recueillir les usages, lois et coutumes susceptible de convenir à la population du royaume. On connaît ainsi plusieurs lois décidées au cours de XIIè siècle qui font parties des Assises: _ l'Assise du coup apparent, promulguée par Baudouin Ier, qui met un terme aux violence faites par les hommes de toutes classes. _ une série de lois de Baudouin II qui détermine les douze cas où le roi peut dépouiller un seigneur de son fief. _ l'Assise sur la ligece, promulguée par Amaury Ier de Jérusalem vers 1162, qui fait de chaque seigneur du royaume un vassal direct du roi et qui donne ainsi aux arrières vassaux un droit de vote identique aux principaux barons. Cette mesure a été revendiquée par les arrières vassaux pour faire contrepoids au pouvoir des suzerains vassaux du roi. Il s'agit donc d'un droit de se coaliser pour résister à l'arbitraire de leur seigneur, de façon à pouvoir bénéficier d'un « esgart de cour » (c'est-àdire d'un recours à la Haute Cour pour juger leur différent en dehors de la cour seigneuriale). En fait,ce droit est une mesure qui joue au profit de l'autorité royale: l'obligation pour tous, barons, Page 3


vassaux et arrière-vassaux, de faire hommage lige (serment de vassalité supplantant les autres) au roi ainsi que la prestation pour les bourgeois des ville forte d'une serment de fidélité au roi. Celui-ci entendait donc prévenir ainsi le renouvellement des révoltes des grands vassaux qui avaient éclaté dans la première moitié du XIIè siècle à l'image de celle de Puiset. Ces exemple montre bien que l'origine des amendements est diverse et n'est pas seulement à l'origine des rois ou de son administration. On peut donc dire que ces règles de droit furent élaborées au fur et à mesure des besoins; mais aussi écrites et mises en forme au XIII è siècle par les juristes du royaume. Cette mise en écriture a de plus répondu à des inspirations politiques personnelles à l'image de Jean d'Ibelin issu d'une famille d'origine relativement obscur qui va monter en puissance dans le royaume jusqu'à devenir la plus puissante famille d'Orient. Ce dernier a donc chercher à renforcer son pouvoir sur la Haute Cour pour gouverner le royaume que lui a confié Louis IX en1254 au moment d'une anarchie féodale lors de la régence de Plaisance d'Antioche (roi Conradin âgée de 2 ans en 1254). Pour cela, il va essayer de se placer dans la lignée des rois de Jérusalem, et de montrer la légitimité de son pouvoir en s'appuyant sur la légalité des Assises et de ses institutions que nous allons maintenant voir.

II- Une administration latine avec des institutions originales: A - La Haute-Cour Le royaume de Jérusalem, le plus grand des États de l'Orient latin, a les dimensions d'un grand comté ou duché en Occident, et par conséquent ne peut-être comparé au royaume de France ou à l'Empire. De plus, la majorité des seigneurs de l'Orient latin, même ceux qui vont acquérir d'assez vastes seigneuries, sont de petites origines, et non du milieu des grands féodaux volontiers autonomes. Par conséquent, on remarque que le sentiment de fidélité reste très vigoureux chez eux. D'où, la mise en place de façon assez facile d'une royauté forte et centralisé dominant la Curia Regis (ou Haute Cour). « Le duc Godefroi établit deux cours séculières: la Haute Cour, dont il fut gouverneur et justicier » « Il choisit comme juges de la Haute Cour les chevaliers qui lui était lié par la fois de l'hommage qu'il lui avait prêter » « Il décida que lui-même, ses hommes et leurs vassaux, ainsi que tous les chevaliers relevaient de la Haute Cour. » A l'usage donc exclusif des barons, la Haute Cour est la gardienne inviolable des droits sacrés des liges (ou vassaux), c'est-à-dire des barons du royaume. Composée à l'origine des vassaux directs de la couronne, l'assemblée est par la suite ouverte en 1164 à tous les arrières vassaux qu'ils soient fieffés ou en besant suite à une décision du roi Amaury Ier dans son Assise de Ligece. Elle n'a ni date de réunion, ni lieu de rassemblement réguliers. Cependant, on remarque que les réunions se font le plus souvent dans la capitale du royaume voilà la raison pour laquelle Jean d'Ibelin affirme qu'elle se réunit à St Jean d'Acre alors capitale depuis la chute de Jérusalem en 1187. Seul le roi a le droit de convoquer cette cour, et en préside les sessions, mais dès que celle-ci débute, il n'est que le premier des barons et sa voix n'a pas plus de valeur que celle des autres membres. En cas d 'absence du roi, c'est un des grands officiers de la couronne, le sénéchal ou parfois le connétable, qui le remplace. Une fois que le Haute Cour est réunie, ses décisions sont souveraines et même le roi doit s'y conformer et les faire exécuter. En effet, la Haute-Cour dispose d'une autorité souveraine supérieure à celle du roi, qui n'a en réalité que le pouvoir militaire. Il n'y a donc pas de recours contre une de ses décisions. Son rôle est essentiellement judiciaire pour trancher les différents opposant les vassaux à leurs pairs ou au roi. Mais, entre aussi dans ces attributions l'enregistrement des transactions pour les rendre publiques et en assurer la validité. De plus, elle s'occupe de tout ce qui s'approche de la propriété féodale, des héritages, des dots, et des tutelles. Enfin, on a vu précédemment qu'elle jouait Page 4


un rôle dans l'amendement des Assises du Royaume. Elle va cependant prendre de plus en plus de pouvoir au cour des périodes de crise et de régence en prenant part plus activement à la politique grâce notamment à la vassalité en tant que conseiller par excellence du pouvoir royal. B - La cour de Bourgeoisie A l'usage des non nobles de langue latine. « Il décida que toutes les villes et autres lieux du royaume où il rendait la justice, il y aurait un vicomte, des juges et une cour de bourgeoisie, pour gouverner, maintenir, mener, juger et administrer le peuple selon les assises et usages qui furent alors établis pour être respectés et utilisés en la Cour de Bourgeoisie. » Il paraît curieux de voir au milieu du Moyen Age un roi et une assemblée noble partager le pouvoir avec une assemblée non noble. Certes, on observe à la même époque l'éclosion de communes en Europe, mais celles-ci se font dans un contexte de révoltes contre leurs seigneurs ou leurs évêques et sont ratifiées par la suite par des chartes royales; alors qu'en Terre Sainte, cette assemblée est créée sans qu'il y ait des heurts. Cette situation peut être expliquée d'une part parce que ces roturiers ont participé à la Croisade au même titre que les chevaliers en combattant à leurs côtés (soldats à pied) et ont partagé les mêmes souffrances; et d'autre part parce que les bourgeois se sont ensuite enrichis par le commerce et constituent donc une force financière et politique . Cette seconde assemblée présente en outre pour le roi la possibilité de contrebalancer la puissance des aristocrates: ils ne peuvent acquérir de fiefs, mais peuvent acheter des propriétés contrairement aux nobles. Les seigneurs francs avaient en Occident des vicomtes, qui représentaient leur autorité auprès des bourgeois; ils les ont apportés en Orient, avec quelques différences. C'est donc le vicomte qui préside l'assemblée de cette Cour des Bourgeoisies et qui est en outre chargé de rentrer les impôts. C'est un fonctionnaire judiciaire choisi par le roi parmi les chevaliers les plus proche de sa cour (poste de confiance) après consultation ou non des notables. En plus du vicomte, l'assemblée est composée de douze jurés ou notables, choisis parmi les non nobles d'origine latine et devant prêter serment devant le roi. Elle est chargée essentiellement de juger les litiges entre les roturiers latins ou entre l'un d'eux et l'État. Mais, elle est aussi en charge de la police, du contrôle des marchés et de la vie économique de la ville. Sa juridiction est donc sur la tenure en bourgage (dépendant du roi) jugeant toute affaire relative à celle-ci en enregistrant les ventes, achats, échanges, héritages. Enfin, c'est une cour souveraine sans possibilité d'appel présente dans plus de trente villes du royaume. « Lui et les autres seigneurs et rois qui lui succédèrent à la tête du royaume , donnèrent à certains hauts barons des terres et des seigneuries, les droits de cour, coin et justice, pour lesquels il lui devaient, avant que la terre ne soit perdue. » La cour seigneuriale est une cour souveraine sans attribution politique mais possédant des fonctions judiciaires et administratives. Cela lui permet de gérer et d'arbitrer les différents opposant les vassaux entre eux ou à leur seigneur. Les barons sont des seigneurs de châteaux, disposant sur leurs terres de toute justice; selon les juriste, chacun d'entre eux aurait eu le privilège de faire des donations et des inféodations sous leur propre sceau: une bulle de plomb; ce qui entrainerait pour eux le droit de créer des arrières vassaux sans avoir nécessairement l'approbation du suzerain. Mais seulement les principaux d'entre eux, soit une infime partie jouissaient du privilège du « droit de coin » au moins au XIIè siècle rejoignant ainsi les affirmations de l'auteur. Ainsi, quatre baronnies se différencieraient des autres par l'obtention de ce privilège: le comté de Jaffa, la seigneurie d'Outre-Jourdain, la principauté de Tibériade et, le comté de Sidon. Il semble donc que ses quatre fiefs aient le droit de battre monnaie et par là deviennent les seigneuries les plus prestigieuses et les plus puissantes avec le domaine royal. À côté de ces deux institutions, les Francs ont voulu des organes inférieurs de l'administration franque. Mais il faut bien comprendre qu'il s'agit d'institutions, de fait ou de droit, Page 5


qui préexistaient à la Croisade, et que les Francs ont conservées sous formes un peu réduite. C - Le « Raïs » et la cour de la Fonde Les Francs ont été particulièrement attentifs à ménager les sensibilités de divers groupes. « Dans plusieurs villes du royaume il y a des juges et un raïs, mais là où il n'y en a pas, le bailli de la Fonde tient lieu de raïs. Les procès de Syriens pour ces querelles sont portés devant lui et départagés par les juges de cette cour comme devant le raïs, qui dans ce cas est considéré comme un vicomte. » En Syrie musulmane, avant et pendant la période des Croisades, le raïs est une sorte de chef de la population civile (assimilation à un petit noble ou notable), et parfois d'une milice, représentant l'opinion citadine, voire une amorce d'organisation municipale, en face du prince souvent étranger et de son armée. La fonction existait déjà même dans les communautés chrétiennes et n'était donc en rien spécifique aux seuls musulmans: caractère la rendant ainsi plus acceptable pour les Francs. Il est cependant exclu que le raïs soit le chef d'une quelconque milice où seuls les Francs peuvent porter les armes et assurer l'ordre. Mais, il conserve vis-à-vis d'eux la représentation responsable de son groupe social. D'après Jean d'Ibelin, cette cour aurait une organisation de justice inférieure entre indigènes appliquant leur coutume locale procédant essentiellement du droit romano-byzantin. Elle est formé du raïs présidant la cour et de plusieurs jurés syriens choisit par le raïs au sein de la population villageoise. Il en existe dans chaque village et à ses propres attributions. Ainsi, elle a un droit d'arbitrage et de justice sur les différents et les problèmes liés à sa communauté où seule la justice criminelle est cependant aux mains du seigneur local ou du vicomte. De plus, en tant que représentant du village vis-à-vis du seigneur franc, elle doit levée les impôts au niveau local rémunérer le seigneur. Cependant, à côté de cette cour, on voit peu à peu apparaître une cour plus urbaine destinée aussi aux autochtones. « Après, le peuple syriens vint trouver le roi de Jérusalem pour le prier et lui demander d'être régi selon l'usage des Syriens, qu'il y eût parmi eux un chef et des juges de cour, cour à laquelle ils seraient régis selon l'usage des querelles qui surviendrait . Il octroya à cette cour, sauf pour les querelles de sang et celles où on perd la vie ou un membre, et les querelles de bourgeoisie, qui seraient plaidées et départagées devant lui ou devant son vicomte. » La Cour de la Fondes est à l'origine une cour des marchés chargée de prélever les taxes sur les marchandises et de juger les procès commerciaux (max de un marc d'argent soit 245g d'argent),qui va peu à peu s'étendre à la population non franque . Cour mixte, elle est composée de quatre jurés syriens, deux francs et le bailli; cependant les Francs ont toujours le dernier mot. De telles cours de part leur juridiction essentiellement commerciales, au sens plus larges (ventes de biens-fonds, dettes, marchandises,..), semblent se retrouver le plus souvent dans les gros bourgs et les centres de commerce important. Il semble donc que les autorités royales ne souhaitent pas laisser un commerce en pleine expansion et très enrichissant pour les latins aux mains des indigènes. Tout comme les affaires criminelles où seuls les latins ont le droit d'exercer le rôle de police. Cependant, grâce à cette mixité, on peut voir une volonté de garder la personnalisation du droit pour chaque personne dans le royaume suivant son origine et sa confession. Il est bien vrai que le nombre de raïs dans les grands villes est très faible selon les sources, et concerne essentiellement les premiers temps de l'Orient latin. Mais on observe cependant dans la ville de Tyr en 1181, la présence d'un « raïs des Sarrasins » dénommé Sadi montrant ici l'adaptation des autorités latines face aux besoins du moment. On peut donc supposer que la proportion de la population musulmane essentiellement commerçante dans cette ville à cette époque est importante pouvant aller jusqu'à jouer un rôle politique; à l'image des raïs qui par leur position sociale pouvait être associer à la petite cour du seigneur local. Selon le témoignage du chroniqueur damascène Ibn Djobaïr, ces cours fonctionnaient correctement à la satisfaction des musulmans, au point que ce dernier déplore que les paysans Page 6


musulmans en territoire franc sont soumis à une meilleure justice que leurs homologues des émirats syriens, et ne cherchent pas à vivre sous une autre loi autre que franque. ***** Conclusion: Pour conclure, à première vue, ces Assises se veulent comme un recueil des institutions, des lois fondamentales et des coutumes du royaume de Jérusalem. Mais, on voit par cet extrait, que Jean d'Ibelin dans son livre cherche à se mettre dans la continuité de l'initiateur des institutions du royaume en l'image de Godefroi de Bouillon. Il cherche à légitimer son pouvoir et son ascendance sur les autres barons du royaume au cours d'une période d'anarchie féodale sans aucun chef de gouvernement et une régente à la tête du royaume. On assiste aussi ici à une sorte de « féodalité d'importation » où si la population franque s'orientalise dans son mode de vie, les conceptions politiques (royauté féodale, Haute Cour) et les rapports sociaux (fief, vassalité, classes sociales) sont les mêmes qu'en Occident. Et ce bien que la population indigène qui est majoritaire conservent ses lois et ses coutumes. Mais malgré une implantation outre-mer diverses dans ses composantes: nobles et non-nobles, latins ou autochtones, chrétiens ou musulmans, résidents permanents ou passagers; ce sont ces institutions qui ont créé la synthèse de cette société et qui l'a maintenu lors des périodes de crise. ***** Synthèse: Lors de leur arrivée en Terre sainte, les croisés ont bénéficié de conditions favorables, leur permettant de s'installer et de faire valoir leur conquêtes. Créé exnihilo, il est évident que les institutions du royaume de Jérusalem combinent des apports occidentaux et orientaux aboutissant à des innovations inspirées par les besoins du moment. Ainsi, la présence des Francs affecte un triple aspect dans l'administration de la population selon qu'il s'agit des nobles, des bourgeois et des autochtones. On distingue alors deux grands organismes, la cour des barons pour la noblesse et le cour des bourgeois destinée aux autres latins (dirigée par le vicomte). La Haute Cour des barons et celle des bourgeois avaient surtout des rôles judiciaires, mais pouvaient être convoquées aussi pour des raisons politiques, dans les occasions exceptionnelles. On peut donc penser que la cour des barons gagna en ampleur et en importance à la suite de l' « Assise de Ligece », qui faisait de tous les seigneurs les hommes-liges directs du roi; elle devint en tout cas l'organisme principal dans les périodes d'éclipse de la monarchie. Ce corpus juridique comprenant plusieurs traités de droit féodal connus sous le terme des Assises de Jérusalem constituent la principale source de l'histoire des institutions et du droit féodal de l'Orient latin qui nous sont parvenus. Cependant, publiées seulement au XIIIè siècle, ces Assises ne furent pas commandés, comme selon la tradition, par Godefroi de Bouillon; mais écrit postérieurement par des juristes à l'image de Jean d'Ibelin voulant conforter et légitimer son pouvoir de tuteur royal. Cette œuvre en plus d'être à vocation juridique a donc aussi une vocation politique subjacente. ***** Page 7


Bibliographie Sources ~ BRUNEL (G.), LALOU (E.),Sources d'histoire médiévale : IXè-milieu du XIVè siècle, Paris, Larousse, 1992, 831 p. Outils: Encyclopédie, dictionnaire et atlas ~ LE GOFF (J.), SCHMITT (J-C.), Dictionnaire raisonné de l'Occident médiéval, Paris, 1999 ~ RILEY-SMITH (J.), Atlas des Croisades, Paris, Autrement, 1996, 192 p. Ouvrages généraux ~ BALARD (M.), Croisades et Orient latin, Paris, A. Colin, 2003, 320 p. ~ CAHEN (C.), Orient et Occident au temps des croisades, Paris, Aubier, 1983 (« Collection historiques ») ~ DELORD (R.), Les Croisades, Paris, Éditions du Seuil, 1988 ~ DUBY (G.), MONTRAN (R.), L'Eurasie XIè-XIIIè siècles, Paris, PUF, 1982, 635 p. ~ RICHARD (J.), Histoire des croisades, paris, Fayard, 1996, 544 p. Ouvrages sur e Royaume Jérusalem ~ PRAWER (J.), Histoire du Royaume latin de Jérusalem, CNRS Éditions, Paris, 1975 ~ RICHARD (J.), Croisades et États latins d'Orient, Adelshot, Variorum, 1992

***** Annexe Godefroi de Bouillon: Fils cadet d'Eustache II, comte de Boulogne et neveu du duc de BasseLorraine, Godefroi le Bossu, à qui il succéda indirectement en 1076, Godefroi de Bouillon pris la tête d'une des branches de la première croisade qui atteignit l'Orient par la voie danubienne en 1096. Apprécié par sa dévotion et sa modestie, et plus encore par sa prestance, sa bravoure et sa force physique; il réussit à modérer les rivalités pour le partage des conquêtes. Il ne joua cependant aucun rôle décisif dans la direction des opérations jusqu'à la prise de Jérusalem le 15 juillet 1099 au cours de laquelle il se distingua en atteignant le premier le sommet de la muraille. Élu par les barons Francs à la place de Raymond St Gilles alors chef militaire de la croisade désigné par le Pape, il refuse la couronne royale et se fit attribuer le titre d'avoué du St Sépulcre avec la charge de gérer ce nouvel État. Il meurt cependant un an plus tard vers 1100 pour ensuite rester dans la légende comme un personnage très pieux et d'une grand bravoure digne du héros populaire de la première croisade. Pierre l'Ermitte (1050-1115): ascète fondateur d'un monastère, croisé et prédicateur dont l'influence Page 8


fut considérable; on le considère comme l'un des principaux instigateurs de la première croisade. Il prêche l'idée de croisade dès le concile de Clermont d'Urbain II en novembre 1095 et part vers Nicodémie en 1096 où son armée dite « populaire » est anéantie par les Turcs le 21 octobre 1096. Il accompagne par la suite les princes croisés en 1097 où il devient l'aumônier de l'armée chrétienne au printemps 1009. Après la prise de Jérusalem, il retourna dans le monastère augustinien d Neufmoutier qu'il avait créé en Belgique où il fut prieur jusqu'à sa mort en 1115. Royaume de Jérusalem: Fondé en réalité lors de la prise de Jérusalem par les croisés (le 15 juillet 1099) et de l'élection de Godefroi de Bouillon comme avoué du St Sépulcre, il le fut en droit seulement lors du couronnement et du sacre de Baudouin Ier le 25 décembre 1100. Rien n'ayant été spécifié quand aux droits du Pape, à ceux de l'empereur byzantin et à ceux des barons croisés pour savoir à qui appartenait la Terre Sainte avant la conquête arabe, les hommes qui était venus libérer les lieux saints et non pour coloniser et conquérir ont du s'adapter. La création du royaume de Jérusalem ne fut donc que la conséquence de la nécessité politique et militaire de disposer d'un commandement fort et d'unifier les lieux mêmes. C'est cependant à grande peine que les rois firent reconnaître leur autorité sur les principautés franques également nées des croisades à l'image d'Antioche, Edesse, et Tripoli où la légitimité ne s'est faite que par l'offre d'une protection royale grâce à son armée. Mais, après deux siècle d'existence, il disparaît en 1291 lors de la chute d'Acre.

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