Japon, la lettre et l'image à l'époque d'Edo (1603-1867)

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Ville de Figeac Musée Champollion - Les écritures du monde Commissariat de l’exposition Benjamin Findinier, directeur des musées de Figeac Marie-Hélène Pottier, conservateur honoraire du patrimoine Conseil scientifique Geneviève Lacambre, conservateur honoraire du patrimoine

Nous souhaitons remercier ici plus particulièrement Aude Barthélémy, Claire-Akiko Brisset, Marie-Pierre Chaumet, Claire Dalzin, Natacha Haffringues, Geneviève Lacambre, Christophe Leribault, Laure Lévêque, Véronique Lourme, Christophe Marquet, Daniel Marty, Mélanie Moreau, Anne-Marie Peylhard, Olivier Renaudeau, Aurélie Samuel.

général

Régie des œuvres et médiation Stéphanie Lebreton

Crédits photographiques : © Avignon - Musée Angladon / R. Victoria : fig. 10

Communication et création graphique Laurence Marchand

© Calais – Musée des beaux-arts / F. Kleinefenn : fig. 1, 2, 3, 13, 20, 22, 27, 28, 29, 31, 32

Action éducative Gilbert Mijoule

© Geneviève Lacambre : fig. 30

Scénographie Violaine Laveaux Montage Jean-Pierre Cintas et les services techniques de la Ville de Figeac Ce catalogue est édité à l’occasion de l’exposition Japon. La lettre et l’image à l’époque d’Edo (16031867), organisée par la conservation des musées de Figeac du 6 juillet au 6 octobre 2013. Cette manifestation a été notamment rendue possible par le soutien financier du Conseil régional de Midi-Pyrénées. Nous remercions les collections publiques et privées pour leurs généreux prêts : Musée Angladon, Avignon Musée des beaux-arts, Calais Musée d’Art et d’Histoire, La Rochelle Musée Lansyer, Loches Musée du Petit Palais, Paris Musée Guimet, Paris Musée de l’Armée, Paris Société des lettres, sciences et arts de l’Aveyron, Rodez Musée de l’hôtel Sandelin, Saint-Omer Musée Georges-Labit, Toulouse

© Collections des musées d’Art et d’Histoire de La Rochelle / Max Roy : fig. 12, 17 © Hôsa bunko, Nagoya : fig. 40 © Nancy - musée des beaux-arts / Cliché Ville de Nancy, P. Buren : fig. 35 © Paris, Bibliothèque nationale de France : fig. 41 © Paris - Petit Palais / Roger-Viollet, Stéphane Piera : fig. 34 © Paris - Musée Guimet / RMN, Jean-Gilles Berizzi : fig. 18 © Paris - Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Tony Querrec : fig. 5 Jean-Yves et Nicolas Dubois : fig. 6 Christophe Chavan : fig. 7 © Musées de Saint-Omer / P. Beurtheret : fig. 19, 21, 23, 24, 25, 26 © National Diet Library, Tôkyô : fig. 36, 37, 38, 39 © Toulouse, Musée Georges-Labit / Emmanuel Grimault : fig. 8, 9, 15, 33, 43, 44 Méravilles photos, Thierry Estadieu : fig. 4, 11, 14, 16, 42

© Conservation des musées de Figeac, 2013 / Musée Champollion - Les écritures du monde 46100 Figeac Tél. 05.65.50.31.08 - musee@ville-figeac.fr - www.musee-champollion.fr


JAPON La lettre et l’image à l’époque d’Edo (1603 - 1867)

Musée Champollion - Les écritures du Monde, FIGEAC


Fig. 1 : Utagawa Kunisada (1786-1865), Jeune femme assise au bord de l’eau, vers 1863-1864. Estampe, 36,2 x 25,2 cm. Calais, musÊe des beaux-arts, inv. 951.806.1.


Le Musée Champollion - Les Écritures du Monde poursuit, en 2013, son voyage à travers le monde des écritures et des civilisations en considérant l’extraordinaire effervescence culturelle du pays du Soleil levant à l’époque d’Edo (1603-1867). Cette période vit non seulement émerger des genres littéraires et théâtraux qui sont encore, aujourd’hui, des symboles forts du patrimoine japonais, mais elle donna également naissance à un art singulier de l’image qui marqua très vivement les artistes européens lorsqu’ils la découvrirent, au 19e siècle. Le Japon s’ouvrait alors au monde après plus de deux siècles et demi de repli et dévoilait ce qu’il avait nourri de génies et de richesses durant ce temps… Cette manifestation souhaite ainsi replacer la lettre et l’image dans le contexte politique, social et culturel du Japon de l’époque d’Edo. Elle ne pourrait naturellement le faire sans le concours des grandes collections françaises qui ont été sollicitées pour illustrer son propos : musées Guimet, du Petit Palais et de l’Armée, à Paris, musées de Calais, La Rochelle, Avignon, Loches, Saint-Omer, Toulouse… Qu’elles soient ici chaleureusement remerciées ; le plaisir qu’elles promettent d’offrir au public de cette exposition est un présent dont nous mesurons toute l’importance. Livres, estampes, costumes et autres attributs du Japon rêvé s’installent donc à Figeac du 6 juillet au 6 octobre 2013 ; je vous souhaite à toutes et à tous, à travers ce catalogue, d’en découvrir la richesse et d’en garder l’étonnant souvenir.

Nicole PAULO Maire de Figeac Conseillère générale du Lot


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Sommaire Avant-propos par Benjamin Findinier, directeur des musées de Figeac ......................................................................................................... p. 9

Histoire et société à l’époque d’Edo par Geneviève Lacambre, conservateur général honoraire du patrimoine............................................................ p. 10

L’estampe ukiyo-e par Geneviève Lacambre ........................................................................................................................................................................................... p. 22

Un cas d’écriture cryptée à l’époque d’Edo : l’écritoire du Petit Palais par Claire-Akiko Brisset, maître de conférences HDR à l’Université Paris-Diderot C.R.C.A.O. (UMR 8155) ......................................................................................................................................................................................... p. 36

Production et diffusion du livre à l’époque d’Edo par Christophe Marquet, professeur des universités à l’Institut national des langues et civilisations orientales ................................................................................................................................................................................................... p. 40

La littérature de l’époque d’Edo par Gilbert Mijoule, chargé de mission au musée Champollion ..................................................................................... p. 46

Catalogue des œuvres exposées par Stéphanie Lebreton et Christophe Marquet ............................................................................................................................... p. 52

Notes ........................................................................................................................................................................................................................................... p. 56 Bibliographie ................................................................................................................................................................................................................. p. 58

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Fig. 2 : Utagawa Kunisada (1786-1865), Portrait d’un acteur kabuki, vers 1851. Estampe, 37,2 x 25 cm. Calais, musÊe des beaux-arts, inv. 951.825.1.


Avant-propos Le Japon de l’époque d’Edo (1603-1867) offre un terrain d’exposition riche et singulier pour le musée Champollion, dont le projet est de présenter les écritures du monde et, par voie de conséquence, la pensée que celles-ci véhiculent et les moyens matériels de sa diffusion. La longue période de paix et de prospérité que connut l’Archipel avec l’installation, à Edo (la future ville de Tôkyô), d’un gouvernement militaire placé sous l’autorité des shôgun successifs de la famille Tokugawa, coïncida en effet avec un épanouissement sans précédent des lettres, des arts de la scène et de l’image. L’essor des grandes villes et, corrélativement, l’émergence d’une culture bourgeoise avide de divertissements adaptés à son goût jouèrent un rôle fondamental dans le développement de la littérature populaire illustrée, tout autant que dans la naissance des théâtres kabuki et bunraku ou le succès de la fameuse estampe ukiyo-e, image multiple et bon marché dite « du monde flottant », reflet des plaisirs fugaces de cette nouvelle société urbaine. Cette exposition souhaite ainsi considérer ces différents aspects culturels de l’époque d’Edo, en prenant le parti de présenter plus particulièrement livres et images imprimés au travers de trois personnages qu’ils ont souvent campés : le samouraï, alors réduit en cette période de paix à un rôle d’escorte et d’exécution administrative ; la courtisane, hôtesse élégante des quartiers de plaisirs réservés ; l’acteur de théâtre kabuki, enfin, qui endossait aussi bien les rôles masculins que féminins. De façon parallèle, elle veut également mettre en relief - et par contraste avec la création contemporaine en Europe – quelques-uns des moyens techniques, plastiques et iconographiques mis en œuvre durant cette période : l’impression tabellaire, la polychromie, la coexistence de la lettre et de l’image. Benjamin FINDINIER Directeur des musées de Figeac

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Fig. 3 : Utagawa Kunisada (1786-1865), Acteurs dans les r么les de Shirai Gonpachi et Honj么 Sukeichi (m茅daillon), 4e mois de 1855. Estampe, 35,4 x 24,6 cm. Calais, mus茅e des beaux-arts, inv. 951.733.1.


Histoire et société à l’époque d’Edo Geneviève Lacambre Après les états-Unis, et comme l’Angleterre, la Russie et la Hollande, la France envoie une ambassade au Japon pour signer en 1858 un premier traité d’amitié et de commerce avec le Japon. Lorsque les diplomates peuvent s’aventurer dans Edo (l’actuelle Tôkyô) en octobre 1858, le baron Charles de Chassiron saisit parfaitement la structure de cette grande ville, image même de la société de la période d’Edo, même s’il ne comprend pas la subtile distinction entre le pouvoir effectif du shôgun Tokugawa, installé à Edo, et l’empereur, invisible dans Kyôto, une cité alors inaccessible : « Yeddo ; il existe trois villes en une seule : l’une formant noyau, ne se compose que du palais impérial [en fait celui du shôgun], forteresse véritable d’une immense étendue ; l’autre ne renferme que les palais des Damios ou princes et des grands personnages ; la troisième ville qui est la ville des bourgeois et des marchands, et qui enveloppe les deux villes intérieures d’un large cordon de seize milles de tour, n’est habitée que par les fonctionnaires secondaires et par la classe ouvrière1 ». Edo qui n’était qu’une bourgade lorsque Tokugawa Ieyasu y installe le gouvernement des guerriers (le bakufu) en 1603, au moment où il est nommé généralissime ou shôgun par l’empereur, devient rapidement une des villes les plus peuplées du monde dès le xviiie siècle. Les 20 et 21 octobre 1600, la bataille de Sekigahara avait permis à Ieyasu de vaincre les

partisans du précédent unificateur du Japon, Toyotomi Hideyoshi (1537-1598), qui avait espéré transmettre par voie héréditaire le pouvoir à son jeune fils Hideyori. Prenait fin alors un long siècle de guerres civiles et de troubles incessants entre les clans. La présence dans le camp des vainqueurs de canons confisqués au navire hollandais Die Liefde, arrivé en piteux état quelques mois auparavant2, n’y avait pas été étrangère. Déjà, en abordant au sud du Japon en 1543, des marchands portugais avaient introduit les arquebuses ; ils avaient été bientôt suivis par les jésuites œuvrant avec un certain succès à la christianisation du Japon. En 1589, les Espagnols, venant des Philippines, étaient accompagnés d’autres missionnaires. Ce qu’on a parfois appelé le « siècle chrétien » est marqué périodiquement par de violentes persécutions. Au début de l’époque d’Edo, à une relative tolérance succède l’arrêté d’interdiction de janvier 1614, peu après le départ, en 1613, d’une seconde ambassade auprès du pape, ambassade qui avait aussi pour but d’établir des relations commerciales avec l’Amérique et Séville. à son retour, il n’en est plus question. La dernière grande campagne militaire, qui aboutit à l’élimination définitive du clan Toyotomi lors de l’incendie du château d’Ôsaka, a lieu pendant l’hiver 1614 et l’été 1615 ; là aussi, les canons du shôgun jouent un rôle décisif. Pour la dernière fois, plus de 200 000 samouraïs s’affrontent. Après une 11


période où les commerçants étrangers pouvaient circuler dans le pays, notamment les employés de la Compagnie hollandaise des Indes orientales (VOC) installés dans l’île d’Hirado non loin de Nagasaki dès 1609, et ceux de la Compagnie anglaise (EIC) présents entre 1613 et 1623, la situation se durcit. Les martyres des chrétiens s’intensifient à partir de 1623. Les marchands portugais sont confinés dès 1634 dans l’îlot artificiel de Deshima à Nagasaki, avant d’être chassés et bannis en 1639. C’est à grand peine que les marchands de la VOC, qui ne font pas de prosélytisme religieux, sont autorisés à rester, mais ils doivent en 1641 s’installer à Deshima où ils sont étroitement surveillés, tandis que l’introduction de livres religieux et d’armes est interdite. Dans le même temps, en 1635, une loi d’isolation (sakoku) interdit le départ de navires japonais vers l’étranger et le retour de Japonais au Japon. Le commerce continue cependant, non seulement avec la VOC,

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mais avec la Chine qui a un actif comptoir à Nagasaki et, plus modestement, avec la Corée et le royaume des Ryûkyû (l’actuel Okinawa), deux pays qui envoient régulièrement des ambassades à Edo. Les Hollandais aussi doivent faire un voyage annuel (puis tous les quatre ans au xixe siècle) à Edo pour renouveler leur licence de commerce, prétexte à donner des nouvelles du monde au shôgun et à ses fonctionnaires. à partir de 1720, l’importation de livres et d’estampes devient possible s’il ne s’agit pas de religion ; la science et la médecine occidentales sont connues tant par des traductions chinoises que par les ouvrages européens apportés par les Hollandais : un mouvement d’études hollandaises (rangaku) se développe à partir de Nagasaki dans le milieu des interprètes japonais qui fréquentent médecins et naturalistes postés à Deshima. C’est par eux que se diffuse également la connaissance de la perspective occidentale et du modelé ; ainsi, comme les Européens, les Japonais de la fin du

Fig. 4 : Sabre long (katana) et sabre court (wakizashi), xixe siècle. Bois laqué, métal, tresse de soie, peau de requin, 95 cm (tsuba : 8 cm de Ø) et 53 cm. Toulouse, musée Georges-Labit, inv. 70.8.3 et 70.8.4.


xviiie siècle se passionnent pour les boîtes d’optique3. Pour la population japonaise, la mise en place d’une administration centralisée a été commencée par Hideyoshi : il a fait établir le cadastre et imposé aux paysans, en 1588, de rendre toutes leurs armes et de rester fixés à la terre qu’ils cultivent, tandis que les samouraïs, qui portent deux sabres (fig. 4), doivent résider dans les villes construites autour des châteaux des seigneurs locaux ou daimyô. L’impôt et le service militaire sont établis en mesures de riz, la nourriture de base. Cette situation se perpétue à l’époque d’Edo, le shôgun ayant le contrôle direct non seulement de son immense domaine, mais aussi d’une ville commerçante comme Nagasaki. Il a également le pouvoir de sanctionner un daimyô moins fidèle en réduisant son fief ou en le déplaçant. L’empereur, dans son palais de Kyôto avec sa cour, n’a plus qu’un rôle symbolique et religieux. Cependant les alliances matrimoniales entre les Tokugawa et la famille impériale comme entre les filles du shôgun et les daimyô assurent la stabilité et la légitimité du régime d’un shogunat héréditaire. De luxueux trousseaux de mariage en laque sont alors commandés aux meilleurs artisans. Ainsi, l’extraordinaire trousseau de laque d’or Hatsune (du nom du chapitre du Genji monogatari qu’il illustre), commandé en 1637 à l’atelier des laqueurs Kôami pour Chiyo-hime (1637-1698) dès sa naissance, est livré en 1639 et toujours conservé dans son intégralité au musée Tokugawa de Nagoya : fille de Iemitsu, troisième shôgun Tokugawa, elle est promise à Mitsutomo, de la branche d’Owari de la famille Tokugawa. La société féodale qui se met alors en place assure ainsi une longue période de paix, émaillée néanmoins de quelques révoltes, famines et catastrophes, parmi lesquelles il faut classer les éruptions volcaniques, comme celle du mont Fuji en 1707, et les graves incendies qui ravagent périodiquement Edo. Elle est constituée de castes, elles aussi héréditaires,

dont les nobles de cour au pouvoir très limité, les guerriers, les paysans fixés à leur sol par des consignes contraignantes, surtout dans la première moitié du xviie siècle, et les commerçants ; mais au fil du développement économique, le système devient de moins en moins représentatif de la réalité sociale. Par ailleurs, les Tokugawa ont tout fait pour diminuer le pouvoir des temples bouddhiques et prônent bientôt, à côté du shintô, la religion traditionnelle, un néoconfucianisme japonisé. La classe des guerriers, dont fait partie le shôgun, comprend les daimyô et les samouraïs : ces derniers, en cette période de paix qu’est l’époque d’Edo, sont réduits à un rôle d’escorte de leur seigneur et à des tâches administratives. Ils cultivent le code de l’honneur dans l’esprit du néoconfucianisme, basé sur la loyauté, l’honnêteté, le dévouement, le contrôle de soi. La mort ritualisée par le seppuku devient essentiellement un mode d’exécution des peines infligées par la justice pour la classe des samouraïs.

Fig. 5 : Armure miniature pour la « fête des garçons », vers 1800. Acier, or, argent, laiton, laque, soie, h. 48 cm. Paris, musée de l’Armée, inv. G. 635.

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Fig. 6 : Armure de samouraï, vers 1580-1590. Acier, or, laiton, laque, soie, 134 x 59 cm. Paris, musée de l’Armée, inv. G. 753.


Le seppuku, pratiqué traditionnellement par les samouraïs à la mort de leur supérieur hiérarchique, est interdit en 1663. Les armures (fig. 5 & 6), souvent héritées des époques antérieures et qui n’ont dès lors d’autre usage que d’apparat, sont la fierté des familles qui les entretiennent soigneusement, les restaurent et les complètent. De nouveaux exemplaires sont fabriqués selon la technique traditionnelle et peuvent servir de cadeaux. Une grande fantaisie esthétique apparaît alors dans le décor personnalisé des casques, déjà exubérant pour les daimyô lors des dernières batailles du début du xviie siècle ; il en est de même pour les divers accessoires des sabres, notamment les gardes (tsuba), d’une infinie variété, qui témoignent de la remarquable maitrise des artisans du métal. L’éventail de guerre (fig. 7), éventail pliant à brins de fer, plus discret que les autres armes, peut aussi servir à faire passer un message. Ainsi le contre-amiral Jaurès, en service dans la mer intérieure du Japon lors d’incidents en 1863, expose au Palais de l’Industrie à Paris en 1869 « l’éventail à monture de fer représentant un soleil levant que le

daimîos [sic] de Simonosaki [Shimonoseki] envoya à l’amiral Jaurès pour lui demander une trêve après que celui-ci eut forcé les passes de la mer intérieure du Japon »4. Pour avoir le contrôle des daimyô, le shogunat institue rapidement le système de la résidence alternée entre Edo et leur fief, leur famille devant rester à Edo. Il en résulte ces pérégrinations de troupes entre les provinces et la capitale, le long des routes principales souvent représentées dans les estampes. S’établit alors un code des bonnes manières, associé au développement du rituel de la cérémonie du thé et des arts d’agrément que sont la poésie, la calligraphie ou la musique. L’éducation et l’apprentissage de la lecture se répandent, aussi bien chez les hommes que chez les femmes (fig. 8). C’est dans ce contexte que sont utilisées, lors de joutes poétiques, des tables basses (fig. 10) dont le décor est assorti à celui d’écritoires (fig. 9), également en bois laqué : on y pose les poèmes calligraphiés au pinceau sur des feuilles de papier parfois préalablement décorées de légers motifs.

Fig. 7 : éventail de guerre, xviiie siècle. Fer, bois, papier laqué, 46 x 65 cm (ouvert). Paris, musée de l’Armée, inv. P. 05182.

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Fig. 8 : Utagawa Kunisada (1786-1865), Une courtisane lisant une lettre devant une table de jeu de gô, série « Le délice ineffable de la suite du Genji » (parodie des Cinquante-quatre livres du Dit du Genji) : le Livre quatrième, 1857. Estampe, 37,5 x 26 cm. Toulouse, musée Georges-Labit, inv. 70.3.112.

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Fig. 10 : Table écritoire (bundai), inv. 1996 M 15.

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Fig. 9 : écritoire (suzuribako), seconde moitié du xixe siècle. Bois laqué noir, or, rouge, aventurine, 5,5 x 25 x 23 cm. Toulouse, musée Georges-Labit, inv. 89.1.2.

siècle. Laque noir, or, argent, métal, 15 x 70 x 33 cm. Avignon, musée Angladon,


Pour répondre aux besoins de cette classe sociale détentrice d’une richesse qui s’épuise à d’innombrables dépenses de représentation, toute une société de commerçants, d’artisans et d’artistes se développe dans les grandes villes. Cette nouvelle bourgeoisie s’organise en guildes, en corporations, en ateliers, ce qui n’empêche pas l’existence, à certaines époques, d’une censure lorsque la morale ou le pouvoir en place semblent menacés. Bien des éléments de la vie quotidienne sont codifiés, jusqu’au costume, et la hiérarchie sociale doit être respectée. Contre des modes jugées trop ostentatoires, il y eut même des périodes de restriction imposées par des édits du shogunat, notamment à la fin du xviiie siècle. Cependant cette bourgeoisie tient à montrer son aisance financière, par exemple dans l’usage d’objets luxueux comme les nécessaires à pique-nique (fig. 12) en bois laqué et doré, utilisés pour les sorties en plein air à la saison des cerisiers en fleurs. Les amateurs collectionnent déjà ces accessoires raffinés du costume masculin que sont les inrô5 (fig. 11), boîtes à médecine à compartiments qui se glissent dans la ceinture, retenus par le netsuke, petite sculpture passée dans le cordon de serrage. Leur décoration est de la plus grande virtuosité.

Fig. 11 : Inrô à 4 compartiments, ojime, netsuke, xixe siècle. Bois laqué noir, nacre, or, ivoire, 5,5 x 25 x 23 cm. Toulouse, musée Georges-Labit, inv. 89.1.2.

Fig. 12 : Nécessaire à pique-nique (sagejû), milieu du xixe siècle. Bois laqué or, argent, rouge, nacre, métal, 32,7 x 31,8 x 18,2 cm. La Rochelle, musée d’Art et d’Histoire, inv. MAH.1871.6.25.

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Fig. 13 : Utagawa Kunisada (1786-1865), Portrait d’acteur dans le rôle de Musashibo Benkei (9e mois de 1852). Estampe, 35,2 x 24,4 cm. Calais, musée des beaux-arts, inv. 951.731.1.

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Un nouveau type de spectacle populaire, le kabuki, correspond bien au goût de cette société urbaine (fig. 14). Tandis que les daimyô entretiennent tout au long de l’époque d’Edo la tradition du nô, établie dès la fin du xve siècle, avec des pièces chantées et mimées par des acteurs portant un masque correspondant à leur personnage, le kabuki est créé par une prêtresse danseuse au début du xviie siècle. Il est bientôt pratiqué par les prostituées de Kyôto qui se font ainsi une publicité jugée rapidement dangereuse. Par le même souci de moralité, les jeunes garçons affectés ensuite aux rôles féminins sont remplacés par des hommes (les onnagata). Les acteurs de kabuki ne portent pas de masques, mais allient un art expressif du maquillage et des poses suggestives, parfois outrées, à des costumes somptueusement décorés6 (fig. 13). Le kabuki, qui n’a pris véritablement son essor qu’à l’ère Genroku (1688-1704), véritable âge d’or pour les arts à la période d’Edo, a un répertoire constitué de drames sociaux contemporains ou de sujets historiques mettant souvent en

Fig. 14 : Recueil factice de couvertures de programmes de chants nagauta dansés donnés au théâtre kabuki. à droite : couverture du programme de Kanete kiku jôruri zaka, pièce de Sakurada Jisuke, créée au théâtre Ichimuraza en 1780 ; édité à Edo, Moritaya Kinzô, s. d.. à gauche : couverture du programme de Fuji wo mimasu sawai soga et de Obihiki hana no kobayashi, pièce de Kimura Enpu, créée au théâtre Nakamuraza en 1800 ; édité à Edo, Sawamura Rihei, s. d.. Toulouse, musée Georges-Labit, inv. 92.4.8.


scène des samouraïs vénérés du temps passé ou des hors-la-loi ; on observe de notables variantes dans les sujets des pièces jouées dans l’aristocratique Kyôto, la commerçante Ôsaka ou l’administrative et militaire Edo. Les dynasties d’acteurs célèbres sont l’objet d’une intense publicité, comme le montre l’importance qu’ils ont dans l’iconographie de l’estampe ukiyo-e – notamment à Edo et Ôsaka –, et en Europe, on a pu prendre pour des représentations de belles femmes les portraits d’onnagata dans des rôles féminins. Les textes sont parfois adaptés du répertoire du théâtre de marionnettes (bunraku ; fig. 16). S’il existe une très ancienne tradition de marionnettes au Japon (fig. 15), cette forme particulière, avec des marionnettes de grande taille à leviers, se développe à Ôsaka à partir du milieu du xviie siècle. Un important perfectionnement se situe en 1734 : chaque marionnette est dorénavant actionnée par trois manipulateurs vêtus de noir opérant sur scène, tandis qu’un unique récitant chante tous les rôles.

Fig. 16 : Marionnette de bunraku, 2e moitié du Georges-Labit, inv. 79.4.2.

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Fig. 15 : Utagawa Kunisada (1786-1865), Un acteur tenant une poupée à la main, série « Le délice ineffable de la suite du Genji » (parodie des Cinquante-quatre livres du Dit du Genji) : le Livre sixième, 1858. Estampe, 37,5 x 26 cm. Toulouse, musée Georges-Labit, inv. 70.3.109.

siècle. Bois, cheveux, tissus dont soie, h. 100 cm. Toulouse, musée

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Le contrôle de l’administration shogunale ne se limite pas au théâtre et va jusqu’à l’organisation officielle de quartiers de plaisir fermés dans les villes principales. Si un tel système est déjà en place à Kyôto dès la fin du xvie siècle, ces quartiers réservés sont une des caractéristiques de l’époque d’Edo où les villes sont composées de divers districts spécialisés : dans ces quartiers de plaisir sont regroupées les maisons vertes des courtisanes assignées à résidence, à côté de maisons de thé, de lieux de spectacle où, à partir de 1660, peuvent se produire des geishas, danseuses et musiciennes libres d’entrer et de sortir, et de librairies diffusant sur place guides et estampes. Le Yoshiwara d’Edo est fondé en 1617. Peu après, des quartiers similaires sont construits à Ôsaka (Shinmachi, qui ne sera détruit que pendant la Seconde Guerre mondiale) et à Kyôto où il prend le nom de Shimabara en 1640. à Edo, le Yoshiwara, d’abord situé au centre de la ville, est déplacé plusieurs fois. Après l’incendie de 1657, il est installé à son emplacement principal, loin au nord-est au delà du temple d’Asakusa dans un quartier de parias, et il compte déjà 1750 pensionnaires au xviie siècle. S’il est largement détruit lors du tremblement de terre de 1923, le système n’est aboli qu’en 1958. Ce quartier des plaisirs peut notamment être atteint par bateau en remontant la Sumida, ce qui garantit un vrai dépaysement7. à l’entrée, avant d’en franchir la porte, chacun – moine, marchand ou samouraï – doit abandonner, dans des cabanes installées à cet effet, le costume et les armes indiquant son statut social ; le séjour ne peut durer normalement plus d’un jour et une nuit, même s’il existe des habitués.

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Le monde des prostituées est lui-même hiérarchisé en quatre classes, ce qui se répercute dans les tarifs. La description qu’en donne le texte de l’Almanach des maisons vertes, illustré par Utamaro et publié en 18048, insiste sur les fêtes qui rythment l’année plus que sur la difficile condition de bien des jeunes femmes qui y sont employées. Issues de familles pauvres et obligées de gagner leur vie, elles y sont entrées très jeunes en apprentissage et, au mieux, peuvent espérer y trouver un jour un mari parmi les clients. Ce sont, dans les estampes ukiyo-e, les fillettes

(kamuro) qui accompagnent les courtisanes (oiran) du plus haut rang, celles qui font la mode et portent de somptueux costumes (fig. 18) et de volumineuses coiffures hérissées de peignes et épingles (fig. 17). à coté de représentations de la vie quotidienne comme les scènes de toilette (fig. 19) ou les promenades, les courtisanes sont souvent mises en scène dans des rôles du temps passé, jouant les princesses de légende et donnant une image de rêve du monde flottant et des charmes de la grande ville. Cette société féodale basée sur l’idée de subordination à son supérieur hiérarchique se fissure à partir de 1858. Afin d’éviter le sort peu enviable de la Chine, battue par les Anglais et les Français lors du sac du Palais d’été en 1860, il devient évident qu’il faut emprunter au plus vite aux pays occidentaux leur technologie, et des missions japonaises sont envoyées dans ce but à travers le monde, dès 1860 en Californie, en 1862 en Europe9. Certains fiefs du sud, Chôshû et Satsuma, se tournent vers l’empereur pour affaiblir le régime du bakufu et Kyôto, en 1863, retrouve son importance perdue. Des années de troubles s’ensuivent qui n’empêchent pas l’organisation officielle de l’envoi japonais à l’Exposition universelle de 1867 à Paris ; Tokugawa Akitake, le jeune frère du shôgun, est envoyé à cette occasion en France où il apprend bientôt la fin du régime autoritaire des Tokugawa. Edo reste capitale et c’est l’empereur qui s’installe dans son château. La ville prend bientôt le nom de Tôkei, puis de Tôkyô, tandis que le gouvernement de Meiji met en place une totale réorganisation de la société et une rapide modernisation du pays.

Fig. 17 : Peigne (kushi), xixe siècle. Bois laqué or et rouge, 10,9 x 4,9 x 0,9 cm. La Rochelle, musée d’Art et d’Histoire, inv. MAH.1871.6.46.


Fig. 18 : Uchikake (kimono), xviiie siècle. Satin de soie broché, brodé et shibori. Don Jean et Krishnâ Riboud. Paris, musée national des arts asiatiques – Guimet, inv. MA 5759.

Fig. 19 : Kitagawa Utamaro (1753-1806), Bijin à sa toilette (détail), 1805. Estampe, 38,5 x 25,7 cm. Saint-Omer, musée de l’hôtel Sandelin, inv. 2004.0.025.

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Fig. 20 : Utagawa Kunisada (1786-1865), Portrait de l’acteur Kawarasaki Gonjûrô I et de l’onnagata Iwai Kumesaburô III, (2e mois de 1858). Estampe, 36,2 x 25,1 cm. Calais, musée des beaux-arts, inv. 951.822.1.


L’estampe ukiyo-e Geneviève Lacambre Dès l’ouverture du Japon au commerce international, et notamment après le traité de paix, d’amitié et de commerce signé à Edo le 9 octobre 1858 par l’ambassade française conduite par le baron Gros, la civilisation japonaise est dévoilée sous ses aspects les plus modernes. Membre de l’ambassade française, le baron Charles de Chassiron, dans ses Notes sur le Japon, la Chine et l’Inde, ouvrage publié après son retour en 1861, glisse des pages de son journal ; à la date du 6 octobre 1858, au cours d’une promenade, surveillé par son escorte, il avait noté : « Je suis allé seul aujourd’hui dans la ville marchande et j’y ai fait des emplettes auxquelles, avec celle de mes ivoires anciens, j’attache le plus de prix ; j’ai arraché, dans toute la vérité du mot, et presque en luttant avec l’un de mes officiers japonais, de l’étalage d’une boutique, une liasse d’estampes coloriées, de gravures et de cartes1 ». Il multiplie les observations judicieuses et admiratives sur la civilisation japonaise qu’il entrevoit, et remarque à propos de l’écriture : « Comme peinture et comme signes, l’écriture japonaise est la même que l’écriture chinoise […], ce que je sais, c’est que le Japon, afin de simplifier ses rapports parlés et écrits, a composé un alphabet réduit qui en rend l’usage raisonnablement pratique2 ». Le commerce avec la France se développe

très rapidement, notamment dans le nouveau port de Yokohama, ouvert à cet usage près d’Edo (l’actuelle Tôkyô). Et les exportations d’estampes contemporaines fascinent les artistes parisiens, comme le montre le témoignage de Zacharie Astruc, sculpteur et critique d’art, ami de Manet. Avant même la participation officielle du Japon, particulièrement admirée, à l’Exposition universelle de Paris en 1867, il peut écrire, dans L’étendard du 27 février 1867, qu’après l’ouverture du Japon, « l’arrivée des premières estampes produisit une véritable commotion. […] Le plus modeste album était disputé chèrement. Et quel désappointement de ne trouver que des vases, ou des étoffes, ou des robes, si précieuses cependant ! […] Les dessins convenaient mieux aux peintres et aux amateurs érudits.» Les artistes novateurs sont attirés par ces feuilles aux teintes vives qui contrastent avec le noir et blanc des estampes et des illustrations du temps, ainsi qu’avec la technique occidentale du modelé et des ombres. Citons, parmi d’autres, quelques protagonistes comme Whistler ou Manet ; le premier reproduit, en 1864, des estampes de Hiroshige dans Le paravent doré (Washington, Freer Gallery) ; le second, qui avait fait scandale au Salon des refusés de 1863, essuie un nouveau refus au Salon de 1866, avec Le fifre (Paris, musée d’Orsay). Le jeune critique émile Zola le défend, dans la Revue du xixe siècle du 1er 23


janvier 1867, en un vibrant article où il propose de comparer « cette peinture simplifiée avec les gravures japonaises qui lui ressemblent par leur élégance étrange et leurs taches magnifiques ». En remerciement de ce soutien, Manet peint le Portrait de Zola (Paris, musée d’Orsay) qui sera exposé au Salon de 1868. Il y introduit une estampe japonaise représentant un personnage en noir et rouge sur fond gris, dont il copie en haut à gauche le cartouche portant le sujet : il s’agit d’un lutteur de sumo, Onaruto Nadaemon de la province d’Awa par Kuniaki I, un artiste actif au début des années 1860. L’identification a été faite grâce à l’exemplaire de cette estampe légué au Museum of Fine Arts de Boston par William P. Babcock (1826-1899), un peintre américain installé en France, ami de Théodore Rousseau et de Jean-François Millet à Barbizon. Mais à l’époque, personne ne se souciait d’identifier l’auteur et le sujet. Le Journal des Goncourt nous apprend aussi que, dès 1863, des estampes érotiques étaient disponibles à Paris3, et la censure qui a entouré jusqu’à une époque récente ce type de sujet, a fait oublier l‘impact de certaines feuilles de Kuniyoshi sur Gustave Courbet, lorsqu’il choisit en 1866 le cadrage de L’origine du monde (Paris, musée d’Orsay).

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Par étapes, après la restauration de Meiji en 1868, les estampes plus anciennes arrivent sur le marché parisien et dans les collections des artistes et des amateurs. Une vraie folie d’enchères accompagne la première grande vente d’estampes, celle qui a lieu du 16 au 20 mars 1891, après la mort de Philippe Burty. Amateur de la première heure, il n’avait cessé de collectionner, particulièrement dans les années 1880, lorsque le marché avait commencé à proposer des estampes du xviiie siècle et notamment d’Utamaro. Outre le grand marchand Siegfried Bing (1838-1905), qui visita en 1880 le Japon où il avait de longue date des correspondants et qui dirigea de 1888 à 1891 la publication des trente-six numéros abondamment illustrés de la revue Le Japon artistique, il faut signaler le Japonais Hayashi Tadamasa (1853-1906), arrivé comme

interprète lors de l’Exposition universelle de 1878 et installé quelques années plus tard comme marchand à Paris. Son rôle auprès d’Edmond de Goncourt allait être capital lors de la préparation des deux monographies qu’il publie sur Outamaro le peintre des maisons vertes, en 1891, puis sur Hokousaï en 1896. Dans L’Art japonais, paru en 1883, Louis Gonse centre l’étude du livre illustré et de l’estampe autour de la personnalité dominante de Hokusai et désigne ce courant d’« école vulgaire ». Cette dénomination est critiquée quelques années plus tard par Hayashi, lorsqu’il discute avec Edmond de Goncourt de l’orthographe et de la définition du mot ukiyo-e (alors écrit oukiyoyé) à propos d’Ukiyoe Ruikô, un dictionnaire d’artistes compilé dès 1790, puis complété en 1868, finalement imprimé en 1889, et qu’il cite, sans y avoir eu accès, dans la préface de son Outamaro. En 1896, Goncourt a pu en obtenir une traduction, et lorsqu’il prépare son Hokousaï, c’est Hayashi qui lui explique le sens du mot, qu’il glisse en note à la fin de sa préface : « Voici la décomposition des cinq mots Oukiyoyé Rouikô : Ouki « qui flotte, qui est en mouvement » – yo « monde » – ye « dessin » – roui « même espèce » – kô « recherche ». Et rouikô, devenu un seul mot, signifie « étude d’ensemble d’une même espèce de choses4 ». Hayashi avait, en outre, précisé : « Votre traduction : école du monde vivant ou de la vie vivante ou de la vie telle qu’elle se passe sous nos yeux, ou de toutes les choses que nous voyons, etc., rend exactement le sens. […] Quant au mot école vulgaire, inventé par M. Gonse, il ne me plaît pas tout à fait5 ». Entre temps, Georges Appert publie en 1888 Ancien Japon, un ouvrage pratique et bilingue qui apporte des clés sur l’histoire et l’art du Japon. Il cite quarante-trois noms d’artistes relevant des « écoles réalistes ou vulgaires (ukiyo-e) », un des premiers sans doute à publier le mot en français. Si le premier nom de la liste, Iwasa Matabei (1578-1650), peintre de scènes de genre, artiste indépendant, n’est


plus considéré comme le père de l’ukiyo-e, il est suivi du créateur du genre, Moronobu, qui pratique à la fin du xviie siècle la gravure en noir et blanc ; il n’oublie pas Kyôsai (1831-1889), encore vivant à l’époque, un artiste qu’émile Guimet et Félix Régamey avaient rencontré lors de leur voyage au Japon de 1876-1877. Dans son catalogue de l’œuvre de Hokousaï, Goncourt signale que les Trente-six vues du mont Fuji, fameuse série en largeur, est « l’album inspirateur du paysage des impressionnistes de l’heure présente7 ». (fig. 21) En effet, en moins de deux siècles, cette technique de gravure sur bois d’origine chinoise était passée de la monochromie à la plus vive polychromie, celle que l’on découvre avec fascination sous le second Empire. à l’origine, le sens originel du mot ukiyo dans le titre de l’Ukiyo monogatari (Contes du monde flottant) d’Asai Ryôi, publié en 1661, était philosophique et lié au bouddhisme : il

évoquait le temps présent, la vie au rythme des saisons et l’acceptation du destin et se retrouve, avec ce sens, associé autour de 1681-1682 au suffixe « e » (image) dans divers ouvrages illustrés de Moronobu. Puis il évolue vers la représentation hédoniste des plaisirs, certes illusoires, de la vie quotidienne de la société bourgeoise et commerçante des grandes villes du Japon. Moronobu (16181694), qui commence par éditer des livres illustrés gravés sur bois comme le Guide de l’amour au Yoshiwara8, de 1678, avec un texte explicatif en haut de chaque page, est le premier à publier des estampes sur des feuilles séparées sans texte. Comme lui, les artistes qui donnent des modèles aux éditeurs pour la gravure sont aussi des peintres, produisant des kakemonos, des rouleaux peints ou des paravents. La réalisation d’une estampe demande la participation de divers métiers. à la demande d’un éditeur, l’artiste donne le dessin précis de la composition, après avoir fait des dessins préparatoires qui sont parfois conservés. La

Fig. 21 : Katsushika Hokusai (1760-1849), série « Les 36 vues du mont Fuji » : le pont de Fukagawa à Edo, 1784. Estampe, 25,3 x 37,7 cm. Saint-Omer, musée de l’hôtel Sandelin, inv. 2004.0.035.

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feuille de papier fin portant le trait de l’estampe est contrecollée sur une planche de bois, généralement du cerisier, la face contre le bois, ce qui permet d’avoir une estampe dans le même sens que le modèle. Le graveur taille alors le bois au ciseau, au couteau, à la gouge avec un maillet, en laissant en relief les lignes du dessin et, de fait, détruit cette première feuille. Il pratique aussi des encoches qui serviront de repères lors de l’impression. Cette planche, encrée, est tirée en autant d’exemplaires que de couleurs prévues. L’artiste indique alors leur emplacement et de nouvelles planches sont gravées. L’imprimeur prépare autant de feuilles du papier définitif en écorce de murier, que d’exemplaires à tirer, puis les place successivement sur les différents bois préparés et encrés à la brosse ; il frotte ensuite à l’aide d’un tampon circulaire (baren) couvert d’une feuille de bambou tendue et, selon la pression, peut obtenir des variations dans l’intensité des tons et des dégradés. Il peut également imprimer des fonds micacés, fréquents chez Utamaro, ou ajouter des gaufrages, par exemple sur les surimono, ces estampes à caractère privé que s’échangent les lettrés pour la Nouvelle Année et qui comportent souvent des textes poétiques. Après les coloris naturels, minéraux et végétaux, aux tonalités délicates du xviiie siècle, le bleu de Prusse, dit aussi de Berlin, apparaît au xixe siècle par l’intermédiaire des Hollandais installés dans l’îlot de Deshima à Nagasaki, et joue un grand rôle dans le développement des estampes de paysage de Hokusai et de Hiroshige, tandis que les couleurs chimiques à l’aniline avec leurs tonalités très vives sont utilisées après le milieu du xixe siècle, permettant dans les dernières années de la période d’Edo l’impression de ces feuilles surprenantes qui fascinèrent les artistes du second Empire. 26

Plusieurs formats de papier sont utilisés9, mais

le plus fréquent, à partir de 1770, est le format ôban (39 x 26,5 cm) employé verticalement ou, moins souvent, horizontalement. Certaines scènes peuvent être tirées sur plusieurs – deux, trois ou cinq – feuilles verticales formant des polyptiques. à la fin de l’époque d’Edo apparaît aussi le papier crépon, dont le format est réduit après impression par frottement entre deux planches biseautées. Il est encore utilisé au début de Meiji pour des feuilles bon marché qui fascinent les artistes Van Gogh, Bonnard, Matisse et bien d’autres et contribue à la diffusion des œuvres de Hiroshige, de Kunisada et de leurs disciples. Le tirage peut atteindre plusieurs centaines, voire plusieurs milliers d’exemplaires. Les bois, soigneusement conservés, permettent des rééditions, souvent posthumes, pour lesquelles la couleur et la qualité du tirage peuvent varier. Les estampes portent diverses inscriptions : la signature de l’artiste, parfois dans un cartouche vertical, la marque de l’éditeur, le cachet de censure à partir de 1790, notamment à Edo, associé dès 1800 à une date qui peut être précise au mois près. Ce système de contrôle administratif ne disparaît qu’en 1875. Le sujet représenté, le titre de la série sont indiqués dans un cartouche. Si nombre de feuilles, parfois utilisées pour décorer des paravents ou boucher les trous des cloisons coulissantes tendues de papier, finissent par disparaître, certains amateurs les conservent. Les séries pouvaient être montées en albums en accordéon à couverture cartonnée, que ce soit le fait d’amateurs soigneux ou d’éditeurs, notamment pour l’exportation vers l’Europe11. Toujours est-il que, s’il est encore possible d’acquérir sur le marché japonais des estampes ukiyo-e – comme l’a fait le professeur Ohya, donateur d’une collection d’estampes au


musée des Beaux-Arts de Rennes en 195912 –, cet art fut longtemps méprisé au Japon même. Si cela a permis le transfert vers l’Europe par Hayashi de plus de 150 000 estampes à la fin du xixe siècle, il en est résulté de curieux allers et retours : c’est ainsi que le grand industriel et collectionneur japonais Matsukata acheta la collection d’estampes que le bijoutier parisien Henri Vever, fanatique client d’Hayashi, avait mise en vente à Londres en 1918. Il en fit don en 1943 au musée national de Tôkyô. Les artistes qui produisent les motifs des estampes à la demande des éditeurs, chargés ensuite de leur vente, sont organisés en ateliers et, après la disparition du chef d’école, ses disciples peuvent adopter tout ou partie de son nom. La liste des différents noms utilisés par un artiste durant sa carrière est répertoriée dans les dictionnaires et c’est, en plus du style, la date de publication qui permet, par exemple, d’attribuer à Kunisada une estampe signée Toyokuni, du nom de son maître décédé, et de distinguer les œuvres de Kunisada de celle de ses disciples désignés comme Kunisada II ou III. Images du monde flottant, les estampes de l’ukiyo-e ont pour sujets différents aspects des loisirs des villes en pleine expansion où se trouvent les quartiers de plaisir, avec les belles courtisanes qui font la mode (fig. 22), les salles de spectacle, avec les portraits d’acteurs de kabuki ou les lutteurs de sumo, mais aussi les scènes historiques, avec les guerriers ou les héros de la littérature médiévale ou moderne à la mode. Elles représentent encore les beautés de la nature, les fleurs et oiseaux dans la tradition chinoise ou les paysages, notamment ceux qui se présentent aux voyageurs, les daimyos et leurs troupes, les commerçants ou les pèlerins, le long des routes principales. La plus célèbre est le Tôkaidô, à l’Est, qui relie Edo à Kyôto en longeant d’abord la mer, mais ce n’est pas la seule. Les estampes présentées à Figeac ont été produites par des artistes originaires d’Edo ou

Fig. 22 : Utagawa Kunisada (1786-1865), Courtisane tenant une lanterne, série « Les Huit vues de Tastumi, le quartier de plaisirs de Fukagawa à Edo », vers 1835. Estampe, partie droite d’un triptyque, 36 x 24,7 cm. Calais, musée des beaux-arts, inv. 951.821.1.

qui y ont fait l’essentiel de leur carrière, mais il existait une production dans d’autres villes telles qu’Ôsaka, Kyôto ou même Nagasaki, où les Hollandais qui y avaient un comptoir inspirèrent des représentations exotiques d’Européens, et même des rares Européennes arrivées pour une saison et reparties avec le premier bateau pour Batavia autour des années 1820. Dans l’exposition, les plus anciennes estampes sont dues à Koryûsai (1735-1790), un artiste fort actif qui a dû signer près de six cents pièces, et doivent dater des années 1770 : elles sont imprimées sur ces longues feuilles que l’on nomme estampes de pilier (hashira-e) ; cela permettait de les coller sur de fragiles kakémonos de papier, moins chers que les peintures, mais l’origine de ce format vient peut-être aussi de celui des planches disponibles (sans assemblage) lorsqu’on se

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met à utiliser le bois de cerisier plutôt que le catalpa. Ce format oblige à une composition étagée des figures, à des poses contournées et à d’habiles découpages. Les peignes ouvragés que portent les élégantes jeunes femmes qu’il met en scène indiquent bien qu’elles sont installées dans le quartier de plaisir d’Edo, le Yoshiwara, chronologiquement un des premiers thèmes d’inspiration de l’ukiyo-e. Dans Le songe d’une courtisane (fig. 23), l’artiste utilise déjà un procédé qui place ce à quoi songe cette courtisane – l’évasion dans une nature fleurie – dans une sorte de bulle en forme de volute de fumée, procédé annonciateur de la bande dessinée. Dans une série de feuilles de format ôban qui devient désormais le plus fréquent, sous le titre de Beautés des quartiers de plaisir d’aujourd’hui, vers 1781-1784, Kiyonaga (1752-1815) décrit les belles femmes (bijin ; fig. 24) en promenade, dans la lignée de ses prédécesseurs Harunobu, Koryûsai et son maître Kiyomitsu, de la troisième génération des Torii, auquel il succède à la tête de cette école. à partir de 1787, lorsqu’il représente des scènes de spectacles de kabuki, il cherche à individualiser les visages des acteurs.

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Fig. 23 : Isoda Koryûsai (1735-1790), Le songe d’une courtisane, vers 1770. Estampe, 66,4 x 12,1 cm. Saint-Omer, musée de l’hôtel Sandelin, inv. 2004.0.021.

Mais c’est la génération suivante qui va s’intéresser aux visages en gros plan et aux figures à mi-corps, aussi bien Utamaro (17531806) que Sharaku, auteur mystérieux actif dix mois en 1794-1795, dont les célèbres portraits d’acteurs sont peut-être une commande privée. Dans la lignée de l’art de Kiyonaga, Utamaro sait jouer des délicates teintes d’ocre, d’orangé et de vert pâle disponibles à l’époque et donner lui aussi une intensité particulière aux grands aplats de noir des costumes et des chevelures, lorsqu’il représente les scènes de l’intimité familiale des courtisanes à l’élégant profil allongé. Il en fait de nombreux portraits, lui qui habita même un temps à l’entrée du Yoshiwara, grâce à Tsutaya Jûzaburô (1750-1797), qui fut son éditeur comme celui de Sharaku. On sait qu’à la fin de sa vie, en 1804, Utamaro eut des ennuis avec la censure et qu’il fut même arrêté


Fig. 24 : Torii Kiyonaga (1752-1815), Trois courtisanes à la toilette, série « Les beautés des quartiers de plaisir d’aujourd’hui : le quartier de Tachibana », vers 1784. Estampe, 38 x 25,7 cm. Saint-Omer, musée de l’hôtel Sandelin, inv. 2004.0.032.

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et emprisonné en 1804 pour cause de satire politique contre le shogunat. Son style se perpétue avec Eizan (1787-1867), fils d’un peintre d’éventails, qui se spécialise dans la représentation de beautés des maisons vertes en promenade, de groupes de femmes et enfants ou de scènes de toilette (fig. 25). Quant à Toyokuni (1769-1825), de l’école Utagawa, il est le véritable initiateur des estampes de brocart à Edo (azuma nishiki-e), par multiplication des planches de couleurs. Lui aussi représente des scènes de la vie quotidienne des belles femmes et des portraits d’acteurs de cette période de la fin du xviiie siècle qui est l’âge d’or du théâtre kabuki, au temps où les estampes se vendaient en grand nombre à l’entrée même des spectacles. Dans la lignée des portraits en gros plan de Sharaku, il publie une méthode, en 1817, pour la représentation des visages d’acteurs, stylisés pour être immédiatement reconnaissables ; il y recommande de commencer par le nez, continuer par la bouche, puis les sourcils dont le tracé détermine celui des yeux et des pupilles, et de terminer par le contour du visage. Ce type de sujet disparaît à l’ère Tenpô (18301844), marquée par un sursaut de moralisation de la vie publique, pour réapparaître par la suite. Cette censure ne fait d’ailleurs que renforcer le goût de l’allusion cachée et de la caricature avec lequel savent jouer les artistes japonais. Le recours à l’illustration de la littérature ancienne, particulièrement le grand roman de l’époque de Heian, le Dit du Genji (Genji monogatari), dans une présentation modernisée, est fréquent, d’autant que le spectateur, familier de ce texte célèbre, en reconnaît facilement les épisodes.

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Fig. 25 : Kikukawa Eizan (1787-1867), Une courtisane se faisant coiffer, début xixe s. Estampe, 61,9 x 9,7 cm. Saint-Omer, musée de l’hôtel Sandelin, inv. 2004.0.041. Ancienne collection Emmanuel Tronquois.

Hokusai (1760-1849) aussi se fait connaître par la mise en images de textes littéraires, comme en 1805, le Suikoden, traduction et japonisation d’un roman chinois du xive siècle, contant l’histoire de hors-la-loi justiciers, à l’origine d’une véritable mode.


à ses débuts, il avait pratiqué la taille du bois – il est le seul parmi les dessinateurs d’estampes – puis, comme Toyokuni, s’était intéressé à la perspective et aux techniques occidentales de représentation de l’espace dans des estampes qu’il avoue même « de style hollandais ». à côté de livres illustrés ou de recueils de gravures sans texte, comme la célèbre Manga dont le premier volume est publié en 1814, Hokusai s’investit aussi dans des séries d’estampes dont la plus célèbre est Les trentesix vues du mont Fuji publiée entre 1831 et 1834, comptant finalement quarante-six feuilles, les dix dernières montrant l’autre face de la montagne. De longue date, il avait étudié le graphisme apte à rendre le mouvement des vagues et il en donne une représentation magistrale – et aussi célèbre maintenant que la Joconde ou la Vénus de Milo – avec la Grande vague à Kanagawa. Vu de près ou de loin, le mont Fuji, le plus haut volcan japonais, est présenté au rythme des

saisons, seul au milieu des éléments – éclairs, nuages ou neige – ou minuscule à l’horizon, vu alors depuis des sites variés, dans des paysages généralement animés par de petits personnages, promeneurs ou travailleurs, fidèles et vivantes images de la vie quotidienne de l’époque. Ainsi le mont Fuji apparaît dans le lointain sous la grande arche du pont Mannen à Fukagawa, un quartier de l’est d’Edo ; une foule dense franchit ce pont et certains promeneurs, accoudés à la rambarde, tournent le dos à la montagne sacrée. L’œil est attiré au centre par un large parapluie ouvert dont la tache sombre fait écho aux pentes du Fuji, au sommet enneigé. Ce jeu subtil du gros plan se retrouve dans les paysages de Hiroshige (1797-1858), lui aussi intéressé par l’art occidental. S’il n’arrive pas à entrer dans l’atelier de Toyokuni, il est néanmoins formé par un autre peintre de l’école Utagawa, Toyohiro (1773-1828). à la suite d’un voyage à Kyôto en 1832 avec une ambassade de l’administration

Fig. 26 : Utagawa Hiroshige (1797-1858), Sites célèbres de la Capitale de l’Est (Edo) : Le pont Nihonbashi sous la neige, vers 1840-1842. Estampe, 24,5 x 36,5 cm. Saint-Omer, musée de l’hôtel Sandelin, inv. 2004.0.037.

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shogunale auprès de l’empereur, il entreprend, suivant l’exemple de Hokusai, de représenter les Cinquante-trois étapes du Tôkaidô et les points de départ, Edo, et d’arrivée, Kyôto, en cinquante cinq estampes de format ôban horizontal. Publiée en 1833-1834, cette série eut un grand succès commercial, puisque 5400 exemplaires furent tirés du vivant de l’artiste. Le genre du paysage s’impose comme un nouveau débouché pour les artistes à cette période de rigueur et de censure qu’est l’ère Tenpô. Hiroshige multiplie alors les voyages et les séries de paysages, arpentant aussi d’autres itinéraires, comme le Kisokaidô, la route de montagne entre Edo et Kyôto, et représentant les sites célèbres d’Edo (Tôto meisho, 1843) aux différentes saisons : c’est sous la neige qu’il montre le pont Nihon (Nihonbashi) point de départ de toutes les routes du Japon, en une grande diagonale que domine la silhouette blanche du mont Fuji (fig. 26). Au même moment, Kunisada (1786-1865), également de l’école Utagawa, élève de Toyokuni, commence très jeune une carrière prolifique, se consacrant à la figure – dans des portraits d’acteurs, de courtisanes, de lutteurs de sumo – ou à l’illustration de textes littéraires. Il porte un grand intérêt au rendu des riches costumes de ses personnages. Dans une série des Cinquante-trois étapes du Tôkaidô, publiée en 1852, il place des acteurs, dûment identifiés dans des rôles précis, devant les paysages typiques des différents relais (fig. 27, 28 et 29) : on y voit, en bleu, l’océan Pacifique à Kanagawa au sortir d’Edo ou le lac Biwa à Ôtsu, la dernière étape avant Kyôto.

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Il arrive aussi que les artistes travaillent en collaboration : dans l’album des Miracles de Kannon de 1859, les paysages, dus à Hiroshige II (1826-1869), représentent, à la partie supérieure, dans des tableaux encadrés portés par deux supports, les trente-trois temples consacrés à cette divinité de la compassion dans le panthéon bouddhique. La partie inférieure, par Kunisada, montre les bénéficiaires de

Fig. 27 : Utagawa Kunisada (1786-1865), 4e étape de la route du Tôkaidô : Kanagawa. Portrait de l’acteur Iwai Hanshirô VII dans le rôle d’Ofune, 4e mois de 1852. Estampe, 36,3 x 25,2 cm. Calais, musée des beaux-arts, inv. 951.818.1.

Fig. 28 : Utagawa Kunisada (1786-1865), 22e étape de la route du Tôkaidô : Okabe. Portrait de l’acteur Arashi Kichisaburô III dans le rôle d’Okabe Rokuyata, 4e mois de 1852. Estampe, 35,4 x 24,6 cm. Calais, musée des beauxarts, inv. 951.807.1.


ses bontés dont l’histoire est longuement expliquée par des textes placés dans les vides colorés de la feuille. L’intercession de Kannon est représentée de différentes façons, apparitions, nuages, éclairs, rais de lumière, cascade, bulles, spectaculaire chute en spirale de ballots de riz sur le pont d’un bateau, dans un jeu graphique inventif, reliant le paysage à la scène, prélude à l’art du manga ou de la bande dessinée européenne (fig. 30).

Fig. 29 : Utagawa Kunisada (1786-1865), 52e étape de la route du Tôkaidô : Otsu, 5e mois de 1852. Estampe, 35,5 x 24,9 cm. Calais, musée des beaux-arts, inv. 951.819.1.

Le lien est plus évident encore avec les œuvres de Kuniyoshi (1797-1861 ; fig. 31, 32 & 33) et celles de son élève Yoshitoshi (1839-1892), souvent d’un caractère fantastique, notamment lorsqu’ils prennent pour thème, après Hokusai, les héros mythiques du Suikoden. Comme Kunisada13, ils traitent aussi du code d’honneur des guerriers, avec les Quarante-sept rônin, des samouraïs qui veulent venger leur maître et sont tous condamnés à se donner la mort en 1703, un fait historique représenté alors

Fig. 30 : Utagawa Kunisada (1786-1865) et Utagawa Hiroshige II (1826-1869), texte de Mantei Ôga, Les miracles de la déesse Kannon. à droite : Le pavillon Nan.endô de monastère Kôfukuji de Nara, neuvième étape de la route de pèlerinage de l’Ouest, 1858. à gauche : Le monastère de Mimurotoji dans la province de Yamashiro, dixième étape de la route de pèlerinage de l’Ouest, 1858. 33 estampes montées en album, 36,4 x 24, 3 cm. Collection particulière.

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sur les scènes du théâtre kabuki. Yoshitoshi, artiste extravagant, à la vie chaotique, n’hésite pas à représenter des fantômes ou des scènes sanguinolentes, comme dans sa série des Vingt-huit meurtres célèbres en 1866 ou dans les planches du Suikoden entre 1866 et 1868. Les courageux guerriers y luttent avec des monstres de toutes sortes dans des compositions tourbillonnantes d’une invention graphique saisissante. à l’époque de Meiji, Yoshitoshi14 devait continuer de produire des estampes ukiyo-e malgré la modernisation du pays et le changement progressif de mode. Il fut rarement aussi violent que dans les estampes créées dans les moments de tension extrême qui marquent la fin du shogunat des Tokugawa. Si, par sa diffusion à travers le monde, l’art de l’ukiyo-e tardif a marqué la bande dessinée occidentale, à commencer par certaines pages de Little Nemo en 1905, le dessin animé japonais comme les mangas contemporains sont dans la lignée de cet art pionnier de l’estampe, qui a su allier une solide tradition artisanale à l’usage des colorants les plus modernes pour diffuser à petits prix auprès du large public du Japon de l’époque d’Edo les créations de ses meilleurs artistes.

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Fig. 31 : Utagawa Kuniyoshi (1797-1858), L’acteur Sawamura Sôjûrô V dans le rôle de Kitahachi en pélerinage au temple de Konpira (1850). Estampe, 36,2 x 25,3 cm. Calais, musée des beaux-arts, inv. 951.805.1.

Fig. 32 : Utagawa Kuniyoshi (1797-1858), Portrait de l’acteur Onoe Kikugorô III (1847). Estampe, 35 x 23,5 cm. Calais, musée des beaux-arts, inv. 951.828.1.


Fig. 33 : Utagawa Kuniyoshi (1797-1858), série « Moines extraordinaires. Les seize profiteurs », n° 8 : le Saint Babillard, vers 1843. Estampe, 37,5 x 26 cm. Toulouse, musée Georges-Labit, inv. 70.3.75.

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Fig. 34 : Écritoire (suzuribako), milieu du xviie siècle. Décor en laque, makie et nashiji d’or et d’argent sur fond noir, 2,7 x 16,5 x 16 cm. Legs Dutuit à la ville de Paris, 1902. Paris, musée du Petit Palais, inv. Dut. 1484.


Un cas d’écriture cryptée à l’époque d’Edo : l’écritoire du Petit Palais Claire-Akiko Brisset Redécouverte à l’occasion de l’exposition L’Or du Japon (2010), cette écritoire est inspirée du Dit du Genji, fameux roman courtois du xie siècle, et a été rapprochée d’autres œuvres, respectivement conservées au musée national de Tôkyô (inv. H. 201) et au Fitzwilliam museum de Cambridge (inv. O.11947)1. Cet embryon de série suggère que ce genre de production de laques littéraires devait rencontrer un certain succès à la toute fin du Moyen-Âge et au début de l’époque moderne au Japon. L’ensemble du programme décoratif de l’écritoire évoque la résidence du prince Genji, le héros du roman. Dans le paysage figuré sur le dessus du couvercle, une barque de style chinois semble sur le point de disparaître derrière un relief montueux se dressant au bord de l’eau : le jardin des demeures aristocratiques était en effet agrémenté d’un étang qui comportait toujours une île ou plus. Le tambour placé à la poupe de l’embarcation fait allusion aux concerts qui pouvaient avoir lieu dans cet espace destiné aux divertissements élégants du maître de maison. À gauche, un saule, un cerisier et un pin dressent leurs silhouettes gracieuses sur la berge. Au premier plan, des fleurs de corètes équilibrent à droite le couple des canards mandarins figurés sur la rive opposée, et complètent l’évocation de ces lieux paradisiaques. Cette mise en image reprend certains éléments d’un épisode du chapitre

« Les papillons », dans lequel l’une des épouses du Genji, la belle Murasaki, a organisé avec ce dernier une fête dans le palais du printemps. Cependant, cette évocation opère un décalage : la présence humaine n’est ici suggérée que par la barque, alors que la scène dans le roman fourmille de personnages (grands de la cour, nobles dames, musiciens, danseurs). Malgré une telle simplification, la nature fortement conventionnelle des motifs permet, à tout familier de l’iconographie du roman, de reconnaître la scène au premier coup d’œil2. Déjà riche de signification, cet ensemble doit cependant être en outre associé à quelques caractères d’écriture, dissimulés dans les troncs entremêlés du pin et du cerisier, en l’espèce le mot urara (« lumineux »), qui permet de renvoyer le lecteur à l’un des poèmes composés à l’occasion de ce divertissement : Dans la douce lumière (urara) du soleil printanier voguent les barques et leurs perches dispersent des gerbes de gouttes fleuries

Ce paysage est complété dans l’espace intérieur de l’écritoire par un dispositif tout différent. Sur le dessous du couvercle, des fleurs de corète et de cerisier sont présentées dans des vases rituels autour desquels volètent oiseaux et papillons. Ces motifs font allusion

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à un épisode qui se déroule le lendemain du premier divertissement. L’organisation matérielle de la boîte – le fait d’ouvrir le couvercle – permet donc de faire sentir le passage du temps et de signifier le changement de scène comme de lieu. En effet, dans le roman, le deuxième jour de la célébration est consacré à la lecture d’écritures bouddhiques, cette fois-ci chez l’épouse de l’empereur Reizei. Cette impératrice habite aussi dans la résidence du prince Genji, mais dans le palais d’automne. Cette demeure est assez grande pour comporter autant de résidences que de saisons, on l’aura compris. Les jardins respectifs de ces deux palais communiquent par leur étang, les barques surmontées de tambours passant de l’un à l’autre au cours de la fête : le motif de l’étang sur l’écritoire permet alors de passer de façon fluide, à la fois sur les plans chronologique et géographique, entre les deux espaces. Lors de cette seconde journée, la cérémonie s’accompagne d’offrandes aux bouddhas, présentées par des fillettes costumées en oiseaux et en papillons, et portant respectivement des fleurs de cerisiers dans des vases d’argent et des corètes dans des vases d’or. Dans les deux bouquets qui agrémentent le dessous du couvercle de l’écritoire figurent là encore des séquences graphiques : sono no (« jardin ») pour le vase agrémenté d’une branche de cerisier (à droite) et aki matsu mushi (« insecte qui attend l’automne ») pour le vase aux corètes (à gauche). Le tout renvoie à un poème composé par Murasaki à l’intention de l’impératrice en ce jour3 : Le grillon des pins (mushi) qui sous l’herbe attend l’automne (aki matsu) osera-t-il dédaigner jusqu’aux papillons du jardin fleuri (sono no) ?

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Encore une fois, la composition a évacué les personnages de l’histoire, jusqu’à transformer les danseuses en oiseaux et en papillons, c’està-dire les motifs qui ornent leurs costumes. Ce

parti pris radical ne se rencontre pas ailleurs, les peintres ayant pris un vif plaisir à évoquer cette charmante scène. Cette écritoire propose donc la figuration très stylisée de deux moments d’un même épisode, tout en soulignant leurs différences : le dessus du couvercle est associé à Murasaki, et figure un jardin au printemps. La représentation propose donc l’évocation d’un paysage, et d’un jour de fête, selon un dispositif nettement intégratif. En revanche, l’intérieur de l’écritoire, en lien avec l’impératrice, suggère le jardin de l’automne et la fête qui s’y déroule le lendemain de la précédente scène, non par un paysage, mais par des éléments isolés, c’est-àdire à l’aide d’un dispositif analytique. Chaque espace (extérieur et intérieur) de l’écritoire renvoie à un poème différent et figure un moment différent, qui se passe dans un lieu différent et est focalisé sur un personnage différent (Murasaki et l’impératrice). Le jardin de Murasaki se présente en premier au regard, donc à l’extérieur de l’écritoire, en raison de la saison – le printemps par rapport à l’automne –, et de la chronologie des événements – la scène associée à Murasaki ayant lieu la veille de la scène se déroulant dans le jardin de l’impératrice. Les séquences graphiques cryptées qui complètent la composition renvoient aux deux poèmes et permettent ainsi de fixer le sens de l’objet, car la figuration évacue, on l’a vu, la représentation des personnages. À cet égard, un petit détail qui figure dans le paysage – les pétales de cerisier flottant au premier plan sur les eaux de l’étang – permet de dédoubler le sens du dessus du couvercle, car il renvoie non à la première journée, mais à la seconde. Cette superposition temporelle permet de dégager l’écritoire du cadre narratif du roman, afin d’atteindre un niveau de généralité où elle sert avant tout à véhiculer des significations auspicieuses, ce qui explique en partie que ce modèle de laque ait eu un certain succès. Un tel dispositif se voit d’ailleurs renforcé par la présence du motif du pin – ce symbole


d’éternité n’apparaît nullement dans l’épisode –, et par le fait que la séquence cryptée sur le dessus du couvercle renvoie à l’idée de lumière (urara), qui ne laisse pas d’être de bonne augure. Ces subtils dispositifs cryptiques et littéraires se rencontrent dès le xiie siècle4. Ils ne sont pas particulièrement représentatifs des jeux multiples entre le texte et l’image les plus courants à cette époque, mais ils sont assez remarquables pour avoir contribué, comme dans ce laque, aux prouesses d’inventivité déployées en ce domaine par les maîtres de l’estampe et les illustrateurs de livres, ainsi que le montrent assez nombre de pièces proposées au public dans cette exposition.

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Fig. 35 : Un chariot à livres. D’après Utagawa Toyokuni III (Kunisada), Chant sur les quatre saisons de notre temps : le printemps. Edo, 1858, estampe xylographique. Musée des beaux-arts de Nancy, collection Charles Cartier-Bresson.


Production et diffusion du livre à l’époque d’Edo Christophe MARQUET L’émergence du commerce de la librairie au Japon peut sembler tardive, au regard de l’ancienneté de la technique d’impression des textes dans ce pays, dont les premiers usages remontent au viiie siècle. En effet, pendant des siècles et jusqu’au début de l’époque d’Edo (1603-1867), le livre resta l’apanage des monastères, de l’aristocratie de cour et de l’élite guerrière, et sa circulation se fit principalement sous la forme de manuscrits (en rouleaux ou en codex), dans des réseaux relativement fermés (fig. 35). C’est au xviie siècle, avec l’essor de la culture bourgeoise, qu’apparut véritablement le livre imprimé à diffusion commerciale. Ce livre moderne ne se substitua pas complètement aux manuscrits – qui continuèrent de circuler et servirent parfois à déjouer la censure –, mais il fut le support principal de la vulgarisation du savoir et de la littérature de divertissement, dans laquelle l’illustration occupa une place sans cesse croissante. Kyôto, la capitale impériale, fut avec la ville marchande d’Ôsaka le premier centre éditorial pendant ce siècle. À partir du milieu du xviiie siècle, Edo, la capitale politique et administrative du pays, devint progressivement le plus important lieu de production et de diffusion du livre1, tandis que se développèrent, surtout à partir du xixe siècle, une industrie et un commerce du livre dans les provinces. C’est l’impression tabellaire, c’est-à-dire l’usage

de planches de bois gravées (bois de cerisier et parfois de buis)2, qui fut le principal procédé de reproduction des textes et des illustrations, tout comme celui des estampes connues sous le nom d’ukiyo-e. La « révolution du livre » à l’époque d’Edo ne passa donc pas, comme en Occident au xve siècle, par une invention technique, mais par le recours à un procédé ancestral. On peut invoquer à cela plusieurs raisons, techniques et économiques : la complexité du recours aux caractères mobiles pour l’impression des textes japonais, due au grand nombre d’idéogrammes, la difficulté de reproduire l’écriture cursive (enchaînement de plusieurs caractères) ou d’imprimer les notations phonétiques en marge des caractères et les marques qui servent à indiquer l’ordre de lecture dans le cas des textes en style sinojaponais (kanbun) (fig. 36). L’usage de la typographie limitait aussi considérablement la liberté graphique du livre imprimé, car il interdit la coexistence du texte et de l’image sur une même page, qui caractérise, dans le droit fil de la tradition des manuscrits enluminés, la littérature populaire illustrée à partir de la fin du xviie siècle (fig. 37). De fait, après un bref usage de la typographie entre la fin du xvie et le milieu du xviie siècle, sous l’influence des missionnaires portugais et de la Corée3, l’édition japonaise est revenue à la technique de la xylogravure. L’utilisation des caractères mobiles (majoritairement en bois et sans 41


presse typographique) resta confinée à des publications de prestige, à des livres publiés par les monastères ou à des éditions privées à diffusion confidentielle4. Si elle était sans doute économiquement rentable pour de petits tirages, elle ne pouvait convenir à la nouvelle économie du livre dès lors que l’édition prenait une dimension plus commerciale avec l’élargissement du lectorat. La xylogravure, qui demandait certes un investissement lourd, s’avérait plus rentable en cas de fort tirage et permettait des rééditions sur une longue durée, les planches gravées pouvant être réutilisées ou même vendues à un autre éditeur, alors que dans le cas de la typographie, refaire un tirage imposait de recomposer entièrement l’ouvrage.

Fig. 36 : Texte en sino-japonais présentant une double notation phonétique des idéogrammes (lecture chinoise à droite et lecture japonaise à gauche des caractères) à l’aide du syllabaire katakana et des marques d’ordre de lecture. Santô Kyôden, Shiki no yukigai (Va-et-vient aux quatre saisons). Edo, 1798, livre xylographique. National Diet Library, Tôkyô.

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Fig. 37 : Autoreprésentation de l’écrivain à sa table devant sa progéniture livresque. Santô Kyôden, Sakusha tainai totsuki no zu (Images des dix mois de gestation de l’écrivain), illustration de Kitao Shigemasa. Edo, 1804, livre xylographique. National Diet Library, Tôkyô.

Au cours de l’ère Kan.ei (1624-1644) on recensait déjà les noms d’une centaine d’éditeurs à Kyôto (parmi lesquels des libraires, mais aussi des monastères et des auteurs)5. À la frontière du xviie et du xviiie siècle, on dénombrait 72 libraires à Kyôto6 – dont une dizaine de maisons prestigieuses –, 34 à Ôsaka7 – où les premiers livres étaient parus au début des années 1670 – et 25 à Edo. On estime que ces trois métropoles comptaient à cette époque respectivement 500 000, 400 000 et un million d’habitants. Afin de protéger les intérêts de cette profession – et notamment de prévenir les contrefaçons – se mit en place au début du xviiie siècle une corporation des libraires (hon.ya nakama), reconnue par le gouvernement, à Kyôto en 1716 (environ 200 membres), à Edo en 1721 (47 membres) et à Ôsaka en 1723 (24 membres). Edo et Ôsaka connaîtront dans la seconde moitié du xviiie siècle un développement extrêmement rapide de ce réseau de professionnels du livre. Les catalogues collectifs d’éditeurs (shojaku mokuroku) nous donnent une idée du nombre (et parfois du prix) des livres imprimés à l’époque d’Edo et permettent d’évaluer le nombre de publications nouvelles. Le plus ancien, celui de 1665-1666, comporte déjà 2 589 titres. Moins de trente ans plus tard, en 1692, il en comptera 7 255, près de trois fois plus8. À côté des livres savants, on y trouve toutes sortes d’ouvrages pratiques et de


divertissement, jusqu’à des livres galants, témoignage de l’élargissement rapide et de la diversification du lectorat au cours du xviie siècle. Au total, on estime à pas moins de 10 000 les titres parus pendant le seul xviie siècle, si l’on prend en compte certaines catégories d’ouvrages qui ne sont pas comptabilisées par ces catalogues. Pour diffuser cette vaste production, il existait à l’époque d’Edo deux grands types de libraires, qui étaient aussi généralement des imprimeurséditeurs : les « marchands de livres savants » (mononohon-ya) (fig. 38) qui vendaient des ouvrages religieux, d’histoire, de médecine, de poésie et autres, et les « marchands de livres illustrés » et de gravures (ezôshi-ya) (fig. 39), qui se consacraient à la production populaire de divertissement. Ces derniers comprenaient les enseignes qui imprimaient les livres qu’elles vendaient (appelées à Edo jihon don.ya ou « grossistes de livres locaux »), et celles qui ne faisaient qu’écouler les livres par la vente au détail. De nombreux libraires assuraient la vente des nouveautés, mais aussi des livres anciens. Il faut y ajouter les marchands de livres chinois (tôhonya) et les enseignes spécialisées dans les livrets de théâtre (shôhon-ya). Si le livre populaire était associé à la vente des gravures ukiyo-e, c’est parce que ce type d’ouvrage était illustré par les mêmes artistes et que son public – qui comprenait les femmes et les enfants – était fondamentalement le même. En fonction de leur nature, les livres relevaient donc en principe de circuits de production et de diffusion distincts, même si à Edo certains libraires étaient généralistes. Une gravure tirée d’un récit en images de 1818 (fig. 40) met en scène l’éditeur (en haut au centre) et les cinq corps de métiers qui participent à la production du livre illustré populaire : à droite l’auteur, et au-dessous le copiste qui met son manuscrit au propre ; à gauche l’illustrateur, le graveur et enfin l’estampeur. Cette chaîne de production hiérarchisée repose sur le capital : l’éditeur, dont le visage est remplacé par une pièce de monnaie en or, nous rappelle que la publication de ces livres populaires est d’abord une entreprise commerciale, qui répond à la loi de l’offre et de la

Fig. 38 : Devanture d’un librairie de Kyôto du quartier des temples (Teramachi). D’après Asai Ryôi, Kyô suzume (Le connaisseur de la capitale). Kyôto, 1665, livre xylographique. National Diet Library, Tôkyô.

Fig. 39 : Devanture de la maison Tsutaya, marchand de gravures et de livres illustrés d’Edo. D’après Ehon azuma asobi (Promenade dans la capitale de l’Est), illustration de Hokusai. Edo, 1802 (éd. princeps 1799), livre xylographique. National Diet Library, Tôkyô.

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Fig. 40 : La chaîne de production du livre. D’après Tôri Sanjin, Takarabune kogane no hobashira (Le mât en or de la barque aux trésors), illustration de Katsukawa Shunsen. Edo, 1818, livre xylographique. Hôsa bunko, Nagoya.

demande. Elle nécessite un investissement financier et comporte un risque. L’auteur, Tôri Sanjin (1791-1858), ici autoreprésenté, bien loin de l’image du génie créateur isolé dans sa tour d’ivoire, n’est qu’un maillon de cette chaîne : il répond avant tout à une commande et subit la pression de son éditeur pour rendre à temps son manuscrit, la sortie du livre devant coïncider avec le Nouvel An, moment où était traditionnellement vendue cette production populaire, aussi vite fabriquée que consommée, puis oubliée. L’illustrateur lui n’est qu’un exécutant, qui met au propre l’ébauche – appelée egumi ou « assemblage d’images » – qui lui a été donnée par l’écrivain, en suivant à la lettre ses consignes.

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Nous avons peu d’indications précises sur les tirages des livres à l’époque d’Edo, mais l’on sait que dès le milieu du xviie siècle certains titres à succès pouvaient atteindre plusieurs milliers d’exemplaires. Le Kiyomizu monogatari (Le Dit du monastère Kiyomizu), récit écrit en syllabaire kana, publié en 1638

à Kyôto par le savant confucianiste Asayama Irin.an, aurait atteint les 2 000 à 3 000 exemplaires et se serait vendu non seulement à Kyôto, mais aussi en province9. Il fut d’ailleurs regravé à trois reprises en l’espace de quelques années. Les récits illustrés de Saikaku, le grand romancier d’Ôsaka de la fin du xviie siècle, comptèrent parmi les premiers exemples de bestsellers de la littérature japonaise : on estime que son célèbre roman galant Kôshoku ichidai otoko (La Vie d’un libertin) de 1682, avec les rééditions, fut tiré à une dizaine de milliers d’exemplaires10. Il s’agit là naturellement d’exceptions pour le xviie siècle. Les chiffres qui sont mentionnés sur les livres imprimés en caractères mobiles dans la première moitié du xixe siècle sont de l’ordre de 100 à 500 exemplaires, ce qui donne une idée de ce que devrait être en comparaison la moyenne des tirages pour les ouvrages savants. Le livre restait en effet un objet onéreux et sa diffusion se faisait en partie – notamment pour la production de divertissement – grâce


à des colporteurs ambulants, dont le réseau se développa dès la fin du xviie siècle (fig. 41). Edo en aurait compté 800 dans les années 1830. À partir du premier tiers du xixe siècle, les grands auteurs de littérature de divertissement furent ainsi lus dans tout le pays11. Dans le domaine de la littérature par exemple, les « récits en images » (kusa-zôshi), rédigés principalement en style parlé et en syllabaire kana, composés de quelques petits fascicules de cinq folios imprimés sur du papier recyclé, étaient en principe achetés, généralement au moment du Nouvel An, et les meilleures ventes pouvaient atteindre plus de 10 000 exemplaires12 . Ils ne coûtaient pas plus qu’un bol de nouilles et on en offrait d’ailleurs en cadeau aux enfants13. En revanche, il existait une production romanesque spécifiquement destinée au réseau des loueurs, qui était bien plus onéreuse.

Ce sont notamment les yomihon (« livre de lecture »), littérature en langue écrite à thème historique ou fantastique et aux illustrations plus élaborées, apparue au milieu du xviiie siècle, qui était parfois publiée sur une longue durée. Certains titres à succès pouvaient atteindre plusieurs dizaines et jusqu’à une centaine de volumes, et être publiés de manière continue sur des décennies, comme le célèbre Nansô Satomi hakken-den (La Légende des Huit Chiens de Satomi à Nansô) de Bakin qui parut entre 1814 et 1842. Les loueurs étaient à l’écoute de leur clientèle et faisaient remonter aux éditeurs les réactions et les attentes des lecteurs. On sait que les illustrations jouaient un grand rôle dans l’appréciation de ces livres, comme le déploraient d’ailleurs certains auteurs14. Les tirages de ces yomihon allaient de quelques centaines à guère plus d’un millier – soit le nombre approximatif de loueurs –, mais le public touché était très vaste et s’étendait même à des régions reculées, comme l’île septentrionale de Hokkaidô. Parfois, ces livres étaient en outre copiés par les emprunteurs, et leur diffusion fut donc sans commune mesure avec les chiffres de leurs tirages. Grâce à la pratique du « troc des livres » (hongae) entre éditeurs, ces ouvrages pouvaient être diffusés aussi bien par les colporteurs d’Edo que par ceux d’Ôsaka. Les planches qui servaient à les imprimer circulaient aussi entre éditeurs, d’une région à l’autre. Les deux siècles et demi de l’époque d’Edo virent un développement sans précédent de la culture imprimée au Japon, sous forme de livres et de gravures, développement qui reposa sur une industrie et un commerce très organisés et contrôlés. Le livre, dans sa forme savante ou de divertissement, joua un rôle considérable dans l’éducation et la formation de la culture écrite, à tous les niveaux de la société.

Fig. 41 : Un colporteur de livres. D’après Shûgen. Ironaoshi (Pièces pour célébrer un heureux événement. L’échange des coupes avant la nuit nuptiale), illustration d’Utagawa Kunitora. Edo, 1825, livre xylographique. Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la Photographie.

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Fig. 42 : Asakusaan Ichindô (auteur), Katsushika Hokusai (illustrateur), Ehon tôto asobi (Promenades dans la capitale de l’Est), vol. 1 (sur 3), s. l. (Edo), s. éd. (Tsutaya Jûzaburô), préface de Kyôwa 2 (1802), livre xylographique en couleurs. Toulouse, musée Georges-Labit, inv.92.4.73.

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La littérature de l’époque d’Edo Gilbert MIJOULE Pour assurer leur autorité sur les clans féodaux et sur la population, les Tokugawa, à l’époque d’Edo, ont recours à un régime inspiré du confucianisme. La société est divisée en quatre classes strictement hiérarchisées : au sommet, la caste militaire et ses samouraïs, puis les paysans, suivis des artisans, et enfin les commerçants, placés au bas de l’échelle selon la morale confucéenne. C’est pourtant dans cette dernière classe que vont naître et prospérer les grands genres littéraires de cette époque : le théâtre populaire, le roman et une forme renouvelée de poésie traditionnelle, le haikai. Grâce à l’essor du commerce favorisé par le recours à une économie monétaire et à la paix assurée par le régime militaire, les chônin (« bourgeois »), devenus riches mais exclus du pouvoir politique, pouvaient se tourner vers les loisirs de la vie urbaine. Parallèlement, si la caste militaire à la tête de laquelle se trouvent les « daimyô », seigneurs féodaux, conserve ses fiefs, elle est étroitement surveillée par le nouveau pouvoir. La paix venue, certains de ses membres, en quelque sorte démobilisés, s’adonnent aux arts traditionnels, à la littérature et aux plaisirs de la vie urbaine, où ils côtoient les riches marchands, qui deviennent souvent leurs créanciers.

Trois villes dominent l’époque : Kyôto, capitale impériale, où réside l’Empereur autorité nominale, Ôsaka, ville nouvelle et commerçante, et enfin Edo, capitale du gouvernement shôgunal, future Tôkyô. Au début de l’époque d’Edo, la technique de l’impression xylographique a déjà une longue histoire. Jusque-là, elle fut plutôt réservée à l’impression de textes bouddhiques, la littérature restant surtout manuscrite, sous forme de rouleaux peints et de livres manuscrits illustrés. La nouvelle bourgeoisie des villes comme la caste militaire prisent les arts du pinceau, le théâtre et la poésie. Les écoles de fiefs et de villages, et notamment celles des temples bouddhiques, dispensent à une partie croissante de la population la connaissance de quelques centaines de caractères chinois et du syllabaire kana. L’essor de la lecture favorise l’impression par planches de bois de toute une littérature didactique et de loisir. Des boutiques voient le jour dans les trois grandes villes où la gravure des planches, l’impression et la vente des livres sont assurées par ces mêmes artisans-négociants qui plus tard imprimeront également les estampes. à côté des ouvrages didactiques destinés aux classes lettrées, des « livrets en écriture syllabique » (kanazôshi) apparaissent, proposant contes et récits populaires illustrés, de lecture plus facile car surtout rédigés en syllabaire hiragana.

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Asai Ryôi (1612?-1691), moine bouddhiste, fut la figure reconnue de ce genre éditorial, célébrant la vie urbaine de l’époque et ses lieux réputés. Ses Contes du monde flottant (ukiyo monogatari) inaugurent un nouveau sens donné à l’expression, la notion de « monde flottant » passant du concept bouddhique d’impermanence de toute chose au sentiment de légèreté frivole des quartiers de plaisirs. Trois figures littéraires dominent le dernier quart du xviie siècle, correspondant au Japon à l’ère Genroku (1688-1703) : Matsuo Bashô, Chikamatsu Monzaemon et Ihara Saikaku. Chacun représente respectivement trois genres : la poésie haïkaï, le théâtre populaire et le roman. à Osaka, les marchands cultivés aimaient à pratiquer une sorte de jeu poétique, qualifié de « frivole » (haïkaï) et volontiers humoristique, consistant à composer une chaîne (renga) de petits poèmes courts, en fait vers initiaux (ou hokku) de dix-sept syllabes, d’un poème de trente et une syllabes. Le genre, regroupé dans l’école du Danrin, fut bientôt jugé par trop frivole lorsqu’apparut Matsuo Bashô (16441694), fils d’une famille de bushi (samourai). Installé à Edo à l’ermitage du bananier (bashô), dont il fit son nom de plume, celui-ci et ses disciples donnèrent au genre ses lettres de noblesse. Les recueils de ses hokku (ou haïku, terme plus récent) sont restés célèbres, ainsi que ses journaux de voyage, prose poétique (haibun) ponctuée de hokku, dont le chef d’œuvre, Oku no hosomichi (La Sente étroite du bout du monde), reste aujourd’hui encore une référence pour tout japonais cultivé.

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Car si l’époque était au contrôle strict de la population, elle était aussi au voyage. En témoignent les nombreuses éditions de livres consacrés aux lieux célèbres (fig. 42) et aux cinq grandes routes desservant la capitale - et en premier lieu celle, si célèbre, du Tôkaidô -, aménagées en grande part pour faciliter le défilé des seigneurs locaux, forcés par les

lois shogunales de résider un an sur deux à la capitale. Ces voyages inspireront les peintres d’estampes du xixe siècle, mais aussi les littérateurs. C’est dans l’écriture de livrets pour le théâtre jôruri que Chikamatsu Monzaemon 1653-1725) médecin et fils de médecin de la caste militaire, parfois surnommé « le Shakespeare japonais » obtint la célébrité. Les conteurs itinérants des siècles précédents avaient répandu une littérature orale fondée notamment sur les grands cycles épiques médiévaux contant les guerres entre les clans Taïra et Minamoto. Parmi ces récits, l’histoire de la demoiselle Jôruri (vers 1570) donnera son nom à un nouveau genre, accompagné du shamisen, guitare à 3 cordes, et bientôt de montreurs de marionnettes, le Jôruri ou ningyô jôruri (théâtre de marionnettes), plus connu aujourd’hui sous le nom de bunraku. Si les sujets puisaient toujours dans le répertoire traditionnel des conteurs, Chikamatsu s’inspira également de faits divers contemporains, et sous ce genre, sewamono, il composa également pour une nouvelle forme de théâtre, née à Kyôto et Osaka, le kabuki. Les acteurs bientôt célèbres et adulés, et notamment les rôles féminins (onnagata) devinrent un des sujets favoris des peintres d’estampes. Ihara Saikaku (1642 – 1693) est issu du milieu des négociants d’Ôsaka. D’abord virtuose en « poésie frivole » (haïkaï), il s’oriente vers une forme de récit décrivant la vie des quartiers réservés de sa ville, des courtisanes et de leurs clients, riches négociants et samouraïs déclassés. Son premier roman, Kôshoku ichidai otoko (Vie d’un ami de la volupté), inaugure un genre de livres qualifiés de « livrets du monde flottant » (ukiyozôshi), contes réalistes décrivant ce monde qu’illustreront bientôt les estampes. Il parut à Osaka, en 1682, en huit volumes illustrés de cinquante-quatre gravures en noir attribuées à l’auteur.


Le milieu de la période Edo voit l’essor des maisons d’édition, réunies en corporations, dont certaines se spécialisent dans la littérature populaire de divertissement et les livrets illustrés. Les élites s’intéressent aux classiques chinois, mais aussi aux classiques de la littérature nationale. Enfin, les grands romans chinois en langue vulgaire sont publiés. Un nouveau genre dit yomihon, « livre de lecture », par opposition aux livrets abondamment illustrés, puise aux sources de la littérature chinoise en langue vulgaire et de la littérature japonaise. L’initiateur, et sans doute le plus célèbre représentant du genre fut Ueda Akinari (1734 – 1809), avec ses Contes de Pluie et de Lune (Ugetsu monogatari) (1776), recueil de neuf contes fantastiques mettant en scène fantômes et apparitions dans l’atmosphère esthétique du théâtre Nô, sujets depuis longtemps populaires au Japon et que l’adaptation cinématographique de Kenji

Mizoguchi en 1953 rendra célèbres dans le monde entier. L’autre grand maître du genre, à Edo cette fois, fut Kyokutei Bakin (1767-1848), dont l’œuvre majeure, Nansô Satomi hakkenden (La légende des huit chiens de Satomi), fresque épique poursuivie par épisodes sur presque trente ans, sera reprise maintes fois par les peintres d’ukiyo-e aussi bien par l’estampe que par l’illustration (fig. 43). Inspirée du roman chinois Au Bord de l’Eau (Suikoden en japonais) (fig. 44), l’histoire met en scène huit guerriers (bushi) issus chacun mystérieusement des perles du chapelet bouddhique de la princesse du clan Satomi, mariée par son père suite à un serment imprudent au chien de la famille. Chaque guerrier, dont le nom comporte le caractère « chien », représente par ailleurs une des huit vertus confucéennes, inscrites respectivement sur chacune des perles. Le dernier quart du xviiie siècle avait vu l’apparition des « livrets à couverture jaune »

Fig. 43 : Ryûtei Senka ou Ryûtei Tanehiko II (auteur), Baidô Kunimasa (illustrateur), Hakkenden inu no sôshi (La légende des huit chiens de Satomi. Le livre des chiens), vol. 55-56, Tôkyô, Hayashi Kichizô, Meiji 14 (1882). Livre xylographique. Toulouse, musée Georges-Labit, inv. 92.4.11.

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(kibyôshi) volontiers satiriques, héritiers d’une littérature populaire en kana présentée sous forme de livrets illustrés d’abord destinés aux enfants, puis au public adulte, les kusazôshi. Parmi les auteurs, Santô Kyôden (1761-1816) subira avec d’autres les foudres de la censure pour la teneur satirique de ses écrits. Suite aux réformes dites de l’ère Kansei dans les années 1790, réaction face aux « excès » d’une ouverture discrète à l’influence étrangère et aux « doctrines hétérodoxes », la censure poussa nombre de ces auteurs vers une littérature plus prudente, faite de romans sentimentaux (ninjôbon) ou comiques (kokkeibon), de transpositions de romans chinois en langue vulgaire et de reprises d’œuvres à succès comme les pièces de kabuki. Certaines de ces œuvres, et principalement celle de Bakin, se réclameront de l’« encouragement au bien et châtiment du mal », mêlant valeurs confucéennes et bouddhiques, tant en réponse à la censure que dans le but de valoriser leur production. Ryûtei Tanehiko (1783-1842) obtiendra la célébrité par son Nise murasaki inaka Genji (1828), « Un Genji rural par une fausse Murasaki », transposition parodique du grand roman Genji monogatari, publiée sous forme d’une série de petits volumes (gôkan) illustrés par Kunisada, un maître de l’estampe. Jippensha Ikkû (1761-1831) choisira, lui, de raconter le voyage improbable de deux joyeux lurons à travers le Japon dans son roman à pied sur le Tôkaidô (Tôkaidôchû hizakurige), roman à épisodes où chaque étape sur la plus célèbre des voies reliant les deux capitales, approche au plus près la vie du peuple japonais à travers les mésaventures burlesques des deux personnages. Il suffit de contempler l’une ou l’autre des estampes des Cinquante-trois relais du Tôkaidô de Hiroshige, et notamment la verve humoristique avec laquelle il croque ses personnages, pour retrouver les deux compères du roman, dont il s’inspira d’ailleurs. 50

Malgré le foisonnement de ces œuvres souvent illustrées par les grands noms de l’art de l’estampe ukiyo-e, bien peu parmi les premiers auteurs de littérature de divertissement vivaient de leur pinceau. La plupart, y compris parmi les plus célèbres, exerçaient une autre activité (marchands, médecins…). C’est que les gesakusha (auteurs de fictions) et leur production furent longtemps peu considérés, voire méprisés, en regard notamment des célébrités du kabuki. Leurs éventuels succès éditoriaux profitèrent longtemps aux patrons des maisons d’édition, possesseurs des planches servant à l’impression. Il semble qu’il faille attendre Bakin, Kyôden et Jippensha Ikku, soit le xixe siècle, pour voir des auteurs vivant de leurs œuvres.


Fig. 44 : Kôkyôan Kasen (auteur), Tsukioka Yoshitoshi (illustrateur), Shûzô Suiko meimeiden (Portraits des héros du Suikoden), vol. 2. Edo, Odawaraya Matashichi (Ôhashidô), préface de Keiô 4 (1868), livre xylographique. Toulouse, musée Georges-Labit, inv.9.4.48.

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Catalogue des œuvres exposées Avignon, musée Angladon Table écritoire (bundai), xviiesiècle. Laque noir, or, argent, métal, inv. 1996 M 15. Calais, musée des beaux-arts Utagawa Kunisada (1786-1865) : - Insectes chanteurs par une soirée d’automne. Scène inspirée du Dit du Genji, 1860. Estampe, partie droite et centrale d’un triptyque, inv. 951.728.1. - Acteurs dans les rôles de Shirai Gonpachi et de Honjô Sukeichi (médaillon), 4e mois de 1855. Estampe, inv. 951.733.1. - Jeune femme assise au bord de l’eau, vers 18631864. Estampe, inv. 951.806.1. - Scène du Chûshingura (Le Trésor des vassaux fidèles), acte III, 5e mois de 1860. Estampe, partie gauche d’un triptyque, inv. 951.810.1. - Portrait de l’acteur Bandô Hikosaburô V dans le rôle d’Iwafuji, 1862. Estampe, partie gauche d’un triptyque, inv. 951.816.1. - Portrait d’un acteur kabuki, vers 1851. Estampe, inv. 951.825.1. - Portrait de l’acteur Kawarasaki Gonjûrô I et de l’onnagata Iwai Kumesaburô III, 2e mois de 1858. Estampe, inv. 951.822.1. - Portrait d’acteur dans le rôle de Musashibo Benkei, 9e mois de 1852. Estampe, inv. 951.731.1. - Courtisane tenant une lanterne, série « Les Huit vues de Tastumi, le quartier de plaisirs de Fukagawa à Edo », vers 1835. Estampe, partie droite d’un triptyque, inv. 951.821.1. - 4e étape de la route du Tôkaidô : Kanagawa. Portrait de l’acteur Iwai Hanshirô VII dans le rôle d’Ofune, 4e mois de 1852. Estampe, inv. 951.818.1. - 22e étape de la route du Tôkaidô : Okabe. Portrait de l’acteur Arashi Kichisaburô III dans le rôle d’Okabe Rokuyata, 4e mois de 1852. Estampe, inv. 951.807.1. - 52e étape de la route du Tôkaidô : Ôtsu, 5e mois de 1852. Estampe, inv. 951.819.1. Utagawa Kunisada (1786-1865) et Miyagi Gengyo (1817-1880) : Portrait de l’acteur Sawamura Tanosuke III dans le rôle de Minatsuruhime, 1861 ? Estampe, inv. 951.735.1. 52

Utagawa Kuniyoshi (1797-1858) : - L’acteur Sawamura Sôjûrô V dans le rôle de Kitahachi en pèlerinage au temple de Konpira, 1850. Estampe, inv. 951.805.1. - Portrait de l’acteur Onoe Kikugorô III, 1847. Estampe, inv. 951.828.1. Toyohara Kunichika (1835-1900) : - Portrait de l’acteur Nakamura Shikan IV dans le rôle du guerrier Taira no Kagekiyo, vers 1873. Estampe, inv. 951.738.1. - Le Genji assistant à une pêche aux cormorans, 2e mois de 1864. Estampe, partie gauche d’un triptyque, inv. 951.830.1. La Rochelle, Musée d’Art et d’Histoire Bouteille à saké, milieu du xixe siècle. Métal laqué, décor en hiramaki-e et takamaki-e d’or, inv. MAH.1871.6.29.1. Cinq coupes à saké (sakazuki), milieu du xixe siècle. Bois laqué, décor en hiramaki-e et takamaki-e d’or, inv. MAH.1871.6.29.1, 1871.6.29.3, 1871.6.30.1, 1871.6.30.2 & 1871.6.30.3. Bol couvert, 1ère moitié du xixe siècle. Bois laqué, décor en hiramaki-e d’or et d’argent, inv. MAH. 2010.0.1. Écritoire (suzuribako), milieu du xixe siècle. Bois laqué, décor en hiramaki-e et takamaki-e d’or et d’argent, nashiji, makigai, métal, inv. MAH. 1871.6.37. Écritoire (suzuribako), milieu du xixe siècle. Bois laqué, décor en hiramaki-e et takamaki-e d’or et d’argent, rehauts de laque rouge et noir, métal, inv. MAH. 1871.6.38. Nécessaire à fumer et écritoire (tabakobon), milieu du xixe siècle. Bois laqué, décor en hiramaki-e et takamaki-e d’or et d’argent, feuilles d’or, rehauts de laque rouge, métal, inv. MAH. 1871.6.39. Nécessaire à pique-nique (sagejû), milieu du xixe siècle. Bois laqué, doré, argenté et peint, raden, métal, inv. MAH. 1871.6.25.


Peigne (kushi), xixe siècle. Bois laqué, décor en hiramaki-e et takamaki-e d’or, inv. MAH. 1871.6.46. Deux épingles à cheveux (kanzashi), xixe siècle. Bois laqué, décor en hiramaki-e et takamaki-e d’or et d’argent, inv. MAH. 1871.6.105 & 1871.6.106. Pipe, xix siècle. Bois, argent, métal, inv. MAH. 1871.6.91. e

Loches, musée Lansyer Katsushika Hokusai (1760-1849) : - Fugaku hyakkei (Cent vues du mont Fuji), vol. 2, Nagoya, Katano Tôshirô (Tôhekidô), réédition de Meiji 8 (1875) (éd. or. 1834-1835), livre xylographique, inv. 2011.0.6.0. - Denshin kaishu. Hokusai gaen (Initiation à la transmission de l’essence des choses. Le jardin des dessins de Hokusai), 1ère partie, Nagoya, Eirakuya Tôshirô (Tôhekidô) et 12 autres éditeurs d’Edo, Ôsaka, Kyôto, réimpression non datée (fin Edo) de l’édition de Tenpô 14 (1843) à Edo par Kinkôdo, gravée par Suzuki Eijirô, livre xylographique en couleurs, inv. 2011.0.8.0. Recueil factice d’estampes de théâtre kabuki, incluant des estampes de Yoshikuni (actif à Ôsaka vers 1813-1832) et de Toyokuni (1769-1825). Vers 1810-1830, inv. 2011.0.10.0. Paris, musée du Petit Palais Écritoire (suzuribako), milieu du xviie siècle. Bois laqué, décor en maki-e et nashiji d’or et d’argent sur fond noir, inv. Dut. 1484. Paris, musée national des arts asiatiques – Guimet Uchikake (kimono), xviiie siècle. Satin de soie broché, brodé et shibori, inv. MA 5759.

Armure de guerrier, époque d’Edo. Bronze, fer, laque, textiles (soie), inv. G1239 6. Armure miniature pour la « fête des garçons », vers 1800. Acier, or, argent, laiton, laque, soie, inv. G. 635. Casque, xixe siècle. Acier, cuir, laque, soie, inv. G1764. éventail de guerre, xviiie siècle. Fer, bois, papier laqué, inv. P. 05182. Rodez, Société des lettres, sciences et arts de l’Aveyron Ginkei Tokiyori (auteur), Shoga waisui (Recueil de calligraphies et de peintures), 3e partie, vol. 1, Edo, Ensekirô, Ansei 6 (1859), livre xylographique, inv. Asie 2. Hirazumi Sen.an (auteur), Tachibana Morikuni (illustrateur), Morokoshi kinmô zui (Encyclopédie en images de la Chine), vol. 13, s. d. (Kyôhô 4, 1719 pour l’édition originale) livre xylographique, inv. Asie 3. Katsushika Hokusai (1760-1849), Denshin kaishu. Hokusai manga (Initiation à la transmission de l’essence des choses. Dessins au fil du pinceau par Hokusai), vol. 5, Nagoya, Eirakuya Tôshirô et 12 autres éditeurs d’Edo, Ôsaka, Kyôto, réimpression non datée (fin Edo) de l’édition de Bunka 13 (1816), livre xylographique en couleurs, inv. Asie 4-1. Tachibana Morikuni (1679-1748), Ehon shahô bukuro (Livre de modèles. Le Réticule des trésors de la peinture), vol. 9, s. l., s. éd., réédition de Hôreki 6 (1756) (éd. or. 1720), livre xylographique, inv. Asie 4-2. Ryûsuitei Tanekiyo (auteur), Utagawa Kunisada (illustrateur), Sekai mo awase chôchô komon, 1ère partie, 1er volume, Edo, Tsutaya Kichizô, Ansei 6 (1859), livre xylographique, inv. Asie 8.

Paris, musée de l’armée Arc, époque d’Edo. Bois. 53


Saint-Omer, musée de l’hôtel Sandelin Isoda Koryûsai (1735-1790) : - Le songe d’une courtisane, vers 1770. Estampe, inv. 2004.0.021. - Une joueuse de koto, série « Les Huit vues élégantes de l’intérieur », vers 1770-1780. Estampe, inv. 2004.0.022. Torii Kiyonaga (1752-1815), Trois courtisanes à la toilette, série « Les beautés des quartiers de plaisir d’aujourd’hui : le quartier de Tachibana », vers 1784. Estampe, inv. 2004.0.032. Kikukawa Eizan (1787-1867), Une courtisane se faisant coiffer, début du xixe siècle. Estampe, inv. 2004.0.041. Ancienne collection Emmanuel Tronquois.

Shôtei Kinsui (auteur), Katsushika Isai (illustrateur), Nichiren shônin ichidai zue (La vie et la geste édifiante du Saint Nichiren), vol. 4 (sur 6), s. l. (Edo), s. éd., s. d. (Ansei 5, 1858). Livre xylographique, inv. 92.4.79. Anonyme (préface signée Umegasa Kyôen, élève de Hanagasaô), San-shibai hana no sugatami (Beautés des trois théâtres d’Edo), s. l. (Edo ?), s. éd., s. d. (vers 1839-1842). Livre xylographique en couleurs, inv. 92.4.2.

Utagawa Hiroshige (1797-1858), Sites célèbres de la Capitale de l’Est (Edo) : Le pont Nihonbashi sous la neige, 1843. Estampe, inv. 2004.0.037.

Kanagaki Robun (auteur), Ansei fûbun shû (Recueil de rumeurs de l’ère Ansei), vol. 2 (sur 3), s. l. (Edo), s. éd., s. d. (Ansei 3, 1856). Livre xylographique, inv. 92.4.86.

Kitagawa Utamaro (1753-1806) : - Une courtisane à la toilette, série « Les Sept Komachi élégantes : Shimizu », vers 1803. Estampe, inv. 2004.0.025. - Une courtisane et son enfant, vers 1800. Estampe, inv. 2004.0.024

Kirôtei Rikimaru (auteur), Matsukawa Hanzan (illustrateur), Tsukurimono shukô no tane (Modèles pour réaliser des compositions à l’aide d’objets), Ôsaka, Kawachiya Okada Mohei (Gungyokudô), s. d. (éd. or. Tenpô 8, 1837). Livre xylographique, inv. 92.4.92.

Anonyme (Katsushika Hokusai ?), Le combat de Yoshitsune lors de la bataille de Dan-no-ura, s. d. Estampe, inv. 2004.0.036. Ancienne collection Emmanuel Tronquois.

Ryûshôdô (auteur), Kitao Tokinobu (illustrateur), Joyô bunshô itoguruma (Rouet pour l’écriture par les jeunes filles), Ôsaka, Tsurugaya Kyûbei et 13 autres éditeurs de Sumoto, Takamatsu, Tokushima, Hakata, Kyôto, Edo, s. d. (éd. or. Meiwa 9, 1772). Livre xylographique, inv. 92.4.90.

Anonyme, estampe de Nouvel An (surimono) à motif de masque et d’éventail, ornée d’une série poèmes kyôka, s. d., début du xixe siècle, inv. 2004.0.058. Getsudai, Sôhô, Un peintre lettré et ses assistants, texte introductif signée Tôrin, s. d., début du xixe siècle. Estampe, inv. 2004.0.057. Toulouse, musée Georges-Labit Asakusaan Ichindô (auteur), Katsushika Hokusai (illustrateur), Ehon azuma asobi (Promenades dans la capitale de l’Est), vol. 1 (sur 3), s. l. (Edo), s. éd. (Tsutaya Jûzaburô), préface de Kyôwa 2 (1802). Livre xylographique en couleurs, inv. 92.4.73. 54

Kôkyôan Kasen (auteur), Tsukioka Yoshitoshi (illustrateur), Shûzô Suiko meimeiden (Portraits des héros du Suikoden), vol. 2 (sur 3), Edo, Odawaraya Matashichi (Ôhashidô), préface de Keiô 4 (1868). Livre xylographique, inv. 9.4.48.

Ryûtei Tanehiko II (auteur), Baichôrô Kunimasa, dit Utagawa Kunisada II (illustrateur), Fude no umi Shikoku no kikigaki (L’encrier. Récit de choses entendues à Shikoku), 3e et 4e parties, s. l. (Edo), s. éd. (Tsutaya Kichizô), s. d. (Bunkyû 3, 1863). Livre xylographique, inv. 92.4.28. Ryûtei Senka ou Ryûtei Tanehiko II (auteur), Baidô Kunimasa (illustrateur), Hakkenden inu no sôshi (La légende des huit chiens de Satomi. Le livre des chiens), vol. 55-56, Tôkyô, Hayashi Kichizô, Meiji 14 (1882). Livre xylographique, inv. 92.4.11.


Nanritei Kiraku (auteur), Katsushika Taitô II (illustrateur), Eiyû zue (Recueil illustré sur les personnages héroïques), s. l., s. d. (Bunsei 7, 1824). Livre xylographique, inv. 92.4.61.

Utagawa Kunisada II, L’acteur Iwai Hanshirô dans le rôle de Koaki, la mère de Daisuke. Série sur la pièce de kabuki « Le livre de la légende des Huit Chiens », 1852. Estampe, inv. 70.3.41.

Nakamura Tekisai (auteur), Shimokôbe Shûsui (illustrateur), Kashiragaki zôho. Kinmô zui taisei (La grande encyclopédie illustrée. édition augmentée avec texte en bandeau), livre 5, s. l. (Kyôto), s. d. (Kansei 1, 1789). Livre xylographique, inv. 92.4.1.

Sabre court (wakizashi), fin de l’époque d’Edo. Acier, bois, cuivre jaune et textiles, inv. 70.8.4/59.736.

Recueil factice de couvertures de programmes de chants nagauta dansés, donnés au théâtre kabuki. Fin xviiie-début xixe siècle, inv. 92.4.8. Recueil factice d’estampes composé de la série Eimei nijûhachi shûku (Vingt-huit personnages célèbres), d’Utagawa Kuniyoshi et d’Ochiai Yoshiiku, 18661867, d’autres séries d’Utagawa Kuniyoshi, dont Kenjo reppu-den (Femmes intelligentes et vertueuses), vers 1842, et Mitate jûnishi (Parodie des douze signes du zodiaque), vers 1845. Estampes, inv. 74.1.1. Utagawa Kuniyoshi (1797-1858), série « Moines extraordinaires. Les seize profiteurs », n° 8 : le Saint Babillard, vers 1843. Estampe, inv. 70.3.75. Utagawa Kunisada (1786-1865) - Une courtisane lisant une lettre devant une table de jeu de gô, série « Le délice ineffable de la suite du Genji » (parodie des Cinquante-quatre livres du Dit du Genji) : le Livre quatrième, 1857. Estampe, inv. 70.3.112. - Un acteur tenant une poupée à la main, série « Le délice ineffable de la suite du Genji » (parodie des Cinquante-quatre livres du Dit du Genji) : le Livre sixième, 1858. Estampe, partie gauche d’un diptyque, inv. 70.3.109. - Un guerrier devant une lanterne, série « Le délice ineffable de la suite du Genji » (parodie des Cinquante-quatre livres du Dit du Genji) : le Livre dixième L’arbre sacré, 1858. Estampe, inv. 70.3.110. - Courtisane au bain et sa servante, vers 1830-1844. Estampe, inv. 70.3.54.

Sabre long (katana), fin de l’époque d’Edo. Acier, bois et cuivre jaune, inv. 70.8.3/59.741. Deux gardes de sabre (tsuba), fin de l’époque d’Edo. Fer forgé, inv. 69.10.12 & 92.2.16. Deux gardes de sabre (tsuba), fin de l’époque d’Edo. Bronze moulé, inv. 69.10.27 & 92.2.15. Marionnette de bunraku, 2nde moitié du xixe siècle. Bois, cheveux, textiles, inv. 79.4.2. écritoire (suzuribako), 2nde moitié du xixe siècle. Bois laqué noir, or, rouge, aventurine, inv. 89.1.2. Boîte à message (fumibako), xviiie siècle. Laque aventurine incrustée de nacre et de plomb, inv. 78.7.1. Inrô à quatre compartiments, ojime, netsuke, xixe siècle. Bois laqué noir, nacre, or, ivoire, inv. 73.3.1. Trois netsuke, xixe siècle. Ivoire, inv. 69.10.10, 81.4.5 & 94.4.142. Quatre bols à thé, fin de l’époque d’Edo. Céramique raku, inv. 99.2.1, 99.2.19, 99.2.25 et 99.2.30. Collection particulière Utagawa Kunisada (1786-1865) et Utagawa Hiroshige II (1826-1869), texte de Mantei Ôga, Les miracles de la déesse Kannon, 1858. 33 estampes montées en album.

Katsukawa Shunsen (1762-1830), Deux courtisanes devant une lanterne magique. Série sur les courtisanes aux douze mois de l’année : le huitième mois, vers 1811-1813. Estampe, inv. 75.5.2. 55


Notes Histoire et société à l’époque d’Edo

13

Geneviève Lacambre 1 2 3 4 5 6 7 8

9

Cf. Chassiron, 1861, p. 97. Cf. Milton, 2003. Cf. Lacambre, dans Mayaux (éd.), 2007. Cf. Exposition des beaux-arts appliqués à l’industrie. Guide du visiteur au Musée oriental, 1869, p. 6. Cf. Hutt, dans Kluczewska-Wojcik et Malinowski (éd.), 2010. Cf. le catalogue de l’exposition Kabuki. Costumes du théâtre japonais, 2012. Cf. Screech, 2012, p. 281-290. Le texte de Jippensha Ikku en a été traduit par Christophe Marquet dans l’édition en fac-similé de l’exemplaire de la collection Jacques Doucet, en 2008. Cf. à ce sujet, Fukuzawa, 2007.

14 15

Un cas d’écriture cryptée à l’époque d’Edo : l’écritoire du Petit Palais Claire-Akiko Brisset 1

L’estampe ukiyo-e Geneviève Lacambre Cf. Chassiron, 1861, p. 114. Id., p. 116. 3 Cf. Goncourt, E. & J., 1989, p. 1013. 4 Cf. Goncourt, E., [1896], p. 14. 5 Cf. Koyama-Richard, 2001, p. 121-122. 6 Cf. Appert, 1888, p. 146-147. 7 Cf. Goncourt, E., op. cit., p. 132 (xxxii). 8 Un exemplaire, conservé au Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale de France et provenant de la collection Duret, a été présenté à l’exposition Images du monde flottant. Peintures et estampes japonaises. xviie et xviiie siècles, Paris, Galeries nationales du Grand Palais, 2004-2005, n° 40. 9 Cf. par exemple Forrer, 1996, qui en donne la liste : Chûban, 195 x 265 mm ; Hosoban, 330 x 150 mm ; Nagaban, 530 x 236 mm ; Ôban, 265 x 390 mm ; Shikishiban surimono, 215 x 185 mm ; Tanzaku, 350 x 70 mm. 10 Cf. Self et Hirose, 1987, p. 186-196. 11 Cf. le catalogue de l’exposition De Hokusai à l’école Utagawa, Rouen, musée des beaux-arts, 2009 et Montargis, musée Girodet, 2009-2010. 12 Elle comprend notamment des estampes d’Ôsaka (acteurs de kabuki) qui ont été exposées au musée des beaux-arts de Rennes, pendant l’été 2012, dans le cadre de Bretagne Japon 2012. Un archipel d’expositions. 1 2

56

Cf. le catalogue de l’exposition Samurai Stars of the Stage and Beautiful Women, Kunisada and Kuniyoshi Masters of the Color Woodblock Print, Düsseldorf, Museum Kunstpalast, 2012. Cf. notamment Segi, 1985. Cf. Koyama-Richard, 2010.

2

Historique : Collection Eugène Dutuit ; legs Dutuit à la ville de Paris, 1902. Expositions : 1869, Paris, Musée oriental, p. 13, salle B, mur ouest, armoire n° 18 : collection de Monsieur E. Dutuit, 4e travée ; 2010, Bourg-en-Bresse, monastère Royal de Brou & Arras, musée des beaux-arts, n° 21. Bibliographie : Dutuit, 1869, n° 73, p. 105 ; Lapauze, 1925, n° 1547 ; Lacambre, 2010, n° 21 ; Brisset, 2013, p. 1414-1419. à la suite de la réapparition du coffre en laque dit Lawrence, ayant appartenu au cardinal Mazarin (vente à Cheverny, 9 juin 2013, n° 80), Geneviève Lacambre suggère que l’écritoire de la collection Dutuit pourrait provenir de la même collection et, pour des raisons historiques touchant les rapports entre l’Europe et le Japon autour de 1640, être identifiée au n° 279 de l’inventaire dressé après la mort du cardinal Mazarin en 1661 : « Une escriptoire de la Chine avec son couvercle vernie de couleur d’or contenant trois pièces, le tout estant dans une boîte de bois blanc, prisé ensemble la somme de cent livres » (Yoshida-Takeda, 2004, p. 38). Si cette boîte de bois blanc est maintenant perdue, l’exemplaire de Tôkyô a conservé la sienne. Ces luxueuses écritoires étaient faites pour le marché japonais et non pour l’exportation, d’où leur rareté en Europe avant le xixe siècle. Avant d’intégrer la collection Dutuit, notre écritoire fut, semble-t-il, adjugée à un certain Leblanc le 11 avril 1826 pour 96 francs (vente Sallé, Paris, n° 62) : « Une écritoire en laque noire à dessin de paysage, aventurinée au dedans ; elle est garnie de sa pierre et de son réservoir d’eau : pièce de la plus belle conservation ». Pour une présentation de la riche iconographie de ce grand roman, cf. Murasaki Shikibu, 2007.


3

4

D’après la traduction proposée pour ces deux poèmes par R. Sieffert, op. cit., vol. 2, p. 135 et 138. Pour une première approche de ce corpus de peintures et de laques, cf. C.-A. Brisset, 2009.

14

la location d’un livre de type sharebon (publié à la fin du xviiie siècle) revenait entre 16 et 24 mon. Voir une lettre de Bakin (1832) qui déplore cette importance accordée aux illustrations par les loueurs de livre. Cf. Takagi, 2011, p. 141.

Production et diffusion du livre à l’époque d’Edo Christophe Marquet Entre 1745 et 1749, 46,5% des livres nouveaux (au nombre de 469) furent édités à Edo, contre 34,1% à Kyôto, 19,4% à Ôsaka. Cf. Munemasa, 1982, p. 47. 2 Cet usage du bois de buis, beaucoup plus onéreux et réservé à des gravures minutieuses, est mentionné par Miyako no Nishiki dans son Genroku Taiheiki (1702). 3 Ce corpus des incunables typographiques japonais comporte 430 titres — dont une majorité rédigés en chinois — publiés entre 1595 et 1652. Cf. Kawase, 1967, vol. 2, p. 1-53. 4 Il faut néanmoins mentionner la poursuite de l’édition en caractères mobiles en bois tout au long de la période d’Edo (surtout à partir de la fin du xviiie siècle), même si cette production resta confidentielle. 1 533 titres ont été recensés dans Gotô, 2010. 5 Nagatomo, 1982, p. 9. 6 D’après le Genroku Taiheiki (1702). Cf. Nagatomo, 2002, p. 15. 7 D’après le Naniwa-maru (1696). Cf. Nagatomo, 2002, p. 33. 8 Suzuki, 1980, vol. 1, p. 135. 9 D’après le Gion monogatari (s. d., circa 1640). Cf. Nagatomo, 2002, p. 4. 10 Suwa Haruo, déc. 1981, p. 31. 11 Cf. Konta, 1974, p. 164. 12 Bakin, dans le Kinsei mononohon Edo sakusha burui (1834), précise que les libraires Tsuruya et Tsutaya à la fin du xviiie siècle vendaient leurs livrets illustrés au Nouvel An à au moins 10 000 exemplaires, et que les plus grands succès atteignaient 12 000 à 13 000 tirages. 13 Santô Kyôden indique dans son Edo jiman meisan zue (1805) qu’un livre illustré en deux fascicules coûtait 18 mon et une estampe en couleurs 20 mon, quand un bol de nouilles revenait à 16 mon. D’après Bakin (ibid.), 1

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