Multiprise #21

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........................................................................................................................................................................................................................... par une personne ou par un lieu et le recours à une forme d’exutoire pour s’en délivrer. Sur une paroi de la Salle du Temple, contrebalançant cette relation tumultueuse au site, apparait le tracé lumineux et aérien d’un dessin réalisé par une main invisible. Il s’agit de la reproduction d’une peinture rupestre de la grotte du Mas d’Azil, inaccessible au visiteur. Charley Case et Thomas Israël l’ont dupliquée à l’aide d’une palette graphique pour la replacer dans le circuit de l’exposition, la faire renaître dans le regard des visiteurs. La révélation de cette forme occultée a la portée, symboliquement forte, d’un dialogue phénoménologique avec le passé. Une idée que synthétise cette phrase des artistes : « grâce à toi je suis, grâce à moi tu restes ». Elle peut aussi se référer à l’hypothèse du préhistorien Jean Clottes selon laquelle les images pariétales seraient suggérées à l’homme primitif par la forme même du rocher. Il ne ferait en ce sens que matérialiser les contours d’une vision produite par la roche pour la dévoiler. Le dessin représente une silhouette hybride d’homme superposée à celle d’un animal. Des ramures de cervidé prolongent le profil humain, en référence possible à ces « animaux alliés » que séduisaient les chamans pour gagner leur sympathie. De par son renouvellement périodique, la ramure du cerf symbolisait pour eux le cycle de la vie et de la mort, la puissance régénératrice d’une nature infatigable. La confrontation de l’homme à l’animal se poursuit avec les images animées de danseurs que Delphine Gigoux-Martin projette sur les parois de la Salle Mandement. Pour réaliser ces dessins animés, elle a demandé à un danseur de mimer des postures animales. Les indices de leur différence et de leur proximité apparaissent dans ces étranges chorégraphies. Elles évoquent les danses animalières que réalisaient les chamans pour transformer un rapport conflictuel de prédation en un dialogue possible entre congénères. « Le problème de notre nourriture, c’est qu’elle est faite entièrement d’âmes » expliquait un chaman à un anthropologue. Réalisée par Elsa Sahal, la céramique intitulée Cul/Jambes joue également sur un glissement zoomorphique de l’anatomie humaine. Son caractère érectile renvoie possiblement à un 10 .....

moment décisif d’évolution de l’homme devenu bipède. Mais l’artiste céramiste a donné à sa paire de jambes l’aspect pachydermique de pattes d’éléphant, comme un rappel ironique de notre posture antérieure, sur quatre pattes. Ses Autoportraits en forme de grotte sont des céramiques pleines d’étrangeté. Leur forme organique se confond aux promontoires rocheux qui leurs servent de socle. Elles semblent être revenues du « white cube » pour retrouver leur matrice. Dans cette obscurité des origines, on contemple les jeux subtils de brillance et d’opacité qui animent ces pièces régressives. Elles semblent livrer des autoportraits de l’artiste-créateur en proie à la matière, à une exorcisation de ses méandres intérieurs. La poésie des objets Réalisée par le tandem Daniaux & Pigot, une maisonnette clairement identifiable amorce un retour à la civilisation. Elle reprend la forme de cabanons, disséminés dans toute l’Asie du sud-est, destinés à recueillir des offrandes populaires aux esprits pour se placer sous leur protection. Déjà exposée à Moscou et à Nice, son contenu varie en fonction du contexte géographique où elle s’inscrit. Une constante de l’installation : la réplique miniature de la chaise couverte d’un bloc de cire réalisée par Joseph Beuys. Hommage est fait à cet artiste chaman qui fit de la fonction prophylactique des objets un thème récurrent de sa réflexion esthétique. Un diffuseur d’odeurs sollicite régulièrement nos narines par ses effluves subtiles, éveillant de la sorte notre sens le plus animal. La maison semble si bien avoir trouvé sa place que les artistes en ont supprimé les pilotis. La voici bien rivée au sol, face à une partie dégagée de la grotte qui s’ouvre sur une vue de route goudronnée longeant la rivière. Digne d’un roman d’anticipation, ce panorama de début ou de fin du monde s’accorde à la tonalité de leurs pièces. Exposés dans une galerie bordée d’ossements, leurs crânes d’animaux à la surface enduite de peintures employées pour les carrosseries de voitures de luxe offrent un contrepied insolent aux traditionnelles Vanités. Epargnés du jaunissement et des craquelures irrévocables, saisis dans le lisse, ils sont promis à la jeunesse éternelle.


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