Vanity Fair Hebdo #3

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HEBDO #3

VENDREDI 19 JUIN

SPÉCIAL MUSIQUE RENCONTRE

Benjamin Biolay par Christophe Conte

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Les inédits de Daho

PENDANT CE TEMPS-LÀ

Nicholas Daley et la mode de l’après Covid-19

MUNICIPALES

Anne Hidalgo, retour gagnant

Benjamin Biolay, photographié pour Vanity Fair par Lucile Boiron sur les quais de Seine à Paris, le 19 mai.


Édito

par Joseph Ghosn

le premier demeure un chef-d’œuvre que je ne peux que vous inviter à écouter : du blues de fin de nuit, d’une voix cassée, qui ouvre vers un cosmos immanent. Le destin de cette chanteuse pourrait correspondre à la chanson désormais classique de Benjamin Biolay, Ton Héritage, qui déconstruit les expériences de vie. Il évoque ce qui vous habite et vous dicte votre conduite, et qui vient de ce dont vous héritez, la façon dont on construit sa vie (tout) contre ce que l’on est. À lui seul, ce texte justifie la passion (les passions, mêmes) que suscite Benjamin Biolay. Tout en subtilités et en confessions, Ton Héritage dit à peu près tout des méandres d’un esprit tourmenté et de ce que l’on donne (ou non) à un enfant. Ce qu’on laisse, en somme. Et la façon dont ce qui reste peut façonner ce qui arrive. De l’intime au politique, la phrase maîtresse de Biolay était alors : « Il va falloir faire avec. Ou plutôt sans ». C’est exactement ce dont nous avons envie ces jours-ci : faire avec, ou faire sans. Mais avoir le choix. Le nouvel album de Benjamin Biolay sort dans une semaine : sera-t-il la bande-son de nos révolutions intimes, circa 2020 ?

En couverture Benjamin Biolay, photographié pour Vanity Fair par Lucile Boiron sur les quais de Seine à Paris, le 19 mai.

EDWARD BERTHELOT / GETTY IMAGES

L

es morceaux d’Étienne Daho ont souvent accompagné mes humeurs, notamment celles des soirs qui durent trop longtemps ou des matins qui n’arrivent pas. Pour le Disquaire Day qui a lieu samedi 20 juin, en retard de quelques semaines, le chanteur sort un album d’inédits composé exclusivement de reprises. Parmi elles se trouve un morceau qui donne la mesure de la mélancolie innée de celui qui choisit de le chanter. A Little Bit of Rain. Fred Neil le chanta, suivi de Karen Dalton. Cette dernière en fit une version si belle, qu’il est possible, en l’écoutant, d’arrêter le temps, de figer la lumière et se retrouver avec elle, la nuit où elle l’enregistra, quasiment contre son gré, mais poussée par ses proches dont Fred Neil. Karen Dalton possédait une voix hors pair, mais était ravagée par ses addictions qui l’empêchèrent de vivre vraiment et d’enregistrer, surtout. Parfois, ce qui vous sauve de vos démons, sur le moment, vous détruit peu à peu, empêchant l’éclosion de ce que vous êtes vraiment. Karen Dalton a laissé derrière elle une poignée de disques dont


Pendant ce temps-là…

...le jeune créateur anglais Nicholas Daley adapte ses collections au contexte post-Covid-19 et salue les mouvements de protestations antiracistes.

C

Texte Nicholas Daley avec Elvire Emptaz

omme pour beaucoup, le Covid-19 a été synonyme pour moi de retour à l’essentiel. Face aux contraintes de production, de réduction d’équipes et de moyens, mais aussi par envie, j’ai recentré mon vestiaire sur les fondamentaux. J’ai travaillé beaucoup le lin d’Irlande qui est l’une de mes signatures et fonctionne particulièrement bien en Asie. Je continue d’explorer le tie and dye façon marbrage, selon une technique japonaise artisanale durable et non nocive pour l’environnement appelée le suminagashi. Le télétravail se développant, les gens vont être amenés à moins porter de costumes et plus de tenues cool. J’ai donc rendu les silhouettes un peu plus casual avec du jersey confortable et des vestes légères. Je tente de garder le positif de cette expérience étrange du confinement. Au-delà

peintre Frank Bowling. Mes shows sont plus des concerts, des événements que de simples défilés de vêtements. Je n’affiche pas des slogans, mais le fait de raconter mon histoire de façon sincère et authentique est un statement en soi. Ma mission en tant que créateur, c’est de donner du sens à ce que je fais. Mon casting est mixte, il y a des professionnels, des amateurs dont j’aime la vibe, des Noirs, des Blancs, des Asiatiques. Le milieu de la mode doit comprendre que la diversité n’est pas un frein à la vente, au contraire. Les marques doivent investir plus d’énergie dans la mixité. En attendant ce changement profond et en essayant d’y jouer un rôle modeste, je continue à développer ma marque indépendante, à faire des collaborations artistiques. Ma maison se résume à trois choses : la culture, la communauté et l’artisanat. Je souhaite continuer à explorer ces concepts si j’en ai la possibilité. �

Parfum d’aventure. Par Bénédicte Burguet

APRÈS AVOIR CULTIVÉ SON JARDIN INTÉRIEUR pendant le confinement, le temps des grands espaces est à nouveau venu. Cheveux au vent, regard perdu dans l’horizon, peau caressée par la chaleur estivale... Cette redécouverte du «dehors» s’accompagne aussi, pour certains, du besoin d’emporter avec soi une petite part d’intime. S’aventurer, oui, mais doucement. Alors pour chaque instant où le désir de se parfumer (ou de se rassurer) se fait sentir, Diptyque a imaginé un «talisman migrateur, rechargeable à l’envi», à garder contre soi au gré de ses pérégrinations. Son esthétique facettée rappelle d’ailleurs les échappées vers le lointain, empruntant ses multiples carrés noirs aux lamelles mobiles des tableaux d’affichages des aéroports et des gares. À la manière des lettres qui tournoient pour indiquer le prochain vol, les 72 pièces, alphabet, chiffres et étoile, se glissent sur ce cylindre graphique pour le personnaliser à l’infini. Nomade et sur-mesure, tout dans ce flacon, inédit pour la maison du boulevard Saint-Germain, tient de l’objet totémique et du compagnon d’aventure. � Parfum de voyage disponible avec Philosykos, Do Son, Eau Rose et Eau des Sens (12ml).

IAIN ANDERSON; VOGUE; DIPTYQUE

DESTINATION

du drame sanitaire et à mon échelle, j’ai eu beaucoup de chance. Le British Fashion Council (qui promeut l’industrie de la mode anglaise) m’a choisi pour son programme de soutien financier pendant le Covid-19 et le Prix LVMH a été divisé entre les finalistes dont je faisais partie. Grâce à cela, j’ai pu maintenir mon business. Peu à peu, les choses reprennent leur cours, les usines rouvrent, les magasins aussi. On continue à vendre beaucoup sur Internet. Une grande réflexion habite actuellement l’industrie de la mode qui jusque-là allait souvent trop vite et trop loin. J’espère que l’envie de ralentir, de distribuer et de mieux produire va se traduire concrètement. Parler c’est bien, mais agir est nécessaire. La mondialisation peut pousser à des excès mais elle a aussi de bons côtés. La circulation de l’information est une chance pour notre époque. La vidéo du meurtre de George Floyd filmée par un portable a été vue telle quelle, partout dans le monde. Elle a circulé sans avoir été passée au filtre des médias de droite. C’est puissant de voir comment nous sommes tous connectés, comment cette cause peut être défendue par tous, partout, aux États-Unis, en France, en Angleterre mais aussi en Australie et même au Japon. Ce mouvement général soulève enfin des questions que beaucoup d’industries doivent se poser. En tant que designer noir, j’ai toujours mis en avant mon héritage et le concept de communauté. Je m’inspire du travail de mes amis musiciens, d’artistes de couleur, je les mets en avant. Pour la collection automne-hiver 2020 présentée en janvier dernier, je suis allé puiser dans le mouvement Black Abstraction des années 1970 et l’œuvre du


Le putsch permanent

Grand Prix, le neuvième album de Benjamin Biolay, sort le 26 juin. Pour pallier l’attente, un peu, Christophe Conte revient sur la carrière de ce musicien de génie qui a longtemps vécu un malentendu avec le public, avant de connaître la consécration, sinon l’admiration.

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COMMENT EST TA PEINE ? Benjamin Biolay, photographié pour Vanity Fair par Lucile Boiron le 19 mai sur les quais de Seine, à Paris.

Photographie Lucile Boiron

e devait être un soir de gala, ce 12 novembre 2001 à L’Olympia. Malgré, loin de là, les cendres macabres qui virevoltaient toujours sur Ground Zero, et le monde en état de choc qui venait de célébrer les deux mois de son pire cauchemar. Le premier concert parisien de Benjamin Biolay, quelques mois après la sortie de Rose Kennedy, son premier album, devait donner chair et lumière à l’artiste français le plus en vue de sa génération. Celui que les rumeurs du métier présentaient comme le nouveau Gainsbourg, et dont la jeune carrière était déjà auréolée d’un succès fracassant, Jardin d’Hiver, bossa magique co-écrite avec Keren Ann, qui avait eu pour effet miracle de réveiller Henri Salvador, octogénaire mythique de la chanson caliente, d’une sieste de plusieurs décennies. Biolay, beau gosse ténébreux de 28 ans, auteur-compositeur, multi-instrumentiste

et arrangeur, attise alors, à proportions égales, les clameurs admiratives et les méfiances envieuses teintées de sarcasme. Et ce jour-là, à peine le concert démarré, ce sont surtout les supporters du second clan qui jubilent. Invité à faire la première partie de New Order, légende rock de Manchester, dans le cadre du festival des Inrocks, le Français en perd ses moyens, marmonne dans son micro quand il ne tourne pas carrément le dos au public, dans une salle à l’hostilité palpable qui aligne de surcroît un grand nombre de journalistes et de professionnels du milieu musical. Les belles chansons aux harmonies sophistiquées, la voix de Marilyn Monroe dans La Rivière sans retour, samplée sur Les Cerfs-volants, n’y feront rien. C’est « Novembre toute l’année » dit l’un des titres, et c’est surtout un hiver glacial qui débute entre Biolay et une partie de la critique. Quelques semaines plus tôt, sur la scène du Botanique à Bruxelles, le chanteur a pourtant montré un profil tout autre. Habillé comme un prince, costard et

chemise blanche (qu’il abandonnera pour un jean/T-shirt à L’Olympia), il donnait alors un concert enlevé et maîtrisé, rejoint sur scène par Keren Ann et par Hubert Mounier, l’ex-chanteur de L’Affaire Louis Trio, son véritable éclaireur en terre pop française. « À L’Olympia, se souvient Biolay aujourd’hui, la pulsion première, c’était d’avoir envie de me casser, de me dire que je n’avais rien à faire là. Cela faisait des années que New Order n’avait pas joué en France, je comprenais les gens qui étaient venus pour les voir, j’aurais sans doute fait comme eux. Mais ça reste un bon souvenir fondateur des choses qu’il ne faut pas faire, et mon attitude ce soir-là ne fut pas très glorieuse. » Presque vingt ans plus tard, il publie Grand Prix, son neuvième album de chansons originales, parmi une foultitude d’autres choses réalisées en chemin, et cette sortie de route initiale n’a heureusement laissé que des séquelles éphémères. Il faudra toutefois pas loin de dix années,


LUCILE BOIRON

jusqu’au double et unanimement acclamé La Superbe, en 2009, pour que s’estompent définitivement les railleries les plus stupides (chanteur à mèche, poseur arrogant, bobo boudeur, on en passe) et qu’un succès commercial d’ampleur indiscutable – 200 000 exemplaires – ne vienne faire taire les accusations de surcote parisienne. « Je viens du Beaujolais, les gens l’oublient souvent. Villefranche-sur-Saône, c’est la capitale du Beaujolais. Quand j’ai signé chez Virgin et qu’on m’a dit qu’on allait me saper chez A.P.C, que j’allais voir Jean Touitou, ou Agnès B., c’était la première fois que j’entendais ces noms de ma vie. » « C’était contre-nature pour lui de s’exposer », raconte Nathalie Noennec, alors responsable de l’image des artistes Virgin, qui le prend en charge en 2001 comme elle ne faisait déjà pour Alain Souchon ou Étienne Daho. « Il était d’une grande beauté, il avait une allure folle mais il ne le percevait pas du tout. Pour lui, son talent de musicien devait suffire, rien d’autre ne lui importait. En matière de mode, d’image, c’était un novice absolu. » Lorsqu’on le croise pour la première fois, au milieu des années 1990, Benjamin Biolay ressemble en effet plus volontiers à un étudiant aux Beaux-arts, emprunté et flegmatique, qu’à un dandy empressé de prendre Paris dans ses bras. Il porte des cheveux longs, tenus par une queue-de-cheval, et en guise de carton à dessins, il trimballe un

« Je n’ai jamais dégainé le premier. Mais j’ai parfois répondu de manière trop sanguine aux attaques. » BENJAMIN BIOLAY CD autoproduit, enregistré fin 1994 avec un groupe Le Matéo Gallion, dans un café-concert baptisé le Barbar. Les esquisses sont prometteuses, dans un style qui louche parfois vers le jazz manouche et s’inscrit à la fois dans la veine Vian/Gainsbourg des années 1950, humour noir et cruel compris, et dans le prolongement néo-Zazou qu’en ont façonné avec succès les Lyonnais de L’Affaire Louis Trio. Le nom Matéo Gallion n’est d’ailleurs pas sans évoquer Mobilis in Mobile, l’album et la chanson du « trio » qui ont fait chavirer le Top 50 l’année précédente. BB est encore loin de devenir l’initiale du chic pop, du chanté-parlé capiteux et lettré, mais son apprentissage un peu brouillon dans la chanson est validé par ces aînés, avec lesquels il s’est lié d’amitié, notamment

les frères Mounier, Vincent et Hubert, qui portent à la scène des noms de personnages de BD, Karl Niagara et Cleet Boris. Ensemble, ils partagent un amour fou des Beatles et celui, plus électif, pour le groupe anglais XTC, tandis qu’au rayon français, ils se servent volontiers chez Henri Salvador et Charles Trenet, ce qui suffit à faire d’eux des excentriques de province un peu hors circuit.

Prodige à l’oreille absolue

P

ersonne ne devine alors que Biolay est un prodige, doté de l’oreille absolue, qui s’est usé la corne très jeune sur un violon, un peu forcé par un père, clarinettiste amateur, avec lequel il a fait un pacte « violon contre ballon » pour avoir aussi le droit


de jouer au foot. Attiré par les harmonies et les fanfares municipales, il remplace un jour un tubiste décédé et se découvre une aptitude pour les cuivres, optant pour le si peu sexy trombone qui le mènera toutefois à un double premier prix au Conservatoire de Lyon. « J’ai tout de suite été admirative de sa facilité, en studio, pour passer d’un instrument à l’autre, et de sa maîtrise incroyable des arrangements, dit de lui Keren Ann, qu’il rencontre à la fin des années 1990 par l’intermédiaire d’amis. Il apportait quelque chose de très français, de très élégant. Je retrouvais chez lui des choses que j’avais aimées chez des chanteurs français avec lesquels j’avais été élevée. » La jeune Israélo-Néerlandaise, française d’adoption mais pas encore de passeport, écrit des chansons. Lui est séduit par son talent de compositrice folk, ses accents à la Françoise Hardy « et sans doute par ma façon de faire sonner la langue française comme une étrangère, et non dans la tradition de la chanson française ». Avec Karen Brunon, qui deviendra par la suite la première violon de tous leurs projets et d’un large éventail de la variété classe française, ils forment le groupe Shelby, dont le single 1+1 ne tarde pas à tourner sur les radios. Écrit et composé à huit mains par Keren Ann, Biolay, Hubert Mounier et Lionel Gaillardin – un vétéran ayant connu la gloire dans les seventies au sein du groupe Il était une fois –, la chanson est avant tout un sésame pour leurs ambitions solos. « Dès le départ, se souvient Keren Ann, il était question de travailler chacun sur un album. Le groupe, c’était une sorte de cellule pour tester des choses et apprendre. Benjamin a fait deux singles qui n’ont pas vraiment marché mais on continuait à faire des maquettes au studio de Lionel à Courbevoie. On était aussi ensemble à l’époque, même si on n’en parlait pas. On vivait une première grande histoire d’amour en même temps qu’un truc très fort de complicité artistique. » Leurs noms conjugués commencent ainsi à bruisser, pas dans les carnets mondains mais chez les éditeurs, suffisamment pour qu’on leur propose d’écrire des chansons pour Henri Salvador. L’image ringarde et l’âge avancé du Nat King Cole guyanais ne laissent en rien présager l’issue royale qui attend Jardin d’Hiver – d’abord baptisé Tu as les yeux de l’amour – et l’album Chambre avec vue, qui dépasse le million d’exemplaires vendus et contient cinq de leurs chansons. Pourtant, le vieil homme est amer et Biolay le découvre à ses dépens, relégué à la marge d’un triomphe où seule Keren Ann est mise en lumière par Salvador qui, lorsqu’il est contraint de citer le nom de l’autre tête du binôme, se fait un malin plaisir à l’écorcher en « Benjamin Violet ». Sans prendre de gants comme on le fait généralement dans le showbizz faux cul, surtout vis-à-vis d’un

« Son charisme devant la caméra a fini de convaincre ceux qui doutaient de son talent. » MELVIL POUPAUD

tel ancêtre désormais intouchable, Biolay réplique, assez violemment parfois. La promo de Rose Kennedy, qui sort en pleine salvadormania, est ainsi émaillée de coups échangés à distance, et dont le « rookie » sort forcément perdant face à une légende du circuit dont la carrière a démarré en 1935 ! Réconciliés in extremis par leur médecin commun, quelques mois à peine avant la disparition de Salvador en 2008, leurs batailles de coqs ont pas mal entaché la réputation de Biolay, qui passe alors pour le type à grande gueule capable de tirer à vue dans les interviews. « Je n’ai jamais dégainé le premier, se défend-il, à raison. Mais j’ai parfois répondu de manière trop sanguine aux attaques. Je ne supportais pas, par exemple, cette étiquette de la “nouvelle chanson française” derrière laquelle on essayait de réunir des gens qui n’avaient rien à voir les uns avec les autres. Et puis quand tu te fais défoncer par Michel Fugain, gratuitement, tu ne comprends pas pourquoi tu as mérité ça. » Avec Bénabar (chanteur folklorique du début des années 2000), la bagarre des mots finit même en pugilat physique dans un restaurant, alors qu’avec le plus fin Vincent Delerm, égratigné au début, elle se termine par un duo dont le titre évoque la vacuité de ces batailles d’ego : Les chanteurs sont tous les mêmes. Pour Biolay, chanteur pourtant si différent, si doué et si détesté à la fois, si détestable aussi, vu de loin, lorsqu’on s’en tient à des interviews chez Ardisson où il est interrogé sur tout sauf sur son travail, le malentendu s’éternise. Et s’accélère lorsqu’il rejoint la rubrique people en officialisant sa relation avec Chiara Mastroianni, invitée à chanter sur son deuxième album, Négatif, avant un projet commun baptisé Home, sorte de road-movie sonore aux accents folk, sans ostentation et fort réussi, qui attise pourtant un feu nourri de critiques d’une violence assez abjecte. Et quand le couple commet l’erreur d’appeler directement les rédactions pour retourner la grenade, les hostilités reprennent de plus belle. « J’étais fou amoureux, dit-il aujourd’hui à

propos de la mère de sa fille, Anna. Tu ne comprends plus rien lorsque les gens, par pure malveillance, se mettent à juger tes sentiments les plus intimes. Je savais que c’était l’une des rencontres les plus importantes de ma vie, je n’allais quand même pas la larguer parce que sa mère s’appelait Catherine Deneuve ! » Laisse aboyer les chiens chante-t-il à voix murmurée sur Trash Yéyé, le second de ses albums un peu maudits avec À l’origine, ceux où son style s’affirme et flamboie mais dont les chiffres de vente plafonnent à quelques dizaines de milliers d’unités. Trop peu pour un label en pleine restructuration, dirigé par des cost-killers qui trouvent sa rentabilité trop faible et ne renouvellent pas son contrat.

F

Crooner rock

aute de Victoire de la musique, à une époque où certains, à voix encore plus basse que la sienne, espèrent que la chute sera sans retour, c’est aux César qu’il renaît. Il est nommé en 2008 Meilleur acteur dans un second rôle pour Stella, de Sylvie Verheyde, après des débuts chez Laetitia Masson et à l’amorce d’une filmographie qui égrène désormais les noms d’Agnès Jaoui, Olivier Assayas, Christophe Honoré ou, bientôt, Bruno Dumont avec le très attendu Par un demi-clair matin. « Je l’ai rencontré un peu après, dit son ami Melvil Poupaud, avec lequel il a fait un album et une tournée sur un répertoire de chanson française baptisé Songbook. J’ai le sentiment que le cinéma a révélé des choses chez-lui qui lui ont servi dans son évolution de chanteur. Il a sans doute une meilleure appréhension de la scène, de cette façon d’incarner un personnage pour chaque chanson. Son charisme devant la caméra a fini de convaincre ceux qui doutaient de son talent. Et puis je crois qu’à l’usure tout le monde a fini par s’apercevoir que le type n’était pas un poseur mais que l’endurance et la densité de son travail étaient avant tout le fait de son acharnement à faire les choses. »


LUCILE BOIRON

Toutes les révélations viendront conjointement d’un sursaut quasi animal au moment de La Superbe, album autofinancé par Biolay avec les royalties de La Ceinture, un titre à la sensualité trouble écrit pour Élodie Frégé. « Je n’avais plus que la musique à ce moment-là. Je picolais pas mal, j’étais devenu ce que je ne voulais surtout pas devenir quand j’ai commencé ce métier. Je me suis dit que si ça devait se terminer pour moi, autant le faire avec panache, avec de belles chansons. Je me fais plaisir, je mets même du saxophone inspiré par Stan Getz et à cet album, Focus, que j’adore. Je me fous de tout à ce moment-là, je n’ai plus rien à perdre. » Un geste de joueur de casino qui mise ses derniers billets sur un coup de dé, en smoking au bord du précipice, mais qui sait en secret qu’il a la baraka avec lui. Au sein du chanceux label Naïve, qui récupère l’auteur-compositeur de Ton

héritage, le personnel qui écoute l’album en primeur a les larmes aux yeux. Brandt Rhapsodie, duo/duel avec Jeanne Cherhal en forme d’échange de post-it d’un couple qui se désagrège, touche même ceux qui le détestent. L’évidence Biolay s’impose avec la même puissance de tornade que les cordes du morceau titre et La Superbe lave toutes les années de malentendus et de faux espoirs dans une course folle et victorieuse. « Avant ça, je peinais à remplir un Casino de Paris, et là j’en blinde quatorze d’affilée. Le public connaît les chansons par cœur, je suis sur un nuage, artistiquement ma vie est magnifique et ça compense la nullité de ma vie privée. » Et quand le balancier repart dans l’autre sens, que Vanessa Paradis l’accapare pour un Love songs en studio, et une love story en privé, il peut même se permettre de rendre une

copie brouillonne (l’album Vengeance en 2012) mais ne pas perdre une seule plume en route. « Il a l’apparence du colosse de Rhodes et la fragilité de la porcelaine de Saxe, résume Nathalie Noennec. Il fallait le succès pour qu’il s’apaise, être reconnu uniquement pour ce qu’il est, c’est-à-dire un musicien qui exulte et excelle quand il n’y a rien d’autre qui vient brouiller les pistes. Il lui a fallu du temps mais il a organisé un véritable putsch contre lui-même, et comme la conduite à risque ne lui fait pas peur, il s’en est sorti encore plus fort. » Les allégories avec le sport automobile conduisent tout droit à Grand Prix, retour triomphal sur des routes plus rock après le double volet de ses escapades argentines (Palermo-Hollywood et Volver) et la récréation en duo avec Melvil Poupaud dans les contre-allées ombragées de la chanson française. Grand Prix, un titre qui assume sa double allégeance au film du même nom (John Frankenheimer, 1966) pour la mythologie à damier, comme à un album des Écossais de Teenage Fanclub paru il y a vingt-cinq ans, et qui résume ce qu’on peut faire de plus emballant avec des guitares en trombe et des mélodies de champion. Électrisant et accrocheur d’un bout à l’autre de ses treize titres, piloté pied au plancher avec quelques décélérations, un détour californien (Souviens-toi l’été dernier avec Keren Ann) et même un coda brésilien (Interlagos), c’est assurément le disque d’un garçon désormais en pleine confiance, plus crooner rock à la Iggy Pop que crâneur popeux et affecté. Comment est ta peine ? questionne le single déjà radiophonique, premier d’une longue série à venir, dont le grinçant Comme une voiture volée et son refrain qui pique assez fort. Mais on devine vite derrière ces apparences galvanisantes que la sienne, de peine, fut double et inconsolable, avec les disparitions à un an d’intervalle du jeune pilote Jules Bianchi et de l’ami de toujours Hubert Mounier. La chanson Grand Prix est leur mausolée, sous un beau fixe de soleil funky, et dans leur ensemble les textes toujours plus ébouriffants de Biolay jouent sur des chocs thermiques entre leur moteur grelottant et l’ardente rutilance de la carrosserie sonore. Souvent, au cœur de cet assemblage très impressionnant, les boucles entêtantes de claviers rappellent le son extatique de New Order. Si jamais un Olympia se profile à l’horizon, vingt ans tout juste après le fameux faux départ de 2001, les entendre tournoyer constituera la plus belle des revanches. � Grand Prix de Benjamin Biolay (Polydor/ Universal). Tournée française à partir du 21 octobre 2020.


Une chronique de Joseph Ghosn

Jardins secrets

Pour le Disquaire Day, Surf, un album inédit (et perdu) d’Étienne Daho voit le jour. On y entend le chanteur reprendre des morceaux qui comptent pour lui, et pour nous.

capable de se confronter aux autres, dans une langue qui n’est pas la sienne. Et il le fait avec un mélange de naïveté et de puissance. Un mélange, surtout, d’admiration (on le sent dans chacune de ses interprétations) et de plongée quasi à l’aveugle dans chaque morceau. L’idée de génie de Daho est d’avoir conservé des arrangements d’une pureté stellaire qui encadrent sa voix sans jamais s’élever ni s’imposer. Ils sont comme une soustraction qui permet de mieux découvrir l’interprétation. Et Daho interprète à la façon d’un homme habité par la voix des autres. Son anglais renvoie invariablement à ses premières incursions dans l’exercice de la reprise, lorsqu’il chantait les morceaux du Velvet Underground et de Syd Barrett, traçant désormais une ligne assez habile entre les années et les racines qui n’en finissent pas de croître. Au fond, ce qu’il tente là, en alignant les reprises, c’est de faire rhizome : plutôt que de pointer des racines qui vont dans un seul sens, il laisse pousser les uns à côté des autres des filaments et des possibles, des tubercules et des appendices qui, vus à la façon d’une taille dévoilant des strates dans la roche, révèlent quelque chose de lui. Quelque chose de l’ordre du fan qu’il n’a jamais oublié d’être : ce chanteur est d’abord un passeur, un passionné de la chose même dans laquelle il vit et dont il a fait son métier. En vrai, c’est d’une rareté exceptionnelle. On connaît peu de musiciens capables de se laisser aller, après autant d’années, à un tel exercice. De mémoire, on ne peut que songer aux derniers albums de Johnny Cash, ses plus beaux, emplis de son expérience et de son amour pour les morceaux des autres. Chez Daho, c’est tout aussi généreux et l’exercice, profitable (comme dirait Serge Daney), mériterait un retour, voire plusieurs. � Surf d’Étienne Daho (Parlophone). Sortie le 20 juin 2020.

PARLOPHONE

L

a liste des morceaux est impressionnante : on y croise des chansons écrites par Dennis Wilson, Fred Neil, Henry Mancini, Pink Floyd. Des classiques américains et anglais, qui croisent le moment où les crooners passaient à autre chose, le moment aussi où le folk devenait un peu plus acide – dans ses thématiques et ses sonorités. Mais le chanteur ne se contente pas du passé, il puise aussi au plus près d’ici et maintenant : un morceau repris chez Air, un autre chez Phoenix, un troisième chez les Pet Shop Boys. Comme une traversée de la pop, très oblique, avec des choix qui forment une ligne. Les morceaux passent par Daho, trouvent une vie neuve, oublient leurs années d’écriture et de naissance. Les uns et les autres, en tout cas, affichent une forte mélancolie intériorisée, qui rejaillit même sur les morceaux les plus enjoués. C’est le cas, dès l’ouverture du disque, de Falling In Love, autrement connu sous le nom de Lady – morceau lui-même déjà perdu de Dennis Wilson, l’un des Beach Boys, auteur de l’album solo le plus indispensable de sa bande (le beau Pacific Ocean Blue) et de quelques démos qui flottent çà et là depuis sa mort prématurée. Quelque chose de l’histoire de Dennis Wilson donne le ton de ce disque d’Étienne Daho : ces reprises ont longtemps été considérées comme perdues, faisant partie d’un album jamais terminé, commencé en 2004, repris en 2006. Pourtant, elles sont là, se tiennent à la façon d’un portrait de leur interprète. Est-on jamais autre chose, d’ailleurs, que ce que l’on fredonne, que l’on a entendu dans la bouche d’un autre et qui reste tant en vous qu’il devient indispensable de le faire sien ? L’œuvre d’Étienne Daho est évidemment bien plus vaste que cet album. Pourtant, il dit quelque chose d’elle qui n’est pas commun : que ce chanteur est


« Ils ont cru que j’étais finie »

Un an et demi avant les élections municipales, plus personne ne misait sur Anne Hidalgo. Même ses fidèles la quittaient pour rejoindre la macronie. En novembre 2019, Vanity Fair enquêtait sur son retour. Arrivée en tête du pemier tour à Paris, elle est aujourd’hui la grande favorite à sa propre succession. Entretien Sophie des Déserts Photographie Patrick Swirc

PATRICK SWIRC

D

errière les fenêtres, Paris s’éveille sous la bruine. Ça grouille, ça peste, comme dans un dessin de Sempé ; bagnoles, scooters, bus, vélos, trottinettes, la lutte sur le macadam et puis droit devant dans les nuages, blessée, perfusée d’échafaudages, Notre-Dame. Il fait plus doux à l’intérieur, dans ce mirador niché en haut de l’Hôtel de Ville, 155 m2 somptueux, cristal, marqueterie et dorures, le plus beau bureau de la République. « Bienvenue dans ces lieux », s’avance Anne Hidalgo, tout sourire, pantalon de cuir et bottines vernies. La voix tâtonne, un peu molle, mais une lumière transperce ses yeux noirs. C’est parti pour une visite guidée, entre les bibelots, les Marianne, les tableaux, ce cadeau du célèbre graffeur américain Shepard Fairey qui lui a dessiné un lotus bleu et ce message porteur d’espoir : « The future is unwritten. Knowledge, action, power », une curieuse statue phallique sculptée à Nouméa, partout des photos encadrées, le mari, les enfants, les copines espagnoles, l’abbé Pierre, Robert De Niro, Barack Obama... Là, encore un panda en plastique, des mini-tours Eiffel et cette grosse boule en verre : « Un cadeau de Leo », confie-t-elle avant de préciser, rougissante « DiCaprio ». On ne l’arrête plus, comme si la maire de Paris n’avait pas déjà fait visiter ce bureau cent fois, notamment à des journalistes qui ne l’ont pas épargnée

REINE MAIRE Anne Hidalgo photographiée pour Vanity Fair le 27 novembre 2019 à l’Hôtel de Ville.

pour autant, comme si tout était oublié, que tout recommençait... Il le faut : Anne Hidalgo rentre en campagne.Rien n’est encore officiel en cette fin novembre, mais tout est prêt. « Je me prépare comme un sportif de haut niveau, confie-t-elle, menottes gracieuses en apesanteur. Je suis tel­lement impa­tiente. » L’annonce a été fixée le plus tard possible, afin de ne pas perturber les affaires municipales et de réduire au minimum le temps dans l’arène. L’édile aura eu le temps d’observer ses adversaires, de disséquer les sondages lui donnant seulement une petite avance, d’écouter des spin doctors. Tous lui ont prodigué le même conseil : « Cesse de dire que tu es attaquée parce que tu es une femme. Joue-la sereine, rassembleuse... »

Le défi est osé. Aucune femme politique n’a concentré autant de haine. Même les provinciaux le savent, à force d’entendre les Parisiens la traiter de « nulle », d’idéologue, de furie anti-voitures, déconnectée du réel, responsable de toutes les horreurs de la capitale, des embouteillages aux prix vertigineux de l’immobilier, des rats dans les squares aux rues dépotoirs... L’« Hidalgo bashing » – expression désormais consacrée – a bouilli dès la mi-mandat dans les taxis, les bistrots, les restaurants étoilés, sur Twitter, à la télé, à la radio, au micro des humo­ristes (Nicolas Canteloup a imaginé l’édile écrabouillée par le traîneau du Père Noël ; Fabrice Éboué s’est filmé dans une rame bondée, l’accusant de ne jamais prendre le métro) sans parler


HENRI GARAT

des artistes, tels Vincent Lindon et Fabrice Luchini, enragés contre cette « bobo » qui a fait de Paris « une ville abso­lument plus habitable ». Sacré tour de force pour « Anne », la petite fille de républicains espagnols, en apparence si douce et si bien préparée au pouvoir par Bertrand Delanoë. Pourquoi ? Comment la maire a-t-elle touché le fond, failli sombrer en macronie, puis trouvé la force, à 60 ans, de se représenter ? Quelle est la part de déni, de folie, d’injustice ? Pour tenter de comprendre, il était nécessaire de l’observer longuement, au gré de rencontres dans son bureau, dans sa Vel Satis électrique en route vers Colombey-les-Deux-Églises et aussi, à l’aube, porte de la Chapelle, au milieu des camps de migrants. Chercher la vérité sous les discours tout faits. Sonder ce cœur de gauche, sensible aux réfugiés comme aux milliardaires, capable de cultiver, à droite, d’étonnantes amitiés. Il a fallu rencontrer des dizaines de personnes, ses opposants, ses aficionados, ses amis, ses collaborateurs, son mari aussi. « Anne est une force de la nature, nous a-t-il confié un soir, dans un café proche de leur petite maison du XVe arrondissement. La mécanique est complexe. » À quelques semaines des élections municipales, il n’est pas inutile pas de la démonter. « J’aime tellement ça », dit-elle, gourmande, à ceux qui la plaignent de courir, depuis près de vingt ans, de marchés en inaugurations. Pour conquérir l’Hôtel de Ville en 2014, Hidalgo a labouré le terrain pendant un an et demi. « Paris qui ose » s’intitule alors son programme pour une cité « créative, collaborative, bienveillante », un zeste de novlangue, déjà un peu d’agriculture urbaine, des « toits végétalisés » et la promesse de construire 10 000 logements par an, 30 % d’habitat social d’ici à 2030, d’augmenter les places en crèches, d’embellir les grandes places, de fermer, après celles de la rive gauche, les berges de la rive droite...« Je rêve, déclare-t-elle alors, d’une ville où les parents peuvent se promener sans craindre de lâcher la main de leurs enfants. » L’empereur Delanoë fait campagne à son bras, un peu triste, mais fier de soutenir sa première adjointe tôt désignée. « Anne » a été impeccable, efficace et loyale pour le remplacer quand un dés­é­qui­li­bré l’a poignardé en 2002. Il ne l’a ensuite jamais vraiment associée au pouvoir, la cantonnant au « bureau des temps », où quelques collègues moqueurs s’amusaient toujours à lui demander l’heure, puis à l’urbanisme, mais c’était décidé : un jour, la place lui reviendrait. « Ma chérie », l’appelait-il, sûr que cette dauphine ne lui ferait pas d’ombre. Bertrand Delanoë a choisi son exact contraire, une femme, mère de trois enfants, aussi simple et chaleureuse qu’il sait être

intransigeant et glacial. Il y a en elle le soleil de San Fernando, près de Cadix, où elle est née, et la force besogneuse d’une petite, exilée à Lyon à l’âge de 2 ans, dans les bras d’une couturière et d’un électricien en quête d’une vie meilleure. Ana, rebaptisée Anne, se devait d’être à la hauteur. C’est une solide, une jolie mais pas minaudière, une fille de sports co’, ex-joueuse de basket devenue inspectrice du travail, repérée en 1997 au cabinet de Martine Aubry. Là, dans la bataille des emplois jeunes, elle a œuvré avec un économiste, poly­technicien, de sept ans son cadet, Jean-Marc Germain, qui deviendra son roc, dans la vie comme en politique. Le socialisme, chez Hidalgo, c’est de l’intime. Son premier mari, père de ses deux

MENTORS Au Salon de l’agriculture en 2010 avec ses prédecesseurs à la mairie de Paris, Bertrand Delanoë et Jacques Chirac.

aînés, militait rue de Solférino ; Jean-Marc Germain, lui, a été le bras droit de Martine Aubry, à la mairie de Lille comme au PS, avant de se présenter aux législatives de 2012 dans les Hauts-de-Seine, pour ne pas gêner son épouse. Le député et la maire de Paris ont toujours veillé à ne pas trop mêler leur parcours, mais à la maison, on parle non-stop politique. Du fond du cœur, « Anne » a la rose au poing. Delanoë peut partir tranquille.

C

Un État dans l’État

e 31 mars 2014, au verdict des urnes, il l’observe, triomphante, alors qu’une vague bleue submerge la France. Et dire que sa rivale, Nathalie Kosciusko-Morizet, la surnommait la « boniche ». Ne jamais sous-estimer Hidalgo. La voilà désormais reine de Paris, dotée d’un hôtel de ville plus vaste que l’Élysée, d’un budget de 7 milliards d’euros, de 55 000

fonctionnaires, dont 300 rien qu’à la communication, 27 adjoints, 40 conseillers... Une puissance de feu, un État dans l’État. Le vieil empereur laisse tout, son beau bureau, son fauteuil au Conseil de Paris, ce mini-parlement, réplique du palais Bourbon, où s’installent 163 nouveaux élus, avec une majorité composite – socialiste, radi­cale, verte, communiste – qu’il faudra tenir. Encore quelques embrassades, vient l’heure des adieux. « Vous allez me regretter », annonce Delanoë. En attendant, c’est la fête. L’Hôtel de Ville se détend, la nouvelle cheffe continue de se faire appeler « Anne », toujours aussi gaie, accessible. Portes ouvertes dans son bureau pour la réunion du lundi matin à 9 heures, tutoiement général, chacun a droit à la parole et les portables sont désormais autorisés. « Anne voulait faire rentrer l’air, se souvient le sénateur Rémi Féraud, alors maire du Xe arrondissement. On était tous pleins d’élan, soudés comme une bande de copains. » La maire entend vite marquer son empreinte, changer la vie des Parisiens, planifier le calendrier des réformes. Elle gouverne principalement avec des hommes, des fines lames léguées par Delanoë, Mathias Vicherat, nommé directeur de cabinet, Pierre-Olivier Costa, chef de cabinet, Bruno Julliard, premier adjoint, ainsi que l’incontournable Jean-Louis Missika, cet ex-communicant rocardien, entrepreneur fortuné proche du magnat de Free, Xavier Niel, devenu à la mairie grand manitou du numérique et de l’urbanisme. Un couteau suisse, plein de charme, d’idées, de réseaux, Hidalgo l’adore. Elle garde éga­ lement près d’elle un drôle d’oiseau brillantissime, François Esperet, qui fut gendarme avant de devenir plume de Delanoë. Il est normalien, philosophe, poète à ses heures perdues ; il a six enfants, des tatouages sur les bras, une foi incandescente. Il l’abreuve de notes au gré de ses lectures : Marx, Machiavel, Orwell, Gracián, des pages et des pages sur les rapports de force, les dangers du pouvoir, l’isolement, les phénomènes de cour... « L’argent et le pouvoir sont toxiques, souffle-t-il. Si tu te le répètes tous les jours, tu seras moins abîmée. » La maire ne lit pas tout, mais elle écoute, particulièrement réceptive aux textes, chers à Esperet, sur la critique de la technocratie. Accord total, le politique à ses yeux doit veiller à ne pas se laisser emprisonner par l’administration. « Si on n’écoutait que les fonctionnaires et les juristes, dit-elle, on ne ferait rien.» Hidalgo partage cette obsession d’indépendance avec deux autres fidèles, des janissaires qui résisteront à toutes les tempêtes. Son « conseiller spécial » Jean-Marie Vernat, placé juste en dessous d’elle dans un bureau princier, est un doux escogriffe plein de tics,


un Sciences Po passionné d’histoire, dévoué depuis ses premiers pas d’adjointe, toujours attentif aux bruits de palais. C’est avec lui que la maire commence sa journée chaque matin. « Mazarin », l’appelle-t-on dans les couloirs. Il s’en amuse lors de notre première rencontre : « Enfin, moi, je ne complote jamais ! Si Anne me demandait de sauter par la fenêtre, je le ferais. » Un autre pourrait lui décrocher la lune, Serge Orru, son maître Yoda sur les questions écologiques. Ce Corse n’oubliera jamais leur rencontre sur le port de Calvi en 1992, à l’ouverture de son Festival du vent ; il bourlinguait alors entre le tourisme, le théâtre et la musique (il a notamment été l’agent de la chanteuse

ADROITE

JOSÉPHINE BRUEDER / VILLE DE PARIS

Avec Nicolas Sarkozy à Roland Garros, et avec Rachida Dati au grand prix de Formule E à Paris en 2019.

Maurane) ; quand il a pris la direction du WWF, il a parlé à Hidalgo de son combat contre les sacs en plastique, de l’urgence d’agir pour la planète. Ensemble, à la mairie, ils ont lancé une campagne pour la propreté dans Paris, avec ce slogan qu’ils trouvaient génial : « Jette pas ton mégot, deviens un héros ! » « En juin 2012, raconte Orru, je dis à Anne : “Le diesel est un vrai sujet, la population ne pourra plus accepter de respirer un air malsain.” Je lui donne des études, elle rencontre des gens. Comme d’habitude, elle fait son miel. Quelque temps après, je la vois à la télé déclarer : “On va attaquer le diesel.” Je me dis : “J’ai trouvé mon levier de changement, cette femme est un miracle !” » Hidalgo embrasse la cause écolo, avec les Verts de sa majorité qu’elle pouvait jadis traiter de « fous furieux ». « On ne peut plus fermer les yeux », répète-t-elle, en appelant aux développements des « circulations douces », son expression désormais

« J’ai entendu, en 2014, des gens dire : “On va se la faire, la Conchita.” Eh bien, Anne les a tous niqués. C’est une warrior. » RACHIDA DATI, CANDIDATE (LR) À LA MAIRIE DE PARIS fétiche. Les objectifs sont ambitieux : plan vélo, éradication du diesel d’ici à 2020 (finalement reporté), en commençant par le parc automobile de la ville, signalement par un système de puces des véhicules les plus polluants, semi-piétonnisation du centre de Paris. Pas question de tergiverser. Et tant pis s’il faut affronter les fous du volant, les travailleurs, les banlieusards, les lobbys automobiles qui, immédiatement, se mobilisent. « Si vous faites ça, vous aurez la responsabilité de la perte de milliers d’emplois », prévient le président de PSA (Peugeot-Citroën), Carlos Tavares. Il y aurait alors eu des menaces précises, la promesse d’empêcher sa réélection. Hidalgo confirme à demi-mot : « Je ne donnerai pas de nom, mais c’est vrai, qu’on m’a fait comprendre que tout serait mis en œuvre pour me mettre des bâtons dans les roues. » D’emblée, elle mise sur une mesure symbolique, immédiatement visible des Parisiens : la libération des berges de Seine. Rive gauche, la fermeture des voies, longtemps bloquée par François Fillon, n’a pu aboutir qu’avec l’arrivée au pouvoir de François Hollande. Mieux vaut, tant qu’il est en place, profiter de son soutien pour interdire les voitures, rive droite, le long de la très passante voie Georges-Pompidou. La décision sera prise, sans concertation, sans écouter ceux, nombreux, qui prédisent des embouteillages monstres, des reports de pollution, des recours juridiques qui pourraient tout compromettre. Au diable les frileux. « Je ne tremble pas, martèle l’édile. C’est le sens de l’histoire. » Paris, qu’elle aime appeler la « ville monde », sera un phare dans la lutte contre le réchauffement climatique.

J

Lune de miel avec Sarko

anvier 2015, Anne Hidalgo se prépare pour la Cop 21 quand frappe l’horreur. Charlie Hebdo tombe sous les balles, avant que la barbarie n’éclate encore, Saint-Denis, les terrasses du XIe arrondissement, le Bataclan. La maire fonce sur place. « Elle prend immédiatement les mesures d’urgence qui s’imposent, elle se rend ensuite dans les hôpitaux, à l’institut médico-légal, se souvient son directeur de cabinet, Mathias Vicherat, qui l’escorte partout ce soir-là. Anne est bouleversée,

mais elle agit, silencieuse et grave. » Dans ces heures noires, le procureur de Paris, François Molins, découvre « une politique remarquable ». Les discours sont rassembleurs. La tour Eiffel est illuminée en bleublanc-rouge. « Paris se relèvera », promet la maire. Et elle le fait savoir au monde entier, invitée dans les capitales d’Europe et à la Maison Blanche, pour une rencontre avec Obama. L’ancien maire de New York, Michael Bloomberg, marqué à jamais par les attentats du 11-Septembre, est bluffé, d’autant qu’il partage son combat écologique à l’Onu, en tant qu’envoyé spécial pour le réchauffement climatique. « Cette femme est incroyable, brillante, sexy, je l’épouserais bien », plaisante-t-il dans les dîners huppés de Manhattan. Il la pousse à prendre la présidence du C40, ce réseau, en partie financé par sa fondation, qui rassemble les plus grandes villes du monde soucieuses de la planète. Elle n’hésite pas une seconde. L’intronisation aura lieu à Mexico et ce sera le début d’une vie de globe-trotteuse entre Los Angeles, Rio, Séoul, Tokyo... Voici Hidalgo portée par tous ses confrères, du Londonien Sadiq Khan au Pékinois Wang Anshun, sans compter les nouvelles stars de la lutte écolo, Arnold Schwarzenegger, l’ex-gouverneur bodybuildé de Californie, Leonardo DiCaprio et son curieux associé, Milutin Gatsby, qui la convainc presque de créer à Paris un business de panneaux solaires. L’édile ne touche plus terre. Sa ville à elle devient presque irréelle. Dieu qu’ils sont loin, les tracas des Parigots, les bouchons, l’insécurité, la propreté naturellement dégradée quand les éboueurs ont un taux d’absentéisme de 20 % et qu’un tiers des véhicules de nettoyage est immobilisé le temps de trouver des alternatives au diesel. Hidalgo, contrairement à Delanoë, ne rentre pas forcément dans les détails. Ce matin pluvieux d’automne, je lui demande si ses voyages ne l’ont pas un temps coupée de ses administrés. Elle se raidit dans son pantalon de cuir : « Comment ça ? Croyez-vous que j’aurais pu relever Paris en restant dans mon fauteuil ? » Il est vrai qu’à peu près au même moment, Hidalgo se lance dans la course aux Jeux olympiques. Elle avait d’abord dit qu’elle n’en voulait pas, pour ne pas heurter les écolos opposés à cette gabegie, et ne pas risquer,


HENRI GARAT / SOPHIE ROBICHON / JOSÉPHINE BRUEDER

surtout, un nouvel échec, après deux candidatures parisiennes rejetées. Mais la maire a changé d’avis, un rapport de ses services l’y encourage. Après tout, une victoire redonnerait de l’espoir à sa ville. L’été 2015, elle se prépare soigneusement, travaille son anglais de fin de sixième si souvent moqué dans l’émission « Quotidien » de Yann Barthès, peaufine sa stratégie. Ses jeux seront « verts » et les sportifs, rassemblés autour de l’ancien rameur Tony Estanguet, seront mis en avant, avec le soutien de personnalités comme Muhammad Yunus, le père bangladais du microcrédit, prix Nobel de la paix, et d’un allié surprise nommé Nicolas Sarkozy. Avec lui, c’est la lune de miel, au désespoir de quelques élus parisiens. « Nicolas dit toujours qu’il l’aime beaucoup, soupire l’un d’eux. Incompréhensible... » Il y a évidemment cette passion du football, partagée dans les tribunes ou dans l’avion du PSG, ces liens tissés au fil des commémorations, des inaugurations, des serres d’Auteuil ou d’une rue baptisée en souvenir d’une victime de Mohammed Merah. Hildalgo n’oublie jamais d’inviter Sarkozy, de lui ouvrir les portes de l’Hôtel de Ville afin d’accueillir la soirée caritative qu’il préside pour financer la recherche sur les cancers des enfants. Il y a de l’estime entre ces deux bêtes politiques qui carburent aux coups et à l’affect. L’ex-patron de l’UMP, alors en lice pour la présidentielle, bichonne l’alliée socialiste. Et Hidalgo se plaît à faire ainsi bisquer ses rivales : l’ennemie de la région, Valérie Pécresse, qui conteste en justice la fermeture des voies sur berges, et NKM, qui, au Conseil de Paris, alliée aux Verts, menace de faire capoter la tour Triangle, ce gigantesque projet immobilier prévu porte de Versailles. Personne ne le sait, mais Sarko a alors discrètement ordonné à ses colistiers, élus dans la capitale, de soutenir Hidalgo. La maire du VIIe arrondissement, Rachida Dati, a elle aussi été d’une précieuse aide sur ce dossier, comme sur beaucoup d’autres. Les deux femmes se sont liées durant la campagne muni­ci­pale de 2014, unies dans la détestation de NKM. Dati racontait les secrets de la droite, Hidalgo l’a aussi soutenue, grondant les militants qui déchiraient ses affiches, l’aidant à trouver la bonne école pour sa fille Zohra qu’elle élève seule. Solidarité de femmes, de classe contre les énarques et les grandes bourgeoises. Les vigiles de l’Hôtel de Ville ont pris l’habitude de voir la maire du VIIe arrondissement débouler sur ses stilettos. Dans l’aile de la mairie, en haut de l’escalier en marbre, on les entend parfois rire à tue-tête, dézin­guer les « petits cons », Griveaux et les autres, qui se croient capables de conquérir Paris. « J’aime la niaque de Rachida », note l’une. Et l’autre : « J’ai entendu, en 2014, des gens dire : “On

va se la faire, la Conchita”. Eh bien, Anne les a tous niqués. C’est une warrior. »

Entre Bernard Arnault et Che Guevara

E

lle s’est affûtée, à force de pédaler en salle dans un grand hôtel proche de la mairie. Elle a troqué ses jupes colorées pour des tenues plus sobres et prend de l’inspiration aux défilés Dior. Son joli sourire a appris à trancher, traiter avec les puissants. Tous la respectent. Xavier Niel apprécie « Anne » qu’il tutoie, heureux des projets noués avec la mairie : dans l’ancienne gare de la halle Freyssinet, rachetée 250 millions d’euros, il a bâti un gigantesque incubateur, Station F, et un complexe immobilier très rentable ; la tour Morland, acquise pour 133 millions d’euros, est une autre opération juteuse, menée avec le père de sa ­compagne, Bernard Arnault. L’imperator de LVMH n’a, lui aussi, pas à se plaindre : son palace, Cheval blanc, érigé sur la carcasse de la Samaritaine, va ouvrir rue de Rivoli au printemps 2020 et Hidalgo lui a cédé, à côté de sa fondation du bois de Boulogne, l’ancien musée des arts et traditions populaires, à l’abandon depuis 2005. « Le bois, ça va être Bernard Arnault land », ont protesté quelques élus, en vain. Hidalgo s’est autant démenée pour François Pinault, afin de dénicher un lieu qui l’incite à rapa­ trier sa collection d’art contemporain de Venise. L’ancienne Bourse du commerce lui a plu ; la maire a aussitôt mis le paquet, 86 millions d’euros pour la racheter, beaucoup trop selon le Canard enchaîné, mais Pinault s’est engagé à payer les travaux ainsi qu’une redevance durant la concession d’un demi-siècle. « Il est ravi, les choses ont été fluides », atteste son fidèle Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la culture. Hidalgo a compris qu’il fallait soigner les milliardaires, pour son image, pour le business, pour le patrimoine parisien cher à entretenir. L’amie Anne-Sylvie Schneider, ex-communicante de Delanoë, a eu

FEMME DU MONDE Avec les amis américains Leonardo DiCaprio, Barack Obama et Michael Bloomberg.

carte blanche afin de créer un fonds permettant de solliciter de riches mécènes pour la restauration de monuments. Les fontaines du rond-point des Champs-Élysées ont ainsi été restaurées par les frères Bouroullec pour 6,3 millions d’euros, grâce à la générosité, entre autres, des Dassault, des Houzé, propriétaires du groupe Galeries Lafayette, et du Qatar. « N’oublie jamais, l’argent et le pouvoir sont toxiques », murmure toujours le sage Esperet. Qu’il se rassure, Hidalgo retient aussi cette maxime du Che, son idole à qui elle a consacré une exposition à l’Hôtel de Ville : « S’endurcir sans jamais perdre la tendresse. » Elle maraude avec le Samu social, impose au riche XVIe arrondissement un centre pour SDF, préempte à prix d’or des appartements haussmanniens pour faire du logement social. Les audaces de Ian Brossat, son adjoint c­ ommuniste au logement,


l’enchantent, surtout quand il cogne sur Airbnb. « Coups de com’ », dénonce l’opposition. Pas seulement. Hidalgo se rend régulièrement au chevet des migrants qui déferlent dans Paris. Avec ou sans caméras, accompagnée parfois de personnalités comme Alexandre Jardin, ce zèbre d’écrivain très engagé, elle longe les campements de fortune, désarmée. Son grand-père, condamné à mort par Franco, fut lui aussi un réfugié en France. Elle vit depuis toujours avec cet aïeul qu’elle n’a pas connu, mais dont elle a retrouvé trace, dans les archives, grâce à l’aide de son ami Pedro Sánchez, le chef du gouvernement espagnol. Rester les bras croisés lui est intolérable. Dès 2016, elle charge son adjointe à la solidarité, Domi­nique Versini, de se rendre dans d’autres zones sous pression migratoire, à Berlin notamment : « Je rentre en disant à Anne qu’on doit monter un centre humanitaire. Elle m’appelle en octobre 2016 et me dit : “On le fait, je convoque une conférence de presse dans deux heures.” » Comme souvent, annonce faite sans préparation... l’intendance suivra. Et parfois, ça marche : un grand bâtiment baptisé « la bulle » surgit en trois mois porte de la Chapelle, refuge salutaire mais temporaire, en attendant que Hollande se réveille. Lui, Hidalgo ne l’épargne guère. Les camarades du PS ont pourtant été proches, au point qu’une mauvaise rumeur les disait amants, parents d’un enfant caché. Les deux en ont souffert ; lui a eu droit aux foudres de Ségolène, Hidalgo a dû rassurer son petit dernier, Arthur, quand, au seuil de l’adolescence, il a découvert la boue des réseaux sociaux. Ce fut rude ; il n’était pas encore ce beau gaillard, étudiant en sport études, capable à 16 ans de traverser la Manche à la nage. Son père aussi a affronté, durant sa campagne, des moqueries qu’il raconte avec simplicité : « On me disait : “Alors, il va bien le fils de François ?” » Enfin, ça n’a jamais entaché le combat politique ; Hollande, en 2012, a même proposé à Anne Hidalgo le ministère de la culture. Puisqu’elle ne voulait pour rien au monde renoncer à Paris, il l’a soutenue et l’a aidée à renforcer ses pouvoirs de maire, en étendant un peu ses prérogatives sur la police, en fusionnant les arrondissements du centre de la capitale. Mais au même moment, le président baissait les dotations aux collectivités locales... Premières étincelles avant la colère, lors du projet de déchéance de nationalité. Hidalgo menace de déchirer sa carte du PS, révoltée contre ce président qui « flirte avec le FN » et la laisse seule face à la crise des migrants. Où est la gauche ? s’interroge-t-elle alors, avec son époux. Jean-Marc Germain, qui a planché sur le programme économique de Hollande, est allé le voir pour le convaincre

de rosir un peu sa politique, desserrer l’étau de Bruxelles, relancer au moins les emplois aidés. À l’Assemblée aussi, il a tenté d’infléchir la ligne avec ses camarades dits « frondeurs », comme il le raconte dans Tout avait si bien commencé (Éditions de l’Atelier, 2015). Il avait candidaté pour le ministère du travail au départ de François Reb­sa­ men. Mais Hollande a préféré nommer une proche collaboratrice d’Anne, Myriam El Khomri, son ancienne porte-parole, son adjointe à la sécurité, celle qu’elle appelle « ma petite sœur ». Suprême outrage. La jeune élue a été illico rayée du paysage. Plus un mot, plus un regard, l’œil andalou peut devenir polaire, ignorer superbement sans aucune gêne. Caramba, on est pour ou contre Hidalgo.

Guerre froide avec Macron

E

lle l’appelle « le traître » dans tout Paris, alors qu’il n’est qu’un jeune ministre de l’économie. La maire de la capitale raconte partout qu’Emmanuel Macron n’a pas tenu parole lors du vote de la loi sur le travail du dimanche. Il lui avait promis qu’il la laisserait définir les douze zones ­commerciales ouvertes le jour du Seigneur. Au dernier moment, il a préféré décider luimême. L’édile humiliée a saisi le conseil constitutionnel, et gagné. C’était pour la forme car sur le fond, des arrêtés seront pris pour autoriser au maximum l’ouver­ ture des commerces le dimanche. Elle n’a jamais digéré ce mauvais coup macronien. Son entourage tente de calmer le jeu, les copains communs, Xavier Niel entre autres, chercheront à les rabibocher. En vain. L’ancien banquier d’affaires est même rendu co-responsable de « l’immense gâchis » du quinquennat. « Il est l’incarnation de la reproduction sociale des élites. Je n’ai perçu dans son travail quotidien ni une modernité qui m’aurait éblouie ni un rapport à la démocratie qui me donne confiance », déclare Hidalgo en janvier 2017, dans une interview au Monde. Pourquoi charge-t-elle ainsi publiquement, elle qui, d’habitude, reste en dehors de la politique nationale ? Songe-t-elle alors à la présidentielle ? « Non, jamais », me jure-t-elle aujourd’hui, soudain tranchante. Mais à l’époque, certains la poussent, pas seulement les flatteurs : « Tu ferais tellement mieux que Hollande... » Anne pourrait rassembler jusqu’au centre, comme elle le fait à Paris, porter ses thèmes habituels : la démocratie participative, l’économie numérique. Après tout, c’est elle qui a tôt voulu transformer sa ville en « start-up city ». C’est elle la reine du « en même temps », la copine de Sarko et de Benoît Hamon, son candidat pour 2017, la maire des pauvres et des milliardaires, la groupie de Leo et du Che.

Au fond, Hidalgo a été macronienne avant l’heure. Voilà que l’impudent mord sur ses terres. Il la grille, la ringardise et siphonne tout : son espace politique, jusqu’à ses forces vives. Anne les voit bien, tous, jeunes et vieux camarades, revenir éblouis d’une rencontre avec Macron. Philippe Grangeon, le communicant qui a fait sa campagne en 2014, plonge et entraîne l’ami Jean-Louis Missika au QG d’En marche ! Panique, la maire de Paris explose. « Anne m’envoie un message pour me dire qu’elle est profondément déçue, se souvient Missika, l’œil bleu taquin, dans la pénombre de son bureau. Moi, je vois en Macron une réin­car­na­tion de Rocard ; elle, de Giscard... Alors, je lui propose naturellement ma démission. Elle la refuse. » L’indis­pen­sable reste, sans renoncer à Macron, dont il devient, durant la campagne, l’un des porte-parole, chargé de l’innovation et du développement économique. D’autres le rejoignent, comme Pierre-Olivier Costa, le chef de cabinet d’Hidalgo, et Aurélien Lechevallier, son conseiller diplomatique. L’adjoint aux finances, Emmanuel Grégoire, est retenu

« Vous verrez. Vous serez déçus par Macron, ce mec est de droite, il va vous tromper ! » ANNE HIDALGO EN 2017 in extremis. « Vous verrez, siffle la maire. Vous serez déçus par Macron, ce mec est de droite, il va vous tromper ! » Sa langue si gentillette colporte alors les rumeurs. Mais le fiel n’y change rien. Bertrand Delanoë va annoncer, à son tour, son ralliement sur France Inter. Sa « chérie » l’appelle pour l’en dissuader. Il ne décroche même pas. Entre eux, le grand froid va durer des mois. Qu’ils tombent tous, comme des mouches, Hidalgo ne cédera rien. Pas question d’autoriser une fête au Champ-deMars pour la victoire du « traître » qui se replie alors au Louvre, propriété de l’État. Anne Hidalgo refuse même de se rendre à l’Élysée le jour de la passation de pouvoir. Elle prétexte une audition inratable devant le Comité olympique, à l’hôtel Pullman. En réalité, dans sa chambre, elle prépare le discours qu’elle doit prononcer, ce 17 mai 2017, en l’honneur du nouveau président. Sur le brouillon, les mots fusent, pas franchement


aimables. Ses proches manquent de s’étrangler, Vernat, le « conseiller spécial » suggère, tremblant, d’adoucir un peu la prose. « Pourquoi donc ? » s’emporte l’Andalouse. Elle s’avance, cheveux lisses et robe noire, dans la somptueuse salle des fêtes de sa mairie, réplique de la galerie des Glaces. Grande inspiration face à Emmanuel Macron : « Avec votre élection, la France s’éloigne du pire... L’histoire de Paris nous enseigne que les relations entre l’État et la ville capitale ont toujours été complexes. » Rien sur l’incroyable campagne, la victoire triomphale, avec près de 90 % dans la capitale. Hidalgo donne une leçon à Jupiter, 19 minutes interminables, son action au C40 et à Paris, dans les moindres détails, jusqu’aux « ateliers périurbains et aux espaces de co-working ». L’assemblée baille, Brigitte Macron hallucine. Enfin, Hidalgo en termine : « Paris n’a peur de rien. » Au dernier moment, elle a renoncé à ajouter : « ni de personne ». Derrière les maladresses, perce la peur que tout s’effondre, En marche ! s’apprête à rafler quasiment tous les sièges des députés PS de Paris. Que lui restera-t-il dans ce nouveau monde ? Aujourd’hui, elle confesse du bout des lèvres : « Oui, ce fut un séisme. » À l’époque, elle se crispe en écoutant le discours présidentiel, ces mots brillants ins-

« Anne, tu avais peut-être raison avant tout le monde. » SES ADJOINTS DE LA MAIRIE DE PARIS EN 2019 pirés par Missika, avec – comble du supplice – un hommage pour sa gestion des attentats. « J’ai admiré la façon dont vous avez fait front pour incarner une ville debout », insiste Macron. C’est sa leçon à lui, de savoir-vivre. Le chef de l’État fend la foule, tête haute, blessé. Le soir même, il débauche un autre pilier de l’Hôtel de Ville, la secrétaire générale adjointe, Anne de Bayser, pour la même fonction à l’Élysée. Anne Hidalgo l’ignore quand elle le rejoint au palais le lendemain pour accueillir le comité international olympique. Pour les jeux, dont la victoire est alors acquise, ils feignent la bonne entente. En réalité, c’est la guerre. Hasard auquel Macron peine à croire, le premier scud contre son pouvoir est tiré de l’Hôtel de Ville. Le jeune conseiller presse d’Hidalgo, Matthieu Lamarre, ex-communicant du Modem, employé à Bruxelles, a déclenché, par son témoignage, l’enquête sur les emplois fictifs du parti centriste. François

Bayrou, alors garde des sceaux, est contraint de démissionner tout comme ses collègues de la défense et des affaires européennes, Sylvie Goulard et Marielle de Sarnez. Remaniement dans l’urgence. La maire de Paris nie évidemment toute implication. Mais des proches se souviennent alors l’avoir vue se réjouir. À l’Élysée, personne ne la croit innocente, a minima la maire a poussé à la confession son collaborateur curieusement parti depuis pour un tour du monde. Hidalgo le paiera cher, quand elle demandera de l’aide pour évacuer les camps de migrants ou renforcer les effectifs de police dans sa ville. Le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, prendra un malin plaisir à la faire mariner, sur ordre présidentiel.

Fiascos et renaissance

C

et été 2017, elle part se changer les idées à Saint-Tropez. Leonardo DiCaprio l’a invitée au gala de sa fondation, organisé dans l’enchanteur domaine de Bertaud-Belieu. L’acteur lui remet son trophée, une grosse boule en verre, pour honorer son action en faveur du climat. Quelle soirée, entre Pené­lope Cruz, Bradley Cooper, Lenny Kravitz et Madonna, si contente de parler de son amour pour Paris. Soudain, une main rugueuse sur son épaule : « Dis, Anne, tu te souviens de moi ? » Elle frémit : c’est Marcel Campion, le roi des forains, celui qui, en 2014, a animé son comité de soutien, organisé des pots sur ses manèges, illuminé les Champs-Élysées à son bras. « Elle était adorable, elle m’embrassait comme du bon pain. » Mais depuis que la justice s’est intéressée aux conditions dans lesquelles la mairie de Paris lui a donné l’autorisation d’installer sa grande roue place de la Concorde, Hidalgo a coupé les fils. Sa mise en examen pour recel de favoritisme a rendu le forain infréquentable. Il le sait, en souffre : « Anne, insiste-t-il, pourquoi tu ne me parles plus ? » Cette apparition est comme un avant-goût du cauchemar qui l’attend. Soudain, des mois durant, tout lui revient en boomerang. La justice annule la piétonnisation des voies sur berges, mesure phare de la mandature. Il faudra trouver, in extremis, un autre argument juridique – la préservation du patrimoine – pour éviter le retour des voitures, continuer à dire qu’on respire mieux dans Paris. Un autre front s’ouvre avec Vélib’, ce service de vélos en libre-service jusqu’ici efficace. La mairie de Paris, tenue de renouveler l’appel d’offres, a remercié le prestataire historique, JCDecaux, au profit d’une start-up montpelliéraine moins chère sur le papier. Seulement, personne n’a été vérifier sa fiabilité et les nouveaux vélos ne fonctionnent

pas, ou mal. Autre fiasco, Autolib’, le service d’autopartage lancé en 2011 avec Vincent Bolloré. Las des résultats décevants, des déficits accumulés – en raison notamment de la concurrence des VTC –, le magnat s’est mis en tête de faire payer la mairie de Paris en s’appuyant sur le contrat initial. Des fonctionnaires de la ville ont vu arriver la catastrophe, tiré la sonnette d’alarme, sans savoir comment agir, d’autant que l’industriel n’a pas toujours joué franc-jeu. Le rapport provisoire de la chambre régionale des comptes soulignera le manque de transparence, les objectifs démesurés, la « politique commerciale incohérente, des frais de holding injustifiés. » Au printemps 2018, les courriers sont comminatoires : Bolloré, chargeant la barque, réclame 175 millions d’euros. Hidalgo croit pouvoir le raisonner en tête à tête, il la retourne. La maire, prête à tout pour maintenir le service d’autopartage, semble disposée à lâcher près de 160 millions d’euros. « Folie », hurlent ses adjoints qui, sous peine de démissionner, l’obligent à rompre le contrat. Autolib’ s’arrête, Bolloré attaque en justice. L’affaire risque de coûter cher aux contribuables. Ainsi les fameuses « circulations douces » patinent, avant l’inva­sion folle des trottinettes. Aucun parent ne songerait à lâcher la main de son enfant dans les rues de Paris. Un jour viendra, s’accroche-telle. En attendant, c’est la grande pagaille et les automobilistes vivent un enfer, le prix des parkings a triplé, les amendes aussi, les contrôles automatisés font scandale. Haro sur Hidalgo. Notre-Drame de Paris, le brûlot d’Airy Routier et Nadia Lebrun (Albin Michel, 2017) se vend à plus de 40 000 exemplaires. La presse se déchaîne, la haine dégorge sur Twitter. Et Marcel Campion, qui a remonté sa grande roue aux Tuileries, pose désormais avec Brigitte Macron. On dirait qu’ils veulent tous sa peau. L’édile se bunkérise. Son fidèle Vernat se demande comment la consoler, l’œil fixé sur le grand graffiti « n’importe nawak » accroché dans son bureau. Son mari loue toujours sa politique écolo, même s’il a failli se tuer à vélo après avoir heurté un camion. Les côtes cassées, il continue de cuisiner pour elle et de jouer du piano. « Anne est un peu déstabilisée bien sûr, se souvient-il. Mais elle garde toujours le moral. » Ses collaborateurs, eux, dépriment. Ils ne rient plus quand leurs amis, leurs voisins, demandent : « Alors, tu travailles toujours avec cette folle ? » Esperet, le philosophe tatoué, plie bagage. Même le solide premier adjoint, Bruno Julliard, craque. Il prépare sa sortie, avec la complicité de Philippe Grangeon et de Bertrand Delanoë. Démission fracassante, avec une rude interview dans Le Monde : « Je


EN SON PALAIS

PATRICK SWIRC

Anne Hidalgo à l’Hôtel de Ville en novembre 2019.

n’y crois plus, lâche-t-il. Je ne peux plus faire semblant. » Il dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Jean-Louis Missika, revenu à plein temps faute d’avoir obtenu un poste en macronie, désespère aussi. Il prépare un plan B. Au cours d’un déjeuner avec son copain mathématicien, Cédric Villani, l’ancien président du comité de soutien d’Hidalgo, il lui suggère de se lancer à la conquête de Paris. « C’est vrai, bredouille l’adjoint à l’urbanisme, avant de noter, sacré sioux : “A posteriori, n’était-ce pas un coup de génie ?” » Il est vrai qu’aujourd’hui, l’horizon est moins sombre. L’éclaircie est arrivée doucement lorsque la macronie a commencé à vaciller, avec l’affaire Benalla, la démission de Nicolas Hulot puis de Gérard Collomb aussitôt gratifié d’un petit mot d’Hidalgo : « Cher Gérard, heureuse de te retrouver parmi nous. » Enfin, la fin du philtre. Et puis les Gilets jaunes ont fait trembler Jupiter, qui n’a même pas appelé Hidalgo quand Paris brûlait. Voilà la crise sociale qu’elle avait tôt prédite... Ses adjoints la regardent de nouveau avec admiration, disent : « Anne, tu avais peut-être raison avant tout le monde. » Elle incarne aujour­ d’hui la résistance au pouvoir, une vieille tradition parisienne, se plaît-elle à rappeler. Doucement, quasi naturellement, sont venus à elle tous les déçus, les récalcitrants, les écartés du nouveau monde. Parmi eux, le président de l’Association des maires de France, François Baroin, qui confie : « Anne et moi avons tissé une vraie complicité. Nous avons la conviction que le macronisme et son fonctionnement ultra-centralisé ne correspondent pas à la France. »

Il fallait les voir au Conseil de Paris, tous les chiraquiens réunis derrière Hidalgo, pour un dernier hommage au grand Jacques. « L’âme de Paris pleure son premier maire, a-t-elle déclaré. Il sera à jamais notre maire. » Bertrand Delanoë, qui boudait la cérémonie, a failli s’étrangler. Anne est décidément capable de tout. Ce samedi 9 novembre, à l’aube, nous roulons vers Colombey-les-Deux-Églises, elle ne rate jamais la commémoration de la mort de De Gaulle. « Le général a toujours été un exemple de courage. » La conversation file devant la campagne glacée. À l’entrée du cimetière apparaît le conseiller mémoire de Macron, Bruno Roger-Petit, l’ancien éditorialiste du magazine Challenges qui l’a jadis étrillée, la comparant carrément à Mao Zedong. Hidalgo le toise. Plus tard, elle confiera, froide : « Vous savez, ils ont tous cru que j’étais finie. » La coriace a remonté la pente. Elle a changé son équipe, embauché comme directeur de cabinet un fin limier du Conseil d’État, Frédéric Lenica, nommé premier adjoint le combatif Emmanuel Grégoire, et promu cheffe de l’administration une énarque de haut vol, Aurélie Robineau-Israël. Ses services ont bien cravaché avant les élections : les travaux se terminent, les éboueurs s’activent, les pistes cyclables fonctionnent. La capitale respire, plus personne ne songe à rouvrir les voies sur berges, la circulation automobile diminue, l’émission de particules fines aussi, doucement, selon Airparif, l’organisme qui surveille chaque jour la qualité de l’air. Désormais, la maire ne laisse plus rien passer. « C’est quoi ce bordel », textote-t-elle à la vue d’une rue pleine

de poubelles. Elle annonce la création d’une police municipale, après s’y être farouchement opposée. Vite, il faut briser l’image de dilettante et de pasionaria anti-bagnoles. Son ami Jean Todt, l’ancien pape de Ferrari, avec qui elle a lancé une course de formule électrique dans Paris, l’a embarquée au dernier salon de l’automobile. « Elle n’est pas contre la voiture, plaide-t-il. Mais contre la pollution. » Quelques mois avant sa chute, le PDG de Renault-Nissan, Carlos Ghosn, l’a aussi aidée à gommer le fiasco d’Auto­ lib’ en signant un partenariat pour un système d’autopartage. Anne ­Hidalgo sera la première à lui adresser un message de soutien, par l’entremise de l’ambassadeur français à Tokyo. Grâce à l’ami Sarkozy, elle a fait la paix avec Vincent Bolloré. Sa nouvelle plume, Antoine Leiris, le journaliste-romancier endeuillé depuis l’attentat du Bataclan, cisèle ses discours. Et discrètement, les liens ont été retissés avec la presse, Le Parisien notamment, après une rencontre avec son propriétaire, Bernard Arnault. Les articles sont moins durs, son mandat est désormais jugé plutôt bon, malgré l’endettement colossal de près de 6 milliards d’euros. Voilà, le « Hidalgo bashing » est passé de mode. La maire est désormais pressée d’affronter ses rivaux qu’elle connaît tous : Gaspard Gantzer a débuté à l’Hôtel de Ville, Cédric Villani l’a soutenue, Benjamin Griveaux, quand il œuvrait pour le promoteur Unibail, a négocié avec elle la tour Triangle, sans parler de l’amie Rachida et de l’ancien complice infréquentable, Marcel Campion. Leurs débuts de campagne la galvanisent. L’œil noir dans sa boule de verre, elle souffle : « Paris rend fou. » �


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