----- Amérique latine -----
Les enfants momies de la cordillère des Andes
La momie surnommée “Niño del Cerro Plomo”
L’un des enfants retrouvés au sommet du volcan Llullaillaco, en cours d’étude.
DES ENFANTS AU STATUT ÉLEVÉ
© José Fontanelli - Flickr - CC BY 2.0
© Archivo fotográfico Museo Nacional de Historia Natural de Chile
Les enfants sacrifiés aux dieux sont enveloppés d’une étoffe et pourvus de divers ornements de prestige devant les accompagner jusque dans l’autre monde. Ce traitement témoigne de leur statut élevé et de leur rôle dans la société par leur mise à mort. Parmi les artefacts se trouvent souvent des objets en spondyle, un coquillage couleur rouge sang issu des eaux chaudes équatoriennes. Obtenu par commerce, il était un symbole aquatique de fertilité très répandu.
l’exceptionnel état de conservation du corps de l’enfant. Provenant de la zone archéologique de Piedra Numerada, un espace composé de plusieurs structures funéraires regroupées, la dépouille fut extraite au cours de ce qui s’apparenterait de nos jours à un “pillage local organisé”. Délaissée au profit des artefacts précieux accompagnant le corps de l’enfant, la momie fut dans un premier temps abandonnée, avant d’être vendue et exposée dans un musée. Ce n’est qu’à partir de ce moment que le grand public découvrit l’existence de cet enfant inca dont le corps momifié présentait un degré de conservation tel qu’il semblait être décédé peu de temps auparavant.
Si les momies incas des Andes ont gardé l’expression de leur visage et un corps intact, cela n’est dû qu’aux processus physiques régnant au sein du congélateur naturel dans lequel elles furent déposées. 122
Par la suite, plusieurs découvertes similaires se succédèrent, dont le corps préservé de Juanita, aussi surnommée la Vierge des Glaces. Exhumée en 1995 par Johan Reinhard et son équipe sur les pentes du volcan Ampato, dans le sud du Pérou, elle relança l’engouement autour des momies incas et du mystère entourant leur spectaculaire conservation. Poursuivant sur sa lancée, et avec le soutien institutionnel de la prestigieuse National Geographic Society, Johan Reinhard publia en 1999 le récit de la plus grande découverte effectuée à ce jour de sacrifices d’enfants dans la cordillère des Andes. La parfaite préservation des dépouilles, l’histoire de ces jeunes sacrifiés précédant leur mise à mort et les soins dont ils avaient fait l’objet constituèrent une source de documentation inestimable pour les archéologues, permettant de mieux cerner les circonstances de ce rituel préhispanique.
Une conservation miraculeuse ? C’est donc au sommet du volcan Llullaillaco, sur une crête rocheuse à 6712 m d’altitude, que les trois corps d’enfants, enveloppés avec soin, furent sortis de leur tombeau de pierres et de gravats. Dans cet environnement extrême, où la température moyenne oscille autour de -20 °C, avec
un rayonnement solaire intense et une raréfaction de l’oxygène, une activité bactérienne ralentie et une absence totale d’insectes nécrophages, les conditions climatiques ont permis une préservation optimale des dépouilles. Car, à la différence des momies égyptiennes, dont étaient retirés les viscères et les fluides corporels avant de les enduire d’un onguent et de les recouvrir de bandelettes afin de conserver les chairs, les exemplaires incas ne présentent aucune manipulation visant à favoriser cette préservation exceptionnelle. D’autant que, selon les témoignages issus des chroniques espagnoles, certains de ces sacrifiés étaient placés dans un état de conscience altérée avant d’être enterrés... vivants ! Si les momies incas des Andes ont gardé l’expression de leur visage et un corps intact, cela n’est dû qu’aux processus physiques régnant au sein du congélateur naturel dans lequel elles furent déposées. Par l’action conjointe du soleil, du froid et de la faible pression atmosphérique à cette altitude, les dépouilles subissent une dessiccation globale, en grande partie par sublimation de l’eau contenue dans le corps (sans passer par la phase liquide, les cristaux de glace passent à l’état gazeux). Au fil des années, les chairs sont progressivement et naturellement lyophilisées, les dépouilles demeurant parfaitement conservées, tant
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dans leur apparence anatomique que dans leur position d’inhumation. L’étude du cas des momies du Llullaillaco a également permis d’en apprendre davantage sur le traitement ante et post-mortem des enfants sacrifiés. L’analyse de leur contenu gastrique ainsi que la couche de graisse présente sous la peau indiquent que les futures victimes ne souffraient d’aucune sous-nutrition. Le long de l’ascension de la pente du volcan marquant la frontière entre le Chili et l’Argentine, Johan Reinhard et son équipe identifièrent trois niveaux de campements temporaires, probablement aménagés afin de faciliter la procession rituelle jusqu’au sommet. Enfin, sur une crête dominant le paysage et offrant un panorama complet sur cette région de la cordillère des Andes, une plate-forme funéraire fut construite à plus de 6700 m afin d’accueillir et de préserver pour l’éternité les corps des sacrifiés. Grâce aux conditions environnementales et au manque d’oxygène à cette altitude, les efforts fournis par les officiants sont à la hauteur de la sacralité de l’événement. Ces hauts sommets, appelés Apu en quechua, représentaient pour les populations incas la demeure des divinités et, de fait, étaient considérés comme des espaces sacrés. Ces dieux montagneux étaient censés veiller sur les groupes installés à proximité et organiser les différents aspects de la vie locale. Ils contrôlaient notamment l’approvisionnement en eau douce issue des rivières qui coulent sur leurs pentes ainsi que l’arrivée des pluies fertilisantes, éléments essentiels à la croissance des plantes et à la reproduction des animaux. Offrir à ces entités telluriques des sacrifices humains d’enfants en pleine forme et débordant d’énergie était une manière pour les populations préhispaniques de s’assurer la bienveillance de leur protecteur. En déposant ces jeunes victimes dans les neiges sacrées, ils nourrissaient la