Mengzhi Zheng, New Scale, Espace Verney-Carron, Lyon

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Mengzhi Zheng New Scale Espace Verney-Carron, Lyon 27. 05 > 31. 08. 2015 commissariat : Alexis Jakubowicz


A l’heure où il faudrait passer la machine critique et curatoriale en mode communication pour annoncer l’exposition solo de Mengzhi Zheng à l’Espace Verney-Carron, l’image des immeubles en ruine de Katmandou donne un tour féroce à ses œuvres.

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PLIER D ’ U N C ÔT É

PLIER D E L’A U T R E

C O N TAC T AU SOL

AJUSTER LES PLIS POUR FORMER LA SCUPTURE D E PA P I E R .

New Scale, qui signifie littéralement nouvelle échelle, est construit sur un ensemble de recherches portées par le tout jeune artiste sur des espaces ou des situations bâties considérés comme inframinces, précaires ou transitoires. Au cours de ces dernières années, Mengzhi Zheng a développé un lexique para-architectural pour nommer des formes qui donnent inlassablement rendez-vous à l’absence : ses « espaces non-habités », « inarchitectures », « photographies mentales », « espaces non-fonctionnels » et « traversées sensorielles » sont les contreparties d’un monde urbanisé à plusieurs vitesses, qui voit d’un côté émerger des villes toujours plus brillantes, établies sur plan et connectées, et de l’autre des villes organiques dont les devenirs sont écrits dans l’urgence de ceux qui les vivent et qui sont trop souvent les premières à tomber. Ainsi de l’esthétique des Maquettes abandonnées, dont on dirait que la mer a charrié les dessins au hasard comme elle le fait ailleurs des amas de déchets qu’on retrouve sur la plage. A l’échelle de ces radeaux d’infortunes, un souffle serait comme une tornade. Et pourtant se dégage de cette périlleuse légèreté toute la magie du geste de Zheng, qui monte ces formes en mikado avec une certaine poésie. Cette fragilité faite forme se déploie dans l’espace jusque dans la poche des visiteurs. Le carton de l’exposition est le patron d’une sculpture-cabane ajourée, qui permet de juger de l’adéquation entre le plan, sa maquette et son exécution. Le dessin des lignes posées sur le papier se retrouve

A VO U S DE JOUER !

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assemblée en arrêtes au centre de l’espace et ailleurs, en plus petite taille, simplement déposé sur une table. On y projette vite fait bien fait les images inconscientes d’enfants qui jouent à construire des royaumes merveilleux, de bâtisseurs publics qui conditionnent l’avenir de millions d’anonymes en quelques coups de crayons, de promoteurs privés qui charment les privilégiés sur plans pour leur vendre villas et appartement, de migrants entassés à nos périphéries ou bien de réfugiés qui ont vu leur maison balayé par les eaux, de mauvais vents ou violents tremblements.

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New Scale, qui devait augurer l’Espace Verney-Carron une forme de simplicité et de mobilité, se transmue il est vrai en exercice de relativité. L’Espace, qui a hérité de la vision de Georges Verney-Carron en faveur d’une esthétique et d’une éthique urbaine, constate à travers l’œuvre de Mengzhi Zheng combien ses engagements sont d’actualité et doivent se porter plus avant, à tous les niveaux — sociaux, politiques, économiques, culturels et environnementaux — de la chose publique. Alexis Jakubowicz 2


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Chambre 16 — lit, 2009. Photographie, 186 x 42 cm

Pli / Dépli, 2015 Structure bois. 550 x 375 x 224 cm

Pli / Dépli, N°1, N°2, N°3, 2011 Assemblage bois, 100 x 50 x 52 cm, 98 x 80 x 52 cm, 80 x 80 x52 cm

Sans titre, 2009 Pointe sèche et eau-forte, 41,5 x 29,5 cm chaque

Pli / Dépli, 2015 Maquette. Bois, agrafes, papier 110 x 75 x 42 cm

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Chambre 16 — lit, 2009 Photographie, 186 x 42 cm

Pli / Dépli, N°1, N°2, N°3, 2011 Assemblage bois, 100 x 50 x 52 cm, 98 x 80 x 52 cm, 80 x 80 x52 cm

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Untitled Light, 2009 Photographie, 49 x 137 cm

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Deux questions à Mengzhi Zheng Propos recueillis par Alexis Jakubowicz

Comment et pourquoi t’intéresses-tu à ce que tu nommes les « inarchitectures » ou « espaces construits non-construits » ? Le fait que je sois né en Chine a certainement son importance dans le développement de ma pratique artistique ; non pas que mon travail soit influencé par la culture chinoise, mais plutôt imprégné par une conscience de l’entre-deux ou encore d’un état transitoire. Je suis arrivé en France à l’âge de 7 ans et j’ai par conséquent fait toute ma scolarité dans ce pays — cette histoire personnelle est celle d’une traversée, qu’on retrouve dans mon usage des formes et des matériaux, c’est un premier décalage. Aussi, j’ai commencé par étudier le graphisme et ce n’est qu’à l’issue de ma formation que je me suis tourné vers les beauxarts. Les deux pratiques sont certainement liées, mais elles ont constituées pour moi, au début du moins, un second décalage. Lorsque je suis rentré à la Villa Arson, je me suis efforcé de tout oublier du graphisme pour ne pas prendre dans l’espace des réflexes que je pouvais prendre sur une feuille de papier ou un écran d’ordinateur. J’ai éprouvé le besoin, pour m’intéresser aux volumes, de faire table-rase du passé. Malgré tous mes efforts, je cherchais dans l’espace, peut-être malgré moi, les qualités processuelles du dessin. La forme m’importait davantage que les matériaux. Je me suis porté sur le carton parce qu’il permettait une exécution rapide pour un résultat immédiat ; le rapport carton/espace est aussi simple et efficace que celui stylo/papier. Petit à petit, je suis passé au bois, mais fondamentalement, on reste dans la même fibre. Ce qui me plaît, c’est la résonance de ces matériaux pauvres dans la mémoire collective. Quelle que soit la forme que l’on donne au carton ou au bois, dès qu’il s’agit d’un volume et n’importe où dans le monde on songe aux architectures rudimentaires, aux cabanes, aux abris qui n’abritent précisément jamais de rien.

J’ai pris conscience de cela lorsque je suis retourné en Chine, au cours de ma deuxième année d’étude à la Villa Arson. Le décalage dont je parlais a révélé toute sa dimension. Il y avait quelque chose qui me dépassait complètement. Les images que j’avais de mon pays d’origine étaient totalement fantasmées. J’ai tâché de déconstruire ce que j’ai vu là-bas dans un vocabulaire très générique. Car ce que j’ai vu en Chine, d’autres avaient bien pu le voir au Brésil, en Afrique ou en Asie du Sud-Est. Le « construit non-construit », l’ « inarchitecture », c’est le résultat des décalages, de ces traversées successives d’un continent à l’autre, d’un matériau à l’autre, d’une pratique à l’autre. Le tout est mêlé pour livrer, à travers la question de l’espace et du territoire, un commentaire minimal et distancié sur l’identité.

attentes de l’échelle. Ce n’est pas parce que la pièce est grande qu’elle doit être lourde ou imposante. J’aime l’idée de dissocier les qualités attendues d’une œuvre. C’est pour cette raison que le même patron trône au milieu de l’espace, qu’il existe dans une version soclée et encore dans une version papier qui tient à plat dans une enveloppe et montée dans le creux de la main.

Comment intervient la notion d’échelle dans ces conditions ? Les matériaux que je choisis dépendent aujourd’hui des contextes dans lesquels je travaille. Ce sont des paramètres spatiaux qui déterminent si je vais utiliser le papier, le carton ou le bois. Sur une table, je travaillerais plutôt le papier car la surface de manipulation est moindre. A l’échelle de mon atelier ou de mon appartement, je peux me permettre d’aborder le carton. Mais je ne pouvais entrer dans l’Espace Verney-Carron avec ces matériaux uniquement. La surface disponible m’imposait de passer au niveau supérieur, j’ai donc travaillé le bois. L’espace requiert des conditions, les conditions déterminent l’échelle. L’échelle n’est donc pas que formelle, elle est contextuelle. La galerie demandait une meilleure assise pour une meilleur occupation du volume. Je fais donc les choses en cherchant à savoir comment le regardeur peut s’en saisir, les traverser, soit par les yeux, soit par le corps. J’aime l’idée du va et vient entre le physique et le mental. Cela revient dans ma pratique à déjouer les 7


Sans titre, 2015 3 dessins au crayon noir sur papier, 29,7 x 40 cm chaque

N°4, 2015 Bois, papier, carton, cordelette, carton plume, 46 x 24 x 31 cm

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N°4, 2015 Bois, papier, carton, cordelette, carton plume 46 x 24 x 31 cm

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N°1, 2014 Bois, papier, carton 18 x 18 x 45 cm

N°6, 2014 Bois, papier, carton plume, plâtre 32 x 46 x 27 cm

N°7, 2014 Bois, papier, tarlatane, cordelette, plâtre 50 x 27 x 40 cm 10


N°6, 2015 Bois, papier, carton, carton plume. 27 x 24 x 31 cm

N°5, 2015 Bois, papier, tarlatane, carton plume 36 x 24 x 32 cm

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N°7, 2015 Bois, papier, carton, carton plume, tarlatane 24 x 25 x 35 cm

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Maquettes abandonnées, 2015

N°7, 2015 Bois, papier, carton, carton plume, tarlatane 24 x 25 x 35 cm

N°1, 2015 Boisn papier, carton 33 x 17 x 17 cm

N°8, 2015 Bois, papier, carton, carton plume, tarlatane 28 x 29 x 29 cm

N°2, 2015 Bois, papier, carton, carton plume, cordelette 43 x 17 x 11 cm

N°6, 2015 Bois, papier, tarlatan, carton 36 x 24 x 32 cm

N°3, 2015 Bois, papier, tarlatan, carton 54 x 18 x 18 cm

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Note sur les « maquettes abandonnées », série 2014, par Jean-Louis Poitevin*.

AGIR L’ESPACE

Vue de l’exposition collective Cosmic Players avec Marion Charlet, Élodie Fradet et Sandra Lorenzi, galerie martinethibaultdelachatre, du 02 au 20 septembre 2014, commisariat : Basserode.

Notre conception de l’espace, et de l’espace habitable ou à habiter en particulier, est conditionnée par cette histoire pendant laquelle l’homme a construit ses maisons et au milieu de laquelle nous vivons. Cette histoire connaît un basculement radical depuis quelques décennies, période durant laquelle, nous sommes passés de l’espace construit au « junkspace », pour reprendre l’expression proposée par Rehm Koolhaas pour nommer la mutation du statut de l’espace à l’oeuvre dans les mégapoles. Un espace habitable est un ensemble de repères permettant de s’orienter et qui ont pour finalité d’offrir à ceux qui y vivent la sensation profonde que cet espace peut devenir leur territoire, c’est-à-dire le domaine dans lequel il peuvent vivre sans crainte. L’espace habitable, maison, village ou ville est construit comme une protection contre des dangers et plus globalement contre la peur. Mais la très grande ville, elle qui parvient à éloigner la plupart des sources d’angoisse ou de peur, le fait au prix d’un effacement du recours, dans son organisation intime, à une certaine forme d’unité, d’équilibre, d’harmonie, éléments qui jouaient un rôle central, quoique souvent de manière implicite, dans la conception de l’espace.

Aujourd’hui, penser l’espace habitable, celui de la ville comme celui de la maison, celui des murs extérieurs comme celui de l’aménagement intérieur, est un geste mental qui se heurte à ce double constat, de l’envahissement du monde par le junkspace et de l’enfermement de l’habiter dans des formes moins utilitaires que dégradées d’un espace à la fois réel et impossible. Mengzhi Zheng, en réalisant chez lui dans son salon avec des matériaux « pauvres » qu’il rassemble (bois de cagette, carton, carton plume, cordelette etc...) et qu’il garde à portée de la main, sept maquettes qu’il nomme des « maquettes abandonnées », semble non seulement prendre acte de cette tension actuelle autour de la question de l’espace mais en faire le moteur de sa réflexion. Ces maquettes n’ont pas vocation à être réalisées à une échelle humaine ce qui n’exclut pas la possibilité qu’elles le soient un jour. Il faut plutôt envisager ces maquettes comme des structures de projection mentale, comme une invitation à une traversée et à une expérimentation d’un espace troué, mité, mais léger et aérien. Elles répondent à une esthétique du « bien fait mal fait » qui pourrait nous faire penser de loin à Robert Filliou, en particulier par leur exécution rapide et improvisée, chaque geste étant accompli par rapport au geste qui le précède. On pourrait ainsi arguer que ces séries de gestes sont comme une improvisation portée par l’idée d’une traversée de l’espace, traversée qui serait en même temps, et le geste qui le « construit » et celui qui déjà l’efface ou l’abolit.

C’est peut-être, dans ce cas, une manière de prendre en charge d’un point de vue de lilliputien, l’angoisse profonde que génère le junkspace, et en inventant des sortes d’habitats non habitables, de montrer que ce qui importe dans l’espace, c’est ce mouvement de déplacement par lequel se manifeste à la perception et au vécu ces « espaces entre deux » ? Là où, dans la réalité, les besoins des hommes les conduisent à réaliser à taille inhumaine ces espaces « entre-deux », à en faire le prototype absolu du cadre de vie, Mengzhi Zheng, lui, en fait le point de départ d’une approche ludique qui transforme cette dureté coupante du déchet glorifié en légèreté. Du cœur de cette série d’ambivalences qui régit la forme de ses maquettes - le vide et le plein, l’équilibre et le déséquilibre, l’habitable et le non habitable - il fait jaillir ces structures fragiles, qui par l’inévitable projection mentale qu’elle requièrent de nous, nous font éprouver des possibles nouveaux dans lesquels la maladie de l’espace se transforme en une sorte de baume et de pansement salvateur. — *Jean-Louis Poitevin, docteur en philosophie, écrivain et critique d’art. Publication en ligne TK-21 - LaRevue Arts, cultures et sociétés (n°38) www.tk-21.com

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Untitled Light, 2009 Photographie, impression sur papier satinĂŠ Llford contrecollĂŠe sur support pvc, 49 x 137 cm. Tirage : 3 ex. Encadrement bois sous verre.

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Chambre 16 — lit, 2009. Photographie, impression sur papier satiné Llford contrecollée sur support pvc, 186 x 42 cm, Villa Arson, Nice. Tirage : 3 ex, encadrement bois sous verre.

Daimlerstrass.32 — Horizon, 2010 Photographie, impression sur papier satiné Llford contrecollée sur support pvc, 155 x 30 cm, Francfort, Allemagne. Tirage : 3 ex, encadrement bois sous verre.

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Sans titre, 2009 Pointe sèche et eau-forte, 41,5 x 29,5 cm. Tirage 2013 : 10 ex. Encadrement bois sous verre.

Sans titre, 2009 Pointe sèche et eau-forte, 41,5 x 29,5 cm. Tirage 2013 : 10 ex. Encadrement bois sous verre.

Sans titre, 2009 Pointe sèche et eau-forte, 41,5 x 29,5 cm. Tirage 2013 : 10 ex. Encadrement bois sous verre.

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(im)matériel 01020304, 2015. Photographie, impression sur papier satiné Llford, contrecollée sur support pvc, 36x54 cm. Tirage : 3 ex.

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(im)matĂŠriel #sĂŠrie, 2015.

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Maison papier, 2010. Photographie, impression sur papier satinée Ilford, contrecollée sur support pvc, 40x50 cm. Encadrement bois sous verre. 3 ex.

Document numérique conçu suite à l’exposition Mengzhi Zheng, New Scale à l’Espace Verney-Carron, Lyon, 27. 05 > 17. 07. 2015 . Commisariat, Alexis Jakubowicz. Invitation de Georges et Archibald Verney-Carron. Photos Mengzhi Zheng © ADAGP

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