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Royauté angkorienne (IXè-XIVè siècles)

Jayavarman VII

Les princes auxquels on conférait ainsi l'apothéose étaient statufiés sous les traits du dieu ou de la déesse en qui ils avaient été absorbés au terme de leur vie terrestre; cette absorption était publiquement révélée dans les noms donnés aux statues et composés par la jonction du nom des princes à celui de la divinité. Par l'érection de telles statues, Indra-Varman se proposait à la fois de rendre un culte à ses devanciers et de garantir la légitimité de sa postérité; il se reliait à ceux dont il consacrait les images et à ses descendants à qui il confiait la garde de ses fondations. A partir de la seconde moitié du Xè siècle, se généralisa la coutume des statues personnelles. L'apothéose ne fut plus réservée aux seuls princes; elle pouvait être conférée, à titre de récompense posthume, à d'éminents dignitaires ou à des généraux tombés au combat. En 881, Indra-Varman inaugura le sanctuaire du Bakong au centre de sa capitale. Au sommet d'une pyramide de pierre dont la base porte huit tours de briques stuquées, il plaça le linga royal. C'est à ce monarque qu'on doit sans doute l'organisation de la Cour telle qu'elle devait se maintenir sans grands changements à travers les siècles. Le roi est à la tête de la maison royale ; mais trois autres maisons princières, auxquelles souvent sont affectées des provinces en apanage, sont attribuées à des personnages ayant droit aux honneurs royaux : au roi abdicataire (= U payuvareach) dont le parasol est à 6 étages, au premier prince du sang (= Obareach) au parasol de 5 étages, à la reine mère ou à la première princesse du sang, au parasol de 4 étages. Les autres princes et princesses, jusqu'au cinquième degré, constituent la famille royale et sont aptes à succéder au roi ou à parvenir aux dignités de chefs de maisons. C'est parmi eux que, à la mort du roi, une assemblée composée des ministres en exercice, du chef des brahmanes et des mandarins présents dans la capitale choisit son successeur, d'ordinaire l'obareach nommé par le souverain décédé. Etroitement suhordonnés à l'autorité du roi, chef de la famille, les membres de la famille royale ne se marient qu'avec son consentement et peuvent comme lui épouser leurs parentes et leurs demi-sœurs soit consanguines, soit utérines ils échappent au droit commun et ne paient pas d'impôt. Au-delà du cinquième degré, s'ils ne se sont pas retrempés par des alliances plus proches, les princes cessent d'appartenir à la famille royale. Sous le nom de Brah Vongsa, ils demeurent cependant soumis à certaines disciplines de caste et conservent le premier rang dans les cérémonies publiques. Le chef de la hiérarchie des mandarins, sorte de premier ministre veillant à l'observation des vieilles coutumes, était d'ordinaire choisi parmi eux.

JAYAVARMAN VII (1181-1201)

A.Dauphin Meunier Histoire du Cambodge-1967 318 HOMMES ET HISTOIRE DU CAMBODGE

Jaya-Varman VII et le troisième Angkor Par sa mère, Jaya-Varman VII « le Victorieux » (1181-1201) se rattachait à la dynastie préangkorienne : par son père, il descendait du fondateur de la dynastie de Mahîdharapura. En lui se combinèrent en quelque sorte les vertus héroïques de l'une et de l'autre. - Sous son règne le Cambodge atteignit sans doute sa plus grande expansion territoriale, puisqu'il couvrait, indépendamment du pays khmer, le Champa, les territoires actuels du Laos et de la Thaïlande, une partie de la péninsule malaise (jusqu'à l'isthme de Kra) et de la Birmanie (jusqu'au fleuve Salween). C'est ce qui explique que dans l'armée khmère conduite en 1207 contre le Vietnam il y avait des contingents thaïs et birmans. Jaya-Varman était profondément religieux. Tout en ayant pour chapelain un brahmane versé dans la connaissance des Vedas, Hrishikeça, il avait, comme son père, donné son adhésion au bouddhisme du Grand Véhicule. Sa première femme, la princesse Jayarâjadevî, et la sœur aînée de celle-ci, Indradevî, qu'il épousa à la mort de la précédente, étaient de ferventes bouddhistes, d'une rare distinction d'esprit. Tous trois avaient une commune dévotion au bodhisattva Avalokiteçvara, qui préside au cycle présent de l'humanité et dont la charité s'étend aux quatre points cardinaux. Jaya- Varman, dont nous possédons en dehors des bas-reliefs du Bayon où il est silhouetté trois têtes sculptées dans la pierre, fut probablement le roi lépreux dont la mémoire nous a été conse!""ée par le Chinois Tchéou TaKouan et la tradition cambodgienne. Est-ce pour acquérir des mérites susceptibles de soulager sa propre infortune qu'en plus des nombreux temples qu'il dispersa autour de sa capitale il fit construire à travers tout le Cambodge 102 hôpitaux placés sous l'invocation du Bouddha guérisseur et d'innombrables pavillons de repos jalonnant les chaussées? « Il souffrait des maladies de ses sujets plus que des siennes; car c'est la douleur publique qui fait la douleur des rois, et non leur propre douleur », lit-on dans son édit sur les hôpitaux (stèle de Say-Fong). Mais l'œuvre capitale du roi fut la fondation du troisième Angkor: L'antique capitale saccagée par les Chams ne poûvait plus être reconstruite telle qu'elle avait été; au reste, son plan était de conception brahmanique; il ne convenait plus à un roi dévot du Bouddha. Le plan du troisième Angkor devait rappeler celui de l'univers, tel que le concevaient les boud dhistes. De même qu'à l'axe du monde s'élève une montagne à cinq sommets, le Mérou, au-dessus de laquelle s'étagent trois catégories de cieux et par quoi s'ordonnent l'espace et le temps, de même au centre géométrique de la ville royale va se dresser un temple-montagne, le Bayon, surmonté d'un quinconce de tours à visages, établissant une liaison entre les hommes et la Divinité. De mêmeque la Divinité fait face à toutes les directions, de même le Bayon irradiera quatre avenues aboutissant HOMMES ET HISTOIRE DU CAMBODGE 319


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