MEMOIRES D'UN CANCRE, LAS de Jean Lugrin

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MÉMOIRES D’UN CANCRE, LAS Jean Lugrin, lui-même


Introduction Ne me comparant à aucun écrivain, je ne le suis point, en revanche, comme n’importe qui, j’ai vécu certains événements qui ont influencé ma vie. En bien ou en mal, ils ont enrichi mon bagage d’expériences. Ce petit fascicule suffit, car loin de moi l’idée d’écrire un pavé. Je n’ai d’ailleurs pas besoin de trois cent pages pour me répéter ! L’idée est donc de tenter de faire un petit tour de ma vie de cancre. Fort de cet état, j’ai essayé d’imaginer modestement des solutions pour l’élévation du niveau de l’instruction. Avec la robotisation de certaines tâches dites subalternes, il faudra absolument continuer d’employer toutes personnes désirant travailler ! N’étant pas du tout persuadé que les responsables de l’instruction publique soient conscients de tous les problèmes, et c’est peut-être normal, j’essaie d’ajouter ma petite pierre à l’édifice.


Pourtant issu d’un milieu plutôt intellectuel, ma mère devenant par la suite une grande reporter-écripasvaine ; mon grand-père maternel était le directeur de l’Ecole Normale de Lausanne. Mon père était le chef de la section des ponts aux Chemins de Fer Fédéraux, donc ingénieur diplômé de l’Ecole polytechnique de Lausanne. Son père à lui était employé de Légation Suisse à Paris. Il avait été engagé à cause de sa belle écriture ! La mère de ma mère, née dans une famille d’agriculteurs des Moulins près de Château-d’Œx, faisait l’école au Teyse-Joeurs, hameau perché du côté des Monts-Chevreuils. Sans formation, elle avait pourtant le don et l’intelligence pour inculquer aux petits enfants d’agriculteurs éloignés, les rudiments de l’instruction. Si mon grand-père l’avait épousée alors qu’il enseignait dans le village des Moulins, c’est que son côté intellectuel devait être important. C’est vrai, ma grand-mère maternelle était une forte personnalité. Lorsque mon grand-père l’a connue, elle était ravissante, en plus. Dans ses gènes, on aurait pu trouver les séquelles de viols perpétrés par les Maures passant par-là, tant ses cheveux et ses yeux noirs trahissaient une descendance venue de loin. Ma grand-mère paternelle, aussi, bénéficiait d’une très forte personnalité. On ne sait pas grand chose de sa jeunesse. Elle avait dû quitter sa Russie natale à l’âge où l’on sort de l’adolescence, car elle risquait la prison. En effet, Maria Spector, avait des idées contraires à celles des Tsars, elle avait fréquenté Trotsky, ce n’était pas très bien vu. Ce petit bout de femme, juive non pratiquante, nous impressionnait. Son accent, sa petite taille et son nez crochu marquaient une frontière inconnue. Pourtant, elle était très gentille avec nous, et son communisme naissant se fut rapidement transformé en adepte de la bonne bourgeoisie. On peut faire semblant d’adopter les idées de gauche et véritablement vivre à droite, c’est assez fréquent ! Mon grand-père paternel, n’a pas désiré me connaître puisqu’il est tombé de bicyclette en 1941 juste après avoir photographié ma sœur aînée à sa naissance avec son Glyphoscope, appareil stéréoscopique. Je l’ai su, car chaque prise de vue était mentionnée dans un petit calepin. La plaque était toujours dans l’appareil lorsque je l’ai hérité, mais plus d'un demi siècle après, il était bien trop tard pour en voir l’image. Dommage ! A cinq ans, mes parents se séparèrent. Heureusement. Deux caractères si opposés ne pouvaient concilier et arrondir les travers de chacun. Mon père, casanier, détestant toutes surprises dans son existence, alors que ma mère adorait voyager, primesautière, même parfois fantasque. Voyant qu'il ne parvenait pas à rendre cette jeune femme à son image, il décida de la détruire. Des années difficiles pour les deux jeunes mariés, puis parents de trois enfants superbes, surtout le puiné que j'étais et que je suis toujours, un peu enrobé. Ma soeur aînée est décédée en 2017 d'un crabe sournois. Elle a passé sa vie dans l'enseignement avec de grandes convictions. De trois ans plus âgée que moi et quatre de ma soeur cadette, elle assuma le rôle de seconde maman. La première, bien occupée à faire rentrer l'argent pour vivre, simplement. Je ne garde de cette période de séparation parentale aucun souvenir traumatisant. Jamais je n'ai assisté à des scènes de destruction. J'imagine que les deux protagonistes ne désiraient pas que les enfants s'engagent dans leur conflit. A cinq ans donc, j'ai aussi commencé l'école enfantine. Comme mes deux soeurs, nous fréquentâmes les classes d'application de l'Ecole Normale dirigée par Georges (Marc) Chevallaz, mon grand-père. Grand homme à tous points de vue, il était toujours droit comme un i dans son costume trois pièces , sa cravate laissant voir un col de chemise amidonné. Il était extrêmement stricte. Une fois, il m'a donné une gifle, croyant que je lui tirais la langue. Bien évidemment, l'idée même ne me serait jamais venue. A part ce seul épisode brutal, mon grand-papa était affectueux, comme sa femme et comme ma mère. J'ai vécu dans une famille aimante, y compris celles des deux frères de ma mère.


Jean, le cadet s'est passablement occupé de moi afin que je ne vive pas seulement avec trois «femmes». Non seulement, il était extrêmement gentil et qu'est-ce qu'il était drôle. Il inventait sans cesse des slogans publicitaires. Lui aussi a fait une belle carrière. Depuis la Chambre vaudoise d'agriculture, il a pris la direction de la Brasserie Cardinal, puis celle de Sibra. Voyant que ses propositions de réformes au sein des entreprises qu'il dirigeait n'étaient pas approuvées, il les quittait en laissant chaque fois un rapport. Une fois parti, les changements proposés avaient lieu ! L'avant-dernier poste qu'il occupa fut la direction de l'Ecole Hôtelière de Lausanne, le dernier étant celui de Syndic de Pully. J'oubliais son poste de rédacteur sportif à la Tribune de Lausanne. A cette époque, on pensait que ceux qui parlaient de sports devaient être intelligents ! Mon autre oncle, Georges-André, que nous appelions Oncle André, Georges étant trop difficile à prononcer. Il était impressionnant. Il dégageait de sa petite taille une force, une volonté peu commune, plus dur encore envers lui qu'envers les autres, et ce n'était pas peu dire. Je l'aimais bien aussi, et je crois que c'était réciproque. Il me trouvait différent. En quoi, je n'en sais rien. Lui aussi, mais moins souvent que Jean, pouvait être extrêmement drôle. Mais il était rare qu'il se lâcha. Syndic de Lausanne, puis Conseiller fédéral et Président de la Confédération. Il avait reçu sa Majesté la Reine Elisabeth II. Contrairement à ce pauvre François Hollande, Président fantoche de la République française, il ne s'était pas assis à table avant la Reine ! J'avais beaucoup apprécié son arrivée à la gare de Château-d'Oex, lors de sa nomination au Conseil Fédéral. Ce soir-là, une tempête de neige fêta son arrivée. En sortant du M.O.B, il en fut radieux, il adorait l'adversité l'obligeant à se battre. Je le comprends. C'est aussi pour cela que je l'aimais. Je le répète, la cigogne m'avait déposé dans une famille de cerveaux. Alors, pourquoi cela n'a-t-il pas suffi pour faire de moi un bon élève ? Dans les classes d'application de l'Ecole Normale, il y avait de jeunes maîtresses apprenantes qui s'occupaient des enfants des classes enfantines. Il a fallu que l'on misse à côté de moi une jeune fille aux dons pédagogiques limités. Tout ce que j'entreprenais n'était pas comme elle le voulait. - Non, tu ne dois pas faire comme ça, tu dois faire comme ça ! Non, tu ne dois pas faire comme ça, tu dois faire comme ça ! Non, tu ne dois pas faire comme ça, tu dois faire comme ça ! Je lui ai donné une claque. Immédiatement, en petit enfant bien élevé, je me suis excusé. Sans résultat. Elle me dénonça à la maîtresse, grande spécialiste de l'enseignement, qui m'appela. Elle me présenta à la classe, me tenant par les épaules. - Il a giflé une jeune maîtresse. Faut-il le garder ou le renvoyer ? Mes notions de droit, à cette époque, n'étaient pas bien meilleures qu'aujourd'hui, mais je ne pouvais pas comprendre, même si jeune que j'aie affaire à un jury de gamins de cinq ans. La clameur unanime de la classe me poussa vers la sortie. Panique au sein de la famille, je fus envoyé chez un psychologue. Après quelques tests dont je n'ai pas le souvenirs, le spécialiste appela ma mère. - Madame, reprenez confiance en vous. C'est s'il n'avait pas donné la gifle que vous auriez dû m'amener votre fils. Merci, Monsieur. Mais le mal était fait.


J'avais commencé ma scolarité sur une injustice. Pourquoi ma mère m'a-t-elle raconté les conclusions du psychologue des années trop tard ? J'avais commencé ma carrière de cancre. Rapidement, j'ai visité sept établissements scolaires du Nord-Est de Lausanne. A chaque fois, je prenais la direction générale des cancres. Une seule fois, mon résultat fut celui d'avant-dernier. J'en ai voulu à mon ami de m'avoir pris ma place ! N'ayant pas les moyens d'être dans le groupe de tête, j'aurais très mal supporté d'être intégré dans cette moyenne que je déteste. Autant être franchement le dernier, cela se remarquait ! Si je n'avais pas été mis à la porte lors de ma première année d'école enfantine, aurais-je été un bon élève ? Je ne peux l'affirmer, le contraire, presque assurément. Ce dont je suis certain, c'est que rien de ce que je devais apprendre ne m'intéressait. Après la monstrueuse bourde de ma première maîtresse, vieille-fille immuable au chignon serré et petites lunettes rondes étriquées comme elle, je suis tombé sur des enseignantes un peu plus dans la normalité. La deuxième était mariée, elle avait des enfants et un énorme chat qui dormait sur son lit. Cela n'a pas suffi à mon bonheur scolaire. Comme je me connais. je devais être gentil, bien que très bagarreur. Je devais compenser ma petite taille et me faire respecter. Mes seules interventions faisaient rire la classe. N'ayant jamais la bonne réponse, au moins en trouver une amusante ! J'enviais mes camarade qui levaient la main pour faire comprendre qu'ils avaient une question à poser. La seule fois où je levais la main, c'était pour demander de pouvoir me rendre aux toilettes. Souvent, je n'avais même pas besoin de lever la main. - Lugrin, la porte ! Jamais je n'ai eu le courage de dégonder la porte et de partir avec. D'autres, plus grands et plus forts l'ont fait. C'était à l'Ecole Nouvelle de la Suisse Romande. Après avoir refait plusieurs fois les mêmes degrés, après avoir échoué aux trois différents examens pour entrer aux collèges scientifique et classique, ma mère s'est saignée pour m'offrir cette école privée réputée, réservée aux riches ou aux rois (Thaïlande). Non, je ne l'ai pas connu. Lorsque je suis arrivé, il était déjà parti. Dans cette école, mon intérêt pour les matière enseignées n'a pas réussi à grandir. Pas plus en refaisant une fois de plus un programme identique. Je garde pourtant deux point extrêmement positifs de cette magnifique école. Moi, le champion toutes catégorie des cancres, j'ai réussi à obtenir un neuf de moyenne sur dix en latin. Non, je n'avais pas triché ! Je ne trichais jamais. Mauvais, mais honnête. Pourtant, une seule fois, j'ai eu un zéro pour tricherie. Le crétin assis à côté de moi m'avait copié. Il ne s'est pas dénoncé. Il fallait en avoir une sacré couche pour me copier ! Je l'ai retrouvé des années plus tard, il était devenu architecte. On parlait de lui dans les pages des faillites de la Feuille des avis officiels. Bon retour des choses. Neuf de moyenne en latin, et pourquoi ? Simplement, le professeur avait trouvé le moyen de titiller mon esprit. Chaque élève avait son émule. Mon esprit de compétition, pourtant nul, s'en était amusé. L'autre point positif, je le dois au maître de gymnastique, Monsieur Kupferschmied. Pour lui, les performances étaient bien entendu importantes, mais le respect de l'adversaire l'était encore plus,. Durant toute ma vie professionnelle, j'ai eu ce principe accroché dans une section de mon petit cerveau. Il m'a aidé à pouvoir me regarder dans la glace. Merci, Maître ! J'ai quitté l'ENSR. Je crois que j'ai dû quitter, mes progrès constatés étant inexistants. Ma mère, en désespoir de cause m'a inscrit à une autre école privée, Pierre-Viret. J'ai été nettement plus malheureux qu'à l'Ecole Nouvelle. Il n'y avait pas les équipements sportifs qui m'avaient vu plus que les classes ! Heureusement, après neuf mois de gestation stérile, je fus sauvé par le gong d'un accident de ski. On profita de cette période pour


m'envoyer dans les bureaux de l'orientation professionnelle. Les tests révélèrent que je n'étais pas manuel. Je n'étais pas non plus intellectuel. Que me restait-il ? Ma mère eut une bonne idée en m'envoyant pour une année dans un internat tenu par des Frères Moraves. C'était à Königsfelf, en Forêt-Noire. Ma soeur, y avait passé un mois, elle y avait pris beaucoup de kilos ! A cette époque, j'étais toujours un petit teigneux, je mesurais 153 centimètres. Cette année passée hors de mes murs, si elle ne m'a pas permis de mieux comprendre le programme scolaire que je refaisais pour la ixième fois, m'a apporté, en plus d'une vingtaine de centimètres, une forme de maturité. Lorsque ma mère est venue me rendre visite, elle ne m'a pas tout de suite reconnu. Après avoir étudié l'allemand durant cinq ans, sans en parler un mot, à Königsfeld, un jour, on m'a dit que j'avais parlé en dormant, c'était de l'allemand ! Là aussi, je me suis distingué. Pas tellement pour mes résultats catastrophiques, mais par mes gags. J'étais heureux de pouvoir faire des jeux de mots dans la langue de Goethe. Je n'ai pas évoqué le point principal qui m'a tenu en vie. Depuis tout petit, j'avais l'affreuse impression que la cigogne de mon premier jour, s'était nettement gourée de planète. Tout ce que l'on me demandait semblait s'énoncer dans une langue étrangère. J'ai toujours habité à environ dix minutes de mes écoles. Chaque jour, il me fallait plus d'une heure pour retrouver le chemin de mes devoirs. Je pouvais demeurer assis par terre, la bouche ouverte, à suivre des yeux une fourmis qui se rendait du côté opposé à notre appartement. J'imagine quelles furent les crève-coeurs que je rapportais au sein de ma famille. Mauvais à l'école, et incapable de rentrer à l'heure. A chaque signature du carnet scolaire, j'étais triste de voir ma mère pleurer, voyant mes résultats inexistants. Qu'ai-je fait au Bon Dieu pour que mon fils bien-aimé soit si mauvais, devait-elle se dire. Je jure que je ne faisais pas exprès d'être un mauvais élève, mais on ne demande pas à un cul-de-jatte de courir le cent mètres en dix seconde ! C'est vrai, j'étais triste de ne pas donner quelques satisfactions à ma famille. Heureusement, encore à cinq ans, mon grandpère s'est acheté une radio avec électrophone incorporé. Fini les disques 78 tours avec un moteur à ressort qu'il fallait constamment remonter. Le gramophone et la collection de disques ont atterri dans ma chambre. Dans les albums, il y en avait pour tous les goûts d'un grand-père cultivé. Un extrait de la Messe en Si de Bach côtoyait la Fête des Vignerons de 1927, Wagner, Ravel, Vivaldi sans oublier du Jodel et une marche militaire, entre autres, complétaient la collection. Fébrilement, je retendais le ressort qui pétait régulièrement. Un nouveau ressort coûtait alors 7.50 francs chez Foetisch Frères. C'est aussi le prix de mon premier disque 78 tours acheté avec l'argent de mes sept ans : Jésus, que ma joie demeure interprété par Dinu Lipatti. Disque que j'ai racheté en microsillons, puis en compact. Ce morceau m'a donc suivi et peut-être sauvé de la dépression, comme d'autres composition. Il est intéressant de noter que j'étais incapable d'apprendre une petite poésie, alors que je peux chanter un Concerto pour deux violon de Vivaldi entendu il y a bientôt septante ans ! Quand on s'intéresse, on retient. C'est là que j'entame le chapitre « Comment ne pas devenir un cancre, las ». De quoi je me mêle ? Je n'ai aucune autorité en la matière, je n'ai pas eu de formation pédagogiques. Néanmoins, je sais maintenant de quoi j'ai souffert durant toute ma scolarité, durant ma formation professionnelle. Il y a des élèves qui ont la chance d'être des éponges, prêtes à emmagasiner toute la matière qu'on leur propose. Il y a aussi ceux dont leur éponge, trop sèche, refuse le remplissage. Je suis convaincu et depuis longtemps que l'enseignant doit, plus que tout, tenter de rendre l'éponge la plus


absorbante possible. Il se doit de trouver le point d'accrochage de l'enfant qu'il a en face de lui. On a essayé de me faire comprendre les mathématiques, l'algèbre, la géométrie et d'autres branches encore, en me tirant les cheveux de mes favoris. Je n'ai jamais imaginé que c'était la bonne porte pour entrer. Au contraire ! Mon neuf de moyenne en latin est la belle démonstration de l'un des moyens pour ouvrir l'élève. Pour le latin, on m'a fait comprendre que cela m'aiderait, aussi, dans ma langue maternelle, pas encore morte, elle. Jean-Sébastien Bach est l'un des compositeurs qui m'accompagne journellement. Si mes professeurs avaient aimé ce compositeur et la branche qu'ils devaient enseigner, il n'est pas exclu que j'aurais pu comprendre et aimer les mathématiques. Il suffit parfois d'une petite étincelle pour déclencher un feu d'artifice de la connaissance. Créer l'intérêt chez l'enfant. Moi, pauvre cancre toutes catégories, incapable d'apprendre quoi que ce soit, je voyais la photo du bout d'une aile d'avion, je savais à quel modèle elle appartenait. Pourtant, ne l'avais-je vu qu'une seule fois. Le nombre de morceaux de musique que je peux chanter plus ou moins bien est colossal. J'ai donc de la mémoire. Elle sélectionne ce que j'aime. Alors, pourquoi ne m'a-t-on pas fait aimer ? Dans nos gênes, il y a certainement quelques dispositions, mais l'éponge de notre cerveau est disposée, bien humectée, à emmagasiner une foule d'autres domaines non-pré-inscrits. C'est là que l'enseignant a sa tâche la plus cruciale. Et là, où les dégâts peuvent être irréversibles, ce sont dans les classes du début, l'école enfantine et maintenant la crèche. C'est à ce moment de l'existence de l'enfant en devenir que la pédagogue le fait monter ou l'écrase. Mon grand-père Georges racontait que la maîtresse enfantine d'Ernest Ansermet (1883-1969), chef d'orchestre fondateur de l'Orchestre de la Suisse Romande, avait dit de lui que c'était un brave garçon, mais qu'il ne donnerait rien dans la vie. Connasse ! Je peux l'écrire, elle ne peut se retourner contre moi, il y a prescription. Comment prend-on le droit de juger la qualité d'un être vivant, alors que l'on ne connaît rien de lui et de son développement. Je revois mon père, retraité heureux dans son chalet de La Barboleusaz/Gryon. Il me montre, dans le jardin, un pin ramassé tout petit lors d'une course de montagne. Il y avait plus de vingt ans. C'est seulement depuis cette année qu'il s'est mis à pousser. Et on aimerait que le développement des enfants soit linéaire ! Voyez ce grand dadais avec sa tête de bébé, et ce petit premier de classe, NOUS SOMMES TOUS INEGAUX ! Arrêtons ce nivellement criminel, ce jaugeage infanticide. Il n'y a rien de plus stupide de croire que nous somme nés égaux. Ni devant la loi, ni devant quoi que ce soit d'autre. Comment se fait-il qu'un homme comme l'ex de la Formule 1, Bernie Ecclestone puisse payer la somme de cent millions d' Euro pour ne pas se présenter devant un tribunal en Allemagne et qu'un filou comme Bradley Birkenfeld quitte la prison avec 104 millions de dollars en récompense de sa trahison ? Non, nous ne sommes pas égaux, ni devant la loi, ni devant rien d'autre. Nous sommes différents et heureusement. Il y a ceux pour qui la réussite se mesure à leur surface financière et ceux qui sont adeptes du BNB (Bonheur National Brut), remplaçant le PIB (Produit Intérieur Brut). Chacun ses intérêts dans la vie et cela ne se compare pas. Est-ce que le propriétaire virtuel d'une Lamborghini Urus à 232'000 dollars, achetée à crédit vaut plus qu'un employé de la voirie, sans dettes, habitant Les Diablerets et heureux d'y rendre service ? Il est temps de comprendre que plusieurs facteurs déterminent la valeur de chacun, et surtout le potentiel de bonheur que chacun d'entre nous porte en lui. Est-ce vraiment mesurable ?


Nous sommes entrés dans une civilisation d'imbéciles irresponsables, aussi dépendants que quémandeurs. Cela tombe très mal. En effet, les progrès technologiques développent à grande vitesse une robotisation généralisée. Combien de personnes sous-instruites vont inévitablement se retrouver sur le carreau ? Combien de citoyens refusant l'effort de la formation se retrouveront-ils exclus du marché du travail ? La gauche sous toute ses formes, des pseudo-écologistes à l'extrême-gauche, en passant par les socialistes et leurs jeunes émules ont prôné le développement du social. Et cela veut dire quoi ? Sous prétexte de donner aux plus faibles, on a créé une catégorie d'affaiblis, dépendants de l'aide sociale dont la plupart n'en avait nullement besoin. Il suffisait, en général, à ces bénéficiaires de donner un grand coup de pied dans son propre derrière et de chercher à s'en sortir seul. Non, notre civilisation a développé les protections de toutes sortes et dans tous les domaines. Regardez l'enfant qui fait de la trottinette ou du tricycle. Il est harnaché comme un chevalier se rendant au combat : casque, genouillères, coudières ont remplacé la maman qui soufflait sur l'écorchure et appliquait affectueusement un «Sparadrap». L'enfant d'aujourd'hui n'apprend plus la douleur, on l'en protège. Même les antibiotiques ne trouvent plus leur effet. On a développé une race d'êtres humains incapable d'autodéfense, combien de personnes sont atteintes de burn-out, combien d'autres, refusant le combat de la vie, se réfugient dans des dérivatifs encore plus dangereux, ou préfèrent toucher le chômage que de se battre pour trouver un travail quel qu'il soit ? La déresponsabilisation individuelle a pris le pas chez beaucoup trop de citoyens. Cela crée encore plus d'écarts entre ceux qui ont décidé de se battre quoiqu'il arrive et ceux qui abandonnent bien trop tôt. C'est vrai, les riches deviennent encore plus riches et les pauvres encore plus pauvres. Les gens qui se battent pour leur survie deviennent de plus en plus forts et creusent l'écart avec les plus faibles. Ce n'est pas pour rien que le QI moyen a baissé. Il n'y a pas de miracle. Nos voisins français ont instauré la semaine de travail de 35 heures. On constate la réussite de cette politique. Il y aura bientôt plus de gens dans la rue qu'aux postes de travail. Chez nous, en Suisse, pays de travailleurs, on parle d'un revenu universel, sans imaginer qui va le financer ! C'est assurément cette gauche qui va ruiner notre pays et rendre les citoyens de toutes sensibilités politiques malheureux. Malheureusement, j'en souffre depuis l'âge de vingt ans, donc 55 ans bientôt, j'ai eu l'impression que notre civilisation d'après-guerre cessait petit à petit de s'assumer. Ceux qui avaient connu les restrictions ou avaient vécu la guerre mondiale ont été dans l'obligation de reconstruire, de se refaire une situation, de se reconstruire. Beaucoup d'énergie a été nécessaire. Bien des gens y sont parvenus. Ils ont pu en faire bénéficier leur progéniture. A leur tour, les enfants en ont fait profiter les suivants. On se battait moins pour survivre, on se battait pour le superflu. La volonté de défense a disparu, on a cru que la guerre 39-45 serait la dernière. Avec l'avénement de la Communauté Européenne, de Gaulle et Adenauer main dans la main, cela nous a conforté dans cette idée. Sournoisement, le confort, la garantie de l'emploi, les baux à loyer, un franc fort, une administration relativement efficace ont apporté toute une panoplie d'acquis. Il n'était pas question d'y toucher. Les syndicats ont défendu les ouvriers en omettant de se préoccuper des soucis du patronat. Pourtant, ce sont eux qui fournissent l'emploi ! «De toutes façons, ces salauds gagnent bien trop pour ce qu'ils font !» On a vu les problèmes par le petit bout de la lorgnette.


Puis, les garanties se sont inexorablement développées en aides de toutes sortes. Les petits penseurs de la gauche, mais oui, ceux qui luttent pour prendre aux riches pour donner aux moins riches ont commencé à dépenser sans compter et savoir d'où venait l'argent. La droite, pendant tout ce temps n'a réagi que mollement. La paix du travail l'a endormie, la routine l'a évanouie. Je repense à une phrase de Monsieur Pierre Arnold, alors Président de Migros : Lorsque tout va bien au sein de ton entreprise, tu crées toi-même la crise. Mais, pour cela, il ne faut pas avoir peur de l'effort et de la remise en question. Le travail et la responsabilisation s'apprennent, le contraire également. On l'a bien vu dans les pays communistes, et en particulier lors de la réunification des Allemagnes de l'Est et de l'Ouest. D'un côté, il y avait des citoyens entraînés à se battre dans un système capitaliste, de l'autre, ce furent des citoyens entraînés à en faire le moins possible, car ils n'avaient aucune raison de se surpasser ! En 2017, lors d'un petit voyage en Roumanie, démocratie depuis 1991, on n'avait pas l'impression que les gens avaient quitté la mentalité communiste. Un détail peut-être, mais Bucarest est la ville la plus taguée qu'il m'a été donné de visiter. C'était sale et délabré, ce n'est pas forcément un signe de bienêtre ! J'imagine que la corruption doit être monnaie courante, comme dans les dictatures des pays où les différences salariales sont importantes.

Tout ça pour quoi ? Il mélange tout, le père Lugrin ! Oui. Bien sûr, il mélange tout, car tout est mélangé. Dans la nature, ce n'est qu'interpénétrations des éléments les uns aux autres. L'oiseau sur la branche mange une baie, aussitôt, par un autre orifice la relance jusqu'au sol. La transformation s'opère et la vie continue. D'ailleurs, la devise de l'écologie est que «plus une société est complexe, plus elle est stable». Lorsqu'une monoculture prend le dessus, comme ce qui est en train de se passer dans nos contrées dites développées, on va inexorablement vers la catastrophe. Cette monoculture d'assistés ne peut survivre. Les théories, la-dessus, sont connues. Nous n'avons pas besoin de Madame Soleil ! Docteur, y aurait-il un remède ? Peut-être, mais heureusement, il n'est pas remboursé par les assurances ! Après l'Age de la pierre, celui du cuivre, du bronze et du fer, nous sommes entrés à toute vitesse dans celui de la robotisation. Nombre de tâches subalternes ou de pointes sont et seront encore plus effectuées par des robots. Encore une raison pour se la couler douce ? Certes non ! Au contraire, il faudra encore plus se battre pour acquérir la connaissance, trouver un travail digne de soi. Des milliers d'emplois vont disparaître, des milliers d'autres seront inventés, mais ils exigeront un niveau supérieur d'enseignement. Lorsque je parle d'enseignement, je ne pense pas qu'aux branches à apprendre par coeur, celles qui ont fait de moi le Champion des cancres. Je vais essayer de les énumérer dans l'ordre d'importance, à mes yeux :


01. L'éthique Avec la démographie mondiale galopante, si les habitants de cette fin de civilisation ne tiennent pas compte de certains principes du vivre ensemble, ce ne sera que guerres et conflits. Dans cette branche, j'y inclus l'éducation et le respect de l'autre. 02. L'esprit critique L'avénement de l'Internet a multiplié de manière exponentielle l'immense masse d'informations de toutes sortes. Parmi celles-ci, on n'est pas à l'abri des malhonnêtes. Ils font aussi partie de la mondialisation. Ils viennent donc de toutes les parties du Globe. On ne peut pas grand chose contre eux, si ce n'est de les deviner. Combien de messages proposant un héritage de millions d'une personne en phase terminale d'un cancer ? Combien de fois faut-il redonner ses spécifications pour continuer d'accéder à Paypal, Visa, Apple et tant d'autres, sinon le compte sera bloqué ? Si les internautes étaient moins naïfs, cette méthode d'arnaque tomberait. S'il est normal, mais regrettable, que des personnes essaient de vous arnaquer, il est élémentaire de développer cet esprit mettant en doute certaines mirobolante opérations. J'ai eu la chance de recevoir de mon propre père la meilleure des leçons. Enfant du dimanche, j'étais chez lui. Il me montra son nouvel appareil de photo. Je savais que parfois il mettait du temps pour payer la pension à ma mère. Je lui ai demandé combien ça coûtait- Mille francs, me répondit-il. Ah bon ! –

Réfléchis un peu, me dit-il sèchement. Ce n'est pas parce que je te l'affirme que c'est juste. Mille francs, ce n'est pas possible ! Peut-être, coûtait-il approximativement trois cent. Ce qu'il ne pouvait savoir, c'est que quelques années plus tard, en 1972, j'ai acheté mon premier Leica pour la somme de deux mille francs. Néanmoins, la leçon fut complètement assimilée. Merci Papa !

03. La culture générale Comment peut-on choisir soi-même le domaines dans lequel nous aimerions nous réaliser, si nous n'avons pas une bonne idée du large éventail des possibilités qui s'offrent à nous. Nous avons une chance énorme. Depuis l'avénement des moyens audio-visuels, il n'y a pas si longtemps, le phonographe date de 1945, nous bénéficions d'une culture accessible même aux plus défavorisés. A nous de remplir l'éponge de notre cerveau et de notre sensibilité. Mais, là aussi, l'effort consenti apportera son lot de satisfactions et ouvrira encore plus la porte de la culture. Personnellement, ayant exercé dans des régions campagnardes, j'ai souffert de voir mes projets de construction sanctionnés par des Municipaux qui étaient encore moins compétents que moi. Le dialogue était difficile, car non seulement nous ne parlions pas le même langage, mais leur niveau de culture dépassait rarement celle de la pomme de terre. Par la force des choses, si l'on élève le niveau culturel moyen, le débat en sortira grandi. 04. La culture physique Ce n'est pas tellement la «gonflette» à quoi je pense, mais certainement l'adage «esprit sain dans un corps sain» demeure valable. Aussi, les efforts dans le sport sont plus naturels que dans la vie. Pour parvenir à la performance, le sport apprend donc la souffrance. C'est cette dernière qui permettra de dépasser sa zone de petit confort destructeur. Apprenons à souffrir et à gérer cette souffrance, car elle doit nous faire avancer. La souffrance gratuite n'est pas bénéfique !


05. Les autres branches Comme je l'ai déjà évoqué, si l'on veut élever le niveau des connaissances de tout un chacun, il est indispensable que la qualité de l'enseignement précède. «La plus belle fille du Monde ne peut donner que ce qu'elle a». C'est valable pour le professorat. S'il est désagréable de tomber sur un professeur d'université un peu crétin et pas forcément compétent (si si, cela existe!), l'étudiant a toujours la possibilité de chercher ailleurs la matière nécessaire à sa formation. Alors que, si la maîtresse enfantine est un peu crétine et pas forcément compétente, les dégâts aux enfants risquent bien d'être irréversibles. Ne mâchons pas le travail d'apprenants, mais au contraire, montrons-lui le chemin pour acquérir la connaissance. C'est nettement plus productif et satisfaisant ! Contrairement à la tendance actuelle du moins possible, à part quelques exceptions, l'être humain peut toujours en faire plus qu'il le croit. Il y a encore un aspect primordial pour le développement de l’individu, dès la plus tendre enfance : LA PERSÉVÉRANCE ! Sans elle, on ne peut compter sur un résultat quelconque. On peut naître dépourvu de certaines qualités, doté de peu de talents, mais grâce à la persévérance, on ne lâche sa «proie» sous aucun prétexte. Personnellement, il a fallu du temps pour que j’accepte l’informatique. Je la détestais, ne supportant pas que l’on me dise : on ne peut rien faire, c’est l’ordinateur ! Et alors, il n’y a personne qui tape sur un clavier pour corriger. Déjà, à ce moment là, la déresponsabilisation avait fait son chemin. Raison pour laquelle j’ai mis du temps à m’y mettre. Heureusement, l’apprenti du bureau avait un ordinateur chez lui depuis plusieurs années. On a inversé les rôles, il m’a énormément appris, y compris une logique éloignée de la mienne. Aujourd’hui, je suis loin d’être un expert, mais jamais je ne cède devant un problème, je ne lâche pas ma proie. Là, j’en rajoute un peu, car à plusieurs reprises, j’ai dû faire appel à des conseils avisés, mais jamais avant d’avoir tenté d’avoir trouvé. J’ai beaucoup de chance. Peut-être ne suis-je pas très doué, mais je suis persévérant. Lorsque la patience et l’obstination ont eu le dessus, quelle satisfaction ! On en a besoin pour vivre heureux.

NE JETEZ JAMAIS L'EPONGE ! COURAGE !

jl, septembre 2019


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