Le cinéma un art cinéma païne (1)

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Une 3utra histoire du cinema fr3fll:;3is Le cinénla. un 3rt moderna

San s I'ombre d'un pli : Jacques Becker

On pourrair voir Falba/m (1944) aujourd'hui avec de graves considéra­ rions hisrorico-sociales : l'Occuparion, le mílieu de la mode er la {( mysogi­ nie » de Clarence, le srarur social er imaginaire de la fernme darrs la sociéré des années quaranre ... Mais le cirréma appelle d'autres « programmatious » moins socio 10­ giques. Rapprocher !es fllms, rerwuver I'origine er suivre le desrin d'une image de [dm, de film en film, de film en texte. De I'iconographie au sa­ VOiL .. Ce rr'esr peur-erre que ce que I'hisroire de I'arr a enseigné pendant ce siecle au cours duquelle cinéma esr né. Pourrant, cer enseignemenr de­ meure encore un projer d'avenir pour le cinéma, donr la mérhode pourrait erre emprunrée méraphoriquement la prarique de la courure : rappro­ chemenrs, recouvremenrs, pliages, fron¡;:ages, césures imperceptibles enrre les rissus ... Une esrhérique du [tlm relevanr d'un montage qui force les parentés rhé­ matiques, qui réduit les indifférences stylisriques er qui joinr les images er la pensée. Falbatas a éré diffusé de nombreuses fois la rélévisiorr er le rnagnéro­ scope! a permis de revenir er de s'arrerer sur ceHe séquence flnale de la chure du héros, le coururier Ciaren ce, a rravers la fenerre illuminée rel un écran opaque de cinéma. Lorrgtemps, il étair permis de confondre dans cetre image la réaliré er l' ombre projerée. Longremps, il était difficile de distinguer I'in­ versíon que mer en scene Jacques Becker : soudain la fenetre esr envahie par la lumiete er se découpe projerée sur le mur opposé du salon, le visage apeu­ ré de Philippe Clarence revient une ulrime fois, le mannequin est morce1é éroriquemenr en deux plans fulguranrs, comme happé par [a vítesse du dé­ roulemenr des phorogrammes. Ce ne sonr que les ombres de Cfarence er du mannequin qui ritubenr avanr le basculemenr fatal des deux corps hors du monde. Devenu démenr d'amour, Clarence passe de I'autre córé de la lumiere. Son rayonnemenr séducteur n'érair donc jusqu'jci qu'un envers de la lumie­ .... re, un soleil noir. Clarence se jette er disparair dans un écran. Plus rard, le Michel-Ange des Carabiniers s'abímera aussi dans un écran. Antérieuremenr, dans Le .Iour se leve, Jean Gabin se débarrait dans un comparable rerranchement memal er

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o.. : rceptif Mais de Carné a Godard, íl s' est passé bien des cboses dans le ci­ ;léma, dont Becker pourrait avoir été un des passeurs. Jacques Becker bénéfl­ cie d'une reconnaissance encore rrop discrete dans l'avenemem du cinéma moderne pour lequel se pose myrhiquemenr (topos épuisé ?) cerre quesrion du seuil écraníque qu'íl faut ou non franchir. Les décors duJour se leve recréenr l'illusion d'une véritabte rue que sur­ plombe une véritable chambre. Renforcée par le miroir démulripliant un es­ p;lce irrémédiablemenr scénique, la chambre enferme déflnitivemenr Gabin. Luí ne saure pas.

Al'opposé, l'espace du s;llon de Clarence esr ostensiblemenr aboli par la

mise en scene de Becker pour se réduire cerre surface divisée géomérrique­

menr par l'ombre projetée de la fenerre. Cest la guerre déclarée a l'il1usion.

La réaliré fllmée n'est que surface, (' fenetre ouverre sur le monde» soir, mais

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c'est un monde-gouffre qui se substitue a la représenrarion. Enfln, la salle de cinéma eles Carabínim émerveille Míchel-Ange et l'illusion \'invite avoir au-dela de l'écran. Michel-Ange fait l'expérience phy­ sique d'un écran bien rée\, dispensé de toure métaphore : il ne le traverse pas, il chute ;lvec le voile comme pour une défenesrration. Et l'image projetée continue de se mouvoir. L'enchainement des films er des idées porte légirimement de ces Ca rabí­ níers a Rossellini (donr il en était un des adaprateurs). "Voyage en Italíe rrOus obsede [Qus pour des raísons voisines : quand les choses basculent-el1es, quand s'inversent-elles dans la réaliré ? Dans le raccord des plans er des pho­ togrammes ) Pell(-On vérifier, isoler le passage sur le photogramme d'un érar du rée\ a un autre ) Le cinéma COflserve-t-il et pem-il resriruer cerre « dialec­ rique a ['arrer dont parle Walrer Benjamin ?1 Dans Falbalas er le "Voyage, il s'agit de deux séquences donr la fonction de clorure dramaturgique est large )J

ment excédée par la réfiexion onrologique qu'elles amorisent. Avallr le film de Rossellini dont on s'accorde aujourd'hui adire qu'il inau­ gure la modernité cinémarographique, Becker (er avec lui, Ophuls, Tati, Bres­ son) mine l'édifice classique en proposant un récit dont il faut chercher la né­ e cessiré dans les plis du mootage et non dans la vraisemblabilité psychologiqu des personnages. Des plis narratifs aceux des étoffes... Autorísons-nous la méta­ phore. Falba/as: le rirre évoque pour moi le rourbillon des éroffes que l' on drape en Haure Couture (la mere de Becker y a travaillé et l'élégance du cinbste eSI bien connue) ou encore le rourbiJlon hystérique de Philippe Clarence. 123

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