BasketNews 511

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60 ANS DE MONDIAL, ÉPISODE 4/7

rétro

1982, 1986

ARVYDAS SABONIS, L’EXTRA-TERRESTRE En quatre ans, Arvydas Sabonis va laisser deviner qu’il aurait pu devenir le plus grand basketteur de tous les temps. Une terrible blessure le clouera ensuite au sol. Par Pascal LEGENDRE

20 minutes de folie On apprendra plus tard qu’avant d’être un géant, Arvydas avait appris à jouer à tous les postes, « à faire de bonnes passes et même des passes audacieuses. » Sabonis, c’était l’alliance de la force

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S

i vous ne croyez pas qu’Arvydas Sabonis aurait pu devenir le meilleur basketteur de tous les temps – Michael Jordan inclus –, c’est que vous ne l’avez jamais vu jouer avant sa cruelle blessure survenue alors qu’il n’avait pas 23 ans. En 1982, le Championnat du monde s’est tenu à Cali, à mille mètres d’altitude. L’URSS y a vaincu les ÉtatsUnis par la plus petite marge, 95-94. Les chiffres officiels rapportent que Sabonis a tourné à 9,2 points en moyenne, mais ils sont un peu faussés car Sabas en a marqué 28 face aux faibles Colombiens et n’est pas entré en piste, ou si peu, lors des rencontres phares. Ce n’est encore qu’un gamin de 17 ans, tout en longueur – on l’annonce alors à 2,15 m pour 113 kg –, qui court avec une incroyable agilité et qui possède les mains d’un prestidigitateur. En fait, la légende d’Arvydas-le-Terrible va prendre naissance au retour de Cali, lors d’une tournée de douze matches que l’URSS effectue aux États-Unis. Le Lituanien y compile en moyenne 18 points et 9 rebonds en 27 minutes. Le game face à Indiana est télévisé au niveau national par CBS et Bobby Knight, le coach de la fac, est si impressionné qu’il déclare : « Il est sans doute le meilleur joueur non-américain que je n’ai jamais vu jouer. » Juste après, l’URSS est invitée à se mesurer à Virginia, et Sabonis à Ralph Sampson, 2,23 m, dont on dit alors sans détours qu’il va « révolutionner le jeu. » Sampson s’en tire avec 13 points et 25 rebonds, Sabonis cumule 21 points et 14 rebonds. « Sabonis a clairement dominé Sampson », jugea Bill Wall, le directeur exécutif de l’Amateur Basketball Association. Sampson est de quatre ans l’aîné de Sabonis et sera retenu comme premier choix de la Draft 1983. « Il pouvait tout à fait devenir le plus grand joueur de ce jeu », estima Pete Newell, le DRH des Golden State Warriors et spécialiste des pivots. « À 2,20 m, il était naturellement bâti comme aucun autre joueur que je n’avais vu et il se comportait comme un ailier très athlétique. Il possédait des mains incroyables et un physique fait pour le basket-ball. S’il avait joué pour une équipe américaine, je l’aurais drafté avant Pat Ewing. » Sabonis était revenu émerveillé des ÉtatsUnis – « J’y ai tout appris » -, et était déjà impatient d’y retourner l’année suivante. « Malheureusement, nous ne jouerons que contre des amateurs. Jouer contre les pros serait extraordinaire mais il ne faut pas y penser. » Pour quelque temps encore, la NBA était l’Ange du mal pour la Fédération Internationale en général et les pays communistes en particulier.

Quatre ans séparent ces deux photos. À Cali, en 1982, Sabonis a encore le visage juvénile. À Madrid, ses cheveux tombent sur sa nuque, il va bientôt se laisser pousser la moustache, c’est un homme.

herculéenne – il cassa deux panneaux à Caen lors de l’Euro 1983 – et de la finesse du joueur d’échecs. Scorer à trois-points était pour lui aussi facile que de faire une passe dans le dos ou de conclure une contre-attaque à la vitesse d’un TGV. À peine sortie de l’adolescence, cet étudiant en économie devint une superstar en Lituanie. Une anecdote révélatrice : la vodka se vendait en URSS soit en bouteille de 0,5 litre, soit en bouteille de 0,75 litre. Dans son pays, pour acheter la plus petite, on disait « donnez-moi une Masalskis ! », du nom du meneur de jeu de Zalgiris Kaunas. Et pour la grande bouteille, c’était une « Sabonis ». À cause du boycott soviétique, Arvydas ne put s’étalonner face à Pat Ewing et l’équipe américaine des Jeux de Los Angeles. Aussi, c’est lors de l’Euro en Allemagne, un an plus tard, que son génie a véritablement éclaté au grand jour, tout particulièrement lors de la première mi-temps face à l’Italie. Ses 26 points, 5 rebonds et 2 contres ne peuvent restituer totalement la formidable impression qu’il offrit ce jour-là à tous les observateurs éberlués. Claquettes en force, bras roulés de gauche et de droite, tirs extérieurs dont un à trois-points, passes en aveugle, ce fut un échantillon complet de son immense talent. Du jamais vu sur un sol européen. Les Italiens, champions d’Europe en titre, virent trente-six chandelles, encaissèrent 73 points en une mitemps et furent relégués à 33 longueurs ! Pour une fois, Sabonis n’avait pas donné l’impression de s’ennuyer. Car combien de fois à cette époque l’avons-nous vu boudeur, râleur, ne se

donnant à fond que sur certaines séquences bien précises. Contrairement aux jeunes big men américains de son âge, Sabas ne pouvait défier Kareem Abdul-Jabbar, Moses Malone et Bill Walton. « C’est un problème », nota judicieusement Pete Newell, « car l’opposition qu’il rencontre en Russie ne le pousse pas à faire mieux, il devient parfois paresseux. » Cela n’empêchait pas Bill Walton de déclarer son admiration. « Même si je n’ai pas joué

les Soviets. Vladis Valters plante une troisième banderille. Égalité, prolongations. Les Yougos ne s’en remettront pas. En finale, les États-Unis se dégagent très vite au score et Alexander Gomelski place Alexander Belostenny (2,13 m) aux côtés de Sabonis pour dérégler le mécanisme américain. En pure perte. 18 points d’avance pour les USA à la 32e minute. Sabonis jusque-là n’a eu que des éclairs. Subitement, il décide de revêtir sa cape de Superman et plus rien ne lui résiste, y compris David Robinson. Il va scorer au total 16 points et capter 11 rebonds et l’URSS va mourir à deux points (87-85) de l’équipe américaine. On ne sait pas encore que c’est la dernière fois que l’on a vu à l’œuvre le véritable Arvydas Sabonis. Il n’a que 22 ans et demi. Quelques mois plus tard, une dépêche en provenance d’URSS nous apprend qu’il a été victime d’une rupture du tendon du pied droit. Il est opéré avec l’aide de chirurgiens finlandais. Seulement, trois mois plus tard, il enlève son plâtre pour aller passer un coup de fil et se prend le pied dans le lino. Son tendon cède de nouveau. Au comble du désespoir, il s’enferme dans sa chambre, s’enivre probablement de vodka et n’appelle les médecins que le lendemain. Un tendon est brisé, un rêve aussi. Le docteur Cook de Portland redonnera vie à l’animal magnifique qui portera l’URSS vers le titre olympique à Séoul en 1988. Arvydas aura la reconnaissance du ventre en signant ensuite avec les Blazers. Seulement, s’il jouera toujours avec sa tête et la force de ses bras, il ne sera plus jamais aérien. Son parcours en NBA fut remarquable. Il aurait dû être unique. n

« Il pouvait tout à fait devenir le plus grand joueur de ce jeu » Pete Newell

contre lui, à chaque fois que je l’ai vu, je l’ai trouvé incroyable. Je ne comprends pas pourquoi une équipe ne met pas un million de dollars sur la table pour le faire venir. Sabonis pourrait être une star en NBA dès à présent. »

La cape de Superman Son match-up avec David Robinson de la Navy interviendra en 1986 lors de la finale du Championnat du monde en Espagne. Seulement, Sabonis n’y apparaît plus aussi svelte. L’abus de vodka ? Il est toujours hyper puissant, mais moins bondissant. En demi-finale, l’URSS passe tout prêt de la trappe. La Yougoslavie de Drazen Petrovic mène 85-76 à 54 secondes du terminus. Ce sera l’un des plus extraordinaires come-back de l’histoire de ce jeu. C’est Sabonis qui plante un premier trois-points. Les Yougos perdent leurs nerfs. Nouveau triples de Valery Tikhonenko. La foule madrilène pousse


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