Carnet de Voyage à Marquèze mai 2018

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L'airial de Marquèze

12 mai 2018

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Jean-Pierre Lazarus


L'airial de Marquèze le 12mai 2018

Carte www

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Présentation de l'airial (Pages 3 et 4)

La maison du mineur (Pages 12 à 14)

Fa b r i q u e r le pain (Pages 5 à 7)

La maison des métayers (Pages 7 à 9)

La société landaise (Pages 10 à 12)

Le musée ( Pa g e s 1 4 e t 1 5 )

La maison d e Ma rq u è z e ( Pa g e s 1 5 e t 1 6 )

La maison du brassier ( Pa g e 1 6 )

Le musée de Sabres ( Pa g e s 2 0 à 2 3 )

L'aire meunière ( Pa g e s 1 7 à 1 9 )

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Carte et sommaire

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VISITE DE L'AIRIAL DE MARQUÈZE

Photo Félix Arnaudin trouvée sur la Toile

Voici neuf années que j'ai, pour la dernière fois, C'est plutôt un jour d'automne car, à mesure que pasvisiter l'airial de Marquèze. Auparavant, je m'y étais sent les heures, il fait de plus en plus frais entre les rendu en octobre 1985 avec les élèves de ma classe de grands chênes et les pins efflanqués. Mais surtout, il CE2 et y avais découvert pleut comme il pleuvait un site remarquable, pas déjà lors de la précédente Il pleut encore aménagé comme Averse averse averse averse averse averse sortie à Salies-de-Béarn et aujourd'hui : il n'y avait ni ô pluie ô pluie ô pluie ô pluie ô pluie ô pluie ! comme il pleuvait aussi, restaurant ni petit train ! gouttes d'eau gouttes d'eau gouttes d'eau gouttes d'eau l'année précédente, à la Impression, ce jour-là, parapluie ô parapluie ô paraverse ô ! même époque, lors de la d'être plongé dans le XIXe paragouttes d'eau paragouttes d'eau de pluie visite de Sarlat. Maudit siècle : liberté de vaga- capuchons pèlerines et imperméables temps… bonder entre les bâti- que la pluie est humide et que l'eau mouille et mouille ! ments, très belle journée mouille l'eau mouille l'eau mouille l'eau mouille l'eau Nous partons assez tard, automnale, solitude dans et que c'est agréable agréable agréable vers 7 h 15, de Pessac, mais ce bel airial qui pouvait d'avoir les pieds mouillés et les cheveux humides c'est encore trop tôt : presque nous appartenir. tout humides d'averses et de pluie et de gouttes Marquèze n'est pas loin. Les élèves avaient bien d'eau de pluie et d'averse et sans un paragoutte Kléber, notre chauffeur travaillé et il est possible pour protéger les pieds et les cheveux mouillés attitré, celui qui respecte que certains de leurs tra- qui ne vont plus friser qui ne vont plus friser les règles du code et les vaux illustrent ce présent à cause de l'averse à cause de la pluie limitations de vitesse, se récit. Beau souvenir… fait doubler, sur l'autoà cause de l'averse et des gouttes de pluie route à deux voies, par les des gouttes d'eau de pluie et des gouttes d'averse Si je me suis inscrit à camions pressés dont les cheveux désarçonnés cheveux sans parapluie conducteurs ne respectent ce voyage du 12 mai 2018, Raymond Queneau pas grand-chose. Étrangers c'est d'abord parce qu'il pour beaucoup, Portugais, est toujours agréable de Espagnols mais aussi Roumains, Bulgares, Lituarevenir dans un lieu que l'on aime bien et que je niens ou Polonais, ils n'ont que faire de nos règles. commence – commence seulement – à comprenSeul compte le temps qui doit courir vite, à l'image dre, bien qu'il me soit totalement étranger : je ne de ce lévrier dessiné sur l'un de ces camions pressés. suis pas d'ici ! C'est aussi dans l'espoir qu'une visite guidée m'en apprendra davantage : en ce sens, ma dé- Autoroute jusqu'au Muret puis route de Pissos : Kléber gare le bus sous les grands chênes, devant la gare ception est grande. de Sabres, plus d'une heure avant celle du rendezCe 12 mai est semblable à la plupart des jours de vous. La pluie nous confine dans le bus. Attendre… printemps et d'hiver de cette année 2018 : il pleut. Avez-vous remarqué le joli palindrome de l'airial ?

La lande de nagu!re photographi"e au XIXe si!cle par F"lix Arnaudin -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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Retourner à Marquèze

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10 h 15. Le train s'ébranle pour dix minutes de voyage et quatre kilomètres de parcours. La locomotive diesel tire six wagons verts datant du début du XXe siècle et classés monuments historiques. Ce TPV (Train à Petite Vitesse) nous conduit dans un temps que nous n'avons pas connu, vers un monde disparu, vers un quartier dont les anciens habitants connurent une révolution si extraordinaire qu'elle changea tant leur mode de vie et leur paysage qu'ils ne s'en remirent jamais. En réalité, le quartier vers lequel nous conduit le train est non pas une illusion mais une parenthèse de l'histoire. Le train siffle dans la forêt, n'effraie même pas la biche qui se retourne à peine tant elle est habituée à son passage régulier et nous propulse vers cette transformation d'un monde qui n'exista que durant quelques générations, à peine le temps de s'y habituer alors qu'auparavant, l'immuabilité avait duré des siècles (et sans doute d'avantage) et qu'après, tout s'écroula. Nous allons découvrir un monde juste avant son effondrement. Quelques vitres des wagons sont couvertes de films transparents qui mentent aux voyageurs, à ceux qui ne connaissent pas l'histoire de ce pays, qui ignorent qu'ils voyagent, se promènent ou visitent un monde artificiel. Le vrai monde, celui qui existait avant, a disparu mais il était si étrange, si surprenant, que les personnages, mentionnés dans les hors-textes bleus de ce récit, en ont été profondément impressionnés, désorientés, un peu comme un touriste d'aujourd'hui, mal préparé, qui découvrirait, pour la toute première fois, l'Inde ou le Congo. L'incompréhension sous ses propres yeux…

monter. La vie devait y être excessivement difficile, faite de petits riens, de néant, de moutons, de bergers, de marais, de fièvres, d'hostilités. Mais ce n'est pas vers ces Landes-ci que nous conduit le train car elles ont disparu, englouties par une afforestation miraculeuse et imposée. Le pays aux horizons immenses et infinis est devenu un territoire sans horizon, une immense futaie de pins maritimes aux troncs élancés coiffés d'un toupet de branches ébouriffé. Une révolution paysagère sans égal… Les wagons sont courts, en bois vernissé. Les sièges aussi sont en bois, sans confort, disposés face à face en cinq groupes différents. Cinquante places assises, annonce un petit panonceau, et vingt places debout. Les fenêtres ne tiennent que coincées sur leur rebord, légèrement inclinées. Ouvertes, elles disparaissent dans les parois des wagons. Souvenir d'un temps que personne parmi les trente-neuf de notre groupe, n'a connu… Ultime sifflement de la locomotive avant d'entrer en gare de Marquèze. En fait de gare, un simple quai : attention aux marches auxquelles nous ne sommes plus habitués ! Terminus, tout le monde descend. De toute façon, locomotive et wagons sont prisonniers de ces quatre kilomètres de voie unique car les seize autres, qui se prolongeaient jusqu'à Labouheyre, ont disparu. Le train est contraint à des allers retours, une fois tiré, une fois poussé. Il pleut en descendant : nous nous abritons sous la halle et écoutons une femme nous résumer la journée, nous dire comment allons traverser cette parenthèse du temps.

Photo Félix Arnaudin trouvée sur la Toile

Car il est très probable qu'avant le grand changement, les Landes n'étaient pas grand-chose. Immenses territoires marécageux et vides, platitude absolument que les échasses ne suffisaient pas à sur-

Je n'ai rien vu d'aussi ennuyeux que ces maudites Landes. François de la Rochefoucauld, 1613 - 1680.

Paysage des Landes avant la grande a#orestation des XVIIIe et XIXe si!cles -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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Voyage en train

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Le désert du Sinaï est le pays entre Bordeaux et Bayonne. Voltaire, 1694 - 1778.

PREMIÈRE VISITE DE L'AIRIAL Dès les premières minutes, sous la halle, nous sommes avertis de la tromperie : si le quartier de Marquèze a vraiment existé, s'il y avait bien trois propriétaires qui se partageaient l'espace, seules deux ou trois maisons ont toujours été là. L'airial était en ruine lorsque fut décidée sa sauvegarde. Les belles maisons, les granges, les diverses bâtisses qui composent, aujourd'hui, ce quartier isolé, viennent d'ailleurs, ont été données, démontées, transportées, remontées pour participer à la création d'un écomusée car, en réalité, Marquèze est aujourd'hui un écomusée, peut-être même le plus ancien du pays puisqu'il a été inauguré en 1969. Marquèze est donc devenu une fenêtre sur un passé qui n'existe plus, une parenthèse du temps. L E PA I N Notre groupe est divisé en deux. Celui dans lequel je me retrouve se dirige vers la maison pédagogique, appelée sur le plan "maison Parrage", naguère habitée par le vannier. À l'intérieur, des tables qui pourraient être de cantine scolaire. La guide nous dit que nous allons faire du pain, ce qui ne m'intéresse pas. Je suis venu ici pour voir, compléter ce que je

La guide est assez discrète en explications. Ou alors, j'ai manqué quelque chose… Elle demande à se mettre en binôme, un mot que je n'avais plus entendu depuis que j'ai quitté l'école, puis de verser dans un saladier cinq cents grammes de farine. Pour garantir le poids, des balances électroniques dont on ne voit pas les chiffres digitaux soit parce que le saladier les couvre ou fait de l'ombre soit parce que la pièce est trop sombre. Encore faut-il savoir utiliser ces balances. Des Roberval seraient bien plus adaptées à la situation et plus pédagogiques pour des élèves. Mais admettons les balances électroniques… Quatre balances, dix binômes, un seul récipient contenant la farine. Je n'ai pas su d'où venait la farine. Venait-elle du moulin de Marquèze ? C'eût été formidable ! Était-elle de blé seulement ou mélangée à du seigle ? Mystère. Non dit ou pas entendu… Chaque binôme obéit sans réticence et se jette dans cet apprentissage avec une application qui me surprend. Je laisse Kléber faire. Il vient souvent avec des classes et connaît la leçon de pain. Cependant, il faut du temps pour que chaque binôme pèse sa farine. Puis la levure : dix grammes, à peser sur les balances électroniques. Puis son eau : 300 cl, nous dit la guide. Il n'y a aucune explication. On obéit, c'est tout. Émietter la levure, verser l'eau. Tout à la fois ou peu à peu ? Pas de réponse… Kléber sait, Kléber fait. Je tiens le saladier, ce qui est déjà beaucoup et nécessaire. La guide a-t-elle exigé que les apprentis boulangers se lavent les mains ?

Photo Comité du Monteil

Photo Félix Arnaudin trouvée sur la Toile

Les habitants des Landes sont des espèces de sauvages, par la figure, par l'humeur et par l'esprit ; ils ont tous le visage jaune et plombé ; leurs vêtements sont faits de peaux de mouton. Lamoignon de Courson, 1714.

crois connaître, pas pour un simulacre, une imitation. Je peux comprendre que, lorsque les écoles viennent ici – j'y suis moi-même venu avec une classe bien avant l'invention de l'atelier "pain" – on propose aux enseignants la participation à un atelier de fabrication de pain. Mais pas à des adultes. J'y vois un manque d'imagination. Il n'y a donc rien d'autre à faire ici ?

Femme enfournant son pain $XIXe si!cle%

Plaisir de fabriquer son pain

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Les paysans landais sont peu civilisés ; le genre de vie qu'ils mènent les rend tout à fait rustiques et presque sauvages. Ils vivent seuls et comme ignorés du genre humain. Jacques Grasset de Saint-Sauveur, 1798.

L'air est très malsain dans tous les lieux qui bordent les marais et les étangs. Dans l'été et surtout dans l'automne, les naturels même du pays s'y trouvent incommodés de violents maux de tête et de fièvres très difficiles à extirper. Guillaume Desbiey, 1776.

veut rapporter chez lui son pain pour le montrer à ses parents et avoir le plaisir de le manger. Nos apprentis boulangers ont la même volonté, la même fierté. Et c'est ce que sous-entend la guide. Aussi, certains binômes inventent-ils des décorations ou des formes pour être sûrs de reconnaître son pain pour le rapporter chez soi et le manger. N'est-ce pas la moindre des choses ?

N'ai rien entendu en ce sens… Je veux croire qu'elle l'exige des enfants, quand ils viennent mais n'en ai pas la preuve. Kléber malaxe, malaxe et malaxe encore : la pâte est très liquide, presque pâte à crêpe. Où est l'erreur ? Pas dans l'eau, j'ai vérifié. Bientôt, il apparaît évident que ce que fait Kléber ne donnera jamais un pain. Il faut rajouter de la farine sans la mesurer, cette fois. La pâte colle, colle et colle aux doigts. Peu de progrès dans la consistance de la pâte. Farine, encore de la farine ! Ça colle toujours. Farine ! La voisine obtient déjà quelque chose qui pourrait devenir du pain. Pas Kléber qui, pourtant malaxe, malaxe et malaxe à qui mieux mieux. Farine ! Finalement, il obtient quelque chose qui prend de la consistance et permet de sortir la pâte du saladier pour être pétrie sur la table en Formica. Farine, encore ! Des explications, il n'y en a toujours pas : qui faisait le pain autrefois, où, quand, combien, avec quoi ? Rien de tout cela ne nous est raconté. Comment les habitants de ce quartier se fournissaient-ils en levure, par exemple ; en voici une question qui aurait mérité une explication. Les binômes pétrissent et commencent à obtenir quelque chose de transportable. Enfin, presque transportable.

Après quarante minutes de travail, de préparation et de pétrissage, voici que l'autre groupe entre et nous chasse. Certains futurs pains sont à peine transportables. Ceux de Kléber le sont. Il a réussi. Mais il pleut, dehors. Avoir un pain dans la main, un parapluie dans l'autre et le sac en plus, pas simple. Direction le four, sous la pluie. La personne qui nous reçoit ne semble pas au courant de ce soudain afflux de pains. Elle attrape une plaque et une feuille de papier puis pose les morceaux de pâte sur le papier. Certaines pâtes collent encore aux mains, d'autres commencent à glisser entre les doigts. Vite, poser l'objet étrange qui doit devenir pain sur la feuille de papier… Funeste erreur ! Heureusement, le boulanger, le vrai, arrive et trouve les toiles et, d'un geste professionnel, dépose les différentes pâtes sur la toile, la replie un peu pour qu'elles ne se touchent pas. Très vite, les différentes formes de reconnaissance disparaissent dans les replis de la toile. Le résultat ne sera connu qu'en fin de visite car il faut chauffer le four et attendre la cuisson. Nous abandonnons nos pains au boulanger.

Photo Comité du Monteil

Il faut alors partager la pâte en deux pour obtenir un pain chacun. Dans le vrai jeu, les enfants doivent être heureux de pétrir leur pain (enfin, je suppose). Moi pas. Je laisse Kléber finir le travail. Je suppose (encore) que chaque enfant qui pratique cette activité

Marquer son pain pour le reconna&tre

D"poser 'nos( pains sur la toile

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Les pâles et livides solitaires des pignadas, tristes et chétifs colons, cultivateurs de millet et de millade. Le baron Duplantier, préfet des Landes, 1806.

Le Landais forme dans le département une peuplade à part, il est inaccessible aux tendres émotions de l'âme. Jean Thore, 1810.

Il existe trois fours à Marquèze car il y avait trois familles qui vivaient sur l'airial. Chacune avait son four et en laissait l'usage à ses gens. Ce ne sont pas des fours banals comme dans certains villages moyenâgeux mais des fours privés. Pas de taxe d'usage mais une utilisation rationnelle pour économiser le bois, ne pas le chauffer pour peu de pains. La guide explique qu'au XIXe siècle, à Marquèze (et dans les Landes), la population se nourrissait de pain et de soupe. Plus d'un kilo de pain par jour et par personne. Or il pouvait y avoir quinze personnes par maison soit quinze kilos de pain à partager chaque jour. Le pain n'étant pas fait chaque jour, il devait pouvoir se conserver longtemps. Naguère, il me semble qu'il y avait encore, dans certaines maisons, des étagères suspendues sur lesquelles étaient entreposés des pains ou de belles imitations. Ne les ai pas revus cette fois.

question n'ayant pas été posée, la réponse ne fut pas donnée. Nous quittons le boulanger et son four et nous nous dirigeons vers la maison de métayer.

Trois propriétaires sur Marquèze, trois métairies aussi. Le métayer habite, avec sa famille, une maison qui appartient au propriétaire, au maître. Il travaille les terres du maître avec les bœufs du maître et donne au maître une partie de la récolte. Le métayer est donc soumis au maître, au droit coutumier du métayage, lequel varie d'un quartier à l'autre. Cette maison, comme beaucoup d'autres, a été démontée de son lieu d'origine, transportée à Marquèze puis remontée. L'assemblage de la structure en bois par des chevilles – pas de clous – permet si bien cette opération que l'on pourrait croire que la maison a toujours été là. Il suffisait de remplir les espaces entre les montants en bois par un torchis pour que les murs réapparaissent dans leur perfection. Comme toutes les maisons des landes humides, elle ne possède pas de fondations : elle est posée sur le sol, la façade principale orientée vers l'est. Son toit compte quatre pans, celui orienté vers l'ouest étant démesuré pour protéger le bâtiment des pluies et du vent venant de l'ouest. Contre la façade principale, sans auvent, blanchie à la chaux, pousse un pied de vigne qui fournissait du raisin à l'automne venu. Bien que la maison possédât deux niveaux, seul le rez-de-chaussée était habité. La pièce à vivre était celle dans laquelle on entrait et celle qui possédait

Photo Comité du Monteil

Sauf erreur, je n'ai pas entendu la guide nous dire combien de temps les femmes passaient à faire le pain. Ni le temps de cuisson, non compris la mise en chauffe du four. Qui cherchait le bois pour le four ? Mystère. Qui allumait le four et le chauffait ? Mystère. Combien de temps pouvait-on conserver ce pain ? Mystère car longtemps n'est pas une réponse. Où conservait-on le pain ? Mystère… Avoir les réponses à ces questions m'aurait davantage plu que de faire du pain. Aucune de ces questions n'a été posée, absorbés que nous étions dans le pétrissage de la pâte. Il y aurait eu une autre question à poser : le four servait-il à autre chose qu'à cuire le pain ? Comment était utilisée sa chaleur, autrement que pour cuire le pain ? La

L A M A I S O N D E M É TAY E R

Le four de Marqu!ze) r"nov") fonctionnel

La maison du m"tayer dans son cadre 'naturel(

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L'airial de Marquèze : pain et métairie

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Il n'est peut-être aucun pays en France où les eaux soient plus mauvaises que dans les Landes. Pendant l'hiver, tout y est submergé ; c'est l'aspect du déluge universel. Les villages situés dans les sables des Landes, comme les oasis au milieu de ceux de l'Afrique, ensevelis dans les bois. Jean-Florimond Boudon de Saint-Amans, 1818. OUEST

Évier

Souillarde

Escalier vers le grenier ▼

Chambre

Fourneau potager

Les Landais sont presque tous petits et maigres, ils ont le teint livide et plombé ; les femmes sont noires et laides, les enfants pâles et bouffis. Saint-Amans, 1818.

bre de maisons ne possèdent pas de vitrage. Les baies sont fermées par des barreaux de bois qui laissaient passer la lumière mais pas la volaille. Les doigts du vent glacé d'hiver devaient s'infiltrer dans ces baies même lorsqu'elles étaient fermées par un volet. Dans l'immensité plane et vide des Landes d'avant le grand changement, le vent était sans doute l'un des maîtres des lieux, avec l'eau marécageuse.

Cheminée

Pièce principale Chambre

Chambre EST Plan de la maison du m"tayer

une cheminée, seul moyen de chauffage. Elle est flanquée de deux chambres sur son côté droit et d'une seule à gauche. Le quatrième espace était un lieu de passage pour accéder à l'escalier qui monte au grenier. L'intérêt des maisons de Marquèze, outre leur excellent état de conservation, est qu'elles sont meublées comme elles devaient l'être au XIXe siècle. Dans chaque chambre, un lit fermé par un baldaquin, non que les habitants vivaient dans le luxe mais ils se protégeaient du froid. Le lit haut protégeait aussi de l'humidité du sol. La qualité des tissus qui descendent des baldaquins et enveloppent les lits me font douter qu'ils furent utilisés par des métayers, lesquels ne devaient pas mener une vie de château. J'imagine très mal comment ces gens vivaient ici en hiver car nom-

Chambre) lit * baldaquin et rouet

Dans la cheminée, le feu était constamment entretenu, le jour avec du bois de pin, le soir avec du chêne, deux essences très courantes dans les Landes. C'est dans la cheminée que mijotait la soupe quotidienne. Sur l'étagère de cette cheminée, complétée par un rideau pour un meilleur tirage, le métayer déposait le sel, les cartouches, ses guêtres ou les chandelles de rechange afin que tous ces objets essentiels soient protégés de l'humidité. Chaque famille fabriquait ses chandelles avec de la cire d'abeille mais j'ai vu, dans la maison pédagogique, des tèdes. Que sont les tèdes ? Ce sont de fines lamelles de bois de pin, riches de résine et que l'on faisait brûler pour avoir un peu de lumière. On imagine mal la vie sans électricité, lorsque la nuit tombe vers dix-sept heures en hiver. Pour gagner quelques minutes de vie en communauté, la lumière était nécessaire ; or, la lumière du XIXe siècle, c'était le feu, les bougies, les chandelles, les tèdes… Les maisons de l'écomusée sont utilisées pour approcher un détail de la culture landaise en vigueur au XIXe siècle. Dans la maison du métayer, c'est le linge

L+"vier en pierre et son "coulement vers l+ext"rieur

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Ici vivent des êtres sauvages, des hommes abrutis, sans être pervers, des peuplades de bergers chasseurs qui naissent vivent et meurent, effrayés du tumulte des bourgs qui marquent la limite de leurs excursions. François Arago, 1829.

Les Landais sont petits et maigres, ils ont le teint hâve et décoloré, les cheveux lisses, la physionomie triste et une grande irritabilité nerveuse. Abel Hugo, 1835.

qui est mis en exergue. Pour avoir du linge, il fallait du fil et pour avoir du fil, il fallait cultiver les plantes ad hoc ou tondre les moutons. Il est peu probable que dans les temps reculés – ceux d'avant le grand chamboulement – le coton ait été utilisé par les bergers landais. La fibre était obtenue à partir du lin et du chanvre, cultivés sur de petites parcelles. Long est le travail qui va de la plante au drap ou à la chemise. Je suppose que les hommes semaient (mais n'en suis pas sûr) mais il est certain que le travail du fil était un travail de femmes. Il fallait rouir les tiges, les briser avec la broie, en tirer les fils, les filer puis les tisser. Le tissage ne se faisait pas sur le quartier de Marquèze mais au bourg de Sabres. Cette production de fils pour les draps, les vêtements, les nappes était un travail de sociabilité important, pendant lequel les femmes et les hommes se retrouvaient autour de la veillée du soir pour échanger histoires et nouvelles du quartier. La laine était utilisée pour fabriquer des vêtements ; les explications à disposition des visiteurs indiquent que les hommes pouvaient tricoter la laine pour fabriquer des guêtres, par exemple. Les jeunes filles apprenaient à utiliser le rouet pour filer lin et chanvre. Elles passaient beaucoup de temps à se constituer leurs trousseaux qui devaient être prêts le jour de leur mariage. Le linge était souvent brodé aux initiales de la jeune fille à marier.

que que les carreaux bleus et blancs sont originaires du nord de la France, probablement acquis lors d'une foire. Dans la pièce arrière de la maison, appelée souillarde, par laquelle les gens entraient afin de ne pas salir la pièce à vivre, se trouve l'évier en pierre, posé devant une petite fenêtre à barreaux de bois. Bien sûr, l'eau venait du puits à balancier car la nappe phréatique est très peu profonde dans cette Haute Lande.

L'écomusée a installé, dans la maison du métayer, un atelier de fabrication de savon. Si ce produit est devenu fort banal chez nous, il était difficile de s'en procurer autrefois ; le fabriquer était une solution économique. Pour faire du savon, il fallait de l'eau (3 l), de la graisse de porc ou de canard (1 kg), de la colophane (150 g) et de la soude caustique (150 g). On chauffait le mélange eau-graisse-colophane jusqu'à ébullition puis on ajoutait la soude caustique. Il fallait alors cuire ce mélange pendant une demi-heure tout en le remuant avec une cuillère en bois puis, une fois qu'il avait épaissi, on le versait dans un moule et on le

Photo www

Près de la cheminée se trouve le fourneau potager alimenté avec les braises de la cheminée. Les aliments y mijotaient doucement. La fiche à disposition indi-

Derrière la maison, la porcherie et ses huit cochonnets d'un mois. Chaque famille avait ses cochons qui étaient engraissés avec les déchets ménagers et le son. Au début de l'hiver, l'un des cochons était tué lors d'une fête qui rassemblait une bonne partie du quartier car la tuaille du cochon était une affaire de groupe. La viande du cochon complétait, avec celle de la volaille, certains repas.

Le fourneau potager et la chemin"e du m"tayer

La maison des m"tayers et son grand toit orient" vers l+ouest

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L'airial de Marquèze : la maison des métayers

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L'aspect des Landes est peu propre à inspirer des idées riantes. Le guide du voyage en France, 1835.

Je comparai ces grands espaces vagues aux plaines incultes de l'Afrique. Colonel Lagan, 1836.

laissait refroidir une journée. Avec un couteau, on découpait le savon en morceaux et on laissait sécher les morceaux plusieurs mois sur une étagère ou sur une poutre du grenier.

au four. L'or a beau être un métal mou, il devrait résister aux deux cents degrés du four. La découverte de la perte de l'anneau va, évidemment, gâcher le reste de la journée de notre chauffeur. Quelle probabilité a-t-il de le retrouver avant de quitter l'airial ?

Avant de prendre nos places au restaurant, nous faisons un détour par la maison du mineur où l'on nous offre un peu de tourin à la tomate et quelques cubes de pain, histoire de nous réchauffer car il fait de plus en plus froid et de nous plonger dans les traditionnels repas dont se nourrissaient les gens d'ici, naguère. La marmite, posée sur un trépied, est chauffée, dans la cheminée, par un feu de bois. À travers les herbes humides, retour vers la gare et le restaurant où le comité a réservé le repas. Au menu : apéritif local à base de miel, de jus de pommes et d'armagnac, quiche aux poireaux et aux lardons (excellente), travers de porc aux pommes de terre sautées, délicieuses (il est assez rare de manger des pommes de terre par gourmandise !), tranche de pastis à la crème anglaise, café. Et pendant ce temps, tombe la pluie sur la forêt landaise…

Alors que les deux groupes reprennent la visite de l'airial en oubliant nombre de sites, je vole un peu de temps dans une ancienne bergerie pour photographier des panneaux qui expliquent la vie sur ce quartier, au XIXe siècle. Le premier panneau informe sur le milieu auquel étaient confrontés les habitants du quartier. Ces terres étaient hostiles, à la fois humides et pauvres. L'eau y stagnait car la pente est absente et, à faible profondeur, se trouve une couche d'alios, imperméable, qui ralentit l'écoulement et la percolation des eaux. Il fallait donc drainer les terres avant de commencer un champ. Or, le champ était essentiel, indispensable : impossible de s'en passer. Un très grand travail de préparation était donc indispensable avant toute mise en culture. La pauvreté des sols sableux imposait un amendement régulier et important. C'est là que les moutons prenaient leur importance car ils fournissaient aux habitants bien plus que leur laine ou leur viande. Dans un autre bâtiment, il est écrit que cent hectares de pâture permettaient à cent moutons de produire soixante tonnes de fumier, nécessaires à l'enrichissement de quatre hectares de champ pour y cultiver le seigle, la céréale des pauvres.

Photo Félix Arnaudin trouvée sur la Toile

C'est à ce moment que Kléber annonce qu'il a perdu son alliance. Le plus probable est qu'elle a glissé de son doigt alors qu'il pétrissait la pâte trop liquide, trop collante. Moi qui étais à côté ai vu la bague au doigt mais n'ai pas pensé à lui dire de l'ôter. La guide, qui anime cet atelier des dizaines de fois l'an, n'a pas donné de consignes en ce sens. L'espoir est donc que l'alliance est cachée au cœur de l'un des pains qu'il a fabriqués et qui se trouvent actuellement

L A V I E À M A RQ U È Z E

Labourage et semailles dans les Landes) au XIXe si!cle -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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L'airial de Marquèze : la société landaise

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On entre dans ce vaste désert de sable nommé les Landes. C'est le pays le plus triste du monde. Le pin maritime est bien l'arbre le plus laid qui existe. Stendhal, 1838.

La Lande rase a, en été, la sécheresse et la nudité des déserts de l'Afrique ; en hiver, c'est le froid tableau des marais de la Sibérie. Capitaine de Laubespin, 1839.

Le champ était ceint d'un talus surmonté d'une haie vive ou d'une barrière pour le protéger des animaux divaguant, parfois d'arbres fruitiers. Le champ était entouré d'un fossé de collectage des eaux. Sur cet espace très organisé, on cultivait le seigle pour faire le pain mais aussi le chanvre et le lin, sans oublier un petit jardin potager. Cette agriculture mobilisait toute l'année une importante main-d'œuvre ; dans cette économie rurale, les bœufs occupaient une place de choix. Les cultures tournaient sur les sols sans jachère : le seigle, semé en automne, remplaçait le millet, le panis et le maïs. C'était avec les bœufs qu'on labourait la terre, assez légère car sableuse. Lorsque cela était nécessaire, on ne se privait pas d'embaucher les enfants pour participer aux travaux agricoles et, en particulier, pour chasser les passereaux friands des graines de millet ou de panis. Les bœufs avaient une place de choix à l'intérieur des maisons des maîtres.

ments, ces sols pauvres donnent deux récoltes par an, l'une en automne – panis, millet et maïs – l'autre au printemps : le seigle. Une famille de dix personnes devait cultiver trois à cinq hectares de terre engraissée au fumier de mouton. Il fallait donc vingt à trente fois plus de landes que de terres cultivées pour assurer la sur vie d'une famille moyenne.

Photo Félix Arnaudin trouvée sur la Toile

Photo Félix Arnaudin trouvée sur la Toile

Sans la lande qui nourrit les troupeaux, la culture des champs serait impossible. Grâce aux amende-

Le seigle était semé en automne, après épandage du fumier, sur des terres relevées en billons pour mettre les semences à l'abri de l'humidité. Au printemps, les sillons accueillaient le millet avec lequel les Landais fabriquaient la cruchade, sorte de bouillie abondamment consommée. Le panis était réservé à la volaille. Au XIXe siècle, le maïs remplaça le millet. En coupant le seigle à la faucille, le laboureur s'assurait d'obtenir de longues tiges de paille qui servaient à la réfection des toits de chaume dont étaient couvertes les bordes mais aussi pour confectionner la coiffe des ruches. Lorsque la paille était mouillée, elle pouvait être torsadée et servir de support au torchis pour rénover les murs des maisons.

Femmes au puits

Femmes lavant

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L'airial de Marquèze le 12mai 2018

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Quelles contrées sont plus incultes et plus ignorées que les Landes ? Ces terres inconnues sont encore aujourd'hui dans la France de notre époque, la Thulé mystérieuse ou l'Atlantide des anciens. Baron de Mortemart de Boisse, 1840.

Les résiniers qui vivent dans les bois et s'abritent sous de misérables chaumières sont d'une apparence chétive et ne vivent pas de longues années. Colonel Saint-Hypolite, 1848.

Fa,ade de la maison du mineur

Plan de la maison du mineur

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Le groupe familial s'organisait autour de deux personnages centraux : le maître qui dirigeait l'exploitation et représentait la famille et son épouse qui organisait le travail domestique. Désigné par le vocable de tinel, il réunissait sous un même toit jusqu'à vingt personnes de plusieurs générations, et parfois des domestiques. Il était en principe dirigé par l'homme le plus âgé ou par son fils aîné, le chef du tinel. La maîtresse de maison veillait sur l'activité domestique et le travail des femmes. Les hommes dans la force de l'âge effectuaient les travaux agricoles, les plus vieux et les trop jeunes gardaient les animaux. Le chef de famille se réservait le travail de bouvier, fonction très valorisée. Les femmes s'occupaient de la volaille, du cochon et du jardin mais elles avaient aussi la charge de désherber et de sarcler les champs, et de participer à la moisson. La maîtresse avait la responsabilité de l'éducation des enfants et souvent, elle

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Pour ce peuple de la terre, la vie de leur société s'organisait suivant les travaux agricoles ; le calendrier religieux suivait le même rythme. La culture du seigle rythmait le calendrier depuis les semailles d'automne jusqu'aux moissons de début d'été. Les bonnes récoltes étaient si importantes pour la survie du groupe que les saints étaient souvent sollicités pour les aider à réussir. On cherchait à se concilier les faveurs du ciel et l'indulgence de la nature par des rites de fertilité et de protection très nombreux, à Noël, à Pâques, à la Saint-Jean ou lors des trois jours de Rogations qui précédaient l'Ascension.

Fa,ade orientale de la maison du mineur

Carde pour laine * matelas

Travail au rouet

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tenait les cordons de la bourse. Et, tâche essentielle, elle fabriquait le pain pour toute la maisonnée.

de Marquèze nous montre comment on file la laine, geste qui a traversé les siècles et les cultures humaines. Le matériel est simple, facilement réalisable avec des matériaux locaux et, une fois appris le geste d'étirage des fibres de laine, on peut fabriquer des kilomètres de fil. Fuseau et quenouille conviennent pour une petite production ou pour un travail rassemblant plusieurs femmes qui peuvent alors bavarder entre elles. Mais le rouet est beaucoup plus efficace. L'animatrice s'installe donc au rouet et nous montre comment, à partir des fibres de laine, cardées et peignées, on fabrique un fil solide. Il est même possible de lier deux ou trois fils ensemble car, nous dit-elle, on ne tisse jamais un seul fil. Une fois le fil sur le rouet, il faut en faire une pelote pour le tricoter ou l'apporter au tisserand. À côté du rouet, une carde à balançoire qui peignait la laine utilisée pour remplir les matelas. L'animatrice explique que chaque famille possédait cent cinquante moutons qui lui permettaient, outre tout ce qu'offraient les moutons, d'avoir de la laine. La visite de la maison est rapide : elle est partagée en deux parties qui communiquent, la partie orientale, assez grande étant, soi-disant, le logement du maître, la partie occidentale, plus petite, celle du métayer. La cheminée, au centre de la maison, était double et chauffait les deux salles à vivre. Dommage que cette cohabitation n'ait pas été expliquée. Mais il y a tant de choses, au cours de cette visite, qui ont été passées sous silence…

LA MAISON DU MINEUR Retour dans la maison du mineur où nous avions reçu un verre de soupe en fin de matinée. Cette maison de maître est fort élégante : le large auvent, que la guide nomme "estantade", orienté vers l'est, devient une pièce supplémentaire lorsque les beaux jours reviennent. La maison fut construite au XVIIIe siècle, quelque part dans les Landes, démontée, transportée et remontée ici, sur l'airial de Marquèze. Les spécialistes appellent ce genre de maisons des maisons à nef car elles sont constituées d'une partie centrale – auvent, salle à vivre orientale, salle à vivre occidentale – flanquée des chambres sur les deux côtés. La façade porte haut quatre poteaux de bois reliés par des lignes courbes, signe d'une certaine aisance et maintenus par une pièce en bois horizontale, appelée joug. Elle est protégée par un avant-toit assez large. C'est l'une des originalités des maisons landaises, un trait de culture de ces populations si décriées dans les hors-textes bleus lus au musée de Sabres : en hiver, les bœufs vivaient dans les maisons et assuraient une partie du chauffage. Si dans d'autres régions, ils étaient confinés au rez-de-chaussée, ici, à Marquèze, ils vivaient avec les humains. Deux ouvertures que la guide appelle estaoulis permettaient aux bœuf de passer la tête et leurs belles cornes afin de partager les heures avec les habitants. On pouvaient ainsi les nourrir facilement en leur donnant leur ration de foin deux fois par jour.

Par exemple, rien n'a été dit sur les poulaillers perchés qui se dressent ici et là sur l'airial. Pour être à l'abri des renards mais aussi de l'humidité et des gelées du sol, les poules retrouvaient, chaque soir, leur cage perchée à deux mètres au-dessus du sol. Quelqu'un enlevait, chaque soir, la perche qui faisait office d'escalier pour empêcher les renards de se régaler. Régulièrement, on recueillait, sous le plancher à

Photo Comité du Monteil

Photo Félix Arnaudin trouvée sur la Toile

Dans l'une des pièces sont rassemblés des écheveaux de laine teintés avec des colorants naturels dont je n'ai pas noté les noms. L'une des animatrices

Femmes -lant

Poulailler perch"

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claire-voie du poulailler, la fiente des oiseaux pour engraisser le jardin potager, lequel se situait près de la maison. Les autres volatiles – dindons, canards et oies – étaient enfermés dans des volières plus vastes. Autre élément du paysage de l'airial dont rien n'a été dit, le travail. Nous ne nous sommes même pas approchés du travail et je ne sais pas s'il est bien conservé ou s'il n' a plus que les poteaux et le toit. Pourtant, il était nécessaire, dans une société autarcique, de pouvoir ferrer les animaux, mules et particulier, lorsque le berger devint gemmeur et qu'il fallait rapporter des forêts les récipients remplis de résine. Pas d'économie forestière sans animaux de trait et pas d'animaux de trait sans travail… Rien non plus ne nous fut dit sur les puits à balancier.

survol, on voit et tant pis si on ne comprend pas… Le temps imparti est trop court : nous devons aussi nous rendre au quartier du meunier ! Onze chapitres différents sont exposés et expliqués, ce qui demande un certain temps et mériterait des compléments d'information, si toutefois, on était intéressé par ce qui se vivait ici, au XIXe siècle. Le millet, dont on nous a causé un peu plus tôt dans la journée, était cultivé en même temps que le panis, dans une sorte de permaculture (mot récent) d'avantgarde. En effet, dans les champs, le seigle était semé sur les billons, le millet et le panis dans les sillons : plusieurs cultures parallèles sur la même terre obligeaient à un désherbage assidu au cours duquel tous les bras étaient les bienvenus. Juste avant les moissons, les enfants étaient sollicités pour chasser les oiseaux gourmands. Les chasseurs savaient utiliser ces petits grains de céréales pour attraper vivants ortolans et pinsons.

Nous quittons la maison du mineur (mineur car il cherchait l'alios), datée de 1772, pour laisser la place à l'autre groupe. Cette maison de maître, encore superbe, est toute entière concentrée dans son rezde-chaussée. L'étage est un vaste grenier réservé au stockage des diverses récoltes.

Chaque famille disposait de jardins potagers soit au plus près des maisons soit sur les terres basses et humides ou en bordure des ruisseaux. On y cultivait les légumes nécessaires à la soupe quotidienne : carottes, navets, poireaux, pommes de terre, choux, oignons, haricots, citrouilles, épinards, oseille, laitues…

L E M U S É E D E M A RQ U È Z E Peut-être aurait-il fallu commencer par là et découvrir l'airial par chapitres expliqués sur de jolis panneaux et développés par le commentaire de la guide. À condition toutefois que celle-ci prenne son temps et ajoute aux phrases écrites des précisions intéressantes. Il m'est bientôt impossible de m'intéresser aux panneaux et aux objets exposés tout en suivant les commentaires de la guide qui est poussée par un autre groupe et qui parle si doucement qu'elle est inaudible à plus de trois mètres. Heureusement, la guide suivante parle si fort qu'elle est entendue dans l'ensemble de ce musée joliment aménagé dans une ancienne grange. Bref, grande confusion, rapidité,

Chaque famille élevait un ou deux cochons aussi bien pour sa graisse que pour sa viande. Ils étaient nourris avec les restes mais aussi avec les pommes de terre du jardin et le son du moulin. À la saison, on leur donnait des glands. À l'entrée de l'hiver, les cochons devenaient pâtés, saucisses, boudins et jambons, ces derniers conservés dans le sel.

La maison du mineur photographi"e par Arnaudin * Tartas

Photo Félix Arnaudin trouvée sur la Toile

Photo Félix Arnaudin trouvée sur la Toile

La pêche était aussi une activité génératrice de revenu. À l'aide de nasses ou de divers autres instru-

Sarcleuses dans un champ

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ments, les hommes pêchaient dans les lagunes, les mares, les rivières et capturaient brochets, anguilles, chevesnes… Ces poissons à chair fine amélioraient un ordinaire fait de sardines et de harengs salés et séchés. Pour obtenir de meilleures pêches, les rivières et étangs devaient être entretenus. Autre solution pour améliorer l'ordinaire, la chasse à l'affût, au fusil, aux pièges ou aux battues. Les vastes espaces vides étaient favorables aux battues qui rassemblaient une équipe structurée et des chiens infatigables. Dans les bois de chênes – et plus tard de pins – les palombières étaient de redoutables pièges pour les oiseaux en migration. Et puis, il y avait les abeilles. Nous ne les avons pas vues au cours de notre visite. La ruche vitrée était fermée et je suppose que les bournacqs étaient rangés. Les habitants de Marquèze avaient besoin des abeilles pour leur miel qui servait à sucrer les aliments – le sucre était une denrée rare et chère – mais aussi pour leur cire avec laquelle ils fabriquaient des chandelles ou des bougies. Les abeilles étaient si importantes que le nombre de ruchers était précisé lors de la constitution des dots ou du partage des héritages. Les arbres fruitiers étaient plantés un peu partout sur l'airial, en bordure des champs, près des rivières, dans les jardins. Les gens cueillaient les pommes, les poires, les sorbes qui se conservaient bien. Ils ramassaient aussi les nèfles et les châtaignes, lesquelles châtaignes étaient, avant l'arrivée des pommes de terre (fin XVIIIe siècle), le seul féculent disponible.

faut progresser pour attirer davantage de public. Je trouve ce musée, que je n'avais jamais vu, superbement fait. Pendant que je m'attarde devant les panneaux et les objets, la guide cause du grand chamboulement devant une photo étonnante : une maison de bois semble échouée dans l'immensité du vide qu'étaient les Landes avant l'afforestation. La plantation de milliers d'hectares de pins, souvent forcée par le gouvernement, bouleversa la vie des Landais, transformant les bergers en gemmeurs, remplaçant les moutons par des millions de petits pots en terre cuite, suspendus aux troncs blessés des grands pins. Je n'ai pas suivi ses explications sur cette métamorphose de toute une région, trop attiré par l'exposition du musée. Déjà, il faut sortir pour nous rendre à la maison de Marquèze, trop vite visitée. L A M A I S O N D E M A RQ U È Z E Comme son nom l'indique, la maison de Marquèze a toujours était sur l'airial. Elle est l'une des rares maisons d'origine. Par son toit à trois pans et sa superbe façade à auvent, cette maison constitue l'emblème des propriétaires laboureurs. De part et d'autre de la salle à vivre qui occupe le centre de la maison se trouvent les chambres et l'étable dans laquelle les bœufs de trait passaient l'hiver, preuve de leur importance pour le laboureur.

Photo Félix Arnaudin trouvée sur la Toile

L'écomusée évolue, s'améliore. De nouvelles présentations sont réalisées, des ateliers sont ouverts comme celui du filage ou du savon. Tant mieux : il

P.cheurs dans une lagune avant l+a#orestation $XIXe si!cle% -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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EST Chambre

Auvent

Chambre

de la maîtresse de maison. Parmi le reste du mobilier, les lits à baldaquin, des bassines et des cruches pour la salle de bain, un joli secrétaire à porte battante, un vaisselier, un évier en fonte, une horloge "comtoise", des chaises paillées, une grande table… LA MAISON DU BRASSIER

Ici, pas de barreaux aux fenêtres : le propriétaire, sans doute enrichi par la récolte et le commerce de la résine, lorsque vint le temps des forêts de pins (à la fin du XIXe siècle), put acheter des vitres, agrandir les ouvertures et y poser des volets à deux battants. Nous ne restons pas très longtemps à l'intérieur, juste pour y apercevoir le mobilier patiemment rassemblé. L'enrichissement dû au commerce de la résine changea la vie des propriétaires qui purent s'offrir des meubles d'après des catalogues, par exemple celui du Bon Marché. Les bois dont ils sont faits pouvaient alors être exotiques. Exemples de cette modernité : le meuble "salle de bain" couvert d'une plaque de marbre et la collection des parfums

Tout à côté de la maison du maître, celle du brassier, celui qui ne peut fournir que ses bras pour gagner chichement sa vie. Le brasier, qui se situe tout en bas de l'échelle sociale, habite l'une des maisons les plus pauvres de l'airial. Contrairement à toutes les maisons d'habitation et à la plupart des granges ou bergeries du quartier, la maison du brassier n'est pas orientée est - ouest mais nord - sud. Sa façade s'ouvre au nord et son toit à quatre pans la protège mal des intempéries venus de l'ouest. Sa proximité avec la maison des maîtres prouve la dépendance des brassiers par rapport aux propriétaires : Ceux-ci pouvaient les surveiller et les appeler pour un travail urgent. Le brassier peut aussi être berger. Il avait alors la charge de conduire les troupeaux sur les maigres pâturages des Landes, en une longue errance, de bergerie en bergerie. De retour chez lui, il racontait ses rencontres et échanger les nouvelles avec les villages voisins que lui seul visitait. En plus de la maison, il disposait d'un lopin de champ et d'un jardin pour assurer sa subsistance. À l'intérieur, trois pièces de surface à peu près égale, celle dans laquelle on entre et deux qui lui sont latérales. Visite éclair, juste pour voir et c'est bien dommage car a été installé, dans l'une des pièces, un superbe métier à tisser. Certes, il est incongru sur le quartier car il n'y avait pas de tisserand à Marquèze mais il raconte la longue histoire du tissage. Nous sommes trop tôt pour le voir fonctionner : la chaîne n'est pas encore installée. Faudra-t-il revenir une nouvelle fois ? Sans doute…

La maison de Marqu!ze) embl!me des propri"taires laboureurs

La chemin"e du ma&tre et son tourne/broche

Pièce à vivre Étable intérieure

Chambre

Estaouli Cheminée Cheminée

Chambre

Pièce à feu

Souillarde

OUEST Plan approximatif de la maison de Marqu!ze

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L E Q UA R T I E R D U M E U N I E R À l'écart du quartier se trouve l'aire meunière sur laquelle travaille le meunier. Il doit naturellement se trouvait près du ruisseau aménagé pour faire tourner les turbines de son moulin, en un endroit favorable à l'installation de ses bâtiments. Parce que le pays est presque horizontal, la hauteur de chute est faible malgré la retenue, en amont du moulin, construite tout à la fois pour avoir de l'eau toute l'année et pour augmenter même un peu la hauteur de chute. Aucun des bâtiments que l'on peut voir et visiter ici ne sont de Marquèze. Ils ont été trouvés dans d'autres villages (Vert pour la maison du meunier ; Geloux pour le moulin). Tout a donc été reconstitué : jardin, poulailler, four, loge à cochons, granges et bordes, y compris le parcours de l'eau. Une année, avec les élèves et alors que nous passions une journée complète sur l'airial, nous avions suivi le ruisseau sous la forêt-galerie qui caractérise les vallées landaises. Ce 12 mai, c'est très rapidement qu'il faut faire le tour de l'aire meunière : le temps nous est compté. La maison à trois pans, orientée vers l'est, ne possède pas d'auvent mais c'est quand même une maison de maître, de part sa taille imposante. Ses fenêtres sont encore obstruées par des barreaux de bois. Un système de poulies permettait de hisser les sacs de grains dans le vaste grenier pour les conserver au sec. Parmi le mobilier rassemblé, outre l'horloge comtoise, les lits à baldaquin, les tables et autres meubles divers, se trouve une chaise à sel. Jadis, on m'avait raconté que cette chaise, précieuse entre toutes puisque contenant la réserve de sel, était celle de l'aïeule car on hésitait à la déranger pour rien. Elle bien assise, le

sel était bien gardé. Mais voici qu'ici, on m'explique que c'était sans doute le propriétaire qui s'asseyait dessus pour le même résultat : ne pas gaspiller le sel, toujours très cher et indispensable pour conserver les viandes. Dans une petite chambre est suspendue une balance romaine avec laquelle le meunier prélevait une part de mouture sur chaque sac. Sans balance, le meunier prélevait son dû par poignées, appelées ici pugnères, ce qui était sans doute un peu moins favorable aux laboureurs. Le prélèvement était d'environ dix pour cent mais pouvait atteindre le cinquième du sac, d'où, sans doute, le sens du proverbe qui suit quelques lignes plus bas ! Le métier de meunier était un métier rémunérateur car, outre la propension à prendre plus que de droit, il pouvait spéculer sur le prix du grain, le vendant peu avant les moissons lorsqu'il venait à manquer chez les imprévoyants. Propriétaire de son moulin, il pouvait vivre dans une certaine aisance et, à l'occasion, devenir usurier au point qu'un proverbe recueilli par Félix Arnaudin, au XIXe siècle disait : "Sept tisserands, sept meuniers, sept tailleurs égalent vingt et un voleurs". Au cours du XIXe siècle, les frais de mouture furent de plus en plus acquittés en numéraire pour lutter contre la cupidité des meuniers qui avaient le monopole de la transformation du grain en mouture, indispensable pour fabriquer le pain : tous les paysans devaient passer par lui. C'est pourquoi, on peut dire que les meuniers faisaient partie de l'élite des villages même s'ils vivaient à l'écart des populations. Les moulins étaient, à cette époque, d'un si bon rapport que certains notables spéculaient en achetant des moulins et en en confiant la gestion à des meuniers "fermiers" qui leur versaient alors une rente annuelle, très souvent en nature : sacs de grains, volailles, jambons… Il arrivait aussi que le meunier se rende auprès de ses clients avec une charrette lui permettant de rapporter au moulin les sacs de grains

L+aire meuni!re) * l+"cart du quartier) pr!s de la rivi!re -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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ou de laisser chez ses clients les sacs de farine et de son. Il pouvait aussi, dans le réservoir, élever des poissons (brochets, anguilles, truites) nourris au son. Le blutoir à manivelle exposé près de la balance, permettait de tamiser la mouture pour séparer la farine du son. Chaque paysan devait avoir le sien ou, à défaut, un tamis à main appelé crible. Toutes les deux semaines environ, la maîtresse de maison fabriquait le pain dans un pétrin nommé meyt. Le moulin n'est pas d'ici mais, depuis 1972, il est si bien intégré à son nouvel environnement que l'on pourrait le croire de Marquèze. Il est construit audessus d'un bras de dérivation du ruisseau Escarnat, devant un petit barrage en pierre qui retient une réserve d'eau suffisante pour faire tourner les turbines toute l'année. Peu sinon aucun moulin n'est construit sur la Leyre elle-même, fleuve trop large et trop irrégulier, voire dangereux pour les moulins : ses crues pourraient mettre en péril d'éventuels barrages de retenue. Les moulins landais sont conçus sur le système des turbines horizontales métalliques (roues en fonte) car la hauteur de chute est trop faible pour installer une roue à aubes verticale. Le moulin de Marquèze possède deux turbines, deux axes et donc deux meules mais un seul de ces systèmes est en capacité de fonctionner. Jadis, l'une des meules écrasait les gros grains (maïs et seigle), l'autre les plus petits (millet et panis). Entre Sabres et Marquèze – environ quatre kilomètres – il y avait quatre moulins sur le ruisseau Escarnat et huit sur la commune qui ne comptait que deux mille habitants. Sur le blutoir entreposé face aux meules sont posées une balayette et diverses sortes de petites pelles, en bois ou en métal, avec lesquelles le meunier prenait la farine pour remplir les sacs. Les explications que l'on me donne ici m'intéresseraient mais voilà, j'ai un train à prendre !

Le moulin de Marqu!ze et son canal d+amen"e

Réglage de l'écoulement du grain Trémie à grain

Axe métallique supérieur Commande permettant d'élever ou de baisser la meule pour une mouture voulue (système de levier)

Levier ouvrant l'écoulement de l'eau

Meule entraînée par l'arbre Meule d'écrasement du grain (dormante) Cage en bois Goulette d'évacuation de la farine Coussinet

Auge à farine

Meule fixe (dormante) pouvant être actionnée de haut en bas par un jeu de 2 à 3 cm à l'aide d'un dispositif à levier (réglage de la mouture).

Vanne

Poutre en bois reliant l'axe supérieur et l'axe intérieur (arbre)

Goulette d'eau

Roue en fonte à godets tournant sous la pression de l'eau (roue à aubes) Pivot Socle

Axe intérieur en métal Canal inférieur ou déversement

Sch"ma simpli-" du fonctionnement du moulin

Visite rapide du musée où sont exposés les outils utilisés par le menuisier et le sabotier et les objets qu'ils fabriquaient : une jolie collection de sabots est suspendue au mur. Au centre de l'aire meunière se trouve le four à pain et, en lisière de la forêt, la porcherie et le poulailler perché. Le chemin nous reconduit vers la gare. En passant, je découvre un étrange objet appelé "écoutoscope" avec lequel on entend fort bien le chant des oiseaux.

Meule fonctionnelle du moulin de Marqu!ze

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QUITTER L'AIRIAL Nous voici tous réunis sous la halle avec une demi-heure d'avance sur le départ du train. Dire que nous avons couru après le temps toute la journée et que nous perdons trente minutes inutilement ! Enfin, pas vraiment inutilement car c'est l'heure de retrouver les pains fabriqués ce matin et cuits dans la journée. Impossible de retrouver son pain, le boulanger a harmonisé les formes et fendu la pâte pour créer une croûte agréable et striée. Tout le monde est informé de l'alliance perdue et consigne est donnée à chacun que, si d'aventure, en mangeant son pain, on trouve l'alliance, telle une fève en or, il faudra la remettre au président du comité qui la fera suivre. Comme il est impossible de reconnaître son pain, Kléber qui en reçoit deux (je ne veux pas du mien que je n'ai pas fait) ne trouve pas son alliance. L'inquiétude croît. Peutêtre le désespoir et l'idée qu'elle est définitivement perdue… Lorsque soudain quelqu'un, ayant ouvert un pain, s'approche du chauffeur et lui tend son alliance, retrouvée dans la mie. C'est presque un miracle, un immense soulagement pour notre chauffeur qui s'éloigne et pleure de joie. Puis retrouve bientôt son allant, perdu depuis le repas. J'imagine les idées (noires) qui ont dû tourbillonner dans sa tête… Mais avant que le train n'entre en gare, l'équilibre du monde est rétabli ; tout va dorénavant bien et chacun est content pour le chauffeur, lequel s'excusera (inutilement d'ailleurs car rien n'est de sa faute dans cette péripétie) du désagrément causé par cet événement. La responsabilité n'en incombe-t-elle pas à l'animatrice qui aurait dû (expérience oblige) avertir le groupe de ce risque ? À mon avis, oui.

Avec la forêt, avec le gemmage et la résine, avec le train, la presque totale autarcie dans laquelle vivait cette population paysanne depuis des siècles explosa. Disparut. Dissoute dans la modernité (les vitres en sont les premiers témoins). Disparus, les moutons qui n'avaient plus d'espace pour brouter. Disparues les échasses sur lesquelles les bergers les surveillaient. Disparues, les femmes qui filaient, les bœufs qui labouraient, les meuniers qui moulaient… Disparus, l'horizon infini, les marais, les moustiques, l'isolement. Un nouveau monde s'imposait, bousculait les habitudes, pervertissait les traditions, emportait toute une civilisation. Heureusement pour nous, un homme qui dut comprendre cette métamorphose parvint à fixer sur le verre et l'argent des scènes de cette vie quotidienne à jamais emportée par la modernité. Une douzaine de photographies de Félix Arnaudin illustre la première partie de ce compte-rendu…

Photo Félix Arnaudin trouvée sur la Toile

Photo Félix Arnaudin trouvée sur la Toile

16 h 20 : le train siffle et s'approche. Dix minutes plus tard, nous sommes sur le chemin de Sabres pour aller visiter le musée (presque) neuf.

Nous quittons l'airial reconstitué à partir d'un cadastre de 1836, c'est-à-dire avant l'afforestation (ou en son tout début) alors qu'un monde se profilait sur l'horizon infini des Landes qui allait bouleverser l'harmonie difficilement créée dans des conditions de vie sévères. Ces paysans, qui ne connaissaient pas autre chose que l'immensité vide de leur territoire, que leurs moutons, éléments très précieux, et que le seigle, nourriture quotidienne, comment ont-ils réagi lorsque des ouvriers venus d'ailleurs ont aligné côte à côte des milliers de traverses puis ont fixé, dessus, les deux rails qui allaient faire disparaître leur monde ? Une voie ferrée dans son jardin, devant sa porte ? Certes, lorsque les rails sont arrivés, la forêt était déjà plantée car c'est à cause d'elle que le train est venu de Labouheyre : il venait chercher les tonneaux de résine, il apportait la richesse pour ceux qui surent (et purent) s'adapter au nouveau paysage, au nouveau monde, quitte, sitôt enrichis, à partir vers le bourg.

L+ancien et le nouveau monde photographi" par F"lix Arnaudin * la -n du XIXe si!cle -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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Quitter l'airial de Marquèze

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L'airial de Marquèze le 12mai 2018

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L E M U S É E D E SA B R E S Alors que l'airial nous a plongés dans les Landes du XIXe siècle, le musée de Sabres nous ramène à aujourd'hui et nous raconte toute l'histoire des Landes en un voyage très bien fait, empli d'escales intéressantes et bien illustrées. Celui qui entre ici sans rien connaître à ce département doit en ressortir riche d'informations. Encore faut-il prendre le temps de lire toutes les vitrines et les mises en scène. Le début du voyage nous rappelle le caractère artificiel des Landes d'aujourd'hui ; sans doute y a-t-il très peu de régions françaises ayant subi, en si peu de temps, une telle métamorphose… Si tout a commencé au XVIIIe siècle, c'est bien le XIXe qui a tout chamboulé au point que les Landes, ainsi dénommées sous la Révolution française lors du découpage départemental, devraient aujourd'hui s'appeler "Les Forêts". Le triangle des Landes est né il y a un million d'années lorsque les fleuves ont comblé un grand golfe, événement suivi par l'apport de sable venu de l'océan, ce qui constitua le plateau landais couvert à l'origine de bruyères, d'ajoncs, de fougères, de marais… Le sol est y particulièrement pauvre, acide, sableux ; c'était un podzol aux horizons infinis jusqu'à ce que l'on décide d'y planter la forêt de pins maritimes que nous connaissons maintenant. Ne pas oublier les feuillus le long des cours d'eau ; en forêt, ils sont souvent épargnés par les coupes rases. Une observation fine révèle un relief plus complexe que l'horizontalité. La forêt-galerie fait partie du paysage landais même si ce n'est pas elle qui nous étonne au premier abord : il faut la chercher le long des rivières, constituée de feuillus (chênes, châtaigniers, robiniers, saules…). On y trouve le cordulégastre annelé, la hoplie bleue, la demoiselle. Dans les par-

ties basses, correspondant aux tourbières et aux lagunes, se rencontre la lande humide : c'est un reliquat du paysage d'avant le grand bouleversement où l'on peut observer le carabe doré, la libellule et le dytique. Cet écosystème disparaît peu à peu au profit des grandes surfaces cultivées. Sur les pentes intermédiaires, la lande dite mésophile est le biotope idéal pour le pin maritime qui côtoie la molinie et la fougère aigle. Cet espace est le domaine de la lucane cerf-volant, de la cigale et du frelon. Sur le haut des versants s'épanouit la lande sèche couverte de bruyère. On peut y rencontrer le chêne tauzin, les mantes religieuses, les cicindèles et les criquets à ailes bleues. Dernier biotope caractéristique des Landes, les dunes modelées par les vents et l'océan, plus ou moins maîtrisées par l'action des hommes. Les dunes peuvent être blanches ou grises, actives ou fossiles, parfois séparées par des dépressions humides. On peut y observer le haneton, la cétoine noire ou la grande scolie. Pays d'eau, les Landes ont été travaillées par les hommes pour tenter d'assécher le plateau landais. Depuis le XIXe siècle, des milliers de kilomètres de canaux et fossés ont été creusés pour favoriser le drainage devenu indispensable à l'agriculture et à la sylviculture. La plupart de ces eaux se retrouvent dans la Leyre puis dans le Bassin d'Arcachon, zone sensible aux pollutions à cause de l'ostréiculture. Le défi est donc d'exploiter l'espace tout en maîtrisant les pollutions agricoles. Si le sol est sableux (podzol), il cache bien souvent une couche d'alios, compacte et imperméable. Cette roche brune à noire, riche en fer, est parfois utilisée dans la construction des maisons. Ce sol acide est très peu fertile.

La for.t/galerie

Airial) mot signi-ant 'lieu * construire(

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Jean-Pierre Lazarus


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L'un des panneaux explicatifs raconte la langue gasconne, proche, y lit-on, du basque, l'origine commune des deux noms étant le mot "Vascon", nom des peuples qui vivaient autrefois en Aquitaine. Certains toponymes, patronymes et mots courants, rencontrés dans les Landes, sont encore gascons. La langue gasconne était généralement parlée jusqu'à la fin du XIXe siècle. Il existe un paradoxe que nous n'avons peut-être pas bien saisi lors de la visite de l'airial. Avant l'afforestation, l'airial était une île de verdure au milieu de l'océan du vide landais. Mais voici qu'avec la forêt de pins omniprésente, l'airial devint une clairière, une ouverture dans l'océan des pins : inversion complète du paysage. À cause de la médiocrité des sols, la culture des champs exigeait un amendement important : nous avons compris, à Marquèze, l'importance des troupeaux de moutons. La culture des terres reposait sur le métayage par lequel un propriétaire confiait, par un contrat écrit ou oral, le soin de cultiver ses terres en échange d'une partie de la récolte (la moitié), d'une redevance (volailles, œufs, quartiers de cochon…), et de prestations (journées de travail non rémunérées). La plantation des pins mit fin à l'agropastoralisme ancestral mais pas au métayage : le métayer paysan devint métayer gemmeur !

Il est grand temps de parler de la forêt de pins qui a été plantée sur ordre des gouvernements du Second Empire, à partir de 1857, pour assainir ce territoire insalubre et dangereux. Cette métamorphose du paysage engendra aussi des changements radicaux et définitifs dans la structure de la propriété, dans l'économie et dans l'organisation sociale. Commencé au XVIIIe siècle, le boisement se développa puis se généralisa à partir de 1857. Les Landes devinrent une terre à conquérir en phase avec le contexte du XIXe siècle propice aux grandes utopies. La transformation et le commerce de la gemme engagèrent le territoire dans une économie capitaliste qui le dépassa. Les structures sociales tel que le métayage n'étaient plus adaptées à cette économie monétaire. De nouvelles relations sociales se tissèrent, les écarts de revenu se creusèrent, les tensions montèrent et des conflits éclatèrent. Cette situation perdura jusqu'à la disparition du gemmage.

Photo Félix Arnaudin trouvée sur la Toile

Photo Félix Arnaudin trouvée sur la Toile

À côté de l'agriculture existait aussi une petite industrie. L'exploitation de la résine ne se développa qu'à partir de 1850 ; le minerai de fer était extrait de l'alios ; le sable permit l'installation de verreries et l'argile, de tuileries et de poteries industrielles, fabrication de carreaux de sol et pots de résine, en particulier.

Les vastes solitudes landaises, si elles étaient peu peuplées, n'étaient pas pour autant des déserts. En effet, des routes commerciales les traversaient, permettant aux marchands de se rendre dans les grandes foires et aux bergers de transhumer avec leurs troupeaux depuis le Béarn ou le piémont pyrénéen. Deux routes étaient aussi utilisées par les pèlerins qui se rendaient à Compostelle : celle entre Bordeaux et Dax et celles entre Bazas et Mont-de-Marsan. Au XIIe siècle, ces pèlerins dressaient un portrait peu engageant de cette région : "C'est un pays désolé où l'on manque de tout ; il n'y a ni pain, ni vin, ni viande, ni poisson, ni eau, ni source ; les villages sont rares dans la plaine sablonneuse ; […] en été, prends soin de préserver ton visage des mouches énormes qui foisonnent surtout là-bas […]".

La communaut" d+un airial

Les Landes avant l+a#orestation

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Un pin était gemmé lorsqu'il atteignait l'âge de vingt-cinq à trente ans : le tronc devait atteindre un mètre de circonférence à 1,30 m du sol. La première care était ouverte du côté est du tronc et régulièrement ravivée durant quatre années consécutives, après quoi le gemmeur ouvrait une autre care sur une autre face du tronc. La récolte avait lieu tous les vingt-cinq jours entre mars et octobre. Chaque pin donnait environ deux litres de résine au cours d'une saison de gemmage et produisait de la résine jusqu'à l'âge de quatre-vingts ans : la base de son tronc était alors couvertes de cares plus ou moins cicatrisées. Les produits dérivés de cette résine – colles, vernis, peintures, savon, térébenthine, colophane – étaient exportés dans le monde entier. C'est pour collecter cette résine qu'un réseau de voies ferrées fut construit dans les Landes à partir de la ligne Bordeaux Bayonne. À partir de 1930, la chimie permit d'obtenir des produits de grande qualité nécessaires à une industrie en plein essor : ce fut l'âge d'or de la résine 1. Les gemmeurs travaillaient pour des propriétaires et étaient payés, en fin de saison, en fonction du cours de la résine. Le reste du temps, ils étaient ouvriers forestiers. Cette économie financière induisit de grandes discordances entre les gemmeurs-métayers et les propriétaires, les premiers entrant en lutte souvent violente pour obtenir davantage : les lois du marché ne font pas bon ménage avec les relations sociales. Bientôt, la concurrence des produits pétroliers conjuguée à la faible rémunération des gemmeurs entraîna la disparition de cette activité qui n'aura vraiment duré qu'un siècle, tout juste. À partir des années 1980, le gemmage cessa.

Entre 1861 et 1864, la Guerre de Sécession, aux États-Unis, boosta le cours de la résine car la France était le seul pays capable d'en fournir de grandes quantités. Ce produit recherché ne représentait cependant pas la seule exploitation des pins. En effet, ces arbres très droits servaient aussi à fabriquer des poteaux de mines exportés vers les pays nouvellement miniers et des traverses de chemin de fer nécessaires à la construction du gigantesque réseau français.

Note n° 1 : relire le récit de voyage dans les Landes "Escapade en XL" du 25 mars 2017. Nous avions appris beaucoup dans le village de Lesperon. Vous y trouverez aussi quelques poèmes relatifs au gemmage ainsi quelques outils utilisés par les résiniers.

La loi de 1857, relative à l'assainissement et à la mise en culture des landes de Gascogne, imposait à cent dix communes des Landes et à cinquante-deux

Cette terre presque inconnue des Landes, immense territoire à conquérir – un peu comme une colonie – fut l'objet de nombreux projets de mise en valeur qui confinaient à l'utopie, telle la création d'un canal qui aurait traversé le cœur des Landes pour désenclaver les communes et développer leurs échanges : le chemin de fer eut raison de ce projet, né en 1832, malgré vingt-cinq années d'études. Parmi les idées loufoques du début du XIXe siècle (1827 - 1830), l'introduction de dromadaires que l'on croyait adaptables au sable des Landes : les animaux finirent dans un cirque… En 1864, un ingénieur des Ponts et Chaussées imagina de fertiliser les Landes en détournant l'eau des rivières pyrénéennes par des canaux spécialement creusés pour qu'elles répandent une couche d'alluvions sur le sable stérile. Autre idée émise en ce siècle de grandes innovations, le déplacement des populations indigentes de Bordeaux à des fins hygiénistes vers des fermes landaises pour vider la ville d'une population encombrante. Finalement, la seule utopie qui fut réalisée sera la plantation de plus de sept cent mille hectares de pins maritimes dont le principal instigateur fut Jules Chambrelent, (1817 1893), inspecteur général des Ponts et Chaussées.

Di#"rentes cartes des Landes de Gascogne $r"gions) cours d+eau et densit" de boisement%

Travail de la gemme

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de Gironde de boiser leurs communaux. L'État avançait l'argent à condition que les communes vendent les terres à des particuliers chaque fois que cela serait jugé nécessaire 2. Il s'en suivit une réduction drastique des espaces voués à l'usage collectif tels que les pâturages des moutons mais aussi une résistance des populations contraintes de changer de mode de vie. Il n'était pas rare que des incendies volontaires ralentissent ce boisement forcé. Les ventes de landes communales enrichirent certains propriétaires fonciers et les conseillers municipaux qui se firent bâtir de belles demeures en pierres. Les communes construisirent mairies, écoles et églises neuves pour remplacer les vieilles et créèrent des routes forestières. Des scieries et des distilleries de résine s'installèrent et embauchèrent de nombreux ouvriers. En 1900, la forêt couvrait neuf cent mille hectares contre deux cent mille en 1800. Le Second Empire créa ex nihilo le domaine impérial de Solférino sur des landes pauvres et humides qu'il fallut drainer. Cette expérience "coloniale" fut un exemple de mise en valeur d'un espace déshérité devenu zone agricole prospère. Un autre projet fut la fixation des dunes envisagée dès 1774. Brémontier s'y consacra à partir de 1787 en les ensemençant de pins et d'oyats et en les couvrant par des branchages. Aujourd'hui, la forêt est devenue productrice de bois : culture, scieries, papeteries, façonnage, emballage, transformation et distillation chimique sont les principaux employeurs de la région. Mais la valeur de la production se calcule à l'extérieur du massif forestier, ce qui rend ces industries fragiles.

La forêt des Landes et de Gironde réalise environ le quart de la production forestière nationale, tant pour le bois d'œuvre que pour celui destiné à la pâte à papier. À côté de la culture des pins maritimes existe une agriculture agro-alimentaire. Le sable des Landes convient fort bien aux asperges (2 200 ha ; 23 % de la production nationale). Les autres cultures – haricots verts (7 000 ha cultivés ; 20 % de la production nationale), carottes (250 000 t produites ; 40 % de la production nationale ; premier producteur français) et maïs – ouvrent d'immenses cercles dans la forêt dont plus de la moitié sont consacrées au maïs. Ces cultures intensives, très mécanisées et grandes consommatrices d'eau et d'engrais, transforment à nouveau le paysage. Enfin, il y a les volailles dont l'élevage en expansion est lié aux cultures de maïs. Après les grands incendies de l'après-guerre, il fallut aménager la forêt et créer des coupe-feux dont certains furent utilisés pour cultiver. Cependant, la politique étatique, initiée à partir de 1956 pour favoriser le développement agricole, échoua car le sol était trop pauvre et l'irrigation insuffisante. Le Parc Naturel Régional des Landes de Gascogne a pour mission de protéger ce milieu artificiel composé à 75 % d'une forêt de production et à 15 % d'espaces agricoles. Il faut préserver les ressources en eau et diversifier la biodiversité en créant des boisements de feuillus et en protégeant les forêts-galeries.

Note n° 2 : la conséquence de ces achats est qu'aujourd'hui, la forêt landaise est privée à 95 %, partagée entre 60 000 propriétaires sylviculteurs qui possèdent moins de dix hectares chacun.

17 h 45. Fin de partie. Kléber, rasséréné, son alliance à l'annulaire, nous reconduit chez nous. Certes, nous n'avons pas tout vu, pas tout visité mais suffisamment appris pour reconnaître cette visite utile. Dommage que la pluie nous ait accompagnés la plus grande partie de la journée…

Travail de la gemme

L+une des salles de l+exposition

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Voyage en Corrèze

8 et 9 octobre 2016

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Écrit par Jean-Pierre Lazarus en mai 2018 d'après les notes et les photos prises au cours du voyage Les photos sans cartouche sont de l'auteur.

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