Brassempouy avril 2016 120dpi allégé

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Retour dans le passĂŠ : Brassempouy

Castelnau-Chalosse 2 avril 2016

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Jean-Pierre Lazarus


Sommaire

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Le musée de Brassempouy (Pages 3 à 7)

L'archéoparc (Pages 8 à 11)

La maison de la vannerie (Pages 12 à 14)

Le plantier de quilles de neuf (Pages 14 et 15)

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La Dame à la capuche (Brassempouy ; Chalosse)

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PRÉAMBULE Quand donc suis-je allé, pour la première et unique fois, rencontrer la dame de Brassempouy ? Longtemps, je suis passé près de ce village, sur la route vers Sault-de-Navailles et Orthez, sans savoir qu'une statuette exceptionnelle avait été trouvée dans ce village au nom imprononçable. Puis, un jour, j'ai appris son existence ; il m'a fallu attendre encore longtemps avant que je fasse le détour et m'arrête au village pour visiter le musée. C'était dans les années 90… Grande fut ma surprise en découvrant le chef-d'œuvre préhistorique, minuscule par la taille, immense par la réputation. Mais grande aussi fut ma déception lorsque je compris que la statuette originale était conservée à Saint-Germain-en-Laye. Ne faisait-on donc pas confiance à un petit village landais pour conserver un trésor ?

qu'au musée. La rue contourne le porche de l'église et approche du musée. À l'entrée d'une venelle très étroite séparant deux maisons, un panneau indique que cette ruelle se nomme androne, le mot qu'à Oloron-Sainte-Marie, la guide ne connaissait pas 1. En découvrant le site, je ne reconnais rien car tout, ici, a été refait et modernisé. Sa silhouette en mastaba lui donne un air très moderne et son architecture le rend presque invisible, libérant ainsi le paysage vallonné d'une Chalosse ensoleillée. Mais il ne conserve toujours pas la statuette originale… Le groupe est partagé en deux car le musée lui-même comprend deux parties : la salle d'exposition et le parc "préhistorique" appelé archéoparc.

Or, voici que le Comité du Monteil propose un voyage vers ce village landais. Ne pas y participer serait une erreur. Ce 2 avril, la nuit est étoilée et le croissant de lune, bas sur l'horizon. Le bus est au complet lorsque le chauffeur s'engage sur la rocade et choisit l'itinéraire par les autoroutes A62 et A65. C'est plus long que la route directe, plus cher aussi mais probablement plus rapide. Lors de ces voyages, le président de l'association a une obligation : garantir un arrêt sur l'une des aires de la région et des aires, il n'y en a pas par la route directe…

Marick est préposée pour être la guide du musée. Une partie du groupe la suit, l'autre descend les marches vers le parc. Le cheminement pour atteindre le chef d'œuvre est presque aussi long que le temps qui nous sépare de celui qui sculpta la dame dans l'ivoire. C'est une préparation intellectuelle, une véritable mise en condition à laquelle se livre la guide avec les quelque trente personnes du groupe, comme s'il était absolument nécessaire de faire durer le suspense. Je veux croire que tous ont compris et retenu tout ce que Marick a raconté avant de livrer le groupe au chef-d'œuvre. Mais est-ce tant d'explications que nous étions venus chercher ? Il faut dire que l'objet est à peine plus grand qu'un pouce, qu'il se contenterait d'une boîte d'allumettes. Il faut bien remplir le vaste espace qu'est ce musée !

La route est retrouvée au sud de Mont-de-Marsan et, avant 10 h, le chauffeur arrête son bus à l'entrée de Brassempouy, devant l'école. La rue traversant le village est trop étroite pour qu'il s'y engage : c'est d'ailleurs fortement déconseillé. Les deux jeunes guides sont là qui nous attendent : nous les suivons jus-

LE MUSÉE

Note n° 1 : c'était octobre 2015, place Saint-Pierre. Androne a un synonyme : entremi.

Terre végétale Limon jaune Terre jaune Argile jaune Argile stérile Pierrailles stériles Terre végétale

Plan de la grotte du Pape où fut trouvée la statuette

Coupe géologique de la grotte du Pape

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La Dame à la capuche (Brassempouy ; Chalosse)

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J'avoue n'avoir pas écouté les commentaires de la guide. Les panneaux qui expliquent le site et les circonstances de la découverte m'ont semblé plus intéressants. La statuette d'ivoire n'est d'abord qu'un prétexte pour plonger le visiteur dans les profondeurs d'une histoire dont il ignore – la plupart du temps – tout ou presque. On veut nous expliquer les temps anciens pour nous ouvrir aux mystères des découvertes et je comprends bien cela : faire partager au plus grand nombre les recherches, les théories et les trouvailles des savants même si ces recherches se nourrissent de choses très compliquées. L'histoire racontée ici remonte à 80 millions d'années lorsque l'Aquitaine – le pays des eaux – était encore sous les eaux de l'Atlantique et en constituait un golfe peu profond, plutôt tropical d'ailleurs. À cette époque, la mer se retirait lentement (régression) et laissait derrière elle des témoignages de sa présence lointaine. Parmi ces témoignages, les bancs de silex. Quelle importance ont donc les bancs de silex dans ce rendez-vous avec la Dame à la Capuche qui nous attend, bien cachée, à l'autre bout du musée ? Que ceux et celles qui étaient présents ce jour-là se souviennent… Chaque gisement de silex a ses propres caractéristiques et ceux de la Chalosse, tout particulièrement. Un spécialiste très savant en silex sait reconnaître une pierre d'une autre pierre et peut ainsi, selon son bon vouloir, retracer les échanges de silex entre les différents clans des hommes de Cro-Magnon. Et découvrir ainsi que la Chalosse, avant d'exporter des canards et leurs foies gras, exportait des silex à travers toute la grande région. Il existait cinq lieux d'exploitation du silex en Chalosse et chacun avait sa caractéristique. Et quelle est cette caractéristique ? Un mi-

nuscule animal, à peine visible à l'œil nu mais qui laisse des traces blanches dans le silex d'Audignon 2. Ce petit animal est un foraminifère (animal unicellulaire) appelé Lépidorbitoïde qui appréciait, il y a 75 millions d'années, les mers peu profondes d'Audignon. Grâce à lui, chacun peut savoir jusqu'où le silex de Chalosse a été transporté (à dos d'homme, fort probablement) et travaillé. Venons-en au temps contemporain de l'artiste qui sculpta la Dame à la capuche. D'après les recherches effectuées, il devait vivre il y a quelque 23 000 ans, ce qui fait un sacré bail, et correspond au paléolithique supérieur. Il précédait les peintres de Lascaux (- 18 000 ans) mais pas ceux de Chauvet (- 30 000 ans). En ce temps-là, la calotte glaciaire s'étendait jusqu'au sud de l'Angleterre. Les Pyrénées étaient couronnées de glaciers et le niveau de la mer était situé cent mètres plus bas qu'aujourd'hui. L'Aquitaine était recouverte d'une steppe arborée, traversée de rivières et de ruisseaux aux rives arborées. Ce paysage était favorable aux grands herbivores. Il pouvait y faire froid en hiver mais les températures devaient être douces en été. Les ancêtres de cet artiste inconnu avaient apprivoisé le feu plus de cinq cent mille années auparavant ; ils avaient appris à enterrer et honorer leurs défunts cent mille ans plus tôt. La parure et l'art avaient été conquis également : cet artiste était donc l'héritier de générations d'hommes qui avaient appris à maîtriser les outils et les matières : il était prêt à créer son chefd'œuvre. Mais pourquoi le fit-il ? Ou pour qui sculptat-il le visage de cette femme étrangement coiffée ? Note n° 2 Les cinq gisements de silex en Chalosse sont, à l'ouest Tercis, Saint-Lon-les-Mines, Bénesse-lès-Dax et, à l'est BastennesGaujacq et Audignon (voir carte ci-dessous).

1 : ride de Tercis 2 : diapir de Saint-Lon-les-Mines 3 : anticlinal de Bénesse-lès-Dax 4 : diapir de Bastennes-Gaujacq 5 : anticlinal d'Audignon

Localisation des sources de silex en Chalosse

Le paysage près de Brassempouy au temps du sculpteur

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La Poire

L’Ébauche

Breuil, l'un des plus éminents préhistoriens de son temps.

10 000

Magdalénien

12 000

14 000

16 000

Gravettien

Solutréen

18 000

20 000

22 000

24 000

26 000

30 000

32 000 34 000 36 000 38000

Schéma réalisé d'après trois photos JP L. prises à Brassempouy

Aurignacien

28 000

Châtelperronien

En 1894, Édouard Piette obtient de reprendre les fouilles avec le secret espoir de découvrir d'autres figurines en ivoire. Il sera le découvreur de la Dame à la capuche. Né en 1827, il fut avocat et juge de paix mais aussi passionné d'archéologie et de préhistoire. Après avoir travaillé sur plusieurs sites préhistoriques des Pyrénées dont celui du Mas d'Azil, il vient à Brassempouy et fouille la grotte du Pape et la galerie des Hyènes, entre 1894 et 1897, en collaboration avec Jean de Laporterie. Il y rencontre l'abbé

Aziléen

Le site est découvert en 1880, par hasard, lors de l'élargissement d'un chemin menant aux carrières de calcaire : les ouvriers mettent à jour des os de faune. Pierre-Eudoxe Dubalen (1851 - 1936) découvre la grotte du Pape et y effectue les premières fouilles en 1881. Il trouve, entre autres objets, une tête de cheval gravée sur os, des harpons en bois de renne, une baguette incisée, des outils de silex et des os de faune qui seront attribués au magdalénien moyen. Le 19 septembre 1892, une excursion est organisée pour la section d'anthropologie du Congrès de l'Association française pour l'avancement des sciences. Il est décidé que les congressistes qui trouveront des objets pourront les emporter en souvenir. C'est à une véritable razzia que se livrent ces hommes de sciences en se remplissant les poches de silex et d'objets divers. C'est cet après-midi funeste que furent découvertes, dans des conditions obscures, deux statuettes humaines en ivoire : La Poire et l'Ébauche.

Le site est constitué de quatre petites grottes, peu profondes, s'ouvrant à quelques mètres sous le sol actuel dans le calcaire de Brassempouy, à deux kilomètres du village. Le gisement, qui s'étend sur deux mille mètres carrés, est constitué de la grotte du Pape, de l'abri Dubalen (nom du premier à s'être intéressé au site, dès 1880), de la galerie du mégacéros et de la grotte des hyènes. Ces quatre secteurs communiqueraient entre eux. Ces fouilles livrent des os de faune, brûlés ou non, des outils en silex et en os ainsi que des objets de parure, documentant presque toutes les cultures du paléolithique supérieur. Les statuettes ont été trouvées dans l'étage du gravettien. L'un des panneaux explicatifs livre la réponse à ma question qui ouvrait ce texte : si la Dame à la capuche et les autres statuettes trouvées à Brassempouy sont, aujourd'hui, exposées au musée de Saint-Germain-en-Laye, c'est parce que Édouard Piette a légué sa collection à ce musée lointain, en 1904. Fort de son expérience, Édouard Piette publie le résultat de ses travaux et refuse l'idée que les hommes préhistoriques étaient accaparés par les seules nécessités de leur survie. Leurs capacités intellectuelles les rapprochant des hommes contemporains, ils surent créer des œuvres d'art. Le paléontologue s'intéressa aussi à une chronologie intégrant les données de l'art mobilier afin de dater les découvertes. Cette nouvelle conception de la chronologie influença l'abbé

Les cultures du paléolithique supérieur

Le Torse

Le manche de poignard

Fig. ceinture

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Breuil qui bâtit, à partir de 1905, une classification fondatrice de la préhistoire moderne. "C'est là, dans l'Avenue, du côté gauche, à 2,40 m de l'entrée de la grotte, à 3,50 m de profondeur, à 0,40 m au-dessous d'un foyer [que] se trouvait une tête à coiffure égyptienne." Édouard Piette (Les fouilles de Brassempouy en 1894)

Sept statuettes sculptées dans l'ivoire de mammouth ont fait la célébrité de Brassempouy. Les deux premières qui furent trouvées étaient La Poire et L'Ébauche. C'est à la suite de ces découvertes que M. Piette s'assura l'exclusivité des fouilles auprès du propriétaire du site. En 1894, il découvre, avec Jean de Laporterie, les cinq autres statuettes à l'intérieur et devant la grotte du Pape. La plus aboutie est une tête de femme portant une étrange coiffure : l'un des premiers visages venus de la préhistoire. Ce n'est qu'en 1981 que sera démontré l'âge de ces statuettes : 23 000 ans. Dès sa découverte, la statuette de la dame de Brassempouy a posé un certain nombre de questions car elle ne correspondait absolument pas aux images de femmes découvertes jusqu'alors, qui présentent toutes les signes de femme-mère : hypertrophie des hanches, du ventre et des cuisses. "Quand bien même l'art aurait reçu postérieurement une destination magique et par suite utilitaire, il a été au début, parfaitement désintéressé et n'a d'autre objet que le beau." G. H. Luquet, 1926

V. de Lespugne

Vénus de Sireuil

Vénus de Tursac

"Quant à moi, grand artisan de la théorie qui soutient que l'art préhistorique a une raison d'être magique, je prétends que si les artistes aurignaciens ont ainsi représenté la femme, c'est dans le but de la célébrer dans son rôle naturel de mère, de génératrice, et même de la rendre féconde par cette sorte d'envoûtement." H. Bégouen, 1932

Le culte de la fécondité a en effet, pendant des décennies, suscité un "ronronnement" confortable pour l'explication de la figuration féminine. Il faut savoir que l'anatomie des hommes et des femmes du paléolithique supérieur était identique à la nôtre : toute distorsion entre les images préhistoriques et celles d'aujourd'hui résulte soit de la maladresse soit de la volonté délibérée des artistes paléolithiques. 3 Ce qui est certain, c'est que, face aux chefsd'œuvre laissés par les hommes préhistoriques, nombre de savants, aux XIXe et XXe siècles, ont échafaudé d'étranges théories : ils ne comprenaient pas ce qu'ils découvraient. Ainsi, Édouard Piette lui-même a cru, devant la Dame à la capuche, que cette statuette était un "essai précurseur" de l'art égyptien. Il partageait les hommes de ce temps en deux races, l'une poilue et grasse, l'autre fluette et glabre. Pour J.-P. Duhard (1995), les statuettes sont réalistes, non pas au sens anatomique du terme mais au sens physiologi"Femme-femme, femme-mère, Vénus ou femme-déesse, à toute époque, les images de la femmes sont infinies…" Note n° 3. Paragraphe écrit à partir d'un texte d'Henri Delporte, proposé au musée.

V. Le Losange

Vénus de Willendorf

V. de Vestonice

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que. Pour ce préhistorien, l'homme paléolithique est montré dans un rôle social et la femme dans un rôle physiologique. Et si ces statuettes n'étaient qu'une représentation symbolique de la fécondité féminine ? En 1971, le préhistorien A. Leroi-Gourhan écrivait ceci : "La convention qui marque les figures est de grouper approximativement dans un cercle les seins, l'abdomen et le pubis. Aux deux pôles de ce cercle, le torse et la tête d'une part, les jambes et les pieds d'autre part, vont s'amenuisant à mesure que l'on s'éloigne du centre de sorte que, pour la plupart, les figurines vont s'inscrire dans un losange dont le sommet est à peine débordé par une tête réduite le plus souvent à un bouton sans détail. C'est donc une interprétation non objective, sur laquelle tout travail de mensuration anthropométrique est condamné." 4 Que penser face aux traits si fins, si beaux, si modernes de la Dame à la capuche ? À chacun de trouver sa réponse mais il est incontestable que les hommes d'autrefois possédaient une notion du beau qui n'a rien à nous envier. Les nombreuses interprétations émises par les savants qui connaissent la préhistoire témoignent de la complexité du problème que posent ces chefs-d'œuvre et de notre propre sensibilité face à l'image qu'elles nous renvoient. Chaque représentation apparaît singulière. A-t-elle été un choix délibéré de l'artiste, traduit-elle une contrainte de la matière travaillée ou des conventions stylistiques culturelles de l'époque, dépend-elle de la position de l'artiste dans sa société : autant de paramètres à prendre Note n° 4. Texte écrit sur l'un des panneaux du musée.

Mâchoire d’herbivore

en compte pour essayer de comprendre sa signification et la motivation qui furent à l'origine de l'œuvre. Pendant que je regarde et lis les panneaux expliquant la découverte de la Dame à la capuche et les questionnements qu'elle pose aux préhistoriens, la guide raconte au reste du groupe, en accéléré, l'histoire de l'humanité qu'elle fait remonter à sept millions d'années, c'est-à-dire à la découverte d'un crâne dans les sables du Tchad appartenant à un australopithèque appelé Tumaï. Il y a encore quarante ans, cette même humanité n'était âgée que de deux millions d'années… Puis elle saute hardiment d'Homo Habilis à Homo Erectus qui quitte l'Afrique pour conquérir l'Europe et l'Asie. Elle mentionne ensuite les hommes de Néandertal puis les Homo Sapiens, qui sortant l'Afrique il y a cent mille ans, les rencontrèrent en Europe. La cohabitation entre les deux races humaines verra la victoire de Sapiens sans que l'on sache encore très bien les raisons pour lesquelles les premiers arrivés ont disparu. Homo Sapiens, que l'on peut aussi appelé Cro-Magnon, du nom du site où l'on fit les premières découvertes, inventa l'art pariétal puis la sculpture. C'est alors seulement que Marick amène ses auditeurs à Brassempouy, il y a quelque 23 000 ans. Elle explique ensuite avec force détails les ossements, les pierres, les silex et les objets trouvés à Brassempouy ou ailleurs et exposés dans les vitrines suspendues du musée. Il faut y admirer les silex taillés (grattoirs, perçoirs, racloirs), des molaires d'ours ou des dents de hyène, l'astragale d'un bovidé, un crâne d'ours des cavernes, des vertèbres de rennes, un humérus de bison, une dent de mammouth et divers autres ossements, certains travaillés et polis. Mais il est temps de descendre au parc…

Molaires d’ours des cavernes

Détail du crâne d’ours des cavernes

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L E PA R C P R É H I S T O R I Q U E

Le couvert végétal, reconnu grâce à l'étude des pollens, varie en fonction de la température et de l'exposition. Lors des périodes froides et arides, la steppe domine et la forêt régresse. Les feuillus se développent en zones protégées ou à proximité des cours d'eau. Lors des périodes plus douces, le pin domine toujours mais, dans les vallées humides, les feuillus se diversifient : chênes, bouleaux, tilleuls, saules, aulnes et noisetiers abondent.

Nous changeons de guide pour découvrir l'archéoparc aménagé en contrebas du musée. C'est Johanne qui va nous initier au paléolithique. Une centaine de marches est à descendre : pour les personnes qui ne voudraient pas se lancer dans une telle aventure, Johanne propose de les conduire en voiture. Le paléolithique a débuté il y a quarante mille ans, dans un contexte de climat froid et sec. Il s'est achevé il y a environ dix mille ans avec l'invention de l'agriculture, favorisée par un réchauffement général et le recul définitif de la calotte glaciaire : c'est le début du néolithique. À Brassempouy, ce climat rigoureux génère une savane favorable aux rennes, chevaux, aurochs, bisons et mégacéros susceptibles d'être mangés par les loups, les renards et les hyènes. Ces animaux constituent une réserve de gibier considérable pour les hommes de cette époque, ayant choisi la grotte du Pape pour s'abriter. La présence de chevreuils et de cerfs traduit un réchauffement provisoire, celle de rhinocéros laineux et de mammouths, une vague de froid plus intense. Le paléolithique supérieur se caractérise aussi par la fin des hommes de Néandertal remplacés par Homo Sapiens Sapiens qui invente le travail des os, de l'ivoire, de la pierre, du silex qu'il est capable de tailler en fines lamelles. C'est également Homo Sapiens Sapiens qui couvre de superbes peintures les parois de Chauvet, Lascaux, Altamira, Pech Merle et bien d'autres.

Le cheminement vers le parc est jalonné de reconstitutions de quelques-uns des animaux qui, autrefois, arpentaient ces espaces. Ainsi, en descendant les marches, nous passons près d'un mégacéros, d'un ours des cavernes, d'une hyène, de rennes, d'un renard argenté, d'un mammouth. Dans le bas du parc, des tentes et des abris sont des lieux d'ateliers où les enfants, lorsqu'ils viennent en visite, peuvent expérimenter la vie paléolithique. Nous autres, visiteurs anciens, nous nous contentons de regarder Johanne jouer à Cro-Magnon.

Photo Isabelle Cazzares

Nous sommes regroupés autour de l'atelier au centre duquel sont rassemblés des morceaux de silex. Johanne, devant nous, veut faire jaillir du noyau de silex la lame fine qui lui permettra de trancher la viande, de nettoyer une peau, de percer un trou. Je sais que l'on ne devient pas Cro-Magnon en quelques minutes : il faut un long apprentissage pour maîtriser la taille des silex et sans doute un plus long encore pour faire naître le feu. Le silex n'est pas n'importe quelle roche car, de par sa structure siliceuse, elle ressemble à du verre. L'une de ses qualités est qu'elle est

Taille du silex

Frapper le silex avec un bois de renne

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très homogène dans toutes les directions, nous révèle Johanne. Lorsqu'un silex est brisé, les tranchants sont particulièrement acérés et résistants. L'autre roche ayant des propriétés similaires est l'obsidienne, un verre naturel volcanique qui fit la richesse des peuples qui vivaient près des gisements. L'art consiste donc à savoir casser la roche pour en obtenir des bords tranchants. Johanne nous raconte les premiers outils, fabriqués par les australopithèques qui ramassaient des galets dans les rivières et les taillaient pour en obtenir des bordures aiguës. En français, ces outils s'appellent "galets aménagés" (Pebble culture, en anglais). C'était il y a très longtemps. Puis les hommes façonnèrent des bifaces en si grande quantité que l'on en retrouve des milliers. Les bifaces étaient réutilisables car on pouvait les aiguiser plusieurs fois. "En raviver le fil", nous dit Johanne. Les hommes de Cro-Magnon avaient, depuis des générations, amélioré la taille des silex au point d'en extraire de fines lamelles. Cette technique permit de diversifier les outils et les actions. Il était possible de percer, de gratter, de racler, de couper, chaque fois avec un outil différent et adapté.

renne. Elle pose le silex sur une peau épaisse qui protège les cuisses, s'assure du bon angle avec lequel elle va frapper, inférieur à 90°, puis frappe : la lamelle se sépare du noyau avec une facilité déconcertante. Posant alors l'éclat sur une enclume en bois animal, elle ajuste des petits coups pour transformer la lamelle en un perçoir, capable de creuser un trou dans un bloc de stéatite, dans une peau et, peut-être, dans un os pour creuser un chas d'aiguille. Mais elle aurait pu en faire une pointe de flèche très efficace. Les préhistoriens reconnaissent, dans les différentes formes d'outils, la culture qui les a fabriqués, c'est-àdire, l'âge de l'outil. On dit qu'ils sont des outils directeurs car caractéristiques d'une époque unique. Je sais, par expérience, l'attraction qu'exerce la préhistoire sur les élèves des écoles primaires. J'imagine l'enthousiasme qui doit étreindre les enfants lorsqu'ils viennent au musée et assistent à cette sorte de magie. Et davantage encore si la guide leur permet d'essayer et de réussir les gestes de Cro-Magnon.

Famille Cro-Magnon marchant

Homme de Cro-Magnon faisant du feu par percussion

Les dessins photographiés à l'archéoparc sont d'Éric Le Brun

Johanne choisit un silex en observant la gangue calcaire qui le contient (elle l'appelle cortex). Elle précise que les silex dont elle dispose ne proviennent pas de Chalosse mais de Normandie. J'ai compris que les gisements de Chalosse étaient épuisés. Pour obtenir une lamelle, elle doit frapper la pierre d'un coup sec, à l'aide d'un percuteur, généralement, en bois de

Mais plus que la taille des silex est la fabrication du feu. J'avoue que j'ai été bluffé par ce que nous a montré la guide. Nous la suivons vers l'atelier suivant et de nouveau, elle se lance dans un récit de l'histoire du feu dont la domestication remonte à cinq cent mille ans (environ !). C'est, nous dit-elle, Homo Erectus qui fut le premier à maîtriser le feu… Lequel du feu ou de l'outil a le plus transformé les habitudes des hommes préhistoriques ?

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Le feu permet, bien sûr, de cuire les aliments et donc, de varier son alimentation, ce qui ne fut pas sans conséquence dans la vie des hommes préhistoriques. Mais le feu servait aussi à se chauffer, très utile lors des périodes glaciaires et à s'éclairer. Cette faculté du feu transforma probablement profondément les sociétés préhistoriques car le feu rallongeait les journées, regroupait autour de lui le clan ou la famille, participait à la cohésion du groupe, libérait probablement la parole : on discute autour d'un feu. Et peut-être chantait-on aussi, pourquoi pas ? Mais comment faire du feu ?

Pendant des milliers d'années, l'homme fut un chasseur cueilleur et c'est en cela même que cette

Photo Isabelle Cazzares

Évidemment, Johanne pose la question piège : "Avec quoi faisait-on le feu ?" La réponse n'est pas aussi évidente que cela. Il faut peut-être avoir lu certains livres qui romancent la préhistoire et dans lesquels, s'ils sont bien faits, on apprend qu'un morceau de pyrite est nécessaire. Ne pas répondre : "Deux silex !" Pour faire le feu, explique Johanne, il faut créer une étincelle chaude (600°), ce qui nécessite l'emploi d'un morceau de pyrite de fer ou de marcassite, tous deux étant des sulfures de fer. Or, bien sûr, la pyrite se trouve rarement sous le sabot d'un aurochs… Ensuite, il faut racler un peu d'amadou qui constitue l'essentiel de l'un de ces champignons qui vivent accrochés aux troncs des arbres. Le champignon s'appelle justement amadouvier… Johanne gratte assez longtemps le dessous de ce champignon et obtient un peu de poudre rougeâtre qu'elle dépose avec précaution sur un morceau de cuir épais. Puis elle frappe le silex avec le morceau de

marcassite. Serait-il possible que, des étincelles qui tombent sur l'amadou, naisse un feu ? D'un côté, je sais qu'elle est animatrice à l'archéoparc et que du feu, ce n'est pas la première fois qu'elle en fait devant des visiteurs. D'un autre côté, je me demande si, vraiment, un feu naîtra de ces étincelles. J'imagine assez bien l'attention que des enfants doivent avoir en assistant à ce numéro de quasi-magie… Il n'y a qu'à regarder la trentaine de visages tournée vers la jeune femme pour comprendre ce que des enfants doivent éprouver à ce moment. Sitôt les étincelles tombées sur l'amadou, elle referme le morceau de cuir et commence à souffler tout doucement sur l'amadou et les braises naissantes. Il s'est incontestablement passé quelque chose… L'amadou commence à brûler… C'est, je crois, la première fois que je regarde naître un feu de quelques étincelles jaillissant de la rencontre d'un silex et d'une marcassite. Pour la phase suivante, Johanne place avec précaution les braises d'amadou dans un nid d'herbe sèche et, tenant l'ensemble dans sa main, commence un balancement de bras sensé oxygéner les braises. Elle souffle parfois dessus pour s'assurer que son programme se déroule comme prévu. Cinq minutes après avoir heurté le silex avec la marcassite, la fumée commence à s'élever de la poignée d'herbe sèche. Je crois que nous sommes tous étonnés de ce résultat "extraordinaire". Cela paraît si simple… Après cette démonstration flamboyante, nous quittons cet atelier et allons voir celui des propulseurs.

Utiliser le feu pour cuire la viande ; tailler les outils

Les étincelles tombent sur l’amadou

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longue période correspond au paléolithique. C'est en devenant agriculteur qu'il quittera cette ère pour entrer dans le néolithique. La chasse se pratiquait de multiples façons dont la chasse à la sagaie. Des générations de chasseurs ont lancé leurs armes comme les athlètes lancent un javelot : à la simple force des bras. Je ne doute pas que les hommes du paléolithique étaient de grands athlètes mais leurs sagaies ne pouvaient être projetées suffisamment loin et fort pour abattre un animal à une grande distance : les chasseurs devaient s'en approcher beaucoup. Survint alors une invention "révolutionnaire" : le propulseur. Qui fut le premier à l'utiliser, nul ne le sait mais, au XXe siècle, certaines populations l'utilisaient encore. C'est ce que montre une grande carte exposée sous l'abri des propulseurs. Les Inuits d'Alaska et du Groenland, certaines populations de l'Océanie, les aborigènes d'Australie chassaient encore au propulseur lorsqu'ils rencontrèrent les premiers Européens… Les spécimens, dessinés sur la carte exposée, sont conservés au musée du quai Branly. Ils sont particulièrement bien décorés.

conservé. Ce qu'en retrouvent les préhistoriens n'est, bien souvent, que la cupule décorée dans un bois de renne. Johanne raconte qu'il fallut un certain temps pour que les spécialistes comprennent à quoi servait ce petit objet. D'après les explications laissées à disposition sur les panneaux qui jalonnent le parcours, les principaux animaux chassés, au paléolithique, étaient les rennes, les chevaux, les bovidés, c'est-à-dire les petits herbivores. Le renne offrait sa viande, sa peau, ses bois, ses os, ses dents, ses tendons et même ses boyaux. Le mammouth n'était que très rarement chassé. Les pointes de sagaies étaient fabriquées en silex, en os ou en bois de renne. Johanne nous fait une démonstration et plante sa sagaie dans le cheval dessiné sur un papier. Quelques-uns sont tentés par cette expérience de chasse paléolithique mais on constate, aux résultats, que la faim tenaillerait longtemps leurs estomacs s'ils devaient se nourrir par ce seul moyen. D'autant que le cheval est immobile et seulement à six ou sept mètres…

Les dessins photographiés à l'archéoparc sont d'Éric Le Brun

Le propulseur, comme son nom l'indique, propulse la sagaie beaucoup plus loin et beaucoup plus fort que le bras dont il démultiplie la puissance. Il multiplie la vitesse de la sagaie par trois par rapport à un lancement sans propulseur. Il améliore la puissance d'impact dans le corps de la proie ainsi que la précision du tir. À vingt ou trente mètres, la réussite est quasi-certaine. Le propulseur offre donc une plus grande chance de ne pas revenir bredouille après une chasse. L'objet étant en bois, il ne s'est pas toujours

Nous n'approchons pas de l'atelier "art pariétal" et ne laissons donc pas l'empreinte négative de nos mains sur le papier tendu. Il est temps de remonter au musée et à sa boutique de souvenirs puis de revenir au bus. Il est presque 13 h lorsque nous quittons Brassempouy pour trouver la ferme-auberge "Le vieux chêne", à Castelnau-Chalosse. Aurait-on faim ?

Images www

Faon (Bédeilhac)

Scène de chasse au propulseur

Mammouth (Montastruc)

Faon aux oiseaux (Mas d’Azil)

Gestes du lancer et trois propulseurs en bois de renne

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Le musée de la vannerie de Castelnau-Chalosse

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Ils étaient maçons, leurs enfants furent vanniers. L E R E PA S

L E M U S É E D E L A VA N N E R I E

Avant de nous lancer dans d'autres découvertes, il faut nous restaurer : n'est-ce pas là la véritable raison du succès de ces voyages ? J'exagère, bien sûr, car les sites visités sont toujours très intéressants. C'est, en tout cas, mon avis… Le floc de Gascogne est offert par le Comité (merci à lui !). Au menu : garbure au canard, salade landaise, cuisse de canard confite, vin, pastis landais et café. Ce repas durera plus de deux heures ! C'est dire si la faim nous aura quittés lorsque nous remonterons dans le bus ! En ce mois d'avril, la crise s'est posée sur les Landes et le Sud-Ouest car la grippe aviaire, qui y a fait son apparition, entraîne des modifications importantes dans les élevages de canards. Au 21 avril, plus aucun canard ne devra cancaner dans les Landes afin d'espérer endiguer la maladie. Pendant une quinzaine de jours, les élevages seront vides : la première fois depuis longtemps sinon depuis toujours. Pour le propriétaire du restaurant et éleveur de canards, les perspectives sont sombres. Il craint la fin d'une filière très importante pour la région et me dit aussi que les grandes sociétés locales, célèbres pour leurs produits, préfèrent s'approvisionner en volailles en l'Europe de l'Est afin de les transformer dans les Landes. Elles y gagnent davantage mais le producteur local et le consommateur y perd probablement.

Au centre du petit village de Castelnau-Chalosse se trouvent deux espaces particuliers : une maison de la vannerie et un plantier municipal. De nouveau, le groupe est partagé en deux et me voici parti vers le musée de la vannerie. C'est Patrick qui nous ouvre la porte d'un bâtiment, en fait, d'un autre monde. La visite commence par une vidéo qui nous raconte l'histoire de la vannerie dans ce village. Cet art de la vannerie est né d'une catastrophe que les hommes du village ont su surmonter de la plus belle manière alors qu'elle aurait dû les abattre. Au XIXe siècle, Castelnau était un village de vignerons et le vin en était la production principale. Jusqu'à ce que… Jusqu'à ce que le phylloxéra, petite bestiole américaine, ne vienne rendre visite aux vignobles français. Toute la vigne y passa. Catastrophe totale. Les gens d'ici se convertirent. Le film ne dit pas pourquoi ils choisirent la vannerie mais c'est ce que les vignerons firent. Visite libre du musée : plusieurs pages imprimées racontent l'histoire du village. Incontestablement, des gens de Castelnau-Chalosse s'intéressent à leur lieu de vie. Les documents sont précis, fouillés. L'histoire commence où nous l'avions laissée, à Brassempouy ; elle passe par les légions romaines et par Aliénor qui

Le vannier Noël Brocas au travail (Photos d’avant 1984)

Photo JP L. d'après photos du musée.

Deux photos JP L. d'après photos du musée.

Ils étaient laboureurs, ils sont devenus vanniers.

Modèles de paniers fabriqués par Gérard Lagu

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La Le Dame muséeàde la la capuche vannerie (Brassempouy de Castelnau-Chalosse ; Chalosse)

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Ils étaient tisserands, ils sont devenus vanniers. les fit anglais pendant trois cents ans. Moyen-Âge, féodalité, baronnies, Révolution, Troisième République, école publique, grandes guerres : comme chaque village français, Castelnau eut sa part d'événements, de changements, de morts, de veuves et d'orphelins.

déclin les imitèrent. Puis, après 1856, l'arrivée du phylloxéra anéantit les vignobles restants. Ils furent alors nombreux à se lancer dans l'art de la vannerie. Une corporation des vanniers de Castelnau fut créée qui fonctionna pendant presque deux siècles, jusqu'à l'an 2000, avec les matériaux issus des environs du village. Castelnau-Chalosse, village de vignerons, était devenu un village de vanniers.

L'économie du village reposait autrefois sur les activités traditionnelles : vigne, verger, jardin, blé, lin, pâture, lande. Immobilité du temps pendant des siècles de ruralité. Le premier changement fut peut-être l'introduction du maïs, au XVIIe siècle. Dès 1789, le maïs devint la base de l'alimentation du métayer car il était plus productif que le blé.

Les vanniers de Castelnau-Chalosse utilisaient des matériaux locaux, travaillés avant tressage. Les modèles les plus anciens étaient en chêne (excusez du peu !) et en noisetier, les plus récents en châtaignier. Lorsque l'âge des paniers disparut au profit des voitures et des sacs en plastique, les vanniers du village tressèrent des huches à pain, des paniers à bois et toute sorte de petits paniers fantaisie pour les touristes.

En 1780, 80 % des cultivateurs se déclaraient vignerons. Le marché du vin, laissé aux propriétaires, était très lucratif ; il était interdit d'introduire en Chalosse du vin étranger à la région. Le clairet était apprécié des Anglais, des Écossais et des habitants des pays nordiques : ce vin était exporté par le port de Bayonne. Mais voici que sous le Premier empire, les Anglais coulèrent les navires qui osaient quitter ce port : le désastre s'abattit une première fois sur les viticulteurs qui ne pouvaient plus écouler leur production. Commença alors une reconversion vers la vannerie puisque les viticulteurs fabriquaient eux-mêmes les paniers dont ils avaient besoin dans leur vigne. Ceux qui exerçaient des professions peu à peu atteintes par le

Parmi les différents objets tressés, les ruches sont mises en valeur, en particulier les ruches landaises, appelées bournacs ou caunes et tressées en forme de cloche. De larges éclisses de châtaignier étaient tressées sur une structure en grosses lames de chêne. Une fois achevées, les ruches étaient enduites de bouse, matériau très résistant et isolant. Puis elles étaient expédiées par le train vers Labouheyre… Un petit texte raconte que Fernand Saint-Germain en fabriquait mille par an. Autre objet à usage particulier,

Deux photos JP L. d'après photos du musée.

Ils étaient vignerons, ils sont devenus vanniers.

Yves Lafourcade tressant une corbeille (février 1991)

Roland Ducasse monte un panier plat

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Le musée de la vannerie de Castelnau-Chalosse

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Ils étaient tonneliers, sabotiers, tailleurs d'habits, domestiques, tourneurs-chaisiers, ils sont devenus vanniers. les nasses pour les anguilles, appelées cougnettes. On voit combien cet artisanat était en étroite relation avec la vie quotidienne. En ce temps lointain, il n'y avait pas de temps pour fabriquer des futilités. Pour fabriquer une corbeille, il fallait d'abord faire un cerceau dont le diamètre était fonction de la capacité désirée. Puis le vannier tressait le fond plat. Le cerceau, placé alors à l'extérieur de la corbeille en construction, donnait le gabarit (➀) ; il était fixé aux lattes qui constitueraient le bord de la corbeille : le cerceau déterminait la forme de l'objet. Les bords étaient tressés (➁) et lorsque ce travail était presque achevé, le vannier faisait passer le cerceau à l'intérieur (➂) et les lattes étaient retournées et fixées au tressage. Si l'on n'avait pas oublié les poignées, la corbeille était achevée. Il est temps de passer au plantier… LE PLANTIER OU LA QUILLE DE NEUF Sans être un spécialiste, je connaissais la vannerie ne serait-ce que pour avoir tressé du rotin au temps lointain de ma jeunesse. Mais de la quille de neuf, je ne connais rien. À peine le nom sans savoir vraiment à quoi il correspond. N'ai jamais joué ni même vu un

terrain de jeu que l'on appelle, en cette région landaise, plantier. C'est dire qu'en entrant dans la salle municipale réservée à ce jeu, j'ai tout à découvrir. Mais d'abord, boire un verre de vin blanc… Il est offert par ceux qui ont ouvert la salle et vont nous expliquer le jeu. L'espace de jeu, enfermé par une barrière en bois visiblement solide, occupe un angle de la salle. Le jeu serait-il dangereux ? Une tribune est aménagée un peu en hauteur et un banc est disposé sur les deux côtés accessibles. Deux portes permettent d'entrer sur l'espace de jeu. Le terrain est carré, d'environ quatre à cinq mètres de côté. Donc petit. Le sol est en terre battue grise : lorsque nous entrons, un homme la balaie soigneusement pour en effacer les traces de pas. Neuf quilles sont disposées en carré, huit sur les côtés, une au centre. Celle-ci est plus petite et, nous dit-on, plus légère que les autres. Elles sont toutes cloutées en leur milieu qui est joliment élargi en une sorte de sphère légèrement aplatie. Les quilles sont en hêtre et pèsent chacune entre 2,8 et 3,2 kg. Elles reposent sur des plots en bois appelés pitères qui sont presque invisibles car affleurant à peine du sol en terre battue. Les quilles sont espacées de 2,15 m à 2,18 m l'une de l'autre. La boule est en cœur de noyer, mesure trente centimètres de diamètre et pèse six kilogrammes. Deux encoches permettent de la tenir avec les doigts.

Le cerceau sert de gabarit avant d’être intégré à la corbeille

Le terrain de jeu, ses neuf quilles et la boule

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Le plantier de Castelnau-Chalosse

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Mais comment joue-t-on ? Ils sont quatre – Francis, Didier, Laurent et Jacky – à nous faire des démonstrations. Très vite, je constate que ce jeu est beaucoup plus compliqué qu'il n'y paraît car il faut jouer dans deux directions simultanées. Le joueur tient la boule, se met en position contre la quille avec laquelle il veut jouer mais vise deux objectifs. En effet, si la boule doit heurter la première quille en son centre clouté, elle doit aussi prolonger sa trajectoire et abattre une ou plusieurs quilles mais au moins celle qui a été frappée. La première quille doit s'envoler et abattre également une ou plusieurs quilles. Si, lors de ce premier jeu, la boule n'est pas sortie du carré de jeu, le joueur peut rejouer et augmenter ses points : autant que de quilles au sol.

ber. La flèche rouge (longue) indique la trajectoire de la quille et la quille visée doit tomber pour que le jeu soit gagnant. Bien sûr, des quilles bousculées par les déplacements et les chutes peuvent aussi tomber et ce sera autant de points supplémentaires pour le joueur. Une quille peut même rebondir contre la barrière et faire tomber une autre quille : point gagné. S'il est "facile" de faire tomber trois quilles, il devient très intéressant d'en abattre cinq ou six. Mais cela relève parfois de l'exploit. Les hommes qui nous montraient se souvenaient de leurs plus gros scores, avec une certaine fierté.

Il existe douze figures de jeu – sept de jeux courts et cinq de jeux longs – dont chacune a un nom. Dans les dessins suivants, la flèche noire (courte) indique la trajectoire de la boule. La quille visée doit tom-

Photo Annie Castaing

Photo Isabelle Cazarres

Évidemment, certains et certaines se sont essayés au jeu et en ont saisi toute la difficulté, ne parvenant, parfois, à ne pas faire tomber la première quille, pourtant située à vingt centimètres du joueur. Pris par l'attrait de ce jeu, nous sommes restés sur les bancs bien plus longtemps que prévu. Le président a dû nous arracher du plantier pour que nous retrouvions le bus.

Jeu de rue droite

La quille percutée fauche une quille de jeu

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Écrit par Jean-Pierre Lazarus en mai 2016 d'après les notes prises au cours de la visite et d'après divers documents pêchés sur la Grande Toile Mondiale. Les photos sans cartouche sont de l'auteur.

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