A la Dérobée

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A la dérobée - a robe movie Je suis une robe

Ça peut surprendre

à la déRobée Autobiophotographie d’une robe

Du blanc vers le noir C’est toujours ainsi Les yeux ronds, les roses et les soucoupes Puis les coups et les tourments

Les photographies de Siska Siska (Karine Rocher) va de friche en friche, l’appareil photo en bandoulière (et la robe pour cette aventure !), à l’affût de la poésie des lieux oubliés et surprenants (et de la beauté oubliée des lieux poétiques !) ... Elle arpente les friches industrielles, les maisons abandonnées, les mondes à part, et traque les restes du temps.

On m’a délivrée un après-midi d’avril, entre une robe de princesse, des tissus Chantilly et un ensemble Chanel … J’étouffais. Je rêvais de cinéma, de rêve, de sentiments, de grands espaces et de motos en goguette sur des routes numérotées (presque) comme le diable – avec, en fond, « Let me put my love into you » d’AC/DC.

Je me suis enfuie

Le texte de Lady Arlette Lady Arlette (Annabelle Cavallin) bouillonne, électrise et divague … Les doigts dans la prise, la tête dans les étoiles, elle nous invite depuis 2008 dans ses mondes détonants et décalés. Ici, elle quitte la scène pour l’écriture mais on trouve toujours chez elle, du robe’n’roll dans des escaliers dérobés et des larsens dans la poésie ...

à la déRobée

Autobiophotographie d’une robe

Photographies : Siska Texte : Lady Arlette Too Old Too Die 978-2-9546601-1-0 15E

Siska & Lady Arlette


« Titube, tangue, avance, fantôme de vie cousu d’espoir ; encore et toujours boxe les jours, de l’autre côté caresse la rive. »

Jacques Aureillan


« À la dérobée » Acte I Lignes de fuite … une fine de l’huître, un fuel de ligne A robe movie Je suis une robe Ça peut surprendre Du blanc vers le noir C’est toujours ainsi Les yeux ronds, les roses et les soucoupes Puis les coups et les tourments On m’a délivrée un après-midi d’avril, entre une robe de princesse, des tissus Chantilly et un ensemble Chanel … J’étouffais. La conversation de mes compagnes se limitait à la couleur du bouquet, le vent possible dans leurs franges, la minutie des petites mains qui avaient cousu la dentelle (avec débat sur les talents indiens, chinois et français du Nord, du Centre, sans oublier les Belges) et le menu. Oublierait-on le fromage ? Devant ces grands mistrals de la pensée, je rêvais déjà de grands espaces, de motos en goguette sur des routes numérotées (presque) comme le diable – avec, en fond, « Let me put my love into you » d’AC/DC. Je ne fus pas déçue. Ce fut court mais intense. J’ai dû voir deux kilomètres de bitume ; les klaxons en riff de guitare et une signature vite tracée au bas d’un registre. Bon Scott avait une drôle de voix technoïde … Ça manquait singulièrement de cinéma, de rêve et de sentiments.

Je me suis enfuie




Ne me demandez pas comment ou pourquoi… Je n’ai pas réfléchi. Quand mes semblables terminent dans une armoire couvertes de naphtaline et de plastique, portées par la fille de la fille de la fille de la fille…, en sortie quinquennale pour Madame, oubliées dans un pressing 1 ou découpées en sets de table et en torchons… J’ai décidé de partir. Simplement. Comme ça. Un matin de mai.

J’avais des choses à faire… On m’a délivrée un après-midi d’avril, entre une robe de princesse, des tissus Chantilly et un ensemble Chanel… J’étouffais

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Proposer à Lady Arlette d’écrire un texte sur les robes oubliées des pressings


J’ai décidé de partir. Simplement. Comme ça. Un matin de mai.


Chapitre 1. Où dans sa course folle vers l’air et la nuit remuante, la robe croise un banc qui lit du Saint-John Perse. En quittant les réjouissances nuptiales, je tombai nez à dentelle sur un hérisson qui se suicidait lentement. Le bitume est cruel, me dis-je, mais moins que nos semblables, que les mariages arrangés et que ces fantômes que je venais de quitter sans regret… Il était une heure du matin (sept heures à Yangzhou, l’heure du café). Dans ma course folle vers l’air et la nuit remuante, je croisai un banc qui lisait du Saint-John Perse et qui m’invita, du coup, à méditer…

Après toutes ces émotions, il fallait que je décide de la suite. « C’étaient de très grands vents en quête sur toutes pistes de ce monde, Sur toutes choses périssables, sur toutes choses saisissables, parmi le monde entier des choses… »2 Dans ma course folle vers l’air et la nuit remuante, je croisai un banc qui lisait du Saint-John Perse … Saint-John Perse, Vents, 1

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Faire du stop, être embarquée dans une 403 bleue conduite par Rosalie, marquise en goguette, PDG à la retraite des usines Peugeot (branche deltaplane et canoë), ressemblant étrangement à Geneviève de Fontenay… cela n’étonnera personne. On chantait à fond « I shot the Sheriff » dans la voiture, version Clapton. Ce soir, on allait changer notre point de vue sur le monde, se mettre la tête à l’envers ; les coutures qui explosent, les fêlures et les blessures qui se posent sur le bar. Chez Gigi avec « Gege » ! (Rosalie me rappelait trop ma grand-mère et ça me faisait drôle de boire une Northmen avec Mamie… j’ai des principes !) Puis nous titubâmes jusque chez elle, un superbe hôtel particulier derrière la gare. Elle avait loué la partie principale à une famille de la lignée des Romanov, paraît-il… et elle s’était gardé le grenier, en loft, pour être loin des tsars mais proche des étoiles… Elle m’offrit un dernier cordial, un Bushmills de derrière les fagots irlandais et nous écoutâmes en boucle « Toujours sur la ligne blanche » de Bashung. …être loin des tsars mais proche des étoiles…


Je me réveillai, les dentelles en compote, bercée par le roucoulement des pigeons installés entre le soleil et moi. Il devait être midi (et trois heures du matin à Las Vegas). Rosalie n’était pas là. Je pris un bain, mon temps et le soleil. Je tombai alors sur une carte de visite passablement abîmée par les lignes de fuite qu’elle avait dû tracer sur les tables basses : « La Potinière, son château, son golf, son bowling, sa piscine, ses escaliers, sa vue imprenable, son histoire, ses couloirs, ses moulures et son sapin… » Avait-elle abandonné cette adresse et les clés de la voiture comme cadeau ? Je lui laissai en guise de remerciement ce proverbe turc sur un bristol : « La roue arrière d’une voiture passera là où la roue avant est passée » ; j’y ajoutai un bout de dentelle et un poème de Michaux sur la nuit qui remue…

puis je partis… La Potinière, son château, son golf, son bowling, sa piscine, ses escaliers, sa vue imprenable, son histoire, ses couloirs, ses moulures et son sapin…



Chapitre 2.

Où la robe rencontre des sujets sympathiques de Sa Royale et Gracieuse Majesté, accusés de blanchiment, ce qui ne peut que lui aller au teint.


Avant de prendre la route, je fis un crochet par mon ami le banc qui me distilla ses retombées méditatives ; elles sonnèrent comme un avertissement : « C’étaient de très grandes forces en croissance sur toutes pistes de ce monde, et qui prenaient source plus haute qu’en nos chants, en lieu d’insulte et de discorde3. » Je partis donc à l’ouest, pour son côté far, ses cow-boys, ses rêves, ses mystères et Las Vegas. En même temps, on se rend vite compte sur la Nationale 12 que l’aspect sauvage, conquérant, mystérieux… s’est perdu entre une station service et un Troc Affaires. L’idée m’effleura une seconde la dentelle de rentrer dans un de ces magasins où la misère se solde pour voir si une de mes anciennes compagnes d’infortune attendait là une nouvelle princesse à marier… J’avais le temps et puis pas le temps (comme les retraités aux caisses des Super U). Je mis deux heures pour rejoindre La Potinière avec une pause de cinq minutes sur le bas côté de la nationale… en effet, prise d’une mélancolie soudaine, autant qu’intempestive, je m’étais garée sauvagement et j’avais songé à mon enfance, partie de Shanghai, voyageant à bord du Jules Verne, plus grand, plus fort et plus métallique que le Titanic, rêvant de Paris, de défilés et de Broadway… Je trouvai facilement une solution pour entrer dans la propriété : nous étions samedi et apparemment le lieu avait été en partie loué pour un mariage – il serait très facile de se faire passer pour la doublure cascade de la robe de mariée ! Tout se déroula comme je l’avais imaginé. L’espèce de costaud de la sécurité n’eût le temps de voir qu’une légère vague troubler l’air devant ses Ray-Ban… La robe dans le vent, je passai, conquérante, avec la superbe de la jeune mariée ou de la cascadeuse hollywoodienne. Je me retrouvai au milieu d’un cocktail mondain aussi à l’aise qu’une clé à molette dans une boîte à clous… Je me retrouvai au milieu d’un cocktail mondain aussi à l’aise qu’une clé à molette dans une boite à clous… 3

Saint-John Perse, Vents, 3



C’est vrai qu’un mariage, c’est quelque chose… ça a un côté extra-terrestre, hors-temps. Je trouvai une porte dérobée et en profitai pour m’éclipser – je ne voulais pas faire de l’ombre à la mariée – C’était l’occasion de visiter le château, mais comme je n’ai pas le sens inné de l’orientation, je me perdis rapidement. Mais y a-t-il une âme, ou même un ectoplasme dans ce château ?! Au bout d’une centaine de couloirs, d’un demi-millier de portes et d’escaliers descendus, dérobés et remontés, alors que je m’apprêtais à lancer, par la première meurtrière croisée, un SOS gravé sur ma dentelle déchirée, je rencontrai un être de forme cubique de deux mètres sur deux, avec des yeux pétillants à souhait. Le coup de foudre fut immédiat, terrible et fulgurant. Ringo Bartok, sujet de Sa Gracieuse Majesté, ex-champion d’Angleterre poids lourd, accusant 122 kilos à la pesée, se retrouva devant moi. L’exotisme de la perfide Albion eut encore raison de moi : jadis en arrivant de Chine, et à peine déballée du carton, j’étais tombée en extase devant un vinyl des Rolling Stones et la gueule inédite de Keith Richards… puis l’apparition angélique de Martin L. Gore et de sa Gretsch White Falcon avait achevé mon évanouissement. Bref, autant vous dire que mon installation fut rapide, plaisante et que je devins vite la lady de ces lieux. Je me doutais bien que les lingots, les hommes, les lettres et autres colis livrés à des heures peu postales ne présageaient rien d’honnête sur les activités de mes hôtes et de mon amant. Mais moi, que voulez-vous, Singapour, Gibraltar, La Floride, Jakarta, ça me fait rêver ! Bradford « Goldflingueur » Smith, l’associé de Ringo, était un être exquis : il m’avait fait comprendre un soir, avec des mots choisis, que si je sortais de ce château, c’était ou la dentelle devant ou accompagnée…

Ça avait l’avantage d’être clair. Ringo me faisait oublier les petits inconvénients de ma prison dorée.


Je me souviens d’un soir où Bradford et Ringo avaient invité un japonais pour un achat de domaines en Suède. J’étais kawaï à souhait. Le Nippon me promit monts et merveilles, une carrière ascensionnelle dans le music-hall, avec tournées entre Cherbourg, Montbéliard, Paris et Tokyo ! Le rêve… Je crois que son corps a fini en nourrissant les algues et les poissons de l’étang du château. Brad et Ringo n’en étaient certainement pas à leur coup d’essai. J’ai appris, depuis, qu’un couple en « affaires » avec eux régalait les papilles de quelques poissons et coraux des îles Canaries. Mais c’est comme tout : l’amour s’ennuie, l’amour s’en fout, l’amour ennuie et puis c’est tout. Je crois que je n’étais pas faite pour le bowling et le golf…

j’avais un très mauvais swing. Mais c’est comme tout : l’amour s’ennuie, l’amour s’en fout, l’amour ennuie et puis c’est tout



Chapitre 3.

Où la robe s’évanouit à minuit.

Mon salut s’abattit sur moi un samedi de septembre, lors du mariage de Harriet Colmar et de Nick Krave. Ils avaient réservé la propriété du vendredi au lundi. Brad était rentré en Angleterre assez précipitamment – une histoire d’héritage d’un manoir écossais et de ses douze mille hectares. Le propriétaire, un lointain cousin, était mort. On l’avait retrouvé en deux parties : la tête dans un four Gaggenau et le reste pendu au plafond de sa demeure victorienne, avec un couteau dans le cœur. La police avait conclu assez facilement au suicide. Quand un four déçoit… c’est redoutable ! Nous étions donc seuls, Ringo et moi, dans l’aile droite du château, sirotant du champagne en regardant une rétrospective des plus belles catastrophes de l’été. Mon champion s’endormait, bercé par ma reprise de « Bang Bang ». Quand sa respiration fut régulière, je me levai, actionnai le magnétophone que j’avais préparé (l’enregistrement de la chanson datait un peu et s’inspirait plus de Sheila que de Nancy Sinatra mais j’avais fait ça rapidement dans la salle de bain, un soir où Ringo et Brad étaient « en affaires »). Puis, je me glissai dans le couloir. J’avais deux heures devant moi : me diriger vers le hall de réception, trouver une limousine accueillante et compréhensive, changer les plaques… tout cela fut fait rapidement – je n’avais pas vécu quelque temps avec des gangsters sans apprendre les rudiments de la fuite et des belles évasions. J’avais quitté Clyde à 22h47. Il était 1h32 ce dimanche matin (6h33, je ne sais pas où dans le monde) lorsque je déboulai sur Nous étions donc seuls, Ringo et moi, dans l’aile droite du château, lasirotant départementaledu 15. Achampagne moi la libre dentelle et le rock’n’roll ! Dans un premier temps, il fallait me trouver une planque et un couturier paysagiste pour me changer … J’allais être recherchée, forcément.




J’avais laissé un joli poème à Ringo, comme quoi je ne dirais rien à la police, ni à personne d’ailleurs, mais je suppose que pour protéger leurs intérêts, ils n’auraient pas hésité à tuer Baudelaire…

Bref, mes mots lui faisaient la jambe belle. Pour brouiller les pistes, direction l’Est, là où personne n’aurait l’idée de me chercher : la Franche-Comté.

Dans un premier temps, il fallait me trouver une planque et un couturier paysagiste pour me changer…


Chapitre 4. Où la robe s’envole vers les hauts plateaux du Doubs, en découvre les indigènes, les couleurs et rencontre une lady cachée derrière une Gretsch et deux larsens. Je roulai toute la nuit. Je ne vous cache pas qu’une robe de mariée dans une limousine, ça peut surprendre, surtout quand elle se sert de l’essence, seule, dans une station service de nulle part. Peut-être ai-je contribué à créer des légendes sur la Nationale 6… …elle se sert de l’essence, seule, dans une station service de nulle part.


une robe blanche passant comme une comète ; ça porte chance‌


Je roulai toute la nuit et arrivai au petit matin sur les hauts de Saint-Hippolyte, à Chamesol. Je m’arrêtai au pied d’un calvaire et m’endormis ;

je ne fus troublée par aucun rêve indélicat. Je fis un long parcours du cadran et l’horloge du clocher comtois affichait 21h12 (la même chose en Normandie). Ringo avait dû lancer toute une équipe à ma recherche, et il avait certainement fait comprendre au propriétaire de la limousine que l’échec de cette mission aurait de fatales et insoupçonnées conséquences pour lui et sa descendance sur une vingtaine de générations. Et pourtant, l’heure quasi suisse m’éloignait de l’heure anglaise et je trouvais quiétude et dentelle apaisée à quelques mètres du centre du village.


Ringo avait dû lancer toute une équipe à ma recherche


J’en étais là, perdue dans mes pensées et ces destins tragiques, lorsque j’entendis comme une étonnante mélopée… Qui pouvait bien en être à l’origine, un dimanche soir, dans un village qui, si Dali l’avait connu, aurait remplacé la gare de Perpignan comme centre du monde et début de toute chose !? Une enseigne lumineuse m’attira : « A la sardine pailletée – spécialités comtoises, mais pas seulement et rock’n’roll à tous les étages ». Quelque part entre Thiéfaine, Sonic Youth et Brigitte Fontaine, ça gueulait là-dedans !!! Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir ou plutôt de deviner derrière une grosse guitare Gretsch White Flacon, un être féminin, concentré d’énergie et de distorsion.


Je l’adoptai tout de suite. Elle s’appelait Arlette. Vite, un cordial, local si possible ! La soirée dans ce rade de nulle part fut mémorable, sublime et redoutable. De vin jaune en vin de paille, de Riesling en Pinot, nous nous retrouvâmes vite torchon, chiffon, dentelle… L’absinthe elle aussi coula à flots, de celle qu’on ne trouve que chez certains, importée par d’autres, via des routes connues d’eux seuls… De celle qui vous embarque loin, au-delà des Préalpes, jusque dans l’Himalaya des rêves. Je participai aux agapes musicales, me découvrant des talents insoupçonnés, des espaces entre les touches et les abîmes de la création…

… les pieds sautillant dans des Doc roses …



Finalement, je ne savais pas grand-chose d’Arlette, sinon que pour elle tout ne prenait sens que sur scène, d’un bar perdu aux salles connues, des nuques avinées au public policé… Elle était née là, en Franche-Comté, sans racines légendaires, posée entre l’Alsace maternelle et le Dauphiné paternel, Montbéliard et les usines Peugeot comme point de rencontre. Elle vivait une folle passion avec Jacky G., ferrailleur dans son village d’enfance, dorénavant parrain de la Vallée. Les similitudes entre son histoire et la mienne avec Ringo étaient assez étonnantes… le golf et l’accent en moins – il faut avoir entendu au moins une fois dans sa vie un Comtois parler. Le soir de notre rencontre, Jacky n’était pas là, occupé à régler – façon « Brad & Ringo » - un problème d’import-export peu orthodoxe d’horloges comtoises fabriquées en Chine… La frontière suisse, ça ne rigole pas, proverbe allemand. Nous n’avions pas envie de dormir, alors nous laissâmes mourir la nuit et notre ivresse, tranquillement… Je décidai de rester avec Arlette, dans sa bicoque comtoise à deux pas du saut du Doubs. Histoire de me faire oublier des dentelles… Jacky passait de temps à autre mais n’était plus si amoureux… Nous en profitâmes pour écrire, composer, nous habituer l’une à l’autre. Vivre ensemble, c’est pas rien.

Je participai aux agapes musicales, me découvrant des talents insoupçonnés, des espaces entre les touches et les abimes de la création…



L’hiver passa, comme ses silences et sa blancheur. Immobile. Rodéo dans nos cœurs. Nous étions ravitaillées par les corbeaux et les cigognes qui passaient au-dessus de nous avant leur livraison alsacienne. Un soir de mars, Jacky ayant abusé de Pontarlier (nectar local anisé) nous lui prîmes les clés de sa Simca Chambord. Arlette le quitta, presque sans regrets (avec ce soupçon étrange de nostalgie qui sert à meubler les 95 pour cent de notre cerveau inutilisés – le bazar aux souvenirs… et pour les robes, c’est le vent). Vivre ensemble, c’est pas rien.


Elle avait décidé de s’enfuir, elle aussi. Nous étions décalées et ensemble. Quel bonheur. Nous aimions le monde de ce côté des choses. Thelma et Louise de carnaval ! Direction le Nord. L’autoradio chauffa plus que la voiture… Nous parcourûmes en cinq cent quatrevingt-sept kilomètres notre histoire du rock depuis 19544 . Nous fîmes des haltes improbables, dans des relais où on mange plus de poésie et de gras que de légumes et où les services de l’hygiène ne passent heureusement pas pour aseptiser les gens, les odeurs et les assiettes. L’autoradio chauffa plus que la voiture … 4

En boucle « Highway to hell » d’AC DC, « Murder ballads » de Nick Cave et « Cortez the killer » de Neil Young … voir le juke box en dernière page …




Nous nous inventions notre 33 tours, aux sillons de chansons qui ne révolutionnent pas grand-chose sinon nos pensées et nos rêves. Tout traduisait les instants magiques de notre robe movie. Nous admirions à travers les vitres les couleurs indéfinissables des décors, la route et nos envies d’horizons. Le vert de la vallée du Dessoubre se mariait si bien avec le jaune des pierres de Bourgogne et le gris du boulevard industriel de Rouen. Nous arrivâmes tard un soir de mars. Arlette connaissait une petite chambre « sous les combles » qui nous permettrait de nous reposer et d’attaquer dès le lendemain notre carrière de pyromanes scéniques.

Nous rêvions de cordes à linge et de vinyls qui sèchent …


Low Life5 J’ai tué la princesse Explosé le carrosse Fait avouer le prince La tête dans un étau De quoi j’ai l’air ? Comme un courant

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« Low Life » par Princess* No (with Lady A & Prince S.)


Les yeux sur l’horizon D’un grand comptoir perdu Le bal est hors saison Le bijou superflu De quoi j’ai l’air ? J’ai noyé les miroirs Je ne suis plus jolie Les royaumes dans l’armoire la Reine est hors-circuit

De quoi j’ai l’air ? Comme un tourment Les rues, comme des grands sables Prennent le monde à revers Le cœur bien lessivable Je marche toujours en travers Je fais de la voltige Dans ma robe incendie



J’aime pas les fins. Je ne sais pas comment ça marche, comment on fait. On peut choisir la version longue, joyeux bazar rock‘n’rollesque ou la version courte, punk, surprenante parfois, que Lady Arlette aime si bien. Ronde ou carrée, repassée ou pas. Une guitare brûlée ou gentiment rangée dans son étui. Pas de limite. Seuil.

J’aime pas les fins


Bande Son poétique : AC/DC, « Let me put my love into you » in Back in Black, 1980 Bashung, « Toujours sur la ligne blanche » in Confessions publiques, 1995 Nick Cave, Murder Ballads, 1996 Neil Young & Crazy Horse, « Cortez the Killer » in Zuma, 1975 Clapton, « I shot the sheriff » in 461 Ocean Boulevard, 1974 Nancy Sinatra, « Bang Bang (My Baby shot me down) », 1966 Saint-John-Perse, Vents, 1946 Henri Michaux, La Nuit Remue, 1935 Thelma et Louise, Ridley Scott, 1991 Juke Box (en lecture aléatoire et en mouvement perpétuel) : Zappa, l’album blanc des Beatles, Melissa Etheridge (« Your little secret »), Meshell N’Degeocello, Angélique Ionatos, Kenny Arkana (« Désobéissance civile » !), Casey, « Highway to hell » d’AC/DC, Nina Hagen (« My way » !), Robert Fripp in the court of King Crimson, Neil Young, Sheila, Placebo, Radiohead, Björk (« Début »), The Counting Crows, Beastie Boys, The Cure, New Order, Joy Division, New Model Army, Madonna (« Like a Virgin »), Trust, Saga, Kassav, Téléphone, Charles Llyod, Brad Mehldau, Cheikha Rimitti, Angelo Badalamenti, Daho (« Tombé pour la France »), Renaud (jusqu’à « Morgane de toi »), Pat Metheny, Lhasa, Paco de Lucia, John Mc Laughlin, Peter Gabriel et Genesis, Kiss, Led Zeppelin, Sigur Ros, Thiéfaine, Dominique A, Metric, GusGus, Mercury Rev, Brigitte Fontaine et Sonic Youth …, de haut en bas, de droite à gauche, à l’endroit, à l’envers, à n’importe quelle heure …


Remerciements non dérobés «Michaël Feron (MonSieur Rêve du « Rêve de l’Escalier » à Rouen), Arno Rivière, Josette Pillet, Pascale Voreux, Bertrand Moutrille et Claire Jau ... merci infiniment ... grâce à vous cette route est une voie royale ! Ce robe movie est riche de rencontres enthousiastes, amicales, chaleureuses, éphémères et profondes. Merci à Douglas Level (imprimerie Gabel) et à tous ceux et toutes celles qui de près ou de loin nous soutiennent, nous accueillent et nous accompagnent.»

Dépôt légal - Novembre 2013 - Paris ISBN : 978-2-9546601-1-0 Achevé d’imprimerie en novembre 2013 par l’imprimerie Gabel, 10 rue Marconie, Z.I. de la Maine, 76150 Maromme


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