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Fabrice Barthélémy
REPEnSER L’OFFRE dE FORMATIOn SuR LE MARCHé COnCuRREnTIEL dE L’EnSEIgnEMEnT-APPREnTISSAgE du FLE.
Fabrice Barthélémy
Maître de conférences en didactique du FLE. ELLIADD, Université de Franche-Comté
RéSuMé
Le développement des médias, de l’offre de formation, des échanges, sont quelquesunes des caractéristiques qui ont le plus affecté l’enseignement, la diffusion des langues – dont le Fle – et celle des cultures étrangères ces vingt dernières années. L’intérêt pour les langues étrangères est de plus en plus manifeste, mais aussi de plus en plus spécifique ; leur maîtrise conférant à ceux qui les parlent un véritable pouvoir symbolique, comme un capital social incontestable. La place des nouvelles technologies dans ce contexte, interpelle les didactiques et, à des degrés divers, tous les acteurs du champ de l’enseignement et de la diffusion des langues-cultures. Comment les Tic s’intègrent-elles « sur le terrain », quelles modifications génèrent-elles en dehors de l’image évidente de modernité qu’elles procurent aux institutions ?
MOTS CLéS :
Autonomie, Tic, besoins, représentations
« les défenseurs du latin ou, dans d’autres contextes, du français ou de l’arabe, font souvent comme si la langue qui a leur préférence pouvait valoir quelque chose en dehors du marché, c’est-à-dire par ses vertus intrinsèques (comme les qualités “logiques”) ; mais, en
pratique, ils défendent le marché. »1
C’est devenu une banalité de rappeler que la demande en matière d’apprentissage a bouleversé considérablement l’offre des entreprises traditionnellement en charge de l’enseignement du français (Alliances, instituts, centres culturels ou entreprises privées de formation). Banalité, certes, mais qui ne s’est pas systématiquement traduite dans l’offre de ces institutions ni dans les représentations de ceux –personnels enseignants au premier chef – qui en ont la charge. Il y a fort à parier que l’univers des représentations constitue, chez les enseignants, encore un frein à leur généralisation dans la « citadelle éducative », alors même que les nouveaux professionnels du champ sont désormais eux aussi des « enfants nés de l’image et du son »2 .
1 Bourdieu P. Ce que parler veut dire. L’économie des échanges linguistiques, Fayard, 1982, p. 46. 2 Mon étude, menée il y a quinze ans (Barthélémy F. Journalistes-enseignants : concurrence ou interaction ? Ed. L’harmattan, 2000), s’employait à mettre à jour l’univers des représentations d’enseignants du secondaire vis-à-vis des médias. Je constate avec intérêt qu’une recherche interuniversitaire est actuellement menée sur les représentations que les enseignants du supérieur portent sur les Tic (« Savoirs
***
Ceux qui s’investissent (et investissent) dans l’apprentissage d’une langue étrangère ne le font plus de façon désintéressée. Leur objectif intègre la rentabilité, la capitalisation de cet investissement ; bref, ils en attendent une véritable utilité. On n’apprend plus, en d’autres termes, les langues étrangères pour le plaisir ou leur beauté, n’en déplaise aux nostalgiques d’un passé qui n’a d’ailleurs sans doute jamais existé. Qu’il s’agisse de « se distinguer » (P. Bourdieu), de lire de grands auteurs « dans le texte » comme on dit, de converser avec son voisin étranger, de faire du tourisme dans un pays autre que le sien ou encore d’optimiser son CV… a-t-on déjà appris, aujourd’hui comme hier, une ou des langues étrangères pour ne rien en faire ? J’en doute beaucoup, d’autant qu’il existe souvent un intérêt aux actes a priori désintéressés.
Pierre Bourdieu l’a bien montré, les langues ont des rôles, des statuts divers, et, comme les autres biens matériels commercialisables, des valeurs différentes (qu’on leur attribue parfois à tort où a raison). Les langues étrangères sont des biens qui s’acquièrent (souvent moyennant paiement) et dont on espère pouvoir faire un usage, c’est-à-dire en tirer un bénéfice, professionnel ou non, dans l’avenir. Leur intérêt est directement lié à leur potentiel en termes utilitaristes. « Utilitariste » : vilain mot pour ceux qui refusent aujourd’hui cet état de fait et véhiculent une idéologie anti-Cecrl, anti-globalisante et anti-médiatique – sympathique au demeurant – mais qui ne semblent proposer aucune alternative. Les langues incarnent donc de vraies valeurs sociales dont les cours ne cessent d’augmenter ; ceux qui ont en charge leur enseignement ne peuvent feindre d’ignorer cette « économie des échanges linguistiques. » Ceci est encore malheureusement le cas et, comme le faisait remarquer François Mariet (1984) il y a déjà trente ans, d’aucuns ont une représentation biaisée de la réalité, qui consiste à dédaigner, dans l’action de promotion et de diffusion de la langue-culture, la dimension économique et conquérante des marchés, ce qui leur permet de garder bonne conscience. Le français n’est jamais l’agresseur, résume l’auteur, et la culture française se défend toujours des attaques d’un impérialisme venu principalement des États-Unis. « La diffusion du français a été conçue principalement comme l’effet d’une activité pédagogique par des enseignants, pour des enseignants ; elle est, de plus, la seule voie pour rendre acceptable une action dont la dimension socioéconomique est indiscutable et que l’ethos des enseignants condamne. […] Cette mauvaise foi est un ingrédient nécessaire, elle assure le moral des troupes. »3
universitaires, médiatisation technologique et pratiques des enseignants-chercheurs ». Voir http://www. msh-lorraine.fr). 3 Mariet F. « Sur la notion de diffusion du français », in Aspects d’une politique de diffusion du français langue étrangère depuis 1945. Matériaux pour une histoire, ouvrage coordonné par D. Coste, CrédifHatier, 1984, p. 208.
« la gestion des apparences fait aujourd’hui partie de l’offre et de la demande pédagogiques (c’est-à-dire, dans les termes anciens, de l’enseignement apprentissage). »4
La concurrence de ce secteur à l’étranger, comme dans l’hexagone, est rude – pas moins de cent vingt entreprises se disputent le marché des cours de langue, estimé à cent mille apprenants chaque été en France, par exemple. Qu’on le veuille ou non, qu’on le déplore ou pas, les langues n’échappent pas à la logique de marchandisation, ce qui n’est pas sans incidence sur les représentations des acteurs impliqués, comme en témoigne la généralisation d’un vocabulaire sans ambiguïté : « Client, marché, prestataire, offre et demande… ». C’est dire que la qualité de l’accueil, par exemple, dont on a bien compris depuis longtemps qu’il ne devait pas être négligé, est de plus en plus décisive : « Cela commence par la qualité de l’écoute que l’on prête à cette demande, d’une part sur le plan de la courtoisie, de l’attention de la disponibilité du conseiller-vendeur, d’autre part en terme de capacité à comprendre la demande et à proposer des réponses qui lui soient adéquates. »5 C’est dans cette deuxième phase que les choses se corsent véritablement : sait-on analyser une demande en faisant la part entre besoins exprimés, ressentis et objectifs et analyser les possibilités matérielles, temporelles, affectives qui la sous-tendent ? Comme le rappelle Louis Porcher, « les besoins d’un public ne se confondent pas avec les représentations que ce public s’en fait, mais ne se réduisent pas non plus à ce qu’en pensent les institutions et les formateurs : en réalité l’analyse des besoins doit toujours être le produit d’une négociation entre les partenaires de l’acte éducatif. »6
Prend-on en considération les capitaux dont disposent les apprenants ? A-t-on les réponses pertinentes à ces demandes (de quelles ressources/moyens – matériels, humains, méthodologiques, etc. – disposent-on pour les satisfaire ?). Il est bien là encore question de compétences des acteurs. Et cela fait bien longtemps que certains, bien trop peu nombreux, militent pour une professionnalisation du champ qui peine encore à voir le jour. « [u]n nouveau temps organise un autre espace. »7
On apprend en fonction de ses propres besoins (les besoins ressentis, même s’ils ne doivent pas être confondus avec ceux que René Richterich8 nomme des besoins
4 Porcher L. « Omniprésence et diversité des auto-apprentissages », dans « Les Auto-apprentissages », Le Français dans le monde, Recherches et applications, numéro coordonné par Porcher L. Hachette, 1992, p. 9. 5 Porcher L. Idem, p. 9. 6 Porcher L. « Parcours socio-pédagogiques », dans Lignes de force du renouveau actuel en D.L.E. Remembrement de la pensée méthodologique, Clé international, Paris, 1980, 142 p., collection Didactique des langues étrangères, p 94. 7 Serres M. Le Tiers instruit. Gallimard, 1993. 8 Richterich R. Besoins langagiers et objectifs d’apprentissage. Hachette, 1986.
objectifs, ne devant pas être négligés pour autant) et, par exemple, c’est désormais l’apprenant qui dicte le rythme et non l’inverse. Aussi, de nombreux centres à l’étranger (et de nombreux enseignants) fonctionnent encore sur la base de calendriers et modalités temporelles obsolètes. Il convient de réfléchir et prendre en considération les pertinences géographico–temporelles spécifiques. Les déplacements vers les centres de formation sont des contraintes de plus en plus mal vécues par ceux qui veulent se former. De la même manière, personne ne consent plus guère aujourd’hui à sacrifier le cœur de la journée pour se former, et le format moyen de cette formation ne dépasse pas trente heures : « […] la tendance est au rétrécissement des investissements en temps (cela s’appelle, depuis des siècles, gain de productivité). Perdre du temps est hors de prix. »9
Aux professionnels du champ de démontrer que l’on n’apprend pas une langue en si peu de temps, de créer et générer le désir d’aller plus loin, bref de susciter l’envie ! De nouveaux créneaux horaires conviennent davantage aux formés : soirées, temps de repos méridien, week-end – évidemment –, ou encore vacances (créneau de plus en plus banal pour apprendre une langue étrangère dans un pays cible). Ceux qui refuseraient de changer leur mode de travail resteront sur le banc de touche. De la même manière que les médias tendent à abolir les frontières, à réduire la planète (le concept de « village planétaire » du prophétique Macluhan10 est toujours aussi pertinent), les représentations d’espaces et de lieux correspondent de moins en moins à celles, floues, modulables, ouvertes, des jeunes générations, en particulier (le sociologue y voyait l’avènement d’une « école planète » et non « isoloir »). Ceci a pour effet que les déplacements sont désormais de plus en plus ceux des prestataires vers les apprenants, parallèlement aux savoirs (et aux façons d›apprendre) qui se déplacent de plus en plus vers ceux qui, jadis, voyageaient vers eux. Là encore les mentalités évoluent souvent plus lentement que nos environnements.
Cette question frappe donc de plein fouet les entreprises de formation. L’accroissement des distances entre le domicile et le travail est tout aussi valable pour les enseignants que pour leurs publics. Les médias permettent là encore des articulations opportunes (cours en ligne, matériel d’autoapprentissage, etc.).
« Pour le pédagogue, la technique est toujours suspecte : son premier mouvement, celui du cœur, est de la refuser ; puis il tourne autour, la flaire, la soupèse, s’attend toujours à voir sortir quelque diable ; enfin, à moitié rassuré et avec une témérité dont il ne revient pas lui-même, il lui arrive de l’utiliser tout en la surveillant du
coin de l’œil. »11
9 Porcher L. Ibid. 10 McLuhan M. Pour comprendre les médias, Éditions Hurtubise, HMH, 1968. 11 Tardy M. Le Professeur et les Images, PUF, coll. L’Éducateur, Paris, 1966, p. 10.
Les médias qui jouent un rôle aujourd’hui déterminant dans l’accoutumance aux langues et aux cultures étrangères, constituent une autre dimension importante de ce commerce ; nul ne peut aujourd’hui penser sans eux un enseignement-apprentissage. Les éditeurs qui multiplient les applications pour Tbi, activités sur le Web 2.0, méthodes papier désormais disponibles pour tablettes et smartphones, l’ont très bien compris.
Grâce à leur impact, des confrontations – spontanées ou hasardeuses – renforcent les désirs d’apprendre et d’approfondir ses connaissances dans les domaines culturel et langagier. Un certain nombre de langues devient aujourd’hui accessible, disponible, dans un environnement médiatique de plus en plus polyglotte. Le développement de la formation tout au long de la vie, celui, vertigineux, des personnes, des biens, des capitaux… et des langues, s’organise désormais dans un environnement, un espace médiatique internationalisé.
Leur attractivité n’est plus à démontrer et les nouvelles technologies, il faut bien l’avouer, possèdent des caractéristiques alléchantes. Là encore, à la décharge de leurs détracteurs, les expériences (enseignement assisté par ordinateur, multimédia ou plateformes d’enseignement à distance, etc.), qui n’ont pas toujours été à la hauteur des espérances, ont eu de quoi refroidir les ardeurs des plus « technophiles ». Notre propos, ici encore, n’est pas de prêter à ces technologies toutes les vertus didactiques, pédagogiques et émancipatrices, mais d’en souligner quelques caractéristiques, qui, mises au service d’un enseignement du FLE conscient et réfléchi permettent qu’il s’adapte plus harmonieusement, plus efficacement, aux exigences des usagers (rythmes, lieux, supports, etc.). Ils peuvent être interactifs, rythmés, attractifs, adaptatifs, motivants, authentiques mais aussi séduisants.
Interactifs. La complémentarité, toujours croissante, qui se tisse entre eux sous nos yeux, rend ces outils multifonctionnels et permet la réunion des supports habituels. Parce qu’il permet l’interactivité et l’interaction entre l’écrit, l’oral et l’image (fixe ou mobile), le multimédia est d’ailleurs particulièrement adéquat à des objectifs d’autoformation. Cette interaction entre écrit, image et oral pallie des supports médiatiques traditionnels. rythmés. Le tempo des médias, l’actualité, toujours en mouvement par nature, nourrie de l’instant présent (aussitôt vue, lue, entendue, aussitôt oubliée), s’accorde mal avec un enseignement langagier extensif dont rien ne permet de penser qu’il soit le plus rentable en terme de capacité à communiquer ou à agir en tant qu’acteur social.
Attractifs. Ne réclamant aucun apprentissage préalable à leur fréquentation, l’attractivité des médias tient aussi à leur diversité. Véritables outils d’interactivité (soit de contacts réciproques), autorisant fréquentation et communication
(écrite comme orale) où la diversité des langues ne constitue à priori pas d’obstacle, les médias permettent une accoutumance et un apprivoisement des langues (consonances, sonorités, prosodies…) et des cultures. Imprégnation, sensibilisation à l’étranger, débouchent sur l’envie d’en savoir plus, et d’étudier les règles et les normes dont on a besoin pour faire fonctionner la langue concernée.
Adaptatifs. Les médias s’adressent à tous, sans discrimination, en ce sens qu’ils modifient constamment leurs programmes, répondant à des demandes de plus en plus diversifiées. La multiplication de l’offre médiatique permet à chacun d’y trouver ce qui le satisfait, en fonction de ses centres d’intérêt, quelque soit le temps, mais aussi avec plaisir, ce qui est une condition stimulante à tout apprentissage.
Motivants. Pour toutes ces raisons, le constat de motivation évident pour leur utilisation (dans un apprentissage, être motivé c’est avoir déjà franchi un pas) rend nécessaire leur exploitation. « Qui a diffusé l’anglais ? Les enseignants ? L’informatique, la gestion, le Rock’n Roll, John Ford ? Sans doute les deux : mais que peuvent les enseignants sans la motivation qu’apportent la nécessité, l’intérêt et le plaisir ? Or depuis longtemps déjà le français veut qu’on l’aime pour lui-même, sa littérature, son théâtre ; il se refuse à l’utilité, à obéir aux lois du marché », constatait François Mariet.12 Il s’agit de faire passer l’exercice éducatif de l’assommant au captivant grâce à des médias vivants, ludiques, interactifs, que les enseignants doivent savoir utiliser et maîtriser, c’est dire pour lesquels ils doivent avoir été formés.
Équanimes. Qui plus est, ils ne portent aucun jugement sur leurs consommateurs (du moins pas ouvertement) alors que ceux-ci constituent un frein évident chez les adolescents – pour des questions d’image et de psychologie –, comme dans le public des 35-45 ans (par le ras-le-bol consécutif à une scolarité allongée), et aussi chez les plus âgés, qui n’ont que faire de l’évaluation.
Authentiques. Ils fournissent des documents authentiques sans fin et non travaillés à des finalités didactiques, ce qui fait leur inconvénient mais aussi leur force. À travers eux, on peut côtoyer dans l’immédiat, et à chaud, des locuteurs natifs avec des accents, des rythmes, des timbres de voix multiples et variés ; et ce, sur des sujets qui n’ont pas le temps de vieillir, contrairement aux documents pédagogiques. Autrement dit, ils permettent une sensibilisation, voire une acquisition de compétences langagières, linguistiques et culturelles grâce à une exposition aux variétés de la langue, et ils proposent un entraînement à la fois phonétique et énonciatif. La langue des médias est éminemment authentique, et son emploi est à but communicatif. Irrespectueuse des formes grammaticales, stylistiques ou syntaxiques réglementaires,
12 Mariet F. « Sur la notion de diffusion du français », in Aspects d’une politique de diffusion du français langue étrangère depuis 1945. Matériaux pour une histoire, coordonné par D. Coste, Crédif-Hatier, 1984, p. 211.
elle est ce que recherchent de plus en plus d’apprenants : une langue parlée par les natifs, riche d’approximations et d’emprunts, insolente mais ô combien proche de la réalité. Et peu importe que l’impétrant ne comprenne pas tout, car l’aide de l’image (contexte), celle du texte (sous-titrage) ou du son, permettent de suivre une émission de manière globale, en saisissant le sens général du message plutôt que ses subtilités. séduisants. Une caractéristique souvent reprochée aux médias, mais pourquoi se priver de ces techniques quand on peut rendre vivant, attractif, attirant un cours de langue ? Cette dimension rejoint celle de la représentation : les mises en scènes sont constitutives de tous les métiers de la communication et du spectacle.
« l’autonomie est toujours quelque chose vers quoi l’on va, que l’on construit, que l’on ne possède jamais totalement, et qui, même, par définition, disparaîtrait à partir
du moment où l’on prétendrait l’avoir atteint pleinement. » 13
Avec eux, de nouvelles modalités d’apprentissage, sur de nouveaux supports – parfois externes au système classiques, parfois cohabitant avec lui, ou s’y substituant –, se développent en s’adaptant aux caractéristiques d’un habitus médiatique désormais incontestable. D’ailleurs, « […] les instruments traditionnels d’autoapprentissage (livres et cassettes) connaissent eux aussi une très rapide expansion et viennent conjuguer leurs effets avec ceux des grands médias (renforcement mutuel, et, pour l’usager, entretien de la motivation, perfectionnement croisé, etc.). »14
Le développement des centres d’autoapprentissage (CAA) est à cet effet révélateur d’une vraie demande. Un tel dispositif n’exclut pas, rappelons-le, le premier, classique ou traditionnel. Ils se complètent, se suppléent : on passe de l’un à l’autre (immersion première en autoformation et validation des premiers acquis en milieu institutionnel, par exemple, ou, à l’inverse, premiers pas « traditionnels » avant une « mise à l’épreuve » en solitaire, etc.). De tels centres vont dans le sens d’articulations qui permettent à chacun d’espérer trouver des réponses appropriées à des besoins de plus en plus spécifiques, au sein même d’institution classique d’enseignement : hétéro et autoapprentissages sont – peut-être – les mamelles de leur destin !
Certes, on ne s’invente pas CAA ; il faut disposer d’un personnel qualifié, aux compétences et rôles restructurés par rapport à ceux d’un enseignant classique. La formation des personnels des centres, des enseignants qui les utilisent, mais aussi des apprenants qu’il faut « reconditionner » est impérative : les rôles des uns ou des autres nécessitent une véritable remise en question qui passe par un changement des représentations, des mentalités. La modernisation des supports et des contenus de formation implique une évolution des rôles et des métiers, et l’on sait que l’on peut
13 Pocher L. « Les Chemins de la liberté », dans Études de linguistique appliquée n° 41, Didier érudition, 1981. 14 Porcher L. « Omniprésence et diversité des auto-apprentissages », dans Le Français dans le monde. Recherches et applications, « Les Auto-apprentissages », Hachette, 1992, p. 10.
utiliser les outils dernier cri de façon pédagogiquement rétrograde. Le risque est grand de voir certains, sous prétexte qu’ils auront investi dans des espaces aux allures modernes, faire l’impasse sur la formation nécessaire et continue des personnels qui auront en auront la responsabilité et dont les rôles diffèrent radicalement de ceux d’un enseignant « traditionnel », d’une bibliothécaire ou d’une documentaliste.
Effectivement, passer d’un système d’enseignement traditionnel à un dispositif de formation en autonomie ou en autonomie semi-dirigée ne va pas sans changements radicaux, dans les représentations et les rôles des apprenants, comme dans ceux des enseignants. Ceux-ci ne sont plus les seuls détenteurs de savoirs transmis unilatéralement à des élèves passifs, et leur rôle s’oriente davantage vers le conseil, le tutorat et la gestion des conditions de leurs apprentissages, car tous n’ont pas les mêmes façons d’apprendre. Il s’agit, en somme, d’aider les apprenants à apprendre ; slogan aujourd’hui passe-partout mais dont le concept garde toute sa pertinence. Ces fonctions s’articulent, selon Louis Porcher, autour de leur capacité à aider l’apprenant à identifier ses besoins (objectifs et ressentis), en fonction de ses caractéristiques. Il s’agit aussi d’être capable de lui fournir des outils d’autoévaluation, mais aussi l’évaluer ; concept intimement lié à celui d’analyse des besoins. L’évaluation apparaît ainsi clairement comme un axe important du travail à mener. De leur capacité enfin à négocier plutôt qu’imposer (les objectifs et les moyens de les atteindre), et à assurer, tout au long du parcours, un suivi de la démarche d’apprentissage.
La question d’une véritable réflexion sur la méthodologie sous-jacente à un tel dispositif, les moyens pédagogiques repensés à ses fins, une conception dynamique des matériels didactiques, ou encore son articulation avec l’unité-classe, ne devront pas non plus être négligés. Les autoapprenants « […] étaient, jusqu’à maintenant, des outsiders, des errants presque invisibles aux frontières des grands empires didactiques qui, du haut de leurs plus hautes murailles, protégeaient l’accès de ceux qui disposaient du bon passeport avec les bons cachets. Savoir une langue, c’est-à-dire l’avoir apprise, sans être passé par l’enseignement, c’était s’être mis hors didactique, autant dire hors-la-loi. »15 Il convient désormais, pour les opérateurs traditionnels de diffusion et de formation linguistiques et culturels, de les prendre sérieusement en considération. L’équipement médiatique, son intégration et son articulation avec un véritable projet d’établissement vis-à-vis de l’autoapprentissage, constituera vraisemblablement un trait distinctif parmi les centres et ne sera pas sans incidence sur le choix des apprenants et leurs décisions.
15 Porcher L. « Médias d’aujourd’hui et (peut-être) de demain », dans Le Français dans le Monde. Recherches et applications, numéro coordonné par D. Coste et J. Hébrard, « Vers le plurilinguisme ? », Hachette, 1991, p. 162.
« se centrer sur le public, le satisfaire, ne pas s’imposer à lui, le respecter en changeant avec lui (mais jamais sans lui), ce serait un beau programme d’action éduca-
tive et de diffusion culturelle. »16
Pour satisfaire un public et ses demandes (contentées parfois ailleurs), les établissements culturels – instituts, centres, alliances… pour ne reprendre que ces exemples –, devront composer avec leurs propres logiques et, partant de là, avec les contraintes liées aux fonctions qu’ils remplissent traditionnellement (et qui ne sont pas incompatibles) : la formation et l’information des personnes, mais aussi la création d’espaces supplémentaires dévolus à ce qui, dans ce cas précis, correspond plutôt à des apprentissages individuels qu’à des parcours solitaires. Possibilité est donné à l’apprenant de travailler à l’aide d’un tuteur dans un lieu résolument « utile », comme le définit L. Porcher ; un centre de ressources « qui […] caractérise exactement ce que cherchent les usagers : une masse classée de moyens divers leur permettant de progresser agréablement vers l’objectif qu’ils se sont fixés. »17 Lieu d’enrichissement ou d’appui aux cours traditionnels, il est une articulation efficace entre les partenaires du processus d’enseignement-apprentissage.
Ce sont bien en effet, comme le souligne L. Porcher, des apprentissages individuels (distincts de l’autoapprentissage ou de l’autodidaxie) avec assistance pédagogique et ils entrent davantage dans une catégorie dite « d’apprentissages assistés », qui se développe en raison de « la mobilité internationale, qui enclenche de manière mécanique le besoin de compétences langagières (en langue(s) étrangère(s)) minimales, et surtout, éphémères. »18. Cette nouvelle donne appelle des réponses appropriées qui nécessiteront inéluctablement une réflexion sur la formation d’enseignants–médiateurs ou enseignants-tuteurs.
Dans le contexte actuel d’un marché des langues de plus en plus compétitif, la question de la promotion du français devient vitale et doit résolument démontrer l’intérêt et l’utilité que l’apprenant peut escompter de son investissement-langue. Il convient pour cela d’opérer, à destination d’apprenants potentiels, une démarche axée sur les bénéfices potentiels. Les instances traditionnelles, en charge de diffusion linguistique et culturelle, et les médias, avec un développement parallèle à celui des outils d’autoapprentissage (cédéroms, sites Internet, etc.) offrent des alternatives suffisamment souples pour pouvoir répondre à des demandes de plus en plus spécifiques et s’adapter aux exigences d’un public de plus en plus amateur de
16 Porcher L. Ibid. p. 168. 17 Porcher L. L’Enseignement des langues étrangères, Hachette, Paris, 2004, p. 112. 18 Porcher L. « Français langue étrangère : une multiplicité de perspectives professionnelles », p. 18-29, dans Les Cahiers de l’Asdifle, n° 16, « Les Métiers du Fle », 2005, p. 21.
parcours en alternance (mixtes) entre autoapprentissages et passages institutionnels – dans lesquels s’insèrent, évidemment, des séjours linguistiques dans le pays de la langue cible. Ce va et vient n’est nullement préjudiciable aux structures habituelles d’enseignement-apprentissage, qui, d’une manière ou d’une autre, ont déjà entamé une réflexion en terme d’offre, poussées par des demandes de leur clientèle – les uns les autres exerçant sans doute un entraînement et un renforcement mutuel. On a besoin aujourd’hui d’apprendre les langues et/ou de s’y perfectionner tout au long de la vie, dans un contexte de mobilité croissante où les créations de métiers spécifiques appellent des besoins tout aussi spécifiques orientées vers les nécessitées professionnelles qu’ils requièrent. Logiquement, la souplesse, l’alternance, la pertinence, mais aussi et surtout l’utilité, plaident pour des structures d’accueil (en présentiel ou non) moins « traditionnelles ». La création de centres pour les apprentissages assistés (et leur accès – ouverture – à distance) autorise une véritable articulation entre enseignement-enseignants et tutorat-tuteur. Ils permettront à chacun d’y trouver son compte. Ceci ne va pas de soi, car, outre les contraintes liées aux caractéristiques et spécificités de ces organismes, on n’abolit pas aussi facilement les esprits de leur « esclavage pédagogique ».
RéFéREnCES BIBLIOgRAPHIquES
OuvRAgES
n Bourdieu P. Ce que parler veut dire. L’économie des échanges linguistiques. Paris, Fayard, 1982. n Barthélémy F. Journalistes-enseignants : concurrence ou interaction ?. Paris, Éd. L’Harmattan, 2000.
n les cahiers de l’Asdifle, n° 16, « Les Métiers du Fle », 2005. n McLuhan M. Pour comprendre les médias. Éditions Hurtubise, HMH, 1968. n Porcher L. L’Enseignement des langues étrangères. Paris, Hachette, Paris, 2004. n Porcher L. (coord.) Les Auto-apprentissages. Le Français dans le monde, Paris, Hachette, 1992.
n Serres M. Le Tiers instruit. Gallimard, 1993. n Tardy M. Le Professeur et les Images. Paris, PUF, coll. « L’Éducateur », 1966.
ARTICLES
n Mariet F. « Sur la notion de diffusion du français ». In D. Coste (coord.), Aspects d’une politique de diffusion du français langue étrangère depuis 1945. Matériaux pour une histoire. Paris, Crédif-Hatier, 1984.
n Porcher L. « Médias d’aujourd’hui et (peut-être) de demain ». In Le Français dans le Monde. Recherches et applications, numéro spécial coordonné par D. Coste et J. Hébrard, Vers le plurilinguisme ? École et politique linguistique, Paris, Hachette, 1991.
n Porcher L. « Les Chemins de la liberté ». Études de linguistique appliquée, n° 41, Paris, Didier érudition, 1981.
n Porcher L. « Parcours socio-pédagogiques ». Lignes de force du renouveau actuel en D.L.E. Remembrement de la pensée méthodologique, Paris, Clé international, 1980.