23 minute read

Fanny Auzéau

résumé de thèse : pertinences de l’enseignement de la prononciation par le théâtre et par le chant en contexte universitaire

fanny auzéau

Université Paris-Est-Créteil

Thèse de doctorat dirigée par Jean-Paul Narcy-Combes, soutenue publiquement le 14 novembre 2017 à l’université Paris 3 Sorbonne Nouvelle. Mots clés : prononciation / français langue étrangère / phonétique / théâtre / chant /

introduction

Dans ce travail de recherche, nous avons souhaité déterminer si l’enseignement de la prononciation par les disciplines artistiques était pertinent et avait une incidence sur les performances sur la production des voyelles orales plus particulièrement. Le ressenti des acteurs de l’agir pédagogique envers l’enseignement/apprentissage de la prononciation n’est pas le même. Les apprenants sont plutôt demandeurs de ces enseignements, alors que les enseignants sont plutôt réticents ou craintifs envers ce domaine d’enseignement. Pour les premiers, la pronunciation est: « […] “paramount” because pronunciation is often the first barrier that learners encounter when they are trying to be understood. »1 (Brawn, 2010, p. 114); pour les seconds, les réticences de l’enseignant sont parfois dues à la vision même de cette discipline.

C’est ce que résume Porcher : « Discipline vécue à la fois comme difficile et indispensable, la phonétique a tenu, dans la didactique, une place toujours singulière : tantôt subalterne, jamais anodine. Redoutée, fascinante, elle s’incarne pédagogiquement et sociologiquement, pour l’apprenant comme pour le béotien l’une des valeurs les plus hautes de la pratique langagière : la prononciation. » (1986, dans Abry & VeldemanAbry, 2007, p. 7). Bien qu’elle soit « la discipline fondamentale de l’étude de l’oral, notamment dans l’enseignement/apprentissage d’une langue » Guimbretière (1994, p. 5), elle est souvent tenue à l’écart des programmes d’enseignement de l’oral alors qu’elle « est l’ossature de la communication mais en constitue également le fondement, ce qui implique la prise en compte d’autres aspects liés à la communication » Guimbretière (1994, p. 155).

1. cadre théorique

Sur le plan linguistique, notre cadre théorique repose sur une double approche, interactionniste, d’une part, et émergentiste, d’autre part. Nous nous référons pour

1. « [La prononciation est] « primordiale » car la prononciation est souvent la première barrière à laquelle les apprenants sont confrontés lorsqu’ils essaient d’être compris [par un tiers] ».

cela à la définition donnée par Goffman, fondateur de ce courant, « [p]ar interaction (c’est-à-dire interaction en face à face), on entend à peu près l’influence réciproque que les participants exercent sur leurs actions respectives lorsqu’ils sont en présence physique immédiate les uns des autres » (Goffman, 1973, p. 23). Ainsi, le point focal est que l’apprentissage d’une L2 ne se limite pas à l’intériorisation d’un système linguistique (Caroll & Backer, 1993 dans Perdue, 1993), mais que l’interaction en elle-même a un caractère constitutif et est liée à des conditions sociales de communication. Nous retrouvons dans ce courant les mêmes attentes que celles de l’art dramatique que nous dépeint Page : « [l]e groupe n’est plus le lieu de l’intériorisation de normes sociales qui conduisent l’individu à assumer des rôles définis par d’autres, mais un lieu où la pensée personnelle s’expose au collectif, un lieu d’échange et de construction des représentations où les discours peuvent s’élaborer à partir d’essais, de heurts, de conflits et de tâtonnements » (2000, p. 180). Le groupe est un corps dynamique qui, grâce à la confrontation du regard ou de la parole de l’autre, le fait évoluer, ce qui permet également au participant de réaliser son « projet identitaire » (Aguilar, 2010, p. 22).

L’émergentisme, quant à lui, remet en question la notion de progression linéaire, car l’émergence d’un système langagier ne peut être programmé et ne peut uniquement résulter de l’enseignement/apprentissage d’une langue étrangère (LE) (NarcyCombes, 2014), ce qui rebat les cartes de la mise en place de certains dispositifs pédagogiques, de leurs fondements à leurs mises en pratique, car ils ne peuvent être les seuls à induire certains résultats. Ainsi, la richesse des interactions peut mettre en place « a simple learning mechanisms suffice to drive the emergence of complex language representations »2 (Ellis R., 1998, p. 631) en empruntant « des voies » (MacWhinney, 1999, p. 200) qui mènent à l’apprentissage.

Trois méthodologies d’enseignement/apprentissage de la prononciation ont particulièrement retenu notre attention pour mettre en place les expérimentations de cette recherche-action : la méthode verbo-tonale, la suggestopédie ainsi que la psychodramaturgie linguistique.

La méthode verbo-tonale est apparue dans les années 1960 et a bénéficié des échanges et des réactions après expérimentations de la méthode articulatoire, qui, comme son nom l’indique, se concentre sur l’émission des sons et la connaissance du fonctionnement de l’appareil phonatoire, des recherches en psycholinguistique, ainsi que de la méthode des oppositions phonologiques. Elle s’est centrée sur l’audition et la possibilité de celle-ci de rééduquer. Comme le résume Fulla (2008, p. 144): « Pour ce qui est de l’écoute, de l’analyse phonologique (Polivanov, 1929) et Troubetzkoy (Troubetzkoy [1939] 1970) à la méthode verbo-tonale (Guberina, 2003 ; Renard, 2010), il a été suffisamment montré et souligné à quel point la réception auditive

2. Notre traduction : « un simple apprentissage de mécanismes suffit à mener à l’émergence d’un système langagier complexe de représentations ».

se trouve au début et en interaction continue avec la production. Ainsi, selon la méthode verbo-tonale, le rapprochement entre l’écoute d’un son et sa production orale se réalise graduellement par approximations articulatoires successives toujours sous le contrôle de l’audition, véritable système de régulations audio-phonatoires qui serait inconscient ». L’autre point fondamental de la méthode verbo-tonale est la reprise des écarts dans un contexte facilitant, c’est-à-dire mis en avant grâce aux éléments suprasegmentaux. La correction apportée semble plus aisée car : « L’élève qui concentre son esprit sur les facteurs prosodiques « débloque » inconsciemment sa perception des autres éléments informationnels du message. En d’autres termes, il ne fixe pas son attention sur le son difficile. D’où l’intérêt pour la Didactique Des Langues (DDL) des chansons, des comptines et des logatomes. Pour rendre sensible à l’élève une différence qui n’est pas suffisante pour être perçue, il y a lieu de l’exagérer en modifiant le modèle de telle sorte qu’on s’éloigne de la faute. On ne peut agir sur la reproduction (de l’élève) qu’en agissant sur la transmission et sur l’émission (le modèle). L’assimilation d’un système phonologique nouveau est une lutte âpre et acharnée, avec des hauts et des bas. La persévérance se voit récompensée. »3 . Détourner l’attention ou recontextualiser l’écart produit par l’apprenant permet la focalisation de ce dernier sur une nouvelle aptitude ou un nouveau lexème, afin qu’il produise un phonème adéquat.

La suggestopédie est née grâce à la mise en place d’un cours intensif destiné à des débutants ou à des faux-débutants pour leur inculquer dès le début de leur apprentissage des bases réflexives pour leur apprentissage par Lozanov (1979, édition française 1984). Chaque élément présent dans l’environnement de la classe aura une influence sur le déroulé de la séance ; ainsi, la position des tables, la texture des sièges, l’affichage dans la classe devront être contrôlés pour rendre optimal un cours utilisant la suggestopédie. L’étude de la langue est très codifiée, régulée avec des phases d’écoute musicale pour que l’étudiant profite au mieux de la phase de veille, et ponctuée par l’utilisation de dialogues théâtralisés. La maîtrise de tous ces éléments demande une formation complémentaire de l’enseignant. L’un des points les plus contestés de cette méthode est l’utilisation de la langue maternelle (LM). D’une part, en ayant recours à la traduction et aux explications en LM, la suggestopédie s’oppose clairement aux autres méthodologies et au caractère immersif de certaines pratiques. Dans un contexte monolingue, cela entraverait la réflexion sur la langue, réellement mise en avant par cette pratique et dans un contexte plurilingue, cela nous semble inapplicable ou défavorisant pour les locuteurs des langues non-maîtrisées par l’enseignant. D’autre part, il est important de distinguer la suggestion de l’autoritarisme, car la frontière peut parfois être mince entre une suggestion directe et réductive ou une suggestion plus ouverte. C’est pourquoi certains psychologues ont émis l’idée de distinguer la suggestion douce et dure.

Notre intérêt s’est aussi porté sur la psychodramaturgie linguistique (désormais PDL). Rarement citée comme méthode d’enseignement de la prononciation ou de langue à proprement parler, elle nous semble néanmoins pertinente dans l’approche corporelle d’une langue et la conscientisation de l’appropriation de nouveaux outils verbaux ou non-verbaux en LE. Cette méthode est apparue plus tardivement que les deux précédentes et s’est fondée tout d’abord sur des constatations dans le domaine du théâtre et de la psychologie. Cette méthodologie donne une importance certaine à l’improvisation comme le « Théâtre de l’Opprimé », relayé par Boal (1971), le Playback Theater de Fox (1979) ou, plus encore, les trois fonctions dramatiques majeures décrites par Souriau (1950) qui sont : le désir, l’opposition et le soutien. Ces nouvelles hypothèses ont permis de mettre en place une méthode intensive d’enseignement-apprentissage des langues dans les pays germanophones. L’objectif de Dufeu a été de donner la primauté à la production plus qu’à l’apprentissage au sens strict du terme et rompre le cercle vicieux d’une mémorisation avant une pratique orale des connaissances précédemment acquises : « Au lieu d’apprendre pour ensuite communiquer, les participants acquièrent directement la langue étrangère en communiquant. Ils accèdent à la langue étrangère de manière personnalisée, de sorte qu’ils peuvent se sentir concernés par ce qu’ils disent. Ils deviennent auteurs et architectes de leur langue, responsables de leur parole et coresponsables de leur apprentissage. » (Dufeu, 1996, p. 115). La prosodie est un élément important qui représente le cœur de cette approche et ce, dès le début de l’apprentissage, car ce domaine est rapidement écarté de l’enseignement/apprentissage de la prononciation d’une LE dite « traditionnelle ». En effet, segmenter les mots de la phrase, produire des énoncés simples permet de rendre compréhensible et plus facilement audible un énoncé. L’entrée dans la langue se fait par des rythmes et des sons pour développer la capacité d’expression dans son ensemble. Ce qui a également sollicité notre intérêt pour la PDL a été l’attention particulière portée à chaque participant du groupe en tant qu’entité et acteur de son apprentissage. Dufeu est aujourd’hui l’un de ses formateurs et théoriciens, qui nous éclaire plus en détails sur cette méthodologie : « La PDL prend en considération le caractère unique de chaque individu. Cela signifie que l’enseignant accepte que chacun suive son chemin à son rythme dans la langue étrangère et que chaque participant fasse écho de manière différente à ce qui lui est proposé. […] La PDL se conçoit comme une “pédagogie de la différence”, qui considère l’apprentissage comme un processus individuel dans un groupe » (Dufeu, 1996, p. 149).

Ces trois méthodes ont pour points communs de proposer une pratique holistique de la langue, de placer l’étudiant au centre de l’apprentissage comme un véritable acteur de sa pratique langagière. Elles ne se limitent pas à une correction phonétique au niveau segmental, mais prennent également en compte le cadre suprasegmental dans la chaîne parlée. De plus, l’apport de la musique ou de la prosodie permettent

d’avoir accès aux aspects suprasegmentaux généralement oubliés dans l’enseignement/apprentissage. L’enseignement dit « de la phonétique » englobera « l’enseignement des musiques de langue » (Aubin, 1996, p. 66).

Enseigner la prononciation demande aussi de s’interroger sur le concept de « la norme », quelle forme du ou des français présentée(s) qui en découle. Le CECRL (Cadre européen commun de référence pour les langues) est très elliptique sur les compétences phonologiques, tant sur le contenu que sur les modalités évaluatives. La notion de norme renvoie aux conventions, à une régulation de pratique et dans notre contexte peut se rapporter aux choix pédagogiques. L’enseignant sera amené à « sélectionner et enseigner une forme de langue qui soit acceptable aux locuteurs natifs mais plus facile à apprendre que le système langagier natif complet » (Gass & Bardovi-Harlig, 2002, p. 3). L’échantillonnage de la langue cible (structure phonique, débit, intonation, syntaxique ou lexicale) est soumis à l’adaptation qu’en fait et que souhaite en faire l’enseignant. Ce point de vue marque la notion de choix et de liberté d’apprentissage, car « la norme est le pôle magnétique de l’apprentissage : elle permet à l’apprenant de s’orienter, tout en lui laissant la liberté de choisir un autre but qu’un respect scrupuleux à son égard. » (Nonnon, 2011, p. 194). Dans ce paradigme que représente « la norme », les notions de « bon français » ou de « français standard » sont souvent mentionnées. Nous avons tenté d’en tracer les contours et, grâce à une étude de 2013 (Miras, Aguilar et Auzéau), proposé de nouvelles analyses de ces concepts par des apprenants et des enseignants.

La pluridisciplinarité

L’enseignement/apprentissage d’une LE ne se pratique pas à proprement parler par une seule et unique méthode car en premier lieu « la compréhension et la production du langage nécessitent l’apport de plusieurs fonctions cérébrales fondamentales telles que la perception d’une structure (à la fois visuelle et auditive), l’analyse temporelle, la mémoire, et la production temporelle pour n’en nommer que quelques-unes » (Gordon & Weide, 1983, p. 45). Les disciplines artistiques que sont l’art dramatique et le chant sollicitent ces fonctions et sont un support pour intervenir dans l’acte d’enseignement/ apprentissage. Elles permettent d’utiliser des stratégies différentes. Si l’on se réfère aux travaux de Dewey : « apprendre, c’est apprendre à agir » (dans Fabre, 2015, p. 2), ainsi, « l’action éducative est pensée dans une perspective vitaliste et naturaliste » (ibid.). L’étudiant est considéré comme un acteur et une source dans ce processus. Chaque expérience pédagogique et artistique est une action porteuse de changement sur les plans personnel, interpersonnel et collectif, comme dans une création purement artistique, les échanges, les contacts et les inspirations nourrissent la représentation (le spectacle). Notre postulat de départ est que les points de convergence des différentes disciplines sont utilisés dans le but de l’acquisition d’une meilleure prononciation de la langue cible. De plus, le décloi-

sonnement de ces disciplines permet de donner plus d’opportunité à l’apprenant de retrouver une méthodologie ou une technique de travail qu’il apprécie et qui peut servir aux acquisitions de compétences langagières. Plus la variété de stimuli est large, plus les probabilités d’acquisition sont grandes.

Le chant

La première discipline à laquelle nous avons fait appel est le chant. Tout d’abord parce que « la langue chantée fonctionn[e] comme une loupe de la production phonétique » (Zedda, 2006) et que le rythme musical est souvent le reflet des « frontières des unités syntaxiques linguistiques » (Beaumont-James, 1999, p. 195). Comme le montrent Cornaz & Caussade, « en parole comme en musique, le répertoire d’unités et les règles d’assemblage sont numériquement limités mais, dans le respect d’un code et d’une grammaire donnés (Gilbers & Schreuder, 2002 ; Delbé, 2009), les associations sont infinies » (2014, p. 5). Elles le sont car les mécanismes phonatoires employés permettent une gamme infinie de phonation tant que « l’ensemble de la mécanique pulmonaire et laryngée qui permet la phonation, fonction motrice à la base de la parole et du chant. » (ibid.). De plus, les recherches sur la perception musicale ont permis de mieux localiser les différentes traces mnésiques et de pouvoir l’utiliser à des fins médicales (Platel & Eustache, 2000) ou d’aide à l’apprentissage (Schellenberg, 2006). Bolduc et al. remarquent une incidence sur « l’appropriation du langage oral comme écrit » (2009, p. 167) ainsi que sur les stratégies de rétention car l’utilisation d’un support artistique permet à l’élève de relier les apprentissages les uns aux autres.

Le théâtre

La pratique dramatique est une « école de la vie quotidienne » (Verdeil, 1995), une introduction au jeu (Page, 2000) qui s’appuie sur un support écrit pour créer une performance orale pendant laquelle les contours gestuels et phoniques ont autant de poids. Les outils de l’oral contenus dans le texte théâtral ou les activités théâtrales proposent de multiples possibilités d’exploitation, de travail sur la théâtralité de la voix ou le langage corporel et sont des éléments fondamentaux qui permettront de jouer « autant pour comprendre que se faire comprendre » (Ryngaert, 1996). Knoerr (2006) précise que, grâce aux supports dramatiques, le ressenti corporel, la position de l’appareil buccal et son fonctionnement sont également pris en compte. Cette perception physique se retrouve également dans la pratique vocale. L’engagement et l’émotion des interlocuteurs ne seront que plus forts dans une communication incarnée et mouvante. L’expression de Louÿs & Leeman (2013) résume l’importance de ce facteur « le corps parlant » qui décrit un fonctionnement vivant, intellectuel, émotionnel et interactionnel. Les premiers modes de communication de l’enfant (le pontage ou le mime) sont des traces de l’imprégnation culturelle. C’est un premier pas vers l’appropriation du corps (Le Breton, 1992).

2. expérienceS menéeS

La première expérience que nous avons menée lie la pratique vocale à l’enseignement de la prononciation et a eu lieu à l’université Paris 3 Sorbonne Nouvelle auprès d’un niveau A2. Le groupe d’apprenants est composé d’une vingtaine d’étudiants issus d’Amérique du Sud (Colombie, Brésil pour une majorité) ou d’Asie (Thaïlande, Chine notamment). Les motivations principales de leur venue en France étaient de poursuivre leurs études en France (en premier ou deuxième cycle) ou de se rapprocher de leurs conjoints. La moyenne d’âge de ce groupe est de 28 ans. Ils sont pour la plupart salariés à temps partiel pour financer leurs études, ce qui leur permet d’être en contact régulièrement avec la langue cible en dehors du contexte scolaire.

Nous avons appréhendé le système phonétique/phonologique du français grâce à neuf supports musicaux (Edith Piaf, William Sheller, Maxime Le Forestier par exemple), ainsi que des exercices d’échauffement issus de la formation classique en chant. Les activités proposées se centraient sur la production en groupe. Ce travail vocal nécessite aussi une prise de conscience de l’appareil phonatoire, mais également de la posture dans son ensemble. L’objectif principal n’était pas d’aboutir à une performance vocale individuelle, mais de produire ensemble, de manière harmonieuse, une chanson française. La constitution du collectif et la notion de projet fédèrent selon nous l’implication des apprenants et la volonté de progression.

La seconde s’articule autour d’un projet de création théâtrale à l’Institut Catholique de Paris. Ce groupe est plus jeune (23 ans en moyenne) et vient du continent asiatique (Japon, Corée, Chine) ou américain. Leurs motivations sont la poursuite de leurs études avec un objectif professionnel très défini (devenir clarinettiste dans l’orchestre de l’opéra de Paris ou chef pâtissier, mais, pour la majorité d’entre eux, étudier le français est surtout l’opportunité d’être à Paris et en Europe pour valider un semestre à l’étranger ou découvrir et explorer ce territoire. Ce public a peu de contact avec des locuteurs dits natifs, car ils vivent seuls et rencontrent leurs camarades avec lesquels la langue d’échange est souvent l’anglais en dehors du contexte de la classe. Ceci diffère du premier groupe et cela a eu un impact certain sur les résultats obtenus.

Nous avons étudié une pièce de théâtre (Cyrano de Bergerac) et mis en scène une œuvre contemporaine écrite à l’origine pour un public de jeunes adultes natifs (Le grand concours- Joël Contival). Cette approche s’articule au sein d’un cours de 15 heures de langue française. Les apprenants suivent trois heures d’étude de la pièce et trois de production théâtrale. Les autres cours sont assurés par une seconde enseignante qui traite des quatre compétences grâce à un manuel de langue. L’étude de la pièce de théâtre permet de faire découvrir l’univers du théâtre classique français, de s’approprier un classique de la littérature française et de revoir en contexte les points de langue étudiés. La partie pratique allie des exercices d’expression dramatique, des improvisations, un travail sur la voix du comédien (la pose de la voix), la présence scénique et la conscience du langage corporel. Les premières séances ont permis de

mettre les apprenants dans une situation d’apprentis comédiens, de fédérer le groupe et de les préparer au montage d’une pièce de théâtre. Cette dernière étape a duré 9 semaines pendant lesquelles les apprenants ont découvert le texte, appris leur texte, créé le décor et les costumes, proposé des idées de mise en scène. Lors des dernières séances, trois pôles d’apprentissage étaient proposés : un « pôle prononciation » qui consistait à des activités ludiques inspirées par les supports des orthophonistes ou de fichier autocorrectifs traitant du rapport phonie-graphie. Le deuxième pôle « apprentissage du texte » permettait aux apprenants de retrouver leurs camarades présents dans la même scène, de filer leur texte, de proposer une mise en scène pour faciliter le passage au troisième pôle : « mise en scène ». Accompagnés par l’enseignante les apprenants présentaient le fruit de leur travail et de leur réflexion collective en vue de la représentation finale devant les autres étudiants étrangers de l’université. Chaque séance s’ouvre par un travail de concentration, d’activités d’expression dramatique pour mettre en condition les apprenants, leur apporter de nouveaux éléments ou techniques. Au fur et à mesure, les apprenants présentent aux autres leur travail pour qu’ils l’apprécient, voient la cohérence avec les séquences précédentes ou futures.

Tout au long de ces expérimentations, nous avons recueilli les voix des participants au début et à la fin du cursus d’enseignement de la prononciation (13 semaines pour le chant ; 15 semaines pour le théâtre) et nous avons centré notre intérêt sur les voyelles /u/-/y/. Les données collectées ont été appréciées par deux panels : le premier composé d’enseignants de français langue étrangère (9) et le second d’enseignants de français langue étrangère spécialisés en prononciation (6). Notre choix s’est porté sur les voix féminines, car elles présentent une clarté certaine.

3. réSuLtatS

Les résultats obtenus au niveau de la production et à titre individuel ne sont pas significatifs, c’est pour cette raison que nous avons proposés de croiser ces données avec les facteurs généralement cités comme étant « favorables » à l’acquisition/ apprentissage d’un nouveau système sonore. La proximité linguistique, c’est-à-dire la proximité de la langue de référence avec celle du français, ne semble pas être un facteur relevant pour ces panels, car on observe une meilleure progression pour les langues sino-tibétaines sur le long terme. Les langues romanes obtiennent un nombre important de réponse « autres » par le panel d’expert, ce qui peut signifier un calque de la langue première sur la seconde ou le transfert de certaines caractéristiques phonétiques/phonologiques. L’âge des participantes semble significatif. L’hypothèse de Flege & Liu « earlier is better » (2001) concorde avec les résultats obtenus bien que toutes les tranches d’âge ne soient pas représentées suffisamment pour en tirer des conclusions hâtives. La maîtrise de l’anglais comme « langue pivot » semble être un facteur interférant, car les apprenantes ne maîtrisant pas cet idiome obtiennent de bien meilleurs résultats à la fin de la formation. Comme pour la proxi-

mité linguistique, un transfert de positionnement de l’appareil buccal lors du geste phonatoire en anglais peut être transposé en français. Ce socle de référence est visible principalement à l’écrit, mais l’est également à l’oral dans notre corpus. Vivre dans un environnement francophone est le facteur qui semble le plus probant de tous, car les résultats sont nettement supérieurs pour ceux qui sont au quotidien en contact de la langue cible que ce soit pour l’expérimentation par le théâtre ou par le chant.

conclusion

Ce travail de doctorat nous a permis de mettre en valeur les liens entre prononciation et projets de groupe. Sur le plan psychologique, nous avons pu constater une cohésion et une implication certaines tant dans la création que dans les tâches préparatoires à ces approches par les disciplines artistiques. La mise en place a toutefois été contrainte par les impératifs liés au calendrier et aux infrastructures universitaires qui ne sont pas toujours adaptées pour ces initiatives. De plus, il aurait été intéressant de poursuivre ces expériences dans une étude longitudinale pour observer les apports aux niveaux de la production, de la perception, mais également du rapport graphie-phonie ou phonie-graphie. Ces expériences sont une base de réflexion pour une mise en place de projets à plus long terme dans l’avenir.

RÉFÉRENCES BIBLIOgRAPHIquES

■■aBry d. et veLdeman-aBry j. Phonétique. CLE International, Paris, 2007. ■■aGuiLar j. L2 teachers’ disaffiliation from learners’ actions: A joint conversation analysis & stimulated recall methodology proposal for L2 teachers’ decision-making inquiry. Revista VIAL, 2010, no 7, [http://webs.uvigo.es/vialjournal/ abstract_7_1.html] ■■auBin S. La Didactique de la musique du français : sa légitimité, son interdisciplinarité. Thèse de doctorat, université de Rouen, 1996. ■■Beaumont-jameS c. Le français chanté ou la langue enchantée des chansons. L’Harmattan, Paris, 1999. ■■BoaL a. Jeux pour acteurs et non-acteurs (édition revue et augmentée). La Découverte, Paris, 1971. ■■BoLducj., Lavoien. etfLeuretc. Les effets de la musique auprès d’élèves du début du primaire présentant des difficultés d’apprentissage en lecture et en écriture : recension des écrits. McGill Journal of Education/Revue des sciences de l’éducation de McGill, 2009, no 44(2), p. 163–175.

■■BraWnj. r. Teaching pronunciation gets a bad R.A.P.: A framework for teaching pronunciation. (Hankuk University of Foreign Studies). Longman, New York, 2010. ■■cornaz S. et cauSSade d. Musique, voix chantée et apprentissage : une revue de littérature et quelques propositions d’exploitation en didactique de la phonétique des langues, e-CRNI, 2014 [https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01242980/ document] ■■dufeu B. Les approches non conventionnelles des langues étrangères. Hachette, Paris, 1996. ■■eLLiS r. Teaching and Research: Options in Grammar Teaching. TESOL Quarterly, 1998, no 32(1), 3960. [https://doi.org/10.2307/3587901] ■■faBre S. Expérience et normativité : penser les modalités éducatives des projets artistiques à partir de John Dewey. Sens Public. 2015. [http://www.sens-public.org/ article1110.html] ■■fLeGe j.e et Liu S. The effect of experience on adult’s acquisition of a second language. Studies in second language acquisition, 2001, no 23, p. 527-552. ■■fuLLa a. c. « Méthodologie musicale et enseignement-apprentissage du FLE ». Synergies Espagne 1, 2008, p. 141–152. ■■GaSS S. m. et Bardovi-harLiG K. Pedagogical norms for second and foreign language learning and teaching: studies in honour of Albert Valdman. Éditions Amsterdam, États-Unis d’Amérique, 2002. ■■Goffman e. La mise en scène de la vie quotidienne. Éditions de Minuit, Paris, 1973.

■■Gordon h. W. et Weide r. La contribution de certaines fonctions cognitives au traitement du langage, à son acquisition et à l’apprentissage d’une langue seconde. Langages, 18(72), 1983, 4556. [https://doi.org/10.3406/lgge.1983.1191] ■■GuimBretière e. Phonétique et enseignement de l’oral. Didier-Hatier, DL, Paris, 1994. ■■Knoerr h. La voix théâtrale comme voie vers la mémorisation des caractéristiques articulatoires de la langue cible. Recherche et pratiques pédagogiques en langues de spécialité. Cahiers de l’Apliut, (Vol. XXV no 2), 2006, p. 88-111. [https://doi. org/10.4000/apliut.2506] ■■LouÿS G. et Leeman d. Pour une ré-évaluation paradigmatique de notre conception du parleur. Langages, 2014, (192), p. 310.

■■Lozanov G. Suggestologie et éléments de suggestopédie. (P. Boussard, Trad.). Sciences et culture, Montréal (Canada), 1984. ■■Le Breton d. La sociologie du corps, PUF, Paris, 1992. ■■macWhinney B. The emergence of language. Mahwah (N.J.), États-Unis d’Amérique, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, 1999. ■■narcy-comBeSj.-p. De la complémentarité des domaines pour un didacticien dans langues : quelle place pour les multilittéracies. Multiliteralität Fremdsprachen Lehren und Lernen, 2014, 2, p. 29-42. ■■nonnon é. 40 ans de discours sur l’enseignement de l’oral : la didactique face à ses questions. Pratiques. Linguistique, littérature, didactique, 2016, p. 169-170. [https://doi.org/10.4000/pratiques.3115] ■■paGe c. Le jeu dramatique : de la proposition au choix. Mise au travail des idées de Winnicott dans le champ des activités théâtrales à l’école. Revue française de pédagogie, 130(1), 2000, p. 133-141. [https://doi.org/10.3406/rfp.2000.1058] ■■perdue c. Comment rendre compte de la « logique » de l’acquisition d’une langue étrangère par l’adulte. Études de linguistique appliquée, no 92, p. 8-22, 1993 ■■pLateL h. et euStache f. La mémoire musicale : approches neuropsychologiques. Revue de neuropsychologie, 10(4), 2000, p. 623-643. ■■rynGaert j.-p. Le jeu dramatique : en milieu scolaire. De Boeck Université, Paris, 1996. ■■ScheLLenBerG e. G. Long-term positive associations between music lessons and IQ. Journal of Educational Psychology, 98(2), 2006, p. 457-468. [https://doi. org/10.1037/0022-0663.98.2.457] ■■verdeiL j. Théâtre et pédagogie. À propos du théâtre scolaire. Cahiers pédagogiques, 1995, no 337. ■■zedda p. La langue chantée : un outil efficace pour l’apprentissage et la correction phonétique. Les Cahiers de l’Acedle, 2, 2006, p. 1-26.

Le français à visée professionnelle est un domaine du champ du français langue étrangère en pleine évolution tant du point de vue des recherches en cours en français sur objectifs spécifiques (FOS) et en français langue professionnelle (FLP) que des métiers à pourvoir, notamment dans le secteur de la formation professionnelle, dans les entreprises, les branches professionnelles ainsi qu’au niveau des organismes de formation spécialisés dans la formation reliant langue française et métiers (par exemple, pour des postes tels que : enseignant ou formateur, ingénieur de formation, coordinateur de projet ou de programme). Les deux journées ASDIFLE organisées en 2017 ont permis de dresser un état des lieux des structures, dispositifs et postes liés au français à visée professionnelle et de nourrir la compréhension de cet état des lieux par les perspectives proposées dans les recherches actuelles autour des questions du FOS et du FLP. Le présent numéro reprend ces axes en deux parties : la première partie propose six articles permettant de réfléchir aux liens entre langue, activité et travail, dans une perspective didactique et ergologique ; la seconde partie réunit cinq textes reprenant deux des tables rondes tenues et trois des dispositifs de formation présentés lors des Journées.

Véronique Laurens et Laura Nicolas Présidente et vice-présidente de l’ASDIFLE

ISBN : 978-209-038234-1

www.cle-inter.com