PAPELES DE ERMUA nº Especial Francia

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La derive sécessionniste du nationalisme basque

NATIONALISMES BASQUES PLURIELS Il faudrait peut-être commencer par le titre. Je parle de nationalismes au pluriel, car, pendant les trente dernières années, nous avons connu au moins trois nationalismes différents au Pays basque: le nationalisme modéré, le nationalisme radical et le nationalisme frentista ou partisan d’un front, synthèse des deux précédents. Le mot espagnol milenio a ici deux sens distincts: le sens purement chronologique, millénaire, (comme quand nous parlons, par exemple, de Troisième Millénaire) et le sens eschatologique: le Millénium, comme fin des temps ou fin de l’Histoire ; le règne de mille ans qui, selon l’eschatologie chrétienne, précèdera la bataille finale contre l’armée de l’Antéchrist et le Retour du Verbe. Règne de prospérité et de justice, règne égalitaire, Âge d’Or. Des auteurs comme Talmon ou Cohn ont vu un reflet sécularisé du millénium chrétien dans l’idéal communiste de la société sans classe. Au début des années 80, l’anthropologue de Bilbao, Juan Aranzadi, a publié un livre qui allait avoir une grande influence pour ma génération: « Millénarisme Basque: Âge d’Or, Ethnie et Nativisme ». Une deuxième édition vient de paraître, avec un nouveau prologue dans lequel

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Les nationalismes basques au fil du millénaire (Publie dans Papeles de Ermua Nº 1. Avril 2001)

Jon Juaristi Professeur de Philologie Espagnole de l’ UPV (Université Pays basque) Directeur de l’Institut Cervantes Ex-membre de l´ETA (dans les années 60)

l’auteur fait une critique féroce des bases théoriques de son essai. Néanmoins, le livre d’Aranzadi fut, à son époque, un outil très utile pour beaucoup de critiques en herbe du nationalisme basque, qui commençait alors à construire son idéal de société — avec le gouvernement autonome (créé en mai 1980), avec les diputaciones forales1 et avec le terrorisme (aussi bien le terrorisme classique de l’ETA que le terrorisme “social” des Commandos Autonomes Anticapitalistes2 —. Aranzadi voyait des traits millénaristes dans le projet politique des abertzales (c’est-à-dire les nationalistes basques), inséparable du rêve de restitution d’un Âge d’Or où les Basques auraient vécu indépendants et heureux dans une démocratie patriarcale douce et contradictoire.

“ Voilà ce que pensent les nationalistes : Jusqu’à Sabino Arana (1865 – 1903), aucun basque n’a fait ou dit quoi que ce soit qui en vaille la peine ”

LE PARADIS QUI N’A JAMAIS EXISTÉ Cette idée que le nationalisme basque recherche la restauration d’un

[1] [NdT] Institutions qui correspondent aux conseils généraux des provinces du Pays Basque, avec très larges compétences. Le mot foral vient de fueros, qui était une ancienne charte qui garantissait des lois et privilèges accordés à une ville ou à une province ; de nos jours, il ne s’emploie plus guère que dans les provinces basques et en Navarre. [2] [NdT] Les CAA ont surgi au Pays Basque, sous l’inspiration, d’une part, du mouvement congressiste et autonome italien de ces années-là, dont l’idéologue était Toni Negri. D’autre part, les CAA copiaient les méthodes d’action de l’ETA-militaire, mais sans adopter leur organisation interne hiérarchisée. Ils ont commencé à agir en septembre 1977 et en avril 1987, ils ont commis leur dernier assassinat (une militante du PSE). Ils furent responsables de vingt-sept assassinats en tout. (Cf. Jon Juaristi, “Sacra Némesis”, chap. Rizomas). La derive sécessionniste du nacionalisme basque. PAPeLeS de

paradis qui n’a jamais existé, est une idée qui est apparue dans les principales études critiques sur ce nationalisme dans les vingt dernières années. Moi-même, je suis en dettes envers Aranzadi à ce sujet et ceux qui verront dans le titre de ces pages un hommage explicite à son œuvre ne se tromperont guère. J’aimerais cependant aller au-delà de sa thèse: la conviction partagée par tous les abertzales (nationalistes) —à commencer par le premier d’entre eux, Sabino Arana Goiri (1865 – 1903)—, que cette situation de bonheur suprême s’est perdue à cause de l’invasion ou de l’occupation d’une Euskadi ancestrale par les Espagnols explique l’agressivité nationaliste, la haine que le nationalisme basque a professé à l’Espagne et qui dépasse l’hostilité que manifestent envers tout ce qui est espagnol les nationalistes catalans et galiciens, cela n’est pas comparable. Dans le nationalisme catalan ou dans son homonyme galicien, on sent une continuité reconnue en ce qui concerne le régionalisme du dix-neuvième siècle. Les nationalistes catalans incluent dans leur propre histoire les figures de la « Renaxença »; les Galiciens, celles de leur renaissance postromantique. Qu’ils furent traditionalistes ou fédéralistes, les régionalistes catalans et galiciens du XIXième siècle maintenaient une double loyauté partagée entre la patrie natale et la patrie eRMUA Numéro spécial en français. NOV 2003.


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