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Didier, allée au vent

Texte : Corinne Daunar Remerciements et crédit photos : François Moll

Didier, allée au vent

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Sur les hauts de Fort-de-France, on y accède par la raide trace de l’Ermitage, ou le lacet vertigineux de la Rocade : le départ est désormais donné depuis le giratoire du Vietnam Héroïque, vers l’un des quartiers le plus joliment doté en patrimoine. Didier, c’est d’abord une route, une épine dorsale qui irrigue une myriade de petits quartiers lovés à quelques minutes de l’effervescence du centre. Mais c’est aussi surtout un monde en miniature : de richesses, de pouvoir, d’élégance… et d’une certaine vision, créole, de l’architecture.

Un haut lieu de la bourgeoisie foyalaise

La route de Didier sonne donc, dans l’imaginaire populaire comme dans la réalité foncière, comme le quartier huppé de Foyal, qui domine depuis les hauts de son arrête le centreville et les quartiers spontanés qui parsèment les mornes de la cuvette de Fort-de-France, et s’étirent jusqu’à explorer les premiers contreforts des Pitons. C’est Alphonse Didier, ancien maire de Fort-deFrance et fondateur de l’établissement thermal éponyme qui laisse au quartier son appellation. La route principale elle, est tracée à l’occasion du creusement d’une vaste canalisation, ordonnée par le Gouverneur de Gueydon, pour alimenter la ville en eaux de la rivière Case-Navire. Au long de ses 4 kilomètres, la route étire de somptueuses villas ordonnées et joliment jardinées. Il est longtemps le quartier de prédilection des blanc-créoles, avant qu’une partie ne s’installent sur les caps de l’Atlantique. S’y distinguaient, au mitan du dernier siècle, la première usine électrique de l’île, la résidence du Gouverneur, de l’Amiral, du Secrétaire Général. La Compagnie Générale Transatlantique y loge aussi son directeur, tout

comme la Caisse Centrale le sien et l’administration ses hauts-gradés. Les usiniers, Aubéry, Hayot ou de Jaham ont leurs résidences au détour du chemin de l’Union. Quartier de pouvoir donc, qui concentre l’élite administrative et économique de l’île, au creux de bâtis créoles, largement inspirés des grandes résidences de Louisiane.

Didier dans l’inconscient

La route de Didier, en rassemblant cette Martinique d’Epinal, pétrie de l’élite et de la richesse, s’est affirmée au fil du temps comme une consécration. Au creux des pages de la « Rue des Syriens », le vénérable Mansour de Raphaël Confiant, respecté patriarche syrien, affirme enfin sa réussite, de lourdes années après son arrivée, en acquérant rubis sur l’ongle l’une des plus belles demeures du quartier.

Cette longue avenue, se fait aussi le berceau de pittoresques destinées, notamment du bâti. Celle du Vieux Moulin, après quelques kilomètres, en concentre le folklore. Imposante demeure érigée au début du XXe, en place d’une ancienne habitation, elle en reprend, sous forme de tourelle atypique, le moulin historique. Le site séduit, au détour du XXe siècle, un Victor Sévère féru d’astronomie, avant de s’affirmer après 1921 comme la résidence des gouverneurs de l’île ! Au mitan du siècle, c’est la compagnie Air France qui la transforme en Hôtel-restaurant, dans l’élan de la fièvre touristique de l’île. Le lieu, cependant, s’endort au fil des ans, n’offrant plus encore que le profil de son moulin, classé évidemment. Et impossible d’évoquer Didier, sa route et sa fontaine sans plonger dans sa réalité jaillissante. Car le lieu est riche en sources, et offre aux curistes, tout comme aux assoiffés, une eau acidulée et bicarbonatée. Des vestiges d’installations y rappellent le passé thermal, tandis qu’une usine embouteille encore la célèbre eau de la source Roty… qui n’est autre que la Didier !

Didier, le petit musée à ciel ouvert d’un art de vivre créole

Didier reste ce quartier chatoyant et historique, en témoignent les nombreuses demeures de charmes et demeures d’exceptions. La route égrène encore nombre de ses joyaux, magnifiques bâtisses déjà centenaires, véritables représentants des courants coloniaux d’époque. Toutes auréolent encore le quartier d’une élégance profonde, ancrée dans la pierre, petit musée à ciel ouvert d’un art de vivre créole. La Villa Primerose en aura été un formidable étendard avant de s’évanouir dans les flammes, inspirée, en 1906, des ravissantes demeures du sud-américain. La villa Chanteclerc, maison créole en bois traditionnelle, est désormais le magnifique écrin des manifestations culturelles de la CTM, loin de son sulfureux passé guerrier (résidence, sous son occupation, de l’Amiral Robert !).