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Les Terres-Sainville, terreau d’humanité

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Le Ramboutan

Le Ramboutan

Texte et photos : Corinne Daunar

Aux origines, terreau d’une humanité populaire

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Son appellation, il faudrait la chercher chez un ancien propriétaire de la plaine saumâtre, un certain Simon de Sainville, qui aura vendu ses parcelles aux héritiers Lacalle au milieu du XIXe siècle. Quant à sa drôle de réputation, le mal nommé « quartier des Misérables » la tient longtemps : il rassemble sur 30ha de mauvais sol, de marécages et de conditions douloureuses les exilés de la misère, ces âmes marcheuses que les affres de la terre jettent au chemin. C’est une répétition de cataclysmes qui induit le quartier : un cyclone, un incendie féroce du centre-ville de Foyal, le ravage de Saint-Pierre sont autant de secousses qui éparpillent au vent des lambeaux d’humanité. Ces fragments s’agrègent, s’agglutinent parfois et finissent par devenir un vaste ensemble populeux, d’abord en ilots de bâtis, puis construit de planches, de broc et d’espoir fou. Les conditions de la terre, encore, continuent aux confins du XIXe et début du dernier siècle,

Lové entre la rivière Madame, la Rocade et le boulevard du Général de Gaulle, il est un quartier qui exulte son identité plurielle, autant foyalais qu’accroché à la Caraïbe, populaire et fier. Fondés à l’orée du XXe siècle, les Terres Sainville sont l’un des moteurs d’extension de Fort-de-France, son premier faubourg lorsqu’elle se sent déjà à l’étroit dans son damier du centre ville.

d’accumuler les destinées hagardes de l’épopée contrariée de la canne.

C’est dans ces conditions adverses que se conforme le quartier Thébaudière, du nom de cette société de spéculation qui loue à ces gens de peu de sous leurs lopins de survie. Le commencement du XXe est d’ailleurs marqué par la lutte entamée entre la compagnie et la municipalité pour l’avenir de ses habitants. En 1920, à force de ténacité, le Député-Maire Victor Sévère obtient que les terres soient enfin propriété de la ville de Fort-de-France et deviennent une grande cité ouvrière. Le projet s'incarne peu à peu : rues remblayées, petites maisons et cases réalignées, le quartier se redresse sur le quadrillage des avenues du centre.

Une place haute en couleur

La littérature consacre plusieurs fois le quartier, tandis qu’il fournit aux lettres antillaises, autant qu’aux partitions, des âmes uniques. C’est dans la rue Amédée Knight, de ce premier sénateur de « couleur » de la Martinique écritelle, que nait ainsi au midi Suzanne Dracius, poétesse créole éprise de métissage. Dans ces quelques hectares d’humanité facétieuse, elle bâtit, au tréfonds son lien viscéral à la terre, aux Terres Sainville, qu’elle érige en prose. Le secteur se construit autour de ces vies qui se recomposent : bientôt, il est le terreau de l’artisanat et des savoir-faire de la ville. L’ancien quartier des misérables se mue en terre de sursaut et de talents. Les boutiques se

succèdent, comptoirs, débits de la régie, boutique « Chin » qui s’accrochent sans temps à la terre. Sur la désormais bien connue et centrale place de l’abbé Grégoire, une splendide église de maçonnerie pérennise la paroisse Saint-Antoine dès 1925, en réponse aux nombreux efforts de l’abbé Cauchard et de sa petite chapelle de planche de 1908. Le faubourg est le croisement de multiples destinées, où se reforment les communautés populaires d’à travers les Antilles. Aux notes chantantes de l’espagnol dominicain, vénézuélien ou cubain, répondent les allitérations du créole haïtien et enchainements de l’anglais saint-lucien. Terre d’accueil, creuset de métissage, la multitude de ses origines marque jusqu’au bâti : d'étroites cases en bois tiennent la chique aux maisons plus citadines, à étage et balconnets forgés, les frises gingerbread qui diffusent dans la Caraïbe entière cisèlent encore les venelles et ruelles.

Un quartier de haut lieu

Les Terres Sainville, c’est aussi un immense lieu de culture, un bouillon populaire intarissable. À sa limite, se dresse encore l’ancien hôpital militaire de Fort-de-France, transformé en centre culturel de la ville de Fort-de-France, notamment sous l’impulsion d’Aimé Césaire. Ce grand parc luxuriant abrite désormais les nombreux ateliers artistiques de la ville, où l’effervescence créative du faubourg semble y diffuser avec puissance. Il faut dire que les rues résonnent régulièrement d’une effusion musicale, où mazurka, biguine, quadrille ou zouk mêlent et s’enroulent au creux de tiers lieux de rencontre. Aujourd’hui en proie aux questionnements, aux difficiles mues et à un carcan social encore trop serré, le quartier se réfléchit, et pense déjà à sa nouvelle forme, toujours cosmopolite, toujours populaire, toujours foyalaise.

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