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L’ancien hôpital militaire, bâti aux mille destinées

Texte et photos : Corinne Daunar

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« Cent fois, sur le métier remettez votre ouvrage » : l’adage bien connu de Boileau semble vouloir s’appliquer sans fard cette parcelle iconique et inamovible en bordure de la rivière Madame, à l’orée du quartier de Terre Sainville. L’ancien hôpital militaire de Fort-Royal, cis là depuis le début du XVIIIe siècle, n’aura cessé de passer à la coupe des planificateurs et urbanistes, avant d’enfin trouver son destin !

Un bâti à la destinée difficile

Tout s’entame logiquement pourtant : alors que le premier hôpital de la Martinique s’érige en 1665 à Saint-Pierre, il faut déjà, pour les gouverneurs de l’île, songer à la croissance du Fort-Royal et aux difficultés du transport des malades en canot jusqu’au nord. L’idée de bâtir un second centre de soin dans la future capitale fait son chemin. Pour en permettre la construction, le Sieur Villamont, habitant du Fort-Royal lègue à la colonie en 1698 un terrain bordant la rivière Madame, qui doit accueillir la nouvelle institution. Les travaux sont cependant fastidieux, peut-être autant que le financement du projet, et s’étendent sur plus de treize ans. En 1722, alors que beaucoup de bâtis peinent à sortir de terre, le roi, Louis XVI, offre une parcelle adjacente pour agrandir l’emprise et enfin achever les dépendances. En 1723, l’hôpital, devenu Saint-Louis, est confié à la congrégation de la Charité, dont les prêtres sont déjà très installés dans les colonies et leurs hospices. Il faut encore plusieurs années pour arriver non sans difficulté à la pleine capacité de l’institution qui, au mitan du XVIIIe siècle, compte près de deux cent soixante-dix lits autour desquels s’active une petite cohorte d’esclaves spécialisés et les soignants de la Charité.

Hier hôtel-Dieu…

Le bâti, tout de pierre de taille et de moellons, se détache en deux grands pavillons, dont le principal, formant un fer à cheval évasé, accueille le cœur de l’hôpital. La charpente de bois, elle, dépose une toiture en bâtière. Les plans arborent des coursives ouvertes, circulantes et aérées, et le parc doit participer au repos des malades. Et pourtant, malgré ses ambitions initiales, le dispensaire apparait bien maladroitement conçu, et surtout, mal situé, accolé à la rivière stagnante. Face à lui, l’un des plus anciens cimetières de Fort-de-France, à l’angle de la Levée et du Vieux Chemin, est érigé en 1777. Dès 1826, l’on en reconnait l’émoi négatif généré pour les malades et l’atmosphère pour le moins insalubre. Pied de nez de l’histoire, c’est bien le parc funéraire qui survivra à l’hôpital ! Les constructions, elles, subissent les affres du temps chahuté : le récit est long, et se contourne en catastrophes naturelles, vicissitudes politiques et nouveaux projets urbains. De ces séismes, occupations anglaises et expansions démographiques sans précédent se dégagent un siècle de bâti errant, vainement remodelé au cours des ans, que les dévouées sœurs de Saint-Paul de Chartes, en charges depuis 1818, peineront à maintenir.

En 1903, l’hôpital militaire est finalement désaffecté, au départ de la congrégation.

… désormais hôtel des arts

Abandonné depuis bien des années, le site, au tournant de ce XXe siècle, voit ses mille destins s’entrechoquer : il reprend vie en 1935 pour la célébration du tricentenaire du rattachement de la Martinique à la France. C’est l’occasion d’y tenir spectacles et commémorations, et d’y ériger son monumental portail. C’est ce même fronton qui consacre, symboliquement, la réponse-manifeste de Kho-Kho René-Corail, des années plus loin, immense fresque politique du massacre des Amérindiens. Un temps casernement, le parc « Galliéni » est rétrocédé à la ville de Foyal en 1971, et porte désormais sa vocation profonde : celle d’exulter les arts martiniquais et antillais. Il accueille bientôt les premières Floralies internationales, devient le siège du service culturel de Fort-de-France, le SERMAC et reçoit la création en mécène silencieux. En 1991 on y construit un pavillon de danse traditionnelle ; en 1980 c’est le Grand-Carbet, vaste salle de spectacle en demi-sphère, qui émerge. Et puis, ce site unique, c’est aussi et surtout celui d’un jardin voyageur, poumon endémique et planté au cœur de la capitale, qui abrite plus de 200 espèces d’arbres et de palmiers, des tamariniers, poiriers, courbarils, Ylang Ylang, un baobab offert par Léopold Sédar Senghor à Aimé Césaire, qui laisse, en 2008, son nom au parc !