Magazine Maisons Créoles N°140 Martinique

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.1 KALEIDOSCOPE CRÉOLE

Texte : Corine Daunar

Jeux d’eau En Martinique, le rapport à l’eau, omniprésente, s’est construit dans la force du temps, à mesure que s’y développait une forme de société-monde, où chaque strate a nourri une relation symbiotique avec les mers et la rivière. Dans cette intimité partagée, les pratiques se métamorphosent à travers les époques, et glissent de la nécessité vitale au loisir élémentaire, dans une lente évolution des liens. L’élément eau une contingence de survie De tout temps, la Martinique n’a pu faire société que par l’océan, en tant qu’il est le medium, celui qui fait exister l’île dans son bassin et, bientôt, dans un monde qui explose, aux frontières sans cesse repoussées. C’est par mer que les premiers habitants, loin avant la colonisation, s’enivrent de ces terres. Plus tard, c’est par le même flux que s’annonce son histoire moderne, où les Européens découvrent les plages de la Martinique et, pour un poids de siècles, en rattachent la destinée aux velléités du vieux continent. Mais déjà là, il faut aussi savoir distinguer le débit lourd, minéral des écoulements et autres traits d’eau, à flanc de morne et en creux de falaise, des flots immenses, infinis, qui lèchent la côte et n’en finissent pas d’assaillir l’intérieur. Le rapport à l’eau s’y dessine différemment. En rivière, on lave, on modèle,

on se nourrit, l’on dérive la force et le flux de l’eau, qui devient la substance, la manne miraculeuse. En pleine mer, l’on transporte, l’on défie, l’on prélève : l’onde est ici puissance et colère.

L’eau qui fait petite société Mais cette dépendance sourde, qui définit la survie, s’augmente peu à peu d’un rapport plus apaisé, ferment d’une sociabilité unique portée par les groupes et les pratiques. Les femmes, lavandières professionnelles ou ménagères affairées, s’y retrouvent sans fard pour y partager le temps. Les enfants, au moment du labeur d’eau, n’évitent pas de profiter de la source. La rivière, finalement, se meut en un utilitarisme ludique, où le plaisir de la pêche n'empêche pas la fourniture d’un poisson gris ou d’une poigne de cribiches. Mélange de pratique, influence des ainés, construction d’un rite initiative, le woulo se vit aussi dans toutes les rivières de l’île, où les jeunes

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reproduisent à l’envi les larges passes du danmyé martiniquais. À Saint-Pierre, au temps de la toute-puissance de son port ouvert aux Amériques, c’est un autre usage qui élance des hordes de marmailles dans la baie pacifiée. Autour des grands vapeurs, une effervescence chaotique voyait s’agiter au fond de caisses de bois pataudes les ti-cannotiers, experts à les façonner et les diriger avec prestance. Il fournissait un spectacle unique, celui de leurs plongées sportives à la recherche des pièces projetées à cet effet depuis les hauts ponts des navires transatlantiques.

L’épanouissement en loisirs Finalement, c’est aussi à l’avènement d’un nouveau confort, mode de vie, que le rapport à l’eau se transfigure jusqu’au loisir pur, évacué de toute pensée utilitaire. Au mitan du XXe siècle, dans les rouleaux du Nord de l’île, il n’est pas rare d’encore

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