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ENTRETIEN
MIGROS MAGAZINE | No 48, 25 NOVEMBRE 2013 |
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ABD AL MALIK | 29
Biographie Né à Paris en 1976, le petit Régis Fayette-Mikano déménage avec ses parents et ses frères à Strasbourg, dans le quartier difficile du Neuhof. Délinquant «pas par méchanceté mais pour être accepté par les autres» le soir, il se passionne très vite pour le savoir et la littérature à l’école. A la séparation de ses parents, il prend conscience de la nécessité de s’éloigner de son quartier et grâce à une enseignante s’inscrit dans un collège catholique privé. «La scission était encore plus grande entre la vie dans le quartier et la vie au collège.» Il crée le groupe de rap NAP (New African Poets), qui dénonce non sans violence verbale les injustices sociales. Il se convertit à l’islam à l’âge de 15 ans, prenant le nom d’Abd al Malik, ou «serviteur de Dieu». D’abord Tabligh (mouvance piétiste et très «encadrante» de l’islam), il chante ses textes en cachette le soir sur des petites scènes. Et lorsqu’on lui demande de choisir entre sa musique et l’appartenance au Tabligh, il quitte ce dernier. Rappeur, slameur, il découvre plus tard le soufisme, la voie spirituelle de l’islam. Au Maroc au sein d’une confrérie soufie, il y rencontre celui qu’il appelle son «maître bien-aimé», Sidi Hamza. Un maître spirituel qui lui apprend, dira-t-il, «l’amour de l’autre et l’absence de dénigrement». Musicalement, il s’éloigne peu à peu d’un rap purement contestataire, réalisant que dans la musique, comme dans la spiritualité, il avait jusqu’alors «une posture de paraître et non d’être. Mais rien de bon ne peut sortir hors de l’amour et de l’acceptation de l’autre.» Son livre «Qu’Allah bénisse la France» (2004) évoque ce cheminement spirituel et intellectuel. Abd al Malik a remporté quatre Victoires de la musique, en 2007, 2008, 2009 et 2011. Marié depuis quinze ans à la chanteuse de R’n’B Wallen, il est papa de Mohamed Hamza, 12 ans.
Abd al Malik a déjà remporté quatre Victoires de la musique, en 2007, 2008, 2009 et 2011.
Slameur et écrivain, Français mais revendiquant ses origines africaines, rappeur mais rassembleur: vous n’êtes pas facile à cerner.
Tout mon travail, d’une certaine manière, tourne autour de l’identité. L’identité de Camus est claire. Evidemment cela me touche, parce que cela me ressemble. Mes parents sont originaires du Congo-Brazzaville, mes racines sont africaines. C’est le continent de mes ancêtres. C’est là d’où je viens. Mais je me sens complètement Français et complètement Européen. Cette complexité n’en est pas une. Pas plus qu’il n’y a contradiction. J’essaie depuis toujours de dire qu’il ne faut y voir aucune schizophrénie. Et j’essaie de l’expliciter à travers des spectacles comme celui-ci, ainsi qu’à travers des rencontres artistiques, des disques ou des livres. Je recolle les mor-
ceaux. Et je suis un, tout en restant en connexion avec les autres. Les extrémismes en tout genre deviennent les plus visibles et les plus bruyants. Vous êtes plutôt dans la recherche du consensus, de la main tendue, vous combattez les divisions. Difficile de se faire entendre parce que d’une certaine manière vous êtes critiqué des deux côtés (musulman, il l’est par les islamistes. Alors que les belliqueux du hip-hop le voient comme un traître à la subversion du rap, ndlr.)?
Je veux parler de ce qui rassemble. Et je croise beaucoup de gens qui pensent comme moi. Ou avec lesquels moi je peux entrer en résonance. C’est vrai, nous vivons dans un monde qui nous dit: vous êtes seul, ça ne marchera pas; vous êtes un rêveur. J’assume d’être un utopiste. C’est parce que des gens l’ont été que l’on peut parler de valeurs républicaines ou de Droits de l’homme. Qu’importe ce que nous dit le «système». Nous sommes des êtres vivants, et la
Photos: Getty Images (portrait) / AFP (entretien) / AFP (concert)
corps sans âme. C’est la lettre sans l’esprit. Camus est autant dans l’intellect, la raison, qu’il est dans l’émotion ou le sentiment.
Dans son dernier CD Abd al Malik rend hommage à Albert Camus.