Migros Magazin 40 2009 f AA

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ENTRETIEN FRANÇOIS DE CLOSETS

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«Le culte de l’orthographe, c’est fini!»

Dans un livre passionnant, «Zéro faute: l’orthographe, une passion française», le journaliste François de Closets retrace l’histoire de notre langue et explique pourquoi nous commettons si facilement des fautes, que l’ordinateur aujourd’hui nous aide à corriger. Vous dites que le français est la langue la plus difficile à écrire au monde. D’où cela vient-il?

Il faut rappeler que le français est né du latin et qu’il a subi l’influence des langues barbares. Comme toutes les langues, il a d’abord été une langue orale qu’on a peu à peu fixée par l’écrit. Par rapport au latin, le français comportait de nouveaux sons – de nouveaux phonèmes comme disent les linguistes. Par exemple, tous ceux de nos mots qui comportent des diphtongues. L’alphabet latin comportait 22 sons. Et le français 30 à 50! Comment faire entendre ces sons nouveaux au moment où le français a commencé à être consigné par écrit vers le Xe siècle? On a utilisé l’alphabet existant, c’est-à-dire l’alphabet latin, mais il a fallu faire quantité d’assemblages, de tripatouillages pour rendre les sons qui n’existaient pas en latin. Autrement dit, la première difficulté du français, c’est qu’il n’a pas l’alphabet de sa langue. Conséquence?

Celle, inévitable, que dans notre langue, le même son peut être orthographié de plusieurs façons différentes. Prenez le son «so». On le retrouve dans «saut», «seau», «sceau», «sot», etc., mais écrit différemment. Par ailleurs, comme les populations ne savaient ni lire ni écrire, l’orthographe a d’abord été l’affaire des scribes, des érudits dont le métier consistait à produire des actes, à copier des manuscrits. C’étaient des gens de savoir qui ont eu le souci de bien montrer que les mots français prenaient leur origine dans le latin.

Pourquoi met-on un «p» à «baptême»? Parce que le mot latin est «baptisma». Ainsi les scribes, afin de rappeler son origine latine, ont surchargé notre écriture de voyelles et de consonnes muettes! Avec, bien souvent, de fausses étymologies. En outre, les accords grammaticaux sont souvent muets. Ainsi le «s» du pluriel ne s’entend pas à l’oral s’il n’y a pas de liaison. Au bout du compte, la langue parlée et la langue écrite sont deux langues différentes! Lorsqu’on écrit en français, il y a littéralement traduction d’une langue dans l’autre. Ce que l’italien et l’espagnol ont su éviter?

Oui, les langues méditerranéennes ne butent pas sur cette difficulté-là. L’écrit et l’oral se reflètent fidèlement. Cela rend ces langues beaucoup plus faciles à écrire. Songez qu’un jeune élève italien met un an à maîtriser l’orthogra-

phe de sa langue, tandis que son cousin français en met dix, non pas même pour ne commettre aucune faute, mais pour en commettre le moins possible! La solution tiendrait dans l’écriture phonétique?

Non, ce serait une catastrophe! Tout le bel édifice de la langue française s’effondrerait. Notre langue ressemblerait aux messages SMS qu’échangent les jeunes d’aujourd’hui. D’ailleurs, l’occasion d’opter pour une écriture phonétique, nous l’avons déjà eue! C’était au XVIe siècle quand le grammairien Louis Meigret a proposé, en vain, de l’introduire. L’occasion est définitivement passée. Le français restera donc toujours difficile à écrire?

Oui. Il faut en prendre acte. Savoir qu’on risquera toujours de commettre des erreurs en l’écrivant. Reconnaître qu’il y a dans notre

Bio express Né en 1933, François de Closets fait des études de droit, couvre la guerre d’Algérie pour l’Agence France Presse (AFP) puis devient l’un des premiers journalistes scientifiques de la télévision française, excellant dans sa tâche de vulgarisateur. Son premier succès littéraire, «Le bonheur en plus» (1973), est suivi d’une vingtaine d’ouvrages parmi lesquels «Toujours plus» (1984), «La dernière liberté» (2001) sur le sujet de l’euthanasie, «Plus encore» (2007) sur l’héritage social et économique que les baby-boomers laissent à leurs enfants, «Le divorce français» (2008) sur le clivage entre les élites et le peuple. Il a eu un fils, Serge de Closets, avec l’actrice française Danièle Lebrun. A lire: François de Closets, «Zéro faute: l’orthographe, une passion française», Editions Mille et Une Nuits, 2009.

langue des anomalies, des incohérences, des aberrations... Les aberrations n’ont-elles pas leur logique historique?

Cet argument ne tient pas. Nombre d’anomalies résultent simplement de vulgaires erreurs commises par des scribes à telle ou telle époque. Par exemple, on a absolument voulu écrire «nénuphar» avec «ph» parce qu’on s’imaginait que ce mot venait du grec, alors qu’il vient de l’iranien via l’arabe «ninûfar». Des erreurs de ce type se sont perpétuées à travers les siècles. A vous lire, on s’aperçoit qu’il n’a jamais été question de tout chambouler, mais de procéder à quelques ajustements.

Oui. Ça a été le but de la réforme de l’orthographe de 1990 proposée par le Conseil supérieur de la langue française, et longuement pensée et mûrie par des linguistes aussi avisés que Claude Hagège ou Bernard Cerquiglini. Le but n’était que d’offrir des variantes possibles à l’usage souvent illogique et aberrant des traits d’union dans certains mots composés, des accents, et du redoublement des consonnes. Par exemple, pourquoi écrire un «imbécile» et une «imbécillité». La réforme a suscité l’ire des écrivains. Et hélas capoté. Pourquoi une telle réaction?

Les gens de lettres se sont sentis dépossédés d’un territoire qu’ils considéraient comme leur. Traditionnellement, nos écrivains se considèrent comme les gardiens de la langue française.


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