PORTRAIT LAURE LUGON ZUGRAVU
d’alors a compris que sa vie devait se dérouler ailleurs. «A la radio, Marc Leroy-Beaulieu a annoncé: le mur est mort. Je suis sortie de mon lit pour voir si on manifestait dans la rue. Rien. Au cours de droit romain, le prof a déclaré ce jour comme historique. Personne n’a réagi. Je me suis dit, qu’est-ce que je fais là? J’ai ressenti pour la première fois un décalage en moi et les miens.» Peu de temps après, elle rencontre son futur mari à Andorre, lors d’un congrès international des universités. Il rentre à Bucarest, elle en Suisse. «Mes études m’emmerdaient, j’étais folle amoureuse, j’ai tout arrêté. Des remplacements dans une école m’ont permis de financer mon voyage en Roumanie. Et de vivre un moment postrévolutionnaire. Du communisme au chaos, une émulation incroyable dont j’étais spectatrice. C’était ma première confrontation longue sans les filets familiaux, avec les soubresauts du reste du monde. J’en avais besoin.»
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soulevaient leur drap et disaient, montrez ce qu’ils m’ont fait.» Huit ans de voyages, toujours en compagnie de Claude Glunz, photographe, ancien parachutiste de l’armée française. «Sans lui, je n’aurais jamais mis les pieds dans certaines zones. Il est devenu mon gilet pareballes, mon parachute, l’un des hommes qui a vraiment compté dans ma vie. Je n’aurais pas eu le courage de partir seule.» Un terrain trop difficile pour une femme? «Non. Je ne sais pas ce que c’est que d’être un homme. Il faut intégrer le fait que l’on peut non seulement se faire découper en rondelles, mais aussi violer. Ça pourrait m’arriver ici.» Ce qui la motive, l’adrénaline, «voir comment on réagit dans des situations de crise. On n’a plus de passé, plus de futur. Il faut gérer le présent. Ce qui reste plus terre à terre que les bons sentiments. Je ne suis pas partie pour sauver le monde.» Et quand elle retrouve son pays natal, les sentiments sont confus. La famille, la tranquillité, le chocolat et la sécurité ont manqué. «Mais je me suis sentie seule. Communiquer ce que j’avais vécu à mes proches était très dur. Aussi parce que l’autre se met une protection.» Aujourd’hui, dans sa maison genevoise, Laure Lugon Zugravu partage son temps entre l’écriture journalistique et de romans. En regardant ses deux enfants grandir. «Peutêtre mon plus beau reportage, là, dans mon jardin. Je vais en profiter. Car la probabilité qu’ils redeviennent petits est nulle…»
«Il faut intégrer le fait que l’on peut se faire découper en rondelles mais aussi violer»
Avec un ancien parachutiste de l’armée française
De retour en Suisse, elle obtient une licence en sciences politiques, tout en écrivant des articles pour le quotidien La Liberté. Encore deux ans pour terminer sa formation de journaliste au Nouveau Quotidien et la voilà engagée à L’Illustré, en tant que reporter. Elle découvre par «sauts de puce de deux à trois semaines» le Soudan, le Zimbabwe, l’Irak, la Serbie. Les enfants soldats, les mutilations. «Il m’est arrivé de revenir avec des reportages où on s’autocensurait sur les photos, impubliables. On aurait parlé de voyeurisme. Alors que dans les hôpitaux, les gens
Virginie Jobé Photos François Wavre / REZO
A lire: «Déroutes», Ed. Faim de siècle & Cousu mouche.