RÉCIT SOCIÉTÉ
Mai 68 a laissé les parents dans une situation délicate. Les pères par exemple, à qui on a demandé pendant trente ans de s’investir plus dans l’éducation de leurs rejetons, se voient maintenant reprocher leurs carences en matière d’autorité. «On assiste à un flou éducatif, relève Anne Jeger, psychologue clinicienne, qui travaille en collaboration avec le site Lafamily.ch. Les places des pères et mères se sont modifiées ces dernières années à cause de changements sociologiques, tels que le travail de la femme. Pour qu’une
Au centre, Yves Mouquin, ses enfants Héloïse et Vincent, et les grands-parents Dagmar Mouquin et Herrmann Erne.
société se structure et fonctionne, il faut de la loi, que représentaient symboliquement les pères autrefois. Le manque, voire l’absence, de limites claires génère de l’angoisse. Voilà pourquoi on demande aux pères de reprendre leur place de chef de famille.»
Une décision difficile à prendre
Quant aux mères, elles ne savent plus si elles doivent rester à la maison et ainsi compromettre le confort matériel du foyer et leur bien-être, ou travailler à temps par-
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tiel et souffrir d’abandonner leur descendance. D’un côté comme de l’autre, il paraît difficile de trouver la bonne façon de se comporter avec ses bouts de chou. D’où l’importance, selon Anne Jeger, du développement d’écoles de parents. «Des endroits qui permettent une réflexion et des échanges approfondis sur un sujet qui paradoxalement n’a pas de règles. C’est un métier d’être parent.» D’ailleurs, le vocabulaire de l’entreprise s’est insinué dans le quotidien familial. On gère une relation, on organise un
Une famille d’aujourd’hui: papa à la maison Trois générations témoignent…
A
u milieu des familles recomposées, monoparentales ou homosexuelles, il reste des familles dites traditionnelles. Qui, elles aussi, rediscutent les rôles de chacun des membres de l’arbre généalogique. C’est le cas de la famille vaudoise Erne-Mouquin. Yves Mouquin, 46 ans, est père au foyer de trois enfants à Romainmôtier. «Quand notre premier enfant est né, ma femme journaliste avait un travail fixe, moi pas. Nous avons décidé que je resterais à la maison. Au début, on me regardait de travers. Aujourd’hui, plus du tout.» Son beau-père, Hermann Erne, 72 ans, marié depuis l’âge de 24 ans, y voit une évolution des mœurs. «Jeune papa, je n’aurais jamais osé demander un 80% pour m’occuper d’un enfant. Je ne le regrette pas. Mais je pense que si les parents peuvent partager les tâches, c’est bien.» Dagmar Mouquin, 72 ans, se réjouit de voir son fils aider au foyer. «Il
est fait pour ça. Ses enfants n’ont au moins pas souffert d’un manque d’amour ou d’attention paternels. Mon mari a plus de difficulté à l’accepter. Mais en tant que grandsparents, on se mêle peu de leur vie.»
Un grand vide après le départ de son fils
Dagmar a ressenti un grand vide lorsque son fils a quitté le nid, à 27 ans. «Je déprimais. J’ai arrêté de travailler dès l’arrivée de mon premier enfant, c’était la norme. Alors que je gagnais plus que mon époux. Quand les enfants sont partis, il a fallu que je trouve autre chose. J’ai repris des études et suis devenue réflexologue.» A l’école, Vincent Mouquin, 15 ans, et sa sœur Héloïse, 12 ans, ne se sont jamais sentis différents. «D’autres élèves ont des parents divorcés, souligne Héloïse. On ne se pose pas de questions entre nous.» Son frère rigole: «Moi, je dis toujours en premier que papa est muni-
cipal du village. Personnellement, si je rencontre une fille et qu’elle veut travailler pendant que je reste avec les enfants, ça ne me dérangera pas.» Les petits-enfants semblent très attachés à leurs grands-parents, qu’ils voient de temps en temps. Cet été, Vincent a passé une semaine de vacances en tête à tête avec son grand-père Hermann. «En dix jours, j’ai appris plus sur lui que durant toute ma vie. J’ai eu la chance de le découvrir.»
«Je sais qu’ils restent derrière nous»
De concert, Dagmar et Hermann expriment leur plaisir à être grandsparents. Au revoir les responsabilités, bonjour la joie du partage. Dagmar souligne: «On n’a qu’à les aimer.» Yves, le papa, apprécie leur précieux appui. «Sans qu’ils soient demandeurs, ils constituent une sorte de garantie. Je sais qu’ils restent derrière nous.»