Migros Magazin 30 2011 f GE

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«La croissance économique effets du Röstigraben» Correspondant de la NZZ en Suisse romande et auteur du livre «Mariage de raison», Christophe Büchi connaît comme personne les relations parfois tendues entre les communautés linguistiques des deux côtés de la Sarine. Ce spécialiste de la barrière de rösti invite Romands et Alémaniques à s’ouvrir davantage les uns aux autres. Vous êtes allé à l’école primaire à Fribourg mais avez suivi le gymnase à Gossau (SG), vous portez un prénom français mais un nom de famille germanique. Vous sentez-vous Romand ou Alémanique?

Je suis un Alémanique romanisé. Mes parents et ma famille sont alémaniques mais j’ai grandi dans une ville majoritairement francophone et fait mes études en Suisse romande. Je me considère donc comme un représentant typique de la frontière linguistique, influencé par les deux cultures et intégrant des éléments des deux communautés. Quels sont ces éléments?

Je parlais suisse allemand à la maison, mais dans les rues de Fribourg, il fallait se débrouiller en français. Dès ma prime enfance, je me suis donc trouvé dans la peau d’un minoritaire qui doit s’adapter à une autre culture. Cette expérience précoce de l’altérité et de la diversité est, pour un enfant, d’abord un grand choc; plus tard, le choc devient une chance. Comme tout Alémanique grandissant en ville de Fribourg, j’ai dû apprendre que les règles en vigueur à la maison n’étaient pas les mêmes que celles rencontrées à l’extérieur. C’est sans doute ce mélange entre une culture germanique et un entourage majoritairement romand qui m’a amené à choisir plus tard le métier de «röstigrabologue», de passeur entre deux mondes.

Comment procédez-vous pour établir la connexion entre ces deux cultures?

En ma qualité de correspondant de la NZZ, j’essaie de saisir la spécificité des régions francophones et les différences de mentalité entre Romands et Alémaniques. Mon travail s’apparente presque à celui d’un correspondant à l’étranger. Les mentalités sont-elles si différentes?

Oui et non. Il y a indéniablement des différences. Par exemple, les Romands accordent plus d'importance à la maîtrise de leur langue, au fameux «bon usage», alors que les Alémaniques sont habitués à jongler tant bien que mal entre le Hochdeutsch et le dialecte. De plus, la culture française est plus ouverte à l’immigration et au multiculturalisme que la culture germanique. Mais il y a aussi des similitudes. Ainsi, les deux parties du pays sont très attachées à la démocratie directe et au fédéralisme. Vous vivez à Lausanne. La Suisse alémanique vous manque-t-elle?

Certains aspects de la culture alémanique me plaisent. Je regrette parfois, chez certains Romands, un manque de rigueur dans le travail. En Suisse alémanique, vie professionnelle et vie privée sont davantage séparées, alors que dans le canton de Vaud on a tendance à mélanger un peu les deux. Cela peut mener à un certain laisser-al-

ler. Autre exemple de ce qui me dérange parfois ici: je suis souvent invité à des manifestations organisées dans des coins perdus où il faut se rendre en voiture. En Suisse alémanique, quand on organise une conférence de presse, on a l’habitude d’indiquer dans l’invitation les horaires des transports publics et de demander aux journalistes s’ils souhaitent manger végétarien. Même si je ne suis pas végétarien, je trouve cela assez sympa. Pas d’autres différences que les transports publics et les menus végétariens?

Je voudrais d’abord préciser qu’il n’existe pas de Suisse allemand type, pas plus qu’il n’existe de «Welsche» type. Mais on peut quand même essayer de dégager quelques traits propres à chaque culture. Les Romands attachent beaucoup d'importance à la communication, à la convivialité. Les Alémaniques sont en général plus pragmatiques, moins démonstratifs. En politique, les Romands sont plus ouverts envers les étrangers. La Suisse romande est-elle moins tolérante sur les questions liées à la drogue?

Encore une fois, la Suisse romande, tout comme la Suisse alémanique, n’est pas une entité uniforme. Mais il est vrai qu’on note une certaine différence entre les deux régions sur ce point. A l’époque du Platzspitz – la scène ouverte de la drogue à Zurich, le fameux «Needle

Park» – beaucoup de Romands étaient choqués par ce laisser-aller. D’ailleurs, les Romands semblent moins favorables que les Alémaniques au nudisme et aux seins nus sur les plages.


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