Migros Magazin 08 2011 f NE

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RÉCIT SOCIÉTÉ

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Animal, qui es-tu?

La «philosophie animale» réfléchit sur les différences qui nous séparent de nos frères prétendument inférieurs. En se demandant par exemple pourquoi il est plus légitime de tuer une souris qu’une vieille tante à héritage. Explications et réactions.

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ersonne n’a une nouvelle un honte devant ère: la postèr des enfants domesticité. do ou des bêtes.» Qui se caracQu C’était ce que soutérise par té un tenait Aristote, il y une séparaa vingt-cinq siètion radicale entre anicles. Si notre rap-maux d’éleport à l’enfant a rvage et anibien changé, pourmaux doquoi continuons- Le sacrifice d’une vie animale mestiques. nous de n’avoir pas est-il légitime s’il permet de On se tient honte devant «les sauver une vie humaine? soigneusebêtes»? C’est ce ment à genre de questions que peut se poser la «philosophie l’écart des premiers, on n’assiste animale», une discipline en plein plus à «leur naissance, leur reproessor, spécialement dans les pays duction, leur mise à mort». Tout au contraire, nous avons accentué anglo-saxons. Si nous n’avons pas honte de- la proximité avec les animaux de vant un animal, suggérait Aris- compagnie «de tous poils et plutote, c’est parce que la honte est mes». L’autre trait marquant de la dans le regard du témoin. Or post-domesticité consiste en l’apl’animal n’est pas capable de ce parition d’un sentiment inédit de regard accusateur. Averroès ajou- culpabilité face aux procédés de tera que les probabilités sont fai- l’élevage industriel. bles qu’il aille raconter partout ce «Les réalités horrifiantes qu’il a vu. Dans leur préface au recueil des guerres innombrables» de textes de philosophie animale Face à ces bouleversements, il y qu’ils ont publié, Hicham-Sté- avait sans doute urgence à se rephane Afeissa et Jean-Baptiste demander ce qui fait qu’un homJeangène Vilmer évoquent la fa- me est un homme et un animal un meuse anecdote de Diderot. De- animal. Difficile de prendre envant un orang-outan enfermé core l’humain comme point de dans une cage de verre au jardin référence, «les réalités horrifiandu roi, le cardinal de Polignac, tes des guerres innombrables» qui trouve que la bête ressemble ayant rendu cette idée «tragicoà un saint Jean prêchant dans le mique», comme le souligne le désert, lui lance: «Parle, et je te philosophe Matthew Calarco. baptise!» Pour autant, de nouvelles formes d’humanisme ont tenté de sauver L’ère de la ce qui pouvait l’être. Emmanuel post-domesticité Levinas par exemple, penseur maAujourd’hui nous n’en sommes jeur de l’après-guerre, pour qui plus là. Pas loin même de baptiser c’est le visage de l’Autre qui fonde sans autre nos muets compa- la morale, qui me dicte le comgnons. Certains auteurs décrivent mandement «tu ne tueras point».

Un visage qui vient interrompre mon égoïsme en me révélant son dénuement. Dans cette optique, voilà l’animal mal barré, lui à qui cet attribut de visage a toujours été refusé. Matthew Calarco rétorque que la morale ne peut se réduire au visage de l’autre, que «la gentillesse» et «l’affabilité» aussi peuvent venir mettre fin à mon égoïsme.

Sur la question de notre responsabilité à l’égard des animaux, Peter Singer, l’un des auteurs phares en éthique animale, propose le critère de la préférence des intérêts. Il explique ainsi qu’une souris aura autant le droit de ne pas souffrir qu’un homme: personne en effet, pas plus la souris que l’homme, préfère souffrir plutôt que ne pas souffrir. En re-

«Croire que le don d’amour est limité à nos seuls proches est une erreur fondamentale» Franz Weber, Fondation Franz Weber

«Dans un proche avenir, notre science atteindra un niveau spirituel tel qu’elle sera capable de saisir la mémoire des océans et du vent et le langage et les pensées du monde animal. Nous saurons enfin communiquer avec les animaux, les plantes, avec tout ce qui vit et vibre autour de nous; nous pourrons enfin exister en harmonie avec eux. C’est cela le sens de la création, c’est cela sa logique. Croire que le don d’amour est limité à nos seuls proches est une erreur fondamentale. L’injustice à l’endroit de créatures totalement innocentes, les animaux, est sans doute la culpabilité la plus lourde dont l’humanité se charge, car elle conduit irrésistiblement à l’injustice à l’endroit des hommes, générant haine et guerres. Quant au principe «N’a le droit à la vie que ce qui est utile à l’homme», il est fondamentalement erroné. C’est seulement le jour où nous saurons reconnaître aux animaux et aux végétaux un droit inaliénable à la vie, et que nous agirons en conséquence dans le monde entier, que nous saurons préserver notre propre droit à la vie.»


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