Migros Magazin 1 2009 f AA

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58 | Migros Magazine 1, 29 décembre 2008

Prof passionné et rappeur engagé

On l’avait remarqué à l’élection de Mister Suisse en 2006. Mais on avait oublié que Junior Manizao était avant tout un rappeur aux textes forts. Dans quelques semaines, il sort son premier album.

S

on histoire avait ému le pays entier, il y a deux ans, alors qu’il était candidat à Mister Suisse. Premier Noir à se présenter, il avait raté le podium d’un cheveu. Fuyant la dictature de son Congo natal à 4 ans avec sa famille, Junior Manizao débarque à Bulle dans les années 80. Quelque temps plus tard ses parents décèdent du sida: sa mère en 1989 et son père en 1992. Une famille bulloise l’adopte, lui ainsi que ses deux frères. La révélation, sa «claque», comme il dit, il la reçoit en 1996, quand il entend pour la première fois à la radio: Caroline, de MC Solaar. «Elle exprime tout, les textes sont fantastiques, le rythme puissant. Je me suis dit que c’était ça que je voulais faire», raconte le jeune homme de 28 ans. Il se met alors à écrire ses propres textes, à rapper dans sa chambre. Très vite, il fait quelques scènes, sous le nom de Magister. «Magister, c’est le maître, en latin. Je veux transmettre quelque chose par ma musique, toucher les gens», explique-t-il. Parti de chez ses parents adoptifs à 17 ans, il effectue divers boulots, dont mannequin, pour payer ses études à l’Ecole normale puis à l’Université de Fribourg, où il étudie la sociologie et l’histoire. Les weekends, il défile dans des soirées. «Ça m’a permis de mettre du beurre dans les épinards...» Aujourd’hui, Junior Manizao est avant tout un enseignant passionné, à Estavayer-le-Lac (FR). En cours, il a imposé une règle: on ne parle pas de sa musique qui est diffusée à la radio, ou lorsqu’il passe à la télévision. «Quand je me réveille le matin, je suis prof. J’adore mon métier

l’important, c’est de se relever après la chute. Mon histoire en est la preuve», insiste-t-il. Un des titres de l’album, Ma Suisse, a une longue histoire: lors d’un défilé à Huttwil (BE), le jeune homme est hué par des néonazis. Révolté, il écrit alors un texte engagé sur le pays dont il rêve, une terre d’accueil. Florilège: «Croix blanche sur fond rouge elle m’a tendu les bras / elle a fait de moi ce que je suis là / un de ses fils sans se limiter à ma différence / car elle a compris que sa force est dans la tolérance...»

Des mythes, mais pas de Dieu Pendentif fétiche: pour Junior Manizao, il existe une clé pour chaque problème.

et me consacre à 100% à mes élèves.» Ce n’est qu’en rentrant le soir, chez lui, qu’il fait de la musique, «j’écris, j’essaie de visualiser les prochains concerts: comment entrer sur scène, comment modifier un morceau pour qu’il ne soit pas simplement un copier-coller de l’album.»

Il ne fait pas de rap avec ses élèves Hyperactif, il avoue avoir besoin de cette adrénaline et tomber malade lorsqu’il a des vacances. Dans ses rares moments de détente, il file rendre visite à son amie zurichoise. Et si vraiment il lui reste du temps, il se «défonce quelques heures» avec sa console de jeu. L’album, intitulé Icarus, débarque début février dans les bacs. «Je

n’ai pas voulu le sortir immédiatement après l’élection de Mister Suisse. Je ne voulais pas être perçu comme un mister de plus qui se reconvertit dans la musique, car elle était là bien avant. J’ai pris du recul. Mais les gens ne m’ont pas oublié, ils me reconnaissent parfois dans la rue.» Sa biographie, parue en allemand fin 2006, a été écoulée à 4000 exemplaires, ce qui l’a aidé à surfer sur la célébrité post-élection. Les textes tournent autour de sa vision de la vie, des gens, de la Suisse. «C’est un album de recherche d’amour, il n’est ni sombre ni violent, comme souvent dans le milieu du rap. J’ai choisi Icarus pour sa symbolique: je vole au-dessus du monde et l’observe alors qu’il est en train de se casser la figure. Mon but est de redonner de l’espoir. Car

Magister, Icarus... Junior Manizao baigne dans les symboles. Il le reconnaît d’ailleurs. Les légendes permettent de véhiculer des messages. «Mais je ne suis pas chrétien. Je ne veux pas qu’on m’impose une manière de penser. J’aime imaginer qu’il y a quelque chose au-dessus de moi, sans lui donner un nom.» Watermelon, sa maison de disques, prévoit un destin européen à son album, qui devrait sortir en France, en Belgique, voire au Canada. Dans dix ans, il s’imagine chanteur à 100%. «J’aurais plein d’enfants. Et j’aimerais aussi animer des ateliers d’écriture. J’espère que Junior s’effacera derrière Magister et que le public ne m’appellera que par mon nom d’artiste.»

Mélanie Haab Photos Joëlle Neuenschwander

www.myspace.com/magister «Ein Mann weint nicht», Gabrielle Baumannvon Arx, Edition Wörterseh (pas encore traduit en français).


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