LB n°39-40-41 : Apparaître

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L’illusion en scène Pour revenir au sujet, ce qu'il me tenait à cœur de traiter, ce soir, au coin du feu, emmitouflé dans mon plaid écru Maisons du Monde, verveine du jardin de mamie d’une main, et plume d’hirondelle cendrée de l’autre (oui j’écris à la plume, #tuvasfairequoi? ) tout ceci, c’est l’illusion théâtrale. Le procédé par lequel l’artiste, aussi bien dramaturge qu’acteur, nous emporte au loin. Comme une incantation, un pendule se balançant, trois coups sur la planche suffisent à endormir notre conscience au profit de l’invraisemblable mise en scène. Le théâtre use de notre désir de poésie, pour nous faire croire que des hommes déguisés à l’ancienne et faisant rimer les verbes sont des bourgeois humanistes ou des princesses troyennes captives. Nous sommes pris au piège, lorsque nous ne voyons plus des professionnels s’agiter sur des planches peintes, mais des héros de la littérature joutant avec des mots. Parce que l’illusion théâtrale admet ce changement de dimension, cet écart marqué par le rideau rouge. Comment concevoir que nous assistions aux scènes d’intimité d’une famille ayant vécu en 1933 ? Pourquoi sommes-nous effrayés par ce discours d’apologie d’une doctrine montante et prenant le pouvoir, lorsqu’on sait qu’elle trouva sa fin dans un bunker ? Pourquoi pleurer en voyant Guillaume Gallienne enterré ? C’est bien parce que nous nous trouvons entre deux dimensions : le réel et la fiction. Le réel, au théâtre, c’est le moment où au bout d’1h30, tu commences à trouver le temps long et observer les visages attentifs des plus résistants, ou que tu apprécies le professionnalisme des larmes de la jeune étoile montante. La fiction, au théâtre, c’est ce laps de temps durant lequel tu épies par le trou de la serrure, une scène à laquelle tu n’aurais jamais dû assister, c’est le moment où tu ne réalises plus que tu es assis dans le centre parisien en 2016, mais que tu participes, de loin certes, à une danse enivrée dans une taverne bavaroise avec des SS (#pourlamourdelabière). L’illusion théâtrale fonctionne aussi dans l’autre sens, pour les acteurs. Il s’agit de la capacité de détacher sa personnalité, son identité, au profit de celle d’un autre, de lui prêter son corps. L’acteur fait abstraction de lui-même lorsqu’il récite son texte ou qu’il poignarde un personnage. Ce ne sont pas Sébastien Baulain et Denis Podalydès qui font le signe de salut nazi, ni qui jouent à hélicobite et se roulent dans la bière (si ce sont eux, mais faites un effort s’il vous plait…), ce sont leurs personnages. Il ne sert à rien, par la même occasion, de s’offusquer lorsqu’un homme portant le brassard nazi arrive sur scène ; il n’a pas plus envie que moi de le porter. Ce n’est pas lui qui le porte, c’est son personnage. Et quand bien même son personnage est nazi, il est vain de l’attaquer, puisqu’il retourne à l’état de costume, une fois le rideau descendu. Je sors à l’instant du théâtre de la Comédie Française, temple du sommet dédié à Molière et écrin de la culture et de la littérature française. Ce soir, se jouaient Les Damnés adaptés de Visconti, mis en scène par Ivo van Hove (merci pôle culture BDE) ; l’histoire d’une famille d’industriels allemands piégés par leur destin et leurs querelles au moment de la montée au pouvoir du nazisme, staring Guillaume Gallienne Ier Le Magnifique, Denis « le téméraire » Podalydès et bien d’autres jeunes (ou pas) talents. Il sera bien question de théâtre, ici, pour ceux qui l’auraient compris ; pour les autres, non je ne vais pas parler de mon admiration dévorante pour les sociétaires de la Comédie’, ni du déchirement coronarien non-cicatrisé causé par le départ de Pierre Niney, dont nous commémorerons les deux ans, ce mois-ci. [Ce moment où vous vous dites : « Son article commençait si bien… »].

L’illusion théâtrale a ce pouvoir de nous emporter dans une dimension aussi lointaine qu’imaginaire, comme de nous faire revenir aussi brusquement à nos réalités. C’est là l’intérêt de la tromperie : prendre du recul pour mieux comprendre notre monde, regarder ailleurs pour mieux se voir, ………………………………………………………………. (à ton tour, rentre ici une formule littéraire en commençant par un verbe à l’infinitif). Mais l’illusion théâtrale est une illusion littéraire comme une autre. Dès lors qu’un récit capte l’attention du lecteur, il est aisé de lui faire croire mille et une choses. Je suis, par exemple, en train d’écrire cet article à côté de ma grand-mère qui ouvre des huîtres, à Rochefort, en CharenteMaritime… et non je n’écris pas à la plume mais sur word sur mon HP (#JaiPasL’Temps).


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