LB n°39-40-41 : Apparaître

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Le film commençait, comme n’importe quelle bouse télévisuelle du samedi après-midi, par un crash d’avion et l’arrivée d’un petit groupe de gens beaux sur une île déserte. Le sang, la peur, le bruit du réacteur! : «! Oh mon dieu nous sommes pris a u p i è g e! s u r c e t t e minuscule île du Pa c i f i q u e p l e i n e d e secrets! ! Comment faire pour ne pas copier tout le scénario de Lost!?!!». Bref, le pitch classique. Entre deux crises de sieste, le téléspectateur pouvait suivre les pérégrinations du méchant gars, du gentil gars, de la fille enceinte et de l’incapable, se demandant notamment s’il ne serait pas raisonnable de manger celui-ci. Une fois les banalités type Koh-Lanta passées (non le manioc ne pousse pas sans raison sur une île vraiment microscopique en plein milieu de la jungle),

l’histoire se concentrait sur cette jolie fille très aventureuse et téméraire qui explore l’île, et qui, il fallait y penser, finit par découvrir l’abri d’un sage japonais de la Seconde Guerre mondiale qui a laissé un journal intime pour apprendre comment tirer à l’arc. Partant de là, elle devenait BarbieRambo-je-me-noue-lescheveux-avec-une-liane, et la victime de cette a b e r r a t i o n cinématographique pensait vraiment qu’il fallait changer de chaîne. Par défi peut-être, elle restait néanmoins à regarder la suite, et obser vait avec un effarement non d i s s i mu l é d es pirates/barons de la drogue débarquer sur cette île (du milieu du

Pacifique!!!!!) pour mettre tout ce petit monde au pas. ET LA, comme de juste, Barbie-Rambo sort de la jungle, équipée de son arc et de nouveaux vêtements tous propres, maquillée à tel point qu’on l’eût dit violée p a r u n

d’hommage à un ar t substantiellement voué à rester caché de tous! : rien n’est plus réussi qu’un maquillage qui se fait oublier. Le maquillag e n’ e s t p a s s e u l e m e n t destiné à créer des physiques atypiques, voire extrahumains. Il est avant tout un outil fondamental pour la cohérence du scénario. En effet, il serait difficile de se figurer un Jason Bourne ou un James Bond sortant d’une

explosion sans avoir ne serait-ce qu’une petite coupure ou un peu de suie sur leur front luisant de sueur. Aussi étonnant que cela puisse paraître, les acteurs ne sont pas (ou si rarement) blessés pendant les tournages. De même, au-delà des filtres parfois appliqués en postproduction sur le film, le maquillage permet de recréer une atmosphère, une sensation. Mad Max!: Fury Road est un cas d’école en matière de diversité de maquillage et donc de sensations. Si l’acteur Tom Hardy colle très bien au personnage de Max, mutique, bourru et rêche, le maquillag e sublime cet aspect «!taillé à l a s e r p e! » d u protagoniste, amplifiant les traits de son visage, jouant sur les ombres pour enfoncer d’avantage les yeux dans les orbites, salissant sa peau avec cette (factice) couche de poussière qui semble avoir recouvert la Terre. Furiosa quant à elle (incarnée par Charlize T h e r o n ) d e va i t ê t r e sublime, impressionnante, belle, intimidante, un

effet bien rendu par cette accentuation sur ses yeux clairs et perçants, par le biais de ce cambouis dont elle se barbouille le haut du visage. Comment être exhaustif, quand tous les personnages de ce film reçoivent un traitement personnalisé, destiné à personnifier les paradoxes de ce monde meurtri!? La Fo r ce, l a M a l a d i e, l’Innocence, la Beauté. Sacré enjeu s’il en est que la Beauté pour un make-up artist. S’il s’agit parfois de la cacher quand un acteur s’avère bien trop chaud pour un rôle – pour ne citer que lui, Tom Cruise dans Tonnerre sous les tropiques –, la réelle difficulté réside dans le challenge inverse!: comment rendre quelqu’un payé pour être canon encore plus attirant! ? Le fard à paupière pardi. La subtilité se cache, et notre réalisateur de téléfilm ne l’a visiblement pas compris, dans la nécessité de garder la main légère. Rien de mieux pour illustrer cette règle non négociable qu’un contre x e m p l e! : l e c h e f d ’ œ u v r e, q u e d i s -j e, l’anthologie Twilight.


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