LB n°39-40-41 : Apparaître

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Esthétique Esthétiquededel’effet l’effetspécial spécialraté raté ououl’illusion l’illusionqui quiseserevendique revendiquecomme commetelle telle Pour bien vous mettre dans l'esprit de l'article, j'en appelle à la culture pop enfouie en chaque élève de l'Ecole du Louvre que vous êtes : (pour un temps) oubliez Duchamp, oubliez Versailles, Fra Angelico, les céramiques du Néolithique et les figurines des déesses-mères. Regardez plutôt vers ces lointains pseudoblockbusters (et ceux que vos parents ont eu le malheur de vous présenter) dont vous espériez ne jamais avoir à vous ressouvenir. C'est bien là que nous irons chercher. Peutêtre, qui sait, qu'on vous fera quelques petites surprises (alors même que vous pensiez avoir fait le tour du sujet sur la question de « Harry Potter et ses amis sont les gentils tandis que Voldemort c'est le méchant »), et que vous vous précipiterez chez vous pour vous re-mater tous ces films aux relents pré-pubères pour lesquels vous rougiriez d'avouer une quelconque affection, et n'hésiterez pas à en parler autour de vous avec fierté (oui, Twilight c'est super -je pleure en écrivant ces mots, parce que, malgré tout, non, en fait). Rabaissons donc nos ambitions. On essaiera d'abord de mieux cerner ce qu'est un effet spécial : si lorsqu'on mentionne cette expression devant vous, de vagues images de Patronus VS détraqueurs (Harry Potter, naturellement) ou de Gollum (a.k.a l'acteur Andy Serkis filmé en motion capture) dans Le Seigneur des Anneaux, vous viennent à l'esprit , vous êtes juste quelqu'un de normal, rassurez-vous (ou quelqu'un comme moi). Mais bon, c'est plus large que ça quand même : un petit point Robert s'impose ! Les effets spéciaux correspondent plus largement aux « procédés cinématographiques consistant à effectuer des trucages sonores ou visuels ». Le tout, c'est donc de s'intéresser à ces « trucages » : il s'agit ici de nous tromper, humbles et crédules spectateurs que nous sommes, en présentant à notre perception ou à notre esprit une réalité impossible ou fantastique. Qui dit trucage, dit « truc » : derrière cet effet spécial qui agit tant sur notre perception et notre esprit, se cachent des stratagèmes. Comme je l'ai souligné auparavant, l'effet spécial renvoie directement à l'imaginaire collectif populaire, au divertissement qui recrée l'impossible et émerveille le spectateur : bref, il nous vend du rêve. Il est donc forcément relié aux

débuts du cinéma fictionnel qui, dès l'inventivité technique de Méliès, a le don de jouer avec le Réel. En posant un cadre et en délimitant l'action dans un espace particulier, on peut agir hors-champ et transformer ce qu'on nous donne pour réalité. C'est comme un trompe-l’œil : mais on nous présente ici le seul point de vue sous lequel on est pris au piège, on ne peut a priori pas le contourner (déso j'ai pas un éventail d'analogies très étendu). Je ne m'appesantis pas sur un historique des effets spéciaux au cinéma : les techniques sont variées, et leur évolution est tout à fait passionnante, mais j'ai préféré me centrer sur l'hommage suprême à la magie du cinéma, au « mauvais-goût » populaire des séries Z, bref, au charme de l'illusion pour elle-même. Les effets spéciaux un peu bancals antérieurs aux premières numérisations (King Kong, par exemple, en 1933), ont aisément dupé les spectateurs de l'époque, encore tout étonnés des capacités de création du 7e art. De nos jours, ils sont facilement repérés. Cela ne nous empêche pourtant pas de les aborder encore avec ce même plaisir un peu désuet. Des dizaines d'années après, le visionnage de ces films dont l'attraction principale fut un temps leur nouveauté dans la concrétisation d'un imaginaire, reste un plaisir. Il est aisé de distinguer le vrai du faux, mais on est irrémédiablement attiré par l'intention, la perspective d'une réalisation de l'impossible avec des moyens qui nous semblent accessibles. Nous, spectateurs nostalgiques, sommes fascinés par la fabrication de l'effet, le stratagème derrière le rendu impressionnant. J'ai donc préféré me concentrer sur ces effets de bric et de broc, qu'on trouve dans le cinéma de Michel Gondry, ou de Tim Burton, hommage à cette culture populaire qui est, ne l'oublions pas, l'une des composantes premières du cinéma, loisir culturel de masse tout au long de son histoire. Ce n'est pas pour dévaloriser les effets spéciaux numériques (ils sont très impressionnants, pas de souci sur la question, pour faire flipper, c'est vraiment top, je ne me remets toujours pas des détraqueurs), c'est juste que je me sens plus à l'aise avec ces petits trucages dont on sait qu'ils sont fabriqués par une main humaine,

car ils sont plus proches du cinéma que je côtoie pour citer Karl Lagerfeld, illustre penseur de notre temps, qui « côtoie » des idées et des œuvres au lieu de personnes -à prononcer avec un petit relent d'aristocratie siouplait). Michel Gondry d'abord, (parce que je l'aime beaucoup) est assez c o n n u pour ses trucages n o n numérisés, dotés d'une matérialité qui les rend d'autant p l u s attachants, et fait montre de l'ingéniosité de leur c o n c e p t e u r, tout à fait admirable. Prenons le générique de The We and the I : le bus dans lequel le reste du film va se dérouler est reconstruit ici en miniature à partir d'un vieux lecteur de cassette, petite réplique de l'original qui tâtonne sur la chaussée et diffuse sa propre musique enjouée et dérisoire (évidemment, s'il avait été recréé numériquement, aucun amusement n'en aurait découlé, ç'aurait été simplement inutile). Le fait que ce petit bus de rien du tout soit confronté à un environnement réel, la façon dont ils interagissent, voilà qui est intéressant. Les imperfections de la chaussée se muent pour lui en véritables gouffres. Il est important, ce petit bus : mine de rien, il en dit beaucoup sur la manière dont Gondry aborde le cinéma. Il suffit d'un peu d'intelligence pratique et de beaucoup de fantaisie pour parvenir à modifier notre perception du monde. Ça fait zizir.

Plusieurs cinéastes ont donc voulu rendre hommage à cette création non numérisée, imparfaite, enfantine par son approximation et sa spontanéité.

Notre cher copain Tim Burton (je pars du principe que tout le monde a vu au moins un film de lui, parce que Charlie et la Chocolaterie est sorti pile au bon moment pour que tous les membres de votre f a m i l l e t e n t e n t d'aller le v o i r , prétextant v o t r e jeune âge et q u e c'est « pour l e s

enfants » -vous l'aurez compris, c'est du vécu) est un grand fan de ces films de série Z. Il é v o q u e souvent son amour pour Vincent Price, mais son admiration pour Ed Wood et les m é d i o c r e s productions de science-fiction transparaît dans nombre de ses films. Mars Attacks est un large pastiche de ces films paranoïaques des années 50 (contexte de guerre froide, menace atomique, donc Dr. Folamour et autres réjouissances). On pourra ainsi s'attarder un long moment sur les effets cheap du film (les espèces de désintégrateurs des Martiens transforment votre corps en effet de synthèse drôlement moche, à savoir, un squelette rouge ou vert produisant une lumière tout aussi douteuse). Mais le symbole par excellence du détournement des films de science-fiction reste la soucoupe volante. O merveille que la soucoupe volante : son graphisme dans le Mars Attacks de 1996 aussi rudimentaire qu'une poterie du néolithique (oh non, un jugement de valeur !), son absence de consistance, de relief…


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