Dolores, une vie pour la liberté

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DOLORES

une vie pour la liberté Progreso Marin

L o ubatières


ISBN 978-2-86266-380-7 © Nouvelles Éditions Loubatières, 2002 4e édition, 2008 10 bis, boulevard de l’Europe – BP 27 31122 Portet-sur-Garonne cedex contact@loubatieres.fr www.loubatieres.fr


Progreso Marin

Dolores une vie pour la libertĂŠ

Loubatières



Ripoll, 1905, Catalogne espagnole, au confluent de deux rivières, le Ter et le Freser, crachote ses usines de textile et sa misère… Parmi toutes ces fourmis laborieuses, certaines décident dans leur vie de se tenir plus droites que d’autres… Dolores, une vie pour la liberté…



LA PRÉDICTION DE L’OISEAU



L’oule Il fait froid, en cet hiver 1912 et la nourriture est rare. Sur le maigre feu de bois, un feu de grand-mère, feu au bois arraché des bois, humide de la sueur du chemin ; ah ! la litanie de ces fagots qui gémissent maintenant dans l’âtre. Branches cassées, petites branches, brindilles, la panoplie du parfait allumeur de feux est venue sur les pierres du chemin. Sur ce filet de feu, une oule, vaste marmite en terre, pendue à la crémaillère, où mijote du poumon de bœuf. Eh oui! le beefsteak du pauvre crépite au fond du récipient en terre. La mère, malade depuis plus d’un an, gémit tout en surveillant la cuisson; elle est allongée sur le lit, à même la pièce, dans un coin. Parfois, le dos tourné, elle se recroqueville sur son ventre malade. Dolores a 6 ans ; elle sent son estomac crier famine. Ses frères, plus âgés, ont déjà piqué des morceaux de viande dans le pot. Dolores, poussée par la faim, s’enhardit ; trop petite pour atteindre l’oule, elle grimpe sur une chaise et là, pêche un beau morceau de poumon huilé. Elle l’avale goulûment, quel délice ! Avec la faim, tout est fumet et rôt ! Le manège se renouvelle plusieurs fois ; ses frères, maintenant qu’elle devient une rude concurrente, lui tapent sur les doigts pour lui faire lâcher prise. Tout ceci sans 9


bruit pour ne pas attirer l’attention de la mère. Dessins sans paroles. Au bout d’un moment, au prix d’un effort surhumain, la mère se lève pour touiller les morceaux. Là, depuis de longues minutes déjà, la terre du fond de la marmite cuit seule, il ne reste que des miettes du poumon et, sans jus, la belle oule rutilante lâche prise. Le cul se fendille, adieu poumon, huile et fondement de l’oule ! La mère reste là, l’anse à la main : « Si au moins vous me l’aviez dit, j’aurais sauvé la marmite… »

Les Rois Mages Tout le monde sait qu’en Espagne, le père Noël, ce sont les Rois Mages : Gaspard, Balthazar, Melchior. Ils arrivent par la route de Barcelone, la nuit tombante, à la lumière des lampions. La myrrhe, l’encens et une orange. Le père Noël des pauvres, une pauvre mais magnifique orange, « bleue comme la terre ». Une enfant de sept ans, au bras de sa mère, malade depuis quelque temps, finit les maigres emplettes de los Reyes. Une petite poupée pour sa sœur et pour elle, une orange. Au balcon, des cadeaux rutilants, des poupées splendides aux grands yeux noirs et aux joues roses, des tambours magnifiques, des jeux de quilles colorées, des bonbons, des chocolats à la liqueur, des papiers argentés pour emballer le tout… L’enfant, aux yeux curieux, questionne sa mère : « Pourquoi ceux-ci ont tout et nous si peu ? » La mère, d’une voix hésitante : 10


« C’est que nous habitons dans les combles et les Rois Mages n’ont pu arriver jusque-là. – Ce n’est pas logique, répond du tac au tac l’enfant, nous sommes plus près du ciel, nous devrions être servis les premiers. » La mère se tait, devant ces réponses implacables, sa ferveur de chrétienne doit tourner dans sa tête « les derniers seront les premiers ». L’enfant, devant ce silence, continue : « Ce n’est pas juste, eux, qui ont tout, tous les jours, sont encore mieux servis par les Rois Mages. » Comment est-ce possible ? Déjà dans sa tête, sa foi ébranlée par la non-réponse de la Vierge à la seule demande de la mère « donnez-moi la santé pour élever mes enfants ». L’enfant fait ses calculs, c’est un deuxième manquement grave. Pas de jouets aux pauvres, quel est ce Dieu si injuste ? Existe-t-il même ? Dans les yeux curieux de l’enfant commence à rouler la fureur qui ira s’amplifiant…

Poupée de chair Le mythe des Rois Mages, apportant la myrrhe, l’encens… a de la couleur dans cette région du monde. Illusions de sable chevauchées par tous ces enfants dans les nuits froides de janvier… Dolores a un coup au cœur ; une tête dépasse du drap dans le lit des parents ! Ses vœux sont-ils enfin exaucés ? Cette magnifique poupée, qu’elle convoite depuis 11


si longtemps est-elle là ? Pas de doute, la mise en scène des parents est réussie : ce visage aux couleurs fardées, au regard vif, avec des cils bien noirs et longs, c’est elle… Ces cheveux soyeux, qu’il fera bon promener sa main dans les boucles… C’est elle ! L’émotion monte dans son corps, plutôt réservé, le sang afflue à ses joues, un élan qui devient de plus en plus irrépressible… Finis les Noëls aux pelures d’orange, enfin un vrai Noël de roi, de celui qui fait le plus peur avec sa peau noire et exotique… Elle en pleurerait si c’était le genre de la maison, mais la vie dure a déjà séché ses larmes, taries à la source même. Dans le noir, sans électricité, il faut se battre, mais Dieu que cette poupée sera une bonne compagne… On partagera les repas, le poumon des animaux à la chair flasque, le faux chocolat qui n’est qu’un petit bout de pain, la côte d’orange de Noël… La dînette sera royale avec cette poupée au teint vermillon comme les futures stars du cinéma. À moi, la poupée ! Dolores n’en peut plus, toute retenue envolée, elle saute sur le lit des parents… Elle est là, elle va la prendre dans ses bras d’enfant, lorsque… oh stupeur ! un cri, un vrai, est sorti de la gorge de ce carton-pâte… Il y a erreur… tromperie sur la marchandise… erreur des Rois Mages… Ce n’est pas possible, le progrès n’est pas allé aussi vite… Ce n’est pas une poupée qui parle avant l’âge… La pincer pour savoir ! Comme une sauvageonne… elle découvre le drap, va empoigner le bras de la poupée, lorsque… C’est son bras qui est retenu fermement… Son père qui a compris, l’arrête… « Tu n’es pas contente d’avoir une petite sœur ? » 12


Tout s’écroule, le beau rêve de celluloïd s’envole sur les chameaux des Rois Mages… Le noir froid sous la bougie incertaine revient… Je voulais une poupée, une vraie… et non pas… une bouche de plus à nourrir ! Un rêve est passé, des larmes invisibles coulent sur les joues de Dolores. Eh non, les Rois Mages n’ont pas accompli de miracle !

La rivière Comme tous les vendredis depuis quelque temps, la misère est si noire, proche de la famine, que Dolores accompagne sa grand-mère maternelle mendier un plat de soupe et un quignon de pain dans une ferme à huit kilomètres de Ripoll. Sa grand-mère est aveugle et c’est elle, à 5 ans, le guide. Il faut deux bonnes heures de marche pour arriver à la ferme et là, toute honte bue, assises sur les marches du perron, elles avalent avec toute la retenue possible une assiette de soupe, réconfort après cette longue marche. Le quignon de pain, lui, reviendra à Ripoll dans la poche pour de futures maigres soupes ou pour jouer le rôle de garde-manger de secours. En effet, Clara, la sœur sourde et muette, les jette sous son lit, son garde-manger pour les mauvais jours. Ce vendredi-là, le temps est couvert et l’orage menace. Elles ont bien pressé le pas à l’aller, mais les nuages s’amoncellent et deviennent menaçants. La soupe avalée du coin de l’œil, l’autre étant fixé sur le ciel, elles repartent rapidement. L’enfant a beau exhorter grand13


mère à presser le pas, ses yeux ne lui permettent pas d’aller plus vite. Ce qui devait arriver, arriva. De grosses gouttes noires de malheur se mettent à tomber. En un instant, le chemin est un torrent, les pas sont de plus en plus difficiles et le pire est à venir. Comment traverser la rivière qui est à mi-chemin ? Elle gonfle si rapidement. L’enfant tire littéralement mère-grand ; la rivière gonfle, gonfle. Pas de pont, le passage s’effectue à gué, de pierres en pierres : elles sont pratiquement entièrement recouvertes. Vite, vite, sinon la route sera coupée et le danger d’être emportées, grand aussi. L’enfant saisit un bâton, le tend à la grand-mère, qui dans un effort surhumain, guidée par sa petite fille, saute, elle se reçoit à moitié, mais elle tient debout ; encore un effort, la rivière boueuse est là. Un autre saut, un équilibre précaire, mais un équilibre tout de même, l’enfant tire de toutes ses petites forces. Elles s’écroulent sur la rive, ouf ! Un gros tronc d’arbre dévale à toute vitesse, dévastant tout sur son passage ! Il était plus que temps. À petits pas de « noyées », la marche reprend, le croûton de pain mollit dans les poches, mais sauvées, comme Moïse !

Le pain (deux sous…) C’est l’époque des feuilles mortes, dans la lumière particulière de ces après-midi d’automne due à la descente du soleil dans le ciel et à ses reflets jaunes sur les feuilles mordorées qui jonchent le sol. Sur la route de 14


Barcelone à Ripoll, une enfant de 7 ans, un cabas à la main, traîne malgré tout son insouciance. Quel bonheur ! il y a des jours, des mois même qu’elle n’a pu aller chercher du pain avec de l’argent. Toujours à guetter la sortie des acheteurs, pour se retrouver seule face à la boulangère : « Un pain, s’il vous plaît, nous vous paierons à la fin du mois. » Ces mots débités rapidement, pour cacher la honte et éviter la venue d’autres clients. Le sourire las de la commerçante qui fait semblant d’y croire et donne le pain si convoité. Eh oui ! aujourd’hui, c’est bizarre, deux sous magiques tintent dans la poche, bien au chaud; deux petits bouts de métal mais si précieux. Alors, tout à sa joie, l’enfant a envie de les faire sauter dans sa main, de jongler, la griserie quoi ! Et hop ! ça y est, le métal s’élève mais la chute sera bien dure. La main a failli, les deux pièces escampées dans les feuilles mortes. Stupeur, recherche fébrile, ce n’est pas possible… pas possible ! Autant chercher une aiguille dans un tas de feuilles ! La lumière n’est plus aussi douce, les feuilles, un tapis de deuil. Le deuil de deux piécettes, passeport pour un pain qui aurait été acheté pour de bon… Les larmes montent… Il faut les avaler et préparer les mots rituels : « Un pain, s’il vous plaît… ».

Caroubes Le père était toujours attendu, les trois soirs qu’il rentrait à la maison. Ce n’était jamais avant 8 heures du 15


soir, plutôt 9 heures ou même plus tard. On était couche tôt par nécessité, car les bougies s’usent vite et coûtent cher. Il était cependant attendu le plus longtemps possible : les repas étant justes, il portait dans ses poches des garofas ou algarobas, fruits du caroubier, des gousses à pulpe sucrée qui étaient espérées avec délice. Il n’avait pas encore franchi la porte qu’il était assailli par ses quatre enfants présents à la maison, Juan, Pepet, Clara, la sourde et muette, et Dolores. Dans ses poches, Josep, le charretier, mettait les caroubes les plus amples, les plus appétissantes… ces mêmes caroubes qui encourageaient ses trois chevaux dans la dure montée du col de Tosses, longue de vingt-cinq kilomètres. De temps en temps, il glissait ces gousses dans la bouche des chevaux ce qui leur redonnait courage et force. Et ces mêmes gousses, dans la plaine, satisfaisaient l’appétit de ses enfants qui avaient encore faim. Une chanson de l’époque dit : Soy soldado de España Y en el cuartel Me dan paja y garofas Como a los animales.

Je suis soldat d’Espagne Et à la caserne On me donne de la paille et des caroubes Comme aux animaux.

Eh oui ! ces caroubes sucrées qui dopaient les chevaux, apaisaient aussi la faim des enfants. Cette scène se déroulait souvent le soir, à la lumière incertaine, car l’électricité ne pourra être installée que des années plus tard, lorsque Dolores fera ses 14 ans, en 1919.

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Le père Noël des chevaux descendait de la montagne, les poches remplies de caroubes bienfaisantes…

Un, deux, trois… lait avalé Maria, la mère de Dolores, se tord de douleur. Son ventre, son ventre… Ce n’est que bien plus tard, plus de vingt ans après sa mort, que Dolores saura la vérité : c’est un cancer qui va l’emporter bientôt. Pour l’instant, Dolores est chargée d’aller acheter un demi-litre de lait… Oui, c’est bien ça ! un demi-litre… pas une goutte de plus, finances obligent. Ah ! ce bon lait crémeux, la nata 1 dans ses bouteilles vertes qui encore, aujourd’hui, déclenchent le goût de lait à leur seule vue, chez tous ceux qui les ont connues. Dur, dur pour l’enfant de résister, à y porter ses lèvres. Bon, une petite gorgée, la dîme, la récompense des deux kilomètres effectués. Ce lait crémeux, avec son goût fort ! une drogue ! un air de revenez-y ! Comment lutter ? Mère en a besoin, cela va la guérir, au moins la nourrir pour tenir bon, face à la maladie. L’enfant culpabilisé, court comme Ulysse se bouchant les oreilles pour ne pas entendre, en courant la maison se rapproche! Un arrêt, le souffle coupé, une deuxième petite gorgée. Que c’est bon ! Dieu que c’est bon ! ce lait qui s’écoule lentement. Ah ! une idée comme en ont les enfants: « J’ai le droit d’en boire une gorgée tous les six platanes » se dit Dolores. Il faut vous dire qu’avant que l’urbanisation lépreuse ne s’empare de ce 1. Crème.

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beau lieu, la route de Barcelone était bordée de platanes magnifiques, ombreux à souhait. Et, pour que la halte survienne plus vite, l’enfant se met à courir. Le rythme est trouvé, une gorgée tous les six platanes. Seulement, cette route est longue ! Pourvu qu’il en reste, pense apeurée l’enfant. Ouf ! maison en vue, au bruit du lait brinquebalant dans la bouteille, il en reste ! Vite, auprès de la mère, un pieux mensonge aux lèvres : « J’ai tombé la bouteille, un peu de lait s’est renversé. » La mère sourit faiblement, avalant le doux mensonge. « Quelle chance que la bouteille en verre nait rien, après une telle chute, un miracle ! » Un fond de lait ballotte dans le joli verre et… un, deux, trois… lait avalé !

La sanquette Dolores va sur ses 7 ans. La mère toujours malade, il est dur de joindre les deux bouts. Aussi, lorsque l’un des ouvriers de l’abattoir lui dit de temps en temps : « Cette semaine, nous allons abattre des moutons, tu pourras venir acheter du poumon et des tripes, et si c’est possible, je te donnerai du sang pour la sanquette 2 ».

2. Sang que l’on mange frit.

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C’est la joie ! Ce n’est pas que ce spectacle du sang qui gicle soit ragoûtant, mais comme la faim chasse le loup du bois… elle oblige à surmonter ses dégoûts… Dans deux ou trois jours si tout va bien, ce sera la bombance du pauvre, des poumons qui cuiront dans des oules en terre, les tripes qui seront assaisonnées et la sanquette… La veille, il faut passer à l’abattoir, laisser le cabas et l’argent de ce qu’on va acheter. Parfois, ce sont de fausses joies car il y a trop de demande et les employés ne peuvent satisfaire tout le monde. Il faut repartir sans rien, avec simplement l’espoir d’en avoir la prochaine fois. Les cabas, alignés comme les moutons morts, avanceront dans la chaîne… Au suivant ! L’abattoir est près de la rivière Ter, vers le pont où passe la route d’Olot. C’est un grand bâtiment, bien construit, montrant par-là l’importance qu’il tient dans l’économie locale. Les bouchers y tuent eux-mêmes les bêtes achetées. L’édifice est propre grâce à l’eau de la rivière, mais une odeur caractéristique imprègne le sol. Les bêtes sont tuées dans une grande salle. Plus loin, se trouve un petit local, tout près de la rivière, tenu par une femme âgée qui distribue les abats dans les cabas. Dolores arrive dans la cour de l’établissement, elle est une des clientes les plus jeunes, aussi les employés sont un peu à ses petits soins. C’est jour de chance, elle a de la marchandise et en plus du sang comme promis ! L’enfant tourne la tête pour ne pas voir le spectacle du mouton égorgé, du gros couteau planté dans sa chair, 19


le sang d’un rouge noir coule maintenant dans un vase en terre. « Ôte-toi de là, nene 3. » Un des employés, apitoyé par son jeune âge se met à tourner le sang à sa place. L’homme lui évite le contact du sang gluant et chaud, quelque peu écœurant. Il faut tourner pour éviter des grumeaux, des caillots. Dolores tient ferme le récipient et dans sa tête, pour l’aider à tenir le coup, elle voit déjà le sang dans la poêle, se coaguler comme une omelette. Cela fera un fameux plat : la sanquette. Elle passe maintenant récupérer son cabas qui contient les tripes et du poumon. Ce sont des pratiques de ce genre qui ont aidé des générations à se nourrir. Rien ne se perdait, des circuits de distributions se créaient, y así anda la vida 4…

Premier serment (Mort de la mère)

Les invocations à la Vierge n’ont pas eu les effets escomptés ; dans la souffrance, sa mère est morte. Un cancer l’a emportée. Jep, le charretier, se trouve maintenant avec cinq enfants sur les bras, Dolores, à 8 ans, va devenir la maîtresse de maison. Dettes, poux…, mais tendresse enveloppent la mansarde des Torres, route de Barcelone, à Ripoll.

3. Petite. 4. Et ainsi va la vie.

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On s’affaire ; de bonnes âmes trouvent des habits de deuil. Cet empressement à trouver des solutions pour que les normes soient respectées et que le deuil soit honorable, trouble l’enfant qu’elle est encore pendant quelques heures. Pour la mort, pas pour la vie ; décidément, les adultes sont bizarres. Elle ne pleure pas, le cercueil est déposé dans l’incho 5. Dents serrées, poings fermés, Dolores marmonne : « Plus jamais, plus jamais, jamais plus la misère… ». La vie d’adulte s’ouvre devant elle.

Analphabète Dolores va sur ses 9 ans… Un dimanche, son père entre dans la cuisine ; elle tient un journal entre ses mains comme un lecteur ordinaire… Mais, oh surprise ! lorsque le père s’approche de plus près, le journal est à l’envers. La une qu’elle essaye de lire se trouve tournée dans le mauvais sens ! « Tu ne sais pas lire ! – Non, non, avoue-t-elle piteusement. – Qu’est ce que tu apprends chez les sœurs depuis que tu y vas ? – J’ai peur, j’ai peur… C’est tout ce qu’elle arrive à marmonner. – Il fallait me le dire auparavant. Je croyais bien faire, car on disait qu’elles enseignaient bien. Bon, la semaine prochaine, je me ferai remplacer le samedi et j’arriverai de Puigcerda avant pour pouvoir me rendre à la mairie et t’inscrire à l’école communale. » 5. Cimetière à la catalane

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DOLORES

une vie pour la liberté

En 1940, au camp d’hébergement de Magnac-Laval (Haute-Vienne) avec sa sœur Clara et Carlos, réfugié madrilène.

Dolores Prat, Eusebio Ariso et Alonso Ruiz au local de la Confederación Nacional del Trabajo, à Toulouse.

Energie d’un visage anonyme qui sort de la glaise… Dolores Prat. Née en 1905, maîtresse de maison à huit ans, syndicaliste à quatorze, nommée à un poste de responsabilité à la C.N.T. en 1936, exilée, militante mais aussi mère, grand-mère et arrière grand-mère aimante. De la Catalogne espagnole natale à Toulouse, la trajectoire d’une anonyme parmi d’autres, grandeur du Peuple… Une femme anarcho-syndicaliste dans la tourmente de la révolution et de la guerre d’Espagne, un des tournants du XXe siècle. Une vie forte, symbole de toutes ces femmes et de tous ces hommes qui ont œuvré, à en mourir, pour la Liberté. Progreso Marin, écrivain, est né à Toulouse de parents exilés républicains espagnols. Après la première édition de Dolores, une vie pour la liberté (2002), il publie en 2005, Exil : témoignages sur la guerre d’Espagne, les camps et la résistance au franquisme, et continue à donner la parole à ces oubliés de l’Histoire en 2008 grâce à Exilés espagnols, la mémoire à vif. Avec Violette Marcos, il a aussi écrit 1936 : luttes sociales dans le Midi, qui retrace cet immense mouvement social dans le Sud-Ouest. Il est également poète, un recueil, Écluse suivi de Buées, est paru en 2005 aux éditions N&B ; de nombreux poèmes inédits ont été publiés par les revues En Je et Encres Vives. ISBN 978-2-86266-380-7

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