Châteaux et forteresses du Midi

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Dominique Dieltiens

CHÂTEAUX ET FORTERESSES DU MIDI

HISTOIRE LOUBATIÈRES


ISBN 978-2-86266-654-9 © Nouvelles Éditions Loubatières, 2011 10 bis, boulevard de l’Europe, BP 50014 31122 Portet-sur-Garonne Cedex contact@loubatieres.fr www.loubatieres.fr


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LA FORTIFICATION du pRemIeR âge FéOdAL L’évolution du château définir un « château fort » n’est pas chose aisée. Chacun garde en mémoire les livres scolaires illustrés de vastes bâtisses hérissées de tours couronnant une hauteur isolée. déjà, les miniatures médiévales illustraient de forteresses assiégées les aventures des princes. Cette image guide encore le touriste, friand de preux chevaliers, de gentes dames en hennin et de gueux maniant la pique. Si le château fut parfois le cadre de violences, il était avant tout une résidence seigneuriale. À l’origine, il abritait le comte, ou le vice comte, chargé d’administrer les provinces. La décomposition du pouvoir central, en multipliant les détenteurs de l’autorité, multiplia châteaux et maisons fortes, symboles ostentatoires de la société féodale. plantés sur une hauteur naturelle ou artificielle, ils affirmaient la puissance du lignage : l’inscription dans le paysage, le type d’appareil, l’animation murale, les fenêtres, les archères, le crénelage, les armoiries etc., réservés à ces « happy few », sont précieux pour comprendre le bâtiment et pour le dater. La seconde fonction du château était de loger le seigneur et son entourage : il n’était parfois occupé que le temps d’une cérémonie, pour rappeler les droits du seigneur sur ses terres et ses gens. La vie itinérante des princes les animait quelques jours dans l’année entre deux déménagements. Cœur de la résidence, la « salle » seigneuriale, l’aula, et les espaces plus intimes, les camera, disposaient d’un confort assez sommaire selon nos critères modernes. La « vie de château » exigeait aussi des bâtiments pour les domestiques et les services sans lesquels il n’y avait pas de « noblesse » : écuries, étables, forge et logements s’entassaient dans une basse-cour aux odeurs « campagnardes ». Ces constructions légères ont souvent disparu, laissant en négatif des ancrages sur les murs et des trous de poteaux. Last but not least, le château revêtait un habillage militaire justifiant la fonction de son propriétaire. À l’exception des forteresses, le décor martial était souvent plus symbolique qu’efficace. Le fossé, la palissade en bois ou l’enceinte en pierre, la porte fortifiée, les flanquements et les meurtrières impressionnaient les « vassaux », dissuadaient les brigands, mais étaient… inefficaces contre une troupe décidée. Aussi convient-il de distinguer le château seigneurial de la « caserne » princière où une garnison réduite contrôlait le pays ou la frontière. 65


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Châteaux et forteresses du midi

C’est dans ces forteresses, en réponse aux progrès de la poliorcétique, que se développa l’art de la défense. La première grande phase de construction, absente de notre étude, remonte à l’Antiquité. Sous la Pax romana, les Romains avaient installé des fortins de surveillance, et chaque cité prétendait affirmer sa puissance et son rayonnement en s’entourant d’une enceinte. À partir du IIIe siècle, c’est pour se protéger des invasions que des murs furent rapidement élevés. Leur solidité et leur efficacité face aux moyens de l’attaque expliquent leur conservation jusqu’au moyen âge. pendant le « premier moyen âge », les moyens financiers de la plupart des nobiles ne leur permettaient pas de se lancer dans des constructions d’envergure : leurs modestes châteaux ont donc laissé peu de vestiges. Au XIIIe siècle, l’implantation de la dynastie capétienne dans le midi inaugura une nouvelle période de construction marquée de superbes monuments financés par la cassette royale. Autre grand moment, malgré la misère des temps, le milieu du XIVe siècle vit une concurrence de démesure et de luxe s’établir entre le roi, les princes, la papauté et les dignitaires d’église installés dans la « seconde Rome » que fut Avignon. par contre, le XVe siècle, marqué par la « crise du boulet métallique » et la diffusion de l’arme à feu, fut dans la région le temps de la reconstruction économique plutôt que celui de la fortification. Si les guerres de Religion du XVIe siècle justifièrent le renouvellement de la défense, l’appauvrissement général, l’absence de grands plans d’ensemble, l’urgence imposée par les troubles, le manque d’envergure financière des maîtres d’ouvrage interdirent de coûteuses constructions. enfin, la concession de places de sûreté aux protestants et le triomphe de l’absolutisme monarchique allaient entraîner la construction de forteresses bastionnées qui échappent à notre étude.

La persistance des bâtiments antiques malgré les invasions barbares, les raids arabes et la « libération » par Charles martel, le midi restait riche de constructions romaines. partout, surtout dans les nombreuses cités désormais épiscopales, les bâtiments antiques marquaient le paysage. Les formes et les techniques de l’Antiquité tardive se perpétuèrent dans les bâtiments religieux (abbatiale de Saint-Gilles, cathédrale de Saint-Paul-Trois-Châteaux, chapelles du Val des Nymphes à La Garde-Adhémar, de Saint-Gabriel près de Tarascon etc.). L’attrait pour le passé, et le souci de l’économie, justifiaient le remploi des pierres, des colonnes ou des chapiteaux aux endroits les plus sacrés des sanctuaires (base de l’abside de la cathédrale de Vaison). Il en fut de même dans l’architecture civile et militaire. Les enceintes antiques furent évidemment conservées. Celle 66


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LA FORTIFICATION du premier âge féodal

de Die (Dea Augusta Vocontorium), élevée au IIIe siècle avec de nombreux remplois, s’étire sur prés de 2 km ; l’épaisseur moyenne des murs (environ 4 m) et leur hauteur (8 à 9 m) assuraient une défense efficace. Les tours de flanquement, semi-circulaires, rectangulaires et polygonales, furent reprises ou construites au moyen âge et à l’époque moderne ; la porte orientale, ouverte entre deux tours semi-circulaires, utilisa un arc de triomphe. À Nîmes, dominée par la Tour magne, l’enceinte érigée en 16-15 av. J-C, était longue de 7 km et rythmée de tours circulaires, semi-circulaires et quadrangulaires ; la porte d’Auguste, percée de deux grandes arches charretières et de deux portes piétonnes, était encadrée de deux tours oblongues semi-circulaires. en partie conservée à l’est de la ville, l’enceinte d’Arles date du Ie siècle. elle s’ouvrait par la porte d’Auguste entre deux tours oblongues ; la tour polygonale des mourgues, initialement circulaire (diamètre d’environ 7,90 m), fut épaissie tardivement. d’autres cités moins célèbres possédaient aussi des remparts, comme Saint-Paul-Trois-Châteaux (Augusta Tricastorum) avec un mur épais d’1,60 m et long d’environ 2 750 m dont il reste un modeste tronçon. Les Romains avaient laissé d’autres monuments impressionnants. Le castrum arenae de Nîmes, formait au IXe siècle un quartier noble isolé par un fossé et un rempart flanqué de tours rondes. Les arcades avaient été murées et des tours, comme dans les arènes d’Arles, couronnaient l’ensemble. Le vicomte et les « chevaliers des Arènes » y élisaient domicile dans de nombreux stare percés de fenêtres géminées à colonnettes sculptées. en 1226, Louis VIII fera d’ailleurs des arènes une de ses forteresses royales en Languedoc. À Arles, les portes de la ville et la Tour magne (castrum Turris Magnae) étaient habitées par des lignages nobles ; la maison Carrée de Nîmes abritait en 1015 le riche chanoine pons. À Orange, le théâtre, avec son mur long de 103 m et haut de 36 m, abritait également un habitat. Au nord de la ville, l’arc de triomphe, aménagé de créneaux et d’un fossé, formait une petite forteresse, le fortalicium arcus ; en 1272, elle était aux mains des Hospitaliers. Les thermes abritaient un palais, la Tour gloriette, chanté par les troubadours dans le Charroi de Nîmes. À Aix le château des comtes de provence s’installa dans les vestiges du prétoire romain. Sur les hauteurs, à l’extérieur des cités, des temples furent aussi récupérés pour la défense. À Beaucaire (Ugernum), les ruines d’un temple (?) furent incluses dans le château bâti au milieu du XIe siècle. À Montélimar, sur le monteil, l’église Saint-michel du castrum des Adhémar englobe aussi des remplois antiques. Au-dessus de Saint-Paul-Trois-Châteaux, la chapelle Sainte-Juste, jadis appelée Tutela, est l’héritière d’un temple dédiée à la « Tutelle », statufiée sous les traits d’une femme coiffée d’un rempart. La position fut probablement fortifiée, puisqu’au XIIe siècle, l’évêque rappelait aux Adhémar qu’il était interdit… d’y construire une fortification.

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Châteaux et forteresses du midi

Les premiers châteaux (xe-xiie siècles) dans la région, les châteaux et les forteresses du « premier âge féodal » ne sont connus que par de rares pans de murs en remploi, et les fouilles, comme celles d’Albon, sont trop rares pour renseigner sur les castra antérieurs à l’arrivée des Capétiens. Ce constat surprendra les habitués des châteaux « du XIIe siècle », datation souvent appuyée sur la première mention du château, et non pas… sur les vestiges en place. À force d’être répétée et recopiée, cette datation fut admise par les maîtres en la matière, sans lesquels il n’y a ni carrière, ni publication possible… Notre étude des châteaux des Corbières se heurta à cet incontournable XIIe siècle, d’autant que, pour des raisons « régionalistes » et « touristiques », il fallait respecter les hauts lieux de « l’épopée cathare ». Hérétique, nous avions l’impudence, et l’imprudence, de contester la réalité des « châteaux cathares », même à montségur !, en rajeunissant, parfois de trois ou quatre siècles, des monuments « incontestablement du XIIe siècle ». par chance, sur les bords du Rhône, les passions et les susceptibilités sont moins exacerbées. Le « pays cathare » est loin, les malheurs du comte de Toulouse sont inconnus, et bien peu savent que les armes de la provence conservent le souvenir de la maison de Barcelone. même les Templiers ne font pas recette… L’indifférence à l’état civil de nos châteaux est donc générale. C’est pierre Toubert qui qualifia d’incastellamento le regroupement de l’habitat constaté en Latium au XIe siècle. depuis, l’« enchâtellement » et la multiplication des castra, furent vérifiés dans la plupart des régions et dans le sillon rhodanien (Mornas au début du IXe siècle, Lhers en 912, Fos en 923, Condorcet en 956, Oppède en 1008, etc.). La population, souvent disséminée en hameaux, se regroupa à l’ombre du château seigneurial : le désir de sécurité s’ajoutait à la volonté des maîtres de contrôler les hommes. Comme l’a montré Yann Codou pour la provence, l’attraction du castellum seigneurial ne doit pourtant pas faire oublier le rôle majeur joué par l’église dans la création des villages. L’habitat, groupé et fortifié sur une hauteur, existait cependant bien avant la création du castellum. Ces oppida (Oppède, Beaucaire, Buoux, le Rocher des doms à Avignon, Barry près de Bollène, Sampzon, Grospierres, etc.) furent alors occupés par les milites qui y construisirent leurs demeures qualifiées de domus ou staris ; ce cinctus superior, appelé dans le midi cap del castel, abritait souvent l’église villageoise. Le castellum resta parfois un bâtiment isolé, réservé aux milites, à l’écart des communautés villageoises (Dona Vierna en surplomb des gorges de l’Ardèche) ; celui-ci formait parfois un « village de chevaliers » dominé par les tours des différentes familles seigneuriales (Allègre). dans la vallée du Rhône, les îles furent également privilégiées pour des raisons défensives et économiques : la pêche, la traversée du fleuve, un péage assuraient 68


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LA FORTIFICATION du premier âge féodal

Le rocher de dona Vierna, dans la vallée de l’Ardèche, porte les ruines d’un castellum.

de confortables revenus (Lhers, Roquemaure, Vallabrègues, Pierrelatte, etc.). La toponymie éclaire souvent le choix du site. un endroit élevé était idéal pour la défense et… pour se montrer: de nombreuses « gardes » rappellent cette fonction essentielle (Lagarde-d’Apt, Lagarde-Paréol, La GardeAdhémar, etc.). Le mont, la roque ou cair, le puy ou poët, le berg furent privilégiés. Le rocher, parfois utilisé comme carrière après l’abandon du château (Lhers, Roquemaure, Beaucaire, Villeneuve-lès-Avignon, Pierrelatte, etc.), pouvait être large, à Pierrelatte, aiguë, à Rochegude, haut à Pierrelongue, ou impressionnant comme à Beaucaire. Il était sécurisant à Séguret ou à Montségur, puissant à Rochefort. Sa couleur tranchait parfois dans le paysage, comme à Rochemaure, où la roche noire, un dyke de basalte, domine le Rhône. À Roquebrune, détruits à la barre à mine, les rochers dominant toute la région portaient peut-être une fortification contrôlant la route de pont-Saint-esprit à Bagnols-sur-Cèze. L’appellation est plus poétique à Rochecolombe… Les qualités du site sont parfois précisées : la vue est dégagée à Miramas, à Mirabel, à Montmirail, à Belvezet ou à La Fare. par contre, les castra de Montclus, Vaucluse et Verclause, occupaient le fond d’une vallée fermée. La roche tendre facilitait le creusement de beaumes, d’abris troglodytiques, à La-Beaume-de-Transit ou à Beaumes-de-Venise. C’est parfois le maître des lieux qui imposa son nom, comme à Mondragon, à Châteaurenard ou à La Garde-Adhémar, même s’il était… une maîtresse, comme dame percipia au Poët-en-Percip, 69


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Châteaux et forteresses du midi

ou la légendaire Dona Vierna dans les gorges de l’Ardèche. La bâtie, la maison forte, évoque souvent son propriétaire, comme La Bâtie-desReynauds ou La Bâtie-Rolland. Le toponyme peut aussi apporter un indice chronologique sur le château qui peut être « neuf » ou « vieux ». depuis quelques années, les prospections et les photographies aériennes ont découvert de nombreuses mottes dans notre région. une motte, comme celles qui ornent la « tapisserie » de Bayeux, est un tertre bâti avec les matériaux récupérés lors du creusement du fossé périphérique. Cette motte, haute de plusieurs mètres, était couronnée d’une plate-forme portant la tour seigneuriale. entourée d’une palissade, elle était accessible par une passerelle enjambant le fossé. À son pied, une basse-cour, elle aussi défendue par un fossé et une palissade, abritait les bâtiments et espaces domestiques. Souvent arasée, la motte n’a conservé que son fossé. elles étaient nombreuses dans les plaines et les fonds de vallée pour surélever le castellum (La Motte, en Camargue, ou à Lamotte-du-Rhône). On les trouve aussi dans les zones montagneuses (La Motte-Chalençon en diois ou La Motte-d’Aigues en Luberon), confirmant ainsi leur fonction symbolique et ostentatoire. dans ce cas, la motte était formée d’un relief naturel, colline ou rocher, aux parois remodelées. peu conforme à l’appellation d’origine contrôlée, elles sont cependant considérées comme telle par… les archéologues et par ceux qui les aménagèrent. Le département de la drôme possède de nombreuses mottes, arasées, découronnées ou perturbées par la construction d’un château en pierre. michèle Bois estime qu’une motte occupait l’emplacement du donjon actuel du château des Adhémar à Montélimar, et que l’on trouvait trois mottes sur le site de Rochefort-en-Valdaine. L’une d’elles, un rocher aménagé au centre de l’enceinte, avec son fossé sec, était encore occupée par un bâtiment quand la tour actuelle fut construite sur son flanc oriental. datée du XIIIe siècle par Jean-michel poisson, la motte d’Albon, couronnée d’une tour en pierre, accentua le prestige du berceau de la lignée delphinale. À Montmiral, au nord-est de Romans, une autre motte porte une tour quadrangulaire contre laquelle s’appuyait un logis ; l’ensemble date de la charnière des XIIIe et XIVe siècles. À Ratières, la haute tour polygonale fut bâtie au XIVe siècle sur une motte large d’une quarantaine de mètres et haute d’environ 6 mètres. À Mercurol, près de Tournon, le village est dominé par une belle motte tronconique surmontée d’une tour circulaire bâtie en galets. Le château était souvent proche de l’église. parfois, par manque de place ou parce qu’elle était antérieure à l’habitat, l’église était extérieure au castrum (Valaurie, Balazuc, Rochegude, Vaucluse, etc.). dans la plupart des cas, la domination topographique du laïc sur le religieux est bien marquée (Roussas, Clansayes, Poët-Laval, Montélimar, Montségur, 70


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LA FORTIFICATION du premier âge féodal

Sabran, Rochecolombe, Les Assions, Uchaux, etc.) ; située à l’intérieur du quartier des milites, la chapelle était peut-être réservée au lignage seigneurial et à sa parentèle (Albon, Mornas, Rochefort-en-Valdaine, Chamaret, etc.). À Albon, les fouilles ont révélé une modeste chapelle à chevet plat de 12 m × 6 m, remontant « bien avant l’an mil » (J.-m. poisson) ; elle fut rénovée « à la fin du XIe ou au début du XIIe siècle » par l’allongement de la nef et la construction d’une abside carrée. La demeure chevaleresque type, en ville et dans les villages associait une tour et un logis à deux ou à trois niveaux. La turre était le cœur de la seigneurie et le symbole du ban, du pouvoir de commandement et des droits du lignage ; elle hérisse encore aujourd’hui nombre de villages, de castra abandonnés ou de reliefs isolés (Albon, Alençon, Vesc, Bézaudun, la tour de Pinet près de Vénasque, etc.). Lorsque la seigneurie était partagée entre différentes branches de la famille, plusieurs tours marquaient le pouvoir des co-seigneurs (Voguë, Sabran, Bouquet, Alègre, Saint-Laurent-des-Arbres, Pernes-les-Fontaines, Sauve, Montclus, Balazuc, La Garde-Adhémar, etc.). L’existence de co-seigneurs, les pariers, est restée dans le nom du village de Lagarde-Paréol. À l’image de la célèbre ville italienne de San geminiano, qui en compta jusqu’à soixante-douze, ou, plus proche, du castrum de pignan près de montpellier, les villes et les villages étaient hérissés de tours : à Avignon, ce sont trois cents tours, c’est-à-dire beaucoup !, qui auraient été détruites après le siège de 1226. écrêtées et englobées dans les constructions modernes, la plupart des tours conservées présentent un appareil de qualité et des chaînages soignés. Ces tours en pierre ne doivent pas faire oublier celles construites en bois, comme celle qui couronnait Albon au XIe siècle, celle que Raimond V édifia à Vaison en 1185, ou celle que le comte de Valentinois construisit à Crupies en 1276. en bois ou en pierre, sur une motte ou sur un rocher, la fonction de la tour était surtout ostentatoire ; rares sont celles équipées d’aménagements pour la défense active (tour du castrum de Mollans-sur-Ouvèze, tour de la collégiale de Bollène, tour de Pinet, proche de Vénasque, fortement restaurée, où des bases d’archères marquent la terrasse actuelle). parfois, comme à La Roque-d’Aps d’Alba, à Saint-Pons, à Réauville ou à Pierrelongue, elle se réduisait à une « bicoque » de quelques mètres carrés plantée sur un roc isolé. L’Ardèche conserve de nombreuses roca isolées qui peuvent illustrer l’état des castella du « premier moyen âge », malgré l’absence d’éléments de datation dans ces ruines informes. La petite arête rocheuse de Dona Vierna, dominant les gorges de l’Ardèche, porte les ruines d’une courtine bâtie en moellons grossiers et, sur une éminence rocheuse à l’extrémité de l’éperon, la base d’une petite tour quadrangulaire. près de Voguë, le village de Rochecolombe 71


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Borne, un château du « premier âge féodal » bien tardif.

est dominé par un château ruiné dans lequel sont conservées les banquettes taillées du petit donjon primitif. Ce castellum était isolé de la crête par un profond et étroit fossé. La plate-forme (environ 35 m × 12 m), entourée d’une enceinte, était divisée en petites terrasses aplanies, bases de bâtiments disparus. Au sommet, un fossé (large d’environ 1,30 m pour une profondeur maximale de 2 m) borde les banquettes (larges d’1,20 m) de la tour d’environ 3,50 m de côté. en contrebas, la chapelle castrale était dédiée à saint Barthélemy. Aux Assions, sur la rive gauche du Chassezac, le village abandonné de Cornillon était dominé par deux roca, celle de la famille locale des guiranier et celle de l’évêque de Viviers. La première porte encore les bases d’une tour quadrangulaire (environ 4,30 m × 4 m dans l’œuvre) bâtie en gros moellons (murs épais d’environ 1,40 m) en assises régulières. La terrasse supérieure était clôturée d’une enceinte dont subsistent quelques bases ; les ruines d’une belle citerne voûtée sont visibles au pied d’une seconde masse rocheuse qui portait peut-être la tour de l’évêque. en contrebas, une petite église est envahie par la végétation. L’ensemble est daté du XIIe siècle par p.-Y. Laffont. La qualité de l’appareil et la présence d’un puissant éperon (des flancs longs d’environ 4,60 m pour une épaisseur maximale de prés de 4 m) sur la face orientale de la tour face à la seconde roca incitent cependant à une datation qui ne saurait être antérieure à la fin du XIIIe siècle. un autre beau château « du premier âge féodal », même s’il n’est pas antérieur au XIIIe siècle !, est visible à Borne, 72


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à une trentaine de kilomètres à l’ouest d’Aubenas. Construite au droit d’un rocher, une petite tour (6,20 m × 4,90 m), accolée d’un logis, a conservé sa hauteur ; elle domine les ruines d’un ancien habitat installé sur un gué. dans le Luberon, le castrum d’Auribeau occupait une petite crête au sud-est d’Apt. La petite chapelle romane consacrée à saint pierre se compose d’une nef à deux travées et d’une abside en cul-de-four. elle est dominée, au sud, par une enceinte polygonale en moellons (épaisse d’environ 1,70 m) commandée par une tour quadrangulaire (environ 7,70 m × 7,30 m) bâtie en assises régulières de moellons. Les murs de la tour (épais de 2 m à 2,30 m) limitent un espace de 3,70 m × 2,75 m, anciennement planchéié. L’accès se faisait de la cour par une porte surélevée en plein cintre. La destruction des parties hautes, le comblement partiel de la tour et la restauration des chaînages et de la porte contrarient une tentative de datation. Sur la rive droite du Rhône, le castrum de Vénéjean appartenait à l’évêque d’uzès ; il était tenu en fief par le comte de Toulouse. Le roi de France le confia à pierre de Béziers à la fin du XIIIe siècle. dégagée en 1987, la base d’une tour quadrangulaire (8,20 m × 6,60 m) aux murs (épais d’1,40 m à 1,50 m) bâtis en moellons jouxte la petite église consacrée à saint Jean Baptiste. L’enfouissement de la base de la tour et la mention d’une motte sur l’ancien plan cadastral laissent supposer que cette turre était emmottée (C. maigret). La faible hauteur du niveau conservé, probablement réservé au stockage, ne fournit pas d’élément de datation. Sur la rive gauche du Rhône, près de Châteauneuf du Rhône, le castrum de Rac conserve une petite église romane très remaniée au pied d’une « motte » portant la base d’une tour (environ 8 m de côté) aux murs (épais de 2 m) bâtis en moellons grossiers. À La Garde-Adhémar, au sud de l’église, la partie basse d’une tour rectangulaire (environ 9 m × 6 m) bâtie en petits moellons, pourrait être celle du castrum mentionné pour la première fois en 1119 (Y. esquieu). mieux conservée, la tour du château de l’empéri à Salon forme un rectangle (6,80 m × 6 m) aux murs (épais d’environ 1,40 m) bâtis en petits moellons ; elle fut rattachée par une salle à la chapelle Sainte-Catherine. Cette tour existait-elle au XIIe siècle lorsque les Baux vendirent le château à l’archevêque ? Fut-elle construite par l’archevêque Hugues II en 1219-1220 ? Les restaurations empêchent toute certitude sur la tour primitive ; accessible par une petite porte, le second niveau, voûté en berceau brisé, inciterait à la seconde hypothèse. plusieurs tours hérissaient également la ville de Pont-Saint-Esprit au XIIe siècle. La base d’une « vieille tour » et « une grosse tour carrée dont les murs avaient quatre pieds d’épaisseur » sont indiquées sans localisation. Alain girard y signale quatre tours romanes dont deux furent à l’origine de la « maison des Chevaliers » élevée dans le premier tiers du XIIIe siècle ; une cinquième tour, conservée sur 17 m de hauteur fut intégrée à la demeure 73


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au XIVe siècle. une autre tour, bâtie par Raimond VI en 1202 à côté de son palatium, complétait le paysage monumental. Le quartier canonial de Viviers, primitivement clôturé par une palissade en bois, présente une tour porte assimilable à une tour seigneuriale. datée de la fin du XIe siècle (Y. esquieu), cette tour (9,60 m × 9, 25 m) est bâtie en moellons et en petit et moyen appareil ; les murs sont animés d’arcatures lombardes et d’un cordon d’engrenage. elle se composait primitivement de deux niveaux. Le premier formait un sas couvert d’un plancher. une étroite vis d’escalier, reprise au XVIIe siècle, montait à l’étage occupé par une chapelle sous coupole consacrée à saint michel. Sa fonction ostentatoire, et probablement liturgique, ainsi que la richesse du chapitre de Viviers expliquent que cette tour ait été beaucoup plus sophistiquée que celles des castra alentours. Comparables à celles des Corbières, ces tours seigneuriales « primitives » sont donc bâties en moellons, parfois chaînées en moyen appareil lisse. Le niveau bas, aéré plutôt qu’éclairé, était réservé au stockage. L’accès s’effectuait à l’étage par une porte étroite aménagée sous un arc en plein cintre. Les étages étaient séparés par des planchers aux poutres ancrées dans des boulins ou portées par des corbeaux. La défense se limitait à l’épaisseur des murs et à la surélévation de la porte ; la terrasse sommitale, si elle existait, pouvait porter quelques archers et servir au guet. Lorsque l’ennemi avait forcé les défenses avancées, l’incendie de la toiture ou… un peu de patience suffisaient à obtenir la reddition du « donjon ». exiguë et sans confort, la tour pouvait tout au plus préserver les biens du lignage du brigandage. par sa fonction ostentatoire, en arborant la bannière du seigneur, elle était cependant au cœur de la société féodale. Associé à la tour, un logis sur plusieurs niveaux, abritait la vie quotidienne. Ces bâtiments étaient bâtis dans différents matériaux ; seuls ceux en pierre ont évidemment traversé les siècles. On en retrouve de beaux exemples dans les châteaux, mais aussi en ville entre les mains de chevaliers ou de notables (moissac, Figeac, Cluny, etc.), du XIIe au XIVe siècle. généralement, le premier niveau servait au stockage, ou au commerce en ville, on trouvait au second niveau la salle de réception, ou aula, ouverte par une porte et de larges baies ostentatoires, et le troisième niveau était réservé à des espaces plus intimes, ou camerae. L’accès aux logements se faisait le plus souvent au second niveau, sauf en ville où un escalier droit montait de la rue à l’étage. Les fouilles au pied de la motte d’Albon ont exhumé le « palais » des guigues du début du XIIe siècle. Il se composait d’une grande salle (environ 23 m × 9 m), et d’une camera (9 m × 5 m) bâties en molasse et galets sur deux niveaux. Le « palais » des Adhémar à Montélimar, miraculeusement conservé mais très remanié, était situé, selon michèle Bois, au pied d’une motte portant 74


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LA FORTIFICATION du premier âge féodal

une tour. Il se composait à l’origine d’un vaste bâtiment rectangulaire (20,50 m × 9,50 m) auquel fut accolé, au nord-ouest, un avant-corps perpendiculaire. Le corps principal, haut de trois niveaux, est constitué de murs (1,20 m d’épaisseur) parementés de petites assises en calcaire blanc et chaînés aux angles en moyen appareil soigné. Accessible de l’étage, le rez-dechaussée, réservé au stockage, était couvert initialement d’un plancher. L’étage s’ouvrait par une petite porte barrée (1,35 m de large) sous un linteau à tympan soulagé par un arc en plein cintre aux claveaux bicolores. La salle était couverte d’un plancher et divisée par des cloisons légères. L’éclairage était assuré à l’est par une petite fenêtre à double ébrasement ; à l’ouest, deux vastes croisées à bancs ont remplacé les jours primitifs. Le troisième niveau, couvert d’un plafond, s’ouvre à l’ouest par quatre baies jumelées. L’avantcorps, construit peu après, était constitué d’un rez-de-chaussée fermé, et la nouvelle porte du « palais », disparue, s’ouvrait à l’étage. Sous plancher, le second niveau était bordé de murs latéraux soulagés par des arcs de décharge. Au troisième niveau, les baies, percées au sud et à l’ouest, complétaient la claire-voie de l’aula, sur laquelle la salle s’ouvrait par une porte sous linteau et tympan. Les encoches sur les murs nord et sud indiquent une toiture sur charpente. Cet ensemble exceptionnel est habituellement daté du troisième quart du XIIe siècle (m. Bois) ; sans vraiment convaincre… Les enceintes collectives n’ont pas laissé plus de vestiges que les châteaux. Les fortifications incontestablement antérieures au XIIIe siècle sont en effet… d’époque romaine (Arles, Die, et plus loin Nîmes, Carcassonne) ! pourtant, les villes et même les villages d’une certaine importance étaient protégés par des murs. Le terme castrum, distinct de villa, témoigne d’ailleurs de l’existence d’une enceinte collective. elles furent souvent démolies à l’occasion d’un siège, démantelées par l’autorité supérieure après une rébellion, détruites pour répondre à l’extension de la ville ou… s’écroulèrent au cours des temps. Ces enceintes n’ont souvent laissé que leur tracé dans le réseau viaire (Carpentras, Avignon, Aix, etc.) et il faut rester prudent dans la datation des vestiges en place. Ainsi, à Saint-Paul-Trois-Châteaux l’enceinte « médiévale » date pour l’essentiel de… la charnière des XVIe et XVIIe siècles. À l’époque médiévale, cette petite cité, comme beaucoup d’autres, se divisait en plusieurs quartiers dotés chacun de son enceinte : le quartier épiscopal, la clôture du quartier canonial, le quartier Saint-Jean et des faubourgs; au centre, l’actuelle place du marché marquait le cœur de la ville. Il ne reste de ces murs médiévaux qu’un tronçon en moyen appareil soigné en contrebas du château épiscopal. Les enceintes collectives variaient selon la richesse des communautés. un fossé, une levée de terre, une palissade et des portes en bois protégeaient les villages modestes et les petites villes. Les seigneurs les plus puissants 75


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devaient mettre un point d’honneur à copier les enceintes antiques, avec un mur de pierre flanqué de tours portes. de nombreux historiens imaginent une solution « utilitaire » consistant en maisons jointives à la périphérie de la ville pour disposer, à peu de frais, d’une enceinte collective. Cette hypothèse s’appuie sur des descriptions d’époque moderne ou sur l’état actuel de nombreuses enceintes sur lesquelles s’appuient les maisons. une telle enceinte, interdisant la libre circulation sur le mur, aurait rendu inefficace une défense compartimentée maison par maison. d’ailleurs, en temps de paix, les règlements rappelaient régulièrement l’interdiction de bâtir des maisons contre l’enceinte. Les maisons adossées à l’enceinte, le percement de fenêtres ou de portes sur la campagne sont une dérive récente, lorsque l’enceinte avait perdu sa fonction défensive. Ainsi, comme dans les Corbières, rares sont donc les vestiges pouvant prétendre à une datation antérieure au XIIIe siècle. Le fameux « XIIe siècle » a laissé peu de témoins « incontestables », et même les plus beaux fleurons ne sont pas exempts d’un rajeunissement radical (Montélimar). Cette rareté s‘explique naturellement par la fragilité des monuments bâtis à cette époque et par les aléas historiques.

Les châteaux du début du XIIIe siècle Avec la croissance économique des XIe et XIIe siècles, la construction en pierre, jugée plus prestigieuse, se développa. Le maçon prenait de plus en plus le pas sur le charpentier. Cette évolution, habituellement retenue, doit cependant être nuancée : le bois conservait toute son importance. Cependant, comme le montrent de nombreuses églises romanes, le bel appareil réglé concurrençait avantageusement les parements en moellons toujours utilisés. À cause du coût et de la difficulté des transports, la pierre était tirée du site ou d’une carrière proche. La proximité du Rhône facilitait parfois l’importation de pierres lointaines. montés en moellons, plus rarement en moyen appareil, les murs valaient par leur épaisseur, par leurs assises régulières et par des chaînages soignés. un souci esthétique apparaît ici ou là avec des pierres colorées dans les claveaux et les assises. Les niveaux planchéiés étaient desservis par des échelles en bois. Les niveaux supérieurs étaient parfois percés de larges baies. Les premières tours voûtées semblent apparaître à la charnière des XIIe et XIIIe siècles. Le voûtement assurait une meilleure résistance à l’incendie, et, comme dans les églises, une voûte peinte valorisait le propriétaire : on ne manquait d’ailleurs pas de signaler lorsque les actes étaient passés dans la salle voûtée du château. Le coût et les compétences nécessaires à leur construction réservaient cependant les voûtes aux seigneurs 76


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fortunés. en l’absence d’archives, ces éléments de « modernité » permettent de dater avec prudence quelques monuments de la première moitié du XIIIe siècle. « Au XIIIe siècle » (J.-m. poisson), la motte d’Albon fut érigée, et surmontée d’une tour bâtie en assises régulières de moellons de molasse. de plan carré (7,30 m de côté), elle est composée de murs aux épaisseurs variables selon l’exposition au danger (1,95 m au nord-est, 1,80 m au nord-ouest, 1,60 m au sud-ouest, 1,45 m au sud-est). Le rez-de-chaussée, réservé au stockage, était couvert d’un plancher et éclairé par deux jours ébrasés aux linteaux soulagés par des quarts de rond. La porte ouvrait à l’étage au sudouest ; l’arc en plein cintre retombe directement sur le mur nord-ouest sans l’intermédiaire d’un piédroit ; le couloir mural, couvert d’un berceau, menait à la salle largement éclairée par une grande baie sous niche au sud-est. Le troisième niveau, sur plancher, s’ouvrait au nord par une large baie ébrasée encadrée d’une feuillure.

Albon, la tour érigée au XIIIe siècle sur une « motte ».

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À Roussas, deux tours dominaient l’ancien castrum. Celle proche de l’église consacrée à saint germain relevait de giraud Adhémar en 1229 ; elle est aujourd’hui occupée par un logement. La seconde, au sud-ouest, fut transformée en pigeonnier au XVIe siècle; elle est grossièrement carrée (8,15 m × 7,85 m), avec des murs (épais d’1,65 m) bâtis en moellons soigneusement chaînés en moyen appareil. Le rez-de-chaussée, couvert d’un plancher, était éclairé par une fente ébrasée sur les faces est et ouest. L’accès se faisait à l’étage par une porte percée au nord sous un arc en plein cintre aux longs claveaux soignés ; à l’est, une fenêtre est ouverte sous un tympan de pierre inscrit dans un arc en plein cintre. malgré son caractère frustre, l’absence d’éléments déterminants interdit une datation précise. près de montjoyer, la tour de Mont Lucé, possession de l’abbaye d’Aiguebelle en 1137, est une solide construction carrée (environ 7, 30 m de côté) dont les murs, bâtis en moellons, présentent des épaisseurs variables (1,80 m à l’ouest et au sud, 1,50 m à l’est, 1,40 m au nord). Le premier niveau, sous plancher, était probablement éclairé par un jour inscrit dans la brèche ouverte au sud. À l’étage, la porte s’ouvrait dans l’angle est de la face nord ; la retombée de l’arc en plein cintre se faisait sans piédroit sur le mur oriental. Cette salle était éclairée à l’est par un jour à double ébrasement. une reprise marque le sommet du second niveau : une voûte en berceau fut bâtie sur des cordons en quart-de-rond. La partie centrale de la voûte fut montée en pierre de tuf, plus légère que le moyen appareil calcaire. une trappe coupée d’une traverse permettait de hisser des charges. Le passage au troisième niveau se faisait par une petite porte ouvrant sur un escalier à vis aujourd’hui inaccessible. La partie basse, à rapprocher de la tour d’Albon, ne présente pas d’éléments de datation précis. La reprise, avec le voûtement, le jour à double ébrasement et les chaînages en bel appareil lisse, est probablement à attribuer au comte de provence propriétaire des lieux après 1280. La tour, aujourd’hui isolée, de l’ancien castrum Ratierii, sur la commune de Venterol au nord de Nyons, présente des analogies avec les précédentes. de plan rectangulaire (7,80 m × 6,80 m), avec des murs (épais d’environ 1,50 m) en moellons de grès et de calcaire où alternent les assises de pierres blanche et ocre, elle se composait de trois niveaux sur planchers ; la charpente de la toiture était soulagée par un arc diaphragme. des aménagements intérieurs, seuls demeurent, au second niveau, les vestiges d’un conduit d’évacuation d’eau (?) et les ancrages d’un escalier en bois montant au troisième niveau. des jours existaient probablement là où de grandes brèches s’ouvrent dans les murs est et ouest. Aucun élément ne permet de dater précisément cette tour relevant des montauban qui la confièrent, en 1283, aux Hospitaliers.

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Face sud du château de Vaison : la tour et les logis.

Le castrum de Vaison fut l’enjeu d’une lutte féroce entre le comte de Toulouse et l’évêque dans la seconde moitié du XIIe siècle. Après plusieurs tentatives malheureuses, Raimond V réussit à imposer sa tour dans le castrum Vasionis en 1193. Son successeur la livra en gage à l’évêque en 1209. élevée à l’extrémité de la crête portant l’ancien castrum, la tour présente un plan rectangulaire (9 m × 8 m) avec des murs (environ 2 m d’épaisseur) parementés en petits moellons et chaînés en moyen appareil lisse. L’accès se faisait à l’origine au second niveau par une porte étroite sous linteau, en liaison par une passerelle avec le chemin de ronde de l’enceinte. Le vantail était fermé par une double barre coulissante. La porte franchie, un étroit (environ 60 cm) escalier rampant dans les murs sud et ouest, débouchait au rez-de-chaussée par une porte sous linteau surélevée dans la lunette de la voûte. Cette salle basse (4,75 m × 3,75 m) est couverte d’un berceau légèrement brisé dont les bandeaux de cintrage en quart-de-rond courent sur les murs nord et sud. Les premières assises de la voûte sont parementées en petits moellons et la partie centrale est réalisée en blocage. une porte de plain-pied avec la cour fut ensuite ouverte sous un linteau soulagé par un arc de décharge. La porte du second niveau était suivie d’un escalier droit de quelques marches montant vers une porte (54 cm de large) sous linteau ouverte sur la salle. Cette pièce 79


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(5 m × 4,20 m) est voûtée d’un berceau brisé bâti en moyen appareil, et un bandeau en quart-de-rond marque les murs ouest et est. un jour ébrasé en plein cintre l’éclairait au sud. Au XVIe siècle, une large croisée fut aménagée à l’est et une porte fut percée au nord pour rejoindre le chemin de ronde. La voûte était percée d’une trappe au nord. dans l’angle nord-est, une échelle permettait d’atteindre une porte (55 cm de large) sous linteau; de là, un escalier rampant dans les murs sud et est débouchait sur la terrasse. Celle-ci, très remaniée, était bordée de hourds et une gargouille est conservée sur le mur oriental. Cette tour est habituellement attribuée à Raimond V à l’extrême fin du XIIe siècle. Cependant, les voûtes brisées, les escaliers muraux et les percements incitent à une datation dans la seconde moitié du XIIIe siècle. Au sud-ouest d’Anduze, le château de Fressac présente une tour qui relevait de l’Hôpital du puy. de plan carré (7 m de côté), ce monument parementé en moyen appareil lisse soigneusement chaîné, est formé de murs épais d’1,30 m. de plain-pied avec la cour, la belle porte ouverte au sud sous un linteau déchargé par un arc semble être une reprise. Le rez-de-chaussée, faiblement éclairé par des fentes ébrasées, était couvert d’un plancher. Le second niveau, voûté en plein cintre n’était pas plus lumineux. Les deux fentes ouvertes au sud dans une large baie ont peut-être remplacé la porte primitive. Accessible par un trou d’homme, le troisième niveau s’ouvrait au sud par une large baie sous linteau. Le sommet de la tour fut remanié et pourvu tardivement d’une bretèche. À La Garde-Adhémar, aujourd’hui dans une résidence privée, une tour dominait l’église au sommet du village. grossièrement rectangulaire (8,50 m × 5,60 m), elle est bâtie en moellons. elle se compose d’un haut rez-de-chaussée couvert d’une voûte en plein cintre soulagée par un arcdoubleau ; un trou d’homme, dans l’angle sud-ouest communiquait avec l’étage totalement remanié. perpendiculaire à la tour, quelques mètres à l’est, un logis (12,80 m × 6 m) présente des murs en moellons à l’épaisseur variant de 0,70 m à 0,90 m, suffisants pour soutenir un étage planchéié. propriété des Bénédictins de pont-Saint-esprit, le prieuré de SaintPierre-des-Sorts dominait un gué sur le Rhône. La petite chapelle (environ 7 m × 3 m) se compose d’une nef couverte d’un berceau et d’une abside en cul-de-four. À une dizaine de mètres, une tour rectangulaire (9 m × 7,50 m), parementée en moyen appareil lisse, est conservée sur deux niveaux. Les murs (épais d’environ 1,40 m) limitent un premier niveau couvert d’un berceau percé d’un trou d’homme ; une porte existait sur la face sud, face à la chapelle. L’étage, réduit à quelques assises, a conservé deux petites fentes de jour au sud. 80


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Sur la rive droite du Rhône, le Syndicat d’Initiative de Saint-Laurentdes-Arbres occupe la tour de Ripas qui appartenait à une branche de la famille de Sabran. Les murs (épais d’environ 0,90 m) de cette tour (9 m × 7,30 m) sont bâtis en moellons et chaînés en moyen appareil lisse. Le rez-de-chaussée, voûté en berceau, était accessible de l’étage par un trou d’homme. L’accès se faisait à l’étage, sur la face orientale, par une porte sous un linteau soulagé par un arc en plein cintre. un haut volume voûté en berceau était coupé en deux niveaux par un plancher. La voûte était percée d’une porte ouvrant sur un escalier montant à la terrasse remaniée tardivement. À quelques dizaines de mètres de là, la tour du « Château », reprise au XIVe siècle, présente un plan rectangulaire (9,40 m × 7,90 m). La partie basse, bâtie en moellons avec des chaînages d’angles en moyen appareil lisse, était primitivement planchéiée et accessible de l’étage. Non loin de là, la colline éponyme des Sabran est couronnée de quatre tours. La plus élevée (10,60 m × 7,30 m), réduite à la partie basse, est parementée en assises régulières de moellons. L’épaisseur des murs varie d’1,50 m à 1,20 m et à 0,90 m selon l’exposition au danger. un départ d’arc montre que le rez-de-chaussée était voûté. Le village ardéchois de Saint-Montan présente un « donjon » (11 m × 6 m) qui reprit une tour plus ancienne. entourée d’une chemise, cette tour, accessible au rez-de-chaussée, comportait deux étages sur planchers, et était couronnée d’une terrasse. À Pernes-les-Fontaines, très remaniée, la tour de l’Horloge (8,80 m × 7,80 m) se compose de murs en appareil lisse (épais d’1,40 m). La Tour Ferrande (7 m de côté avec des murs épais d’environ 95 cm) comportait trois niveaux bâtis en moellons séparés par des planchers. Au sud-ouest de Carpentras, la tour de Monteux (environ 7,60 m de côté) appartenait à la famille d’Agoult avant son acquisition par le neveu du pape Clément V en 1313. Bâtie en moellons, elle s’ouvrait au second niveau de la face sud par une porte étroite et n’était éclairée que par de rares fentes. Avant d’être surélevée à l’époque clémentine, la tour se terminait par une terrasse. Cette famille de tours présente donc des murs généralement bâtis en moellons, et renforcés de chaînages soignés. Les planchers sont présents, mais le voûtement existe dans plusieurs exemples. Les voûtes sont le plus souvent en plein cintre, et les berceaux légèrement brisés de Vaison font exception. La construction de voûtes obligeait à épaissir les murs (de 0,90 m à Saint-Laurent, jusqu’à 2 m à Vaison) et à se contenter de modestes fentes d’éclairage ébrasées. Le voûtement couvrait plusieurs niveaux (Vaison, SaintLaurent), couronnant parfois un haut niveau coupé de planchers (Fressac, Saint-Laurent). À Vaison, décidément original, l’alternance de l’axe des voûtes 81


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soulageait les murs. L’accès se faisait par une petite porte au second niveau ; elle était percée sous un arc en plein cintre ou sous un linteau soulagé par un arc de décharge. des escaliers en bois et des échelles communiquaient entre les salles planchéiées. À travers les voûtes, des trappes suffisaient à hisser les charges, mais des escaliers dans les murs et les voûtes assuraient la circulation ; leur accès surélevé obligeait de les coupler à des escaliers mobiles (Vaison, Saint-Laurent). Le couronnement primitif ayant généralement disparu, il est impossible de préciser le mode de couverture. des défenses actives étaient elles concentrées sur la terrasse, comme le montre le hourdage de Vaison ? Ces tours seigneuriales, dépourvues d’éléments de confort, présentaient donc un caractère surtout ostentatoire. elles hérissaient les castra et les villes, soulignant les logis chevaleresques, comme à Avignon où, en 1226, 300 (?) maisons et leurs tours furent détruites. en 1236, c’est un quartier seigneurial avec ses tours que le sénéchal Latinier détruisit pour faire place nette à la nouvelle forteresse. Les incertitudes du bâti et l’absence de documents d’archives empêchent de dater avec certitude ces monuments. Comme dans les Corbières, il semble cependant que rares sont les vestiges contemporains de la « grande guerre méridionale » du XIIe siècle ou de la lutte menée contre l’emprise capétienne. même la datation de la tour de Vaison prête à discussion ; rien ne peut assurer qu’elle est celle construite par Raimond V à la fin du XIIe siècle. de ces vestiges, il ressort que la plupart des castra valaient davantage par le site qu’ils occupaient que par l’appareil militaire déployé. Les grands seigneurs s’étaient solidement installés dans les anciennes cités romaines, occupant des édifices antiques souvent étrangers à la vocation militaire. dans les domaines ruraux, la roque ou la motte permettaient aux barons de dominer le commun, d’assurer et de s’assurer un minimum de sécurité. La fortification se limitait souvent à un fossé, à une levée de terre, ou à une enceinte en bois ou en pierre sèche. derrière cette illusoire protection, une tour, parfois en pierre, marquait la puissance du lignage. une aula et une camera abritaient les fonctions domestiques et « politiques ». de fragiles logis accueillaient le personnel et les services. À l’ombre de la tour, une modeste chapelle accueillait la vie spirituelle. en contrebas, les masures paysannes se groupaient derrière une pauvre enceinte collective. Il suffisait d’une troupe de milites déterminés pour réduire tout cela en cendre.

Les forteresses royales (XIIIe- XIVe siècles) L’irruption des Capétiens dans le sillon rhodanien fut à l’origine d’une révolution dans la construction militaire. La destruction de nombreux 82


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castra, évoquée par les chroniqueurs ou par les lamentations du comte de Valentinois, obligea à reconstruire de nombreux villages et châteaux. La liquidation des lignages hostiles aux nouveaux maîtres entraîna la démolition de leurs tours, symboles d’une puissance disparue. Les rescapés et les vainqueurs en bâtirent de nouvelles, adoptant les techniques et les modes au goût du jour. Ici, comme dans l’ensemble du Languedoc, les profiteurs de guerre, le roi, l’église, et leurs féaux, construisirent des forteresses et des châteaux pour s’enraciner dans une région instable et parfois hostile. Ce nouvel art de bâtir, qualifié de « gothique », était développé depuis plusieurs décennies dans le domaine royal et en Terre Sainte. Les techniques nouvelles, appliquées avec les énormes moyens de ces princes, bouleversèrent les habitudes locales. elles furent souvent mises en œuvre par des équipes de maîtres et d’ouvriers étrangers à la région ; de nombreux maîtres étaient probablement marqués par les innovations importées par les croisés. Cependant, l’influence du nord ne réussit pas à détruire les traditions les plus ancrées. Résistance à l’envahisseur? Habitudes de constructeurs peu enclins au changement ? Choix esthétiques témoignant d’une sensibilité régionale ? Comme dans l’architecture religieuse, le midi conserva ainsi certains « archaïsmes » dans la construction civile et militaire.

L’œuvre de Saint Louis L’implantation royale commença avec l’intervention de Louis VIII en 1226. Le « pèlerinage », descendu par la vallée du Rhône, après avoir longtemps piétiné devant les remparts d’Avignon, franchit le fleuve puis, par Beaucaire et Nîmes, vint échouer devant les murs de Toulouse. Cette prise de possession, avec la création des sénéchaussées de Beaucaire et de Carcassonne, ne fut pourtant pas marquée par de grands chantiers. La cavalcade fut rapide, et son succès tout de suite contesté par la mort prématurée du roi. dans l’immédiat, les destructions prirent le pas sur la construction. Ainsi, à Avignon, les remparts et de nombreuses maisons nobles furent détruits pour prix de la trahison de la ville. Avant de s’éloigner, le roi convint cependant avec l’abbé de Saint-André de relever les fortifications de son abbaye. de son côté, le sénéchal pélerin Latinier s’attelait à fortifier les relais principaux de la nouvelle autorité : les pierres de l’église Sainte-pâques furent utilisées pour renforcer le château de Beaucaire, celles de l’église SainteRoque servirent à restaurer le château de Sommières, les arènes de Nîmes suffirent à la garnison royale. La fortification s’intensifia quand le traité de 1229 légitima la présence royale jusque sur la rive gauche du fleuve. Le royaume de France retrouvait sa frontière sur le Rhône. Contrairement à celle des Corbières face à l’Aragon, cette frontière n’était pas menacée 83


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par des puissances hostiles ; l’empire était peu influent dans la région, la provence allait bientôt passer entre les mains d’une branche cadette de la famille royale, et la papauté s’implanta dans les anciens domaines toulousains de rive gauche. Néanmoins, au-delà des considérations militaires, il fallait montrer sa force et imposer sa présence. Le premier grand chantier fut utilitaire : la couronne voulait un grand port en méditerranée capable d’ouvrir le royaume sur le Levant et la Terre Sainte. en 1240, des terrains furent achetés à Aigues-Mortes ; en 1241 des charrois de pierres et de sable sont signalés ; en 1244, des maçons d’Arles étaient au travail. Alors que les quais et les chenaux sortaient de terre, une ville neuve, dotée d’une charte de privilèges, fut fondée en mai 1246. On ne Beaucaire : la tour circulaire pouvait implanter une tour royale à l’angle nord-ouest du château. avant de posséder tous les droits sur les lieux : en attendant, on se contenta de la vieille tour laissée par les Hospitaliers contre une rente annuelle de 25 livres (L. Nourrit). par une lettre de décembre 1246, le pape accorda à l’abbaye de psalmody l’autorisation de céder ses terres au roi ; en 1248, la transaction fut conclue contre « une terre de Condamine (que le roi) avait en terroir de Sommières ». C’est en plein chantier que le roi embarqua pour la Terre Sainte à l’été 1248. La voirie n’était pas encore terminée, et les habitants réclamaient une adduction d’eau et une chaussée pour relier la ville à la costière de Vauvert. un « château » existait-il sur le site ? un palatium, où le roi rédigea plusieurs lettres, est signalé au moment de l’embarquement. À l’évidence, il ne peut s’agir de la puissante tour de Constance, impossible à bâtir en quelques mois ! Le roi était probablement installé dans un bâtiment léger, sûrement une tente, qualifié de « palais » par le prestige de son occupant. La vieille tour des Hospitaliers 84


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était sans doute encore occupée par le châtelain royal nommé en 1249. La tour de Constance était-elle terminée en 1266 ? de sa terrasse s’effectuait la surveillance des navires astreints à payer une taxe d’un denier par livre transportée. Le décor gothique très élaboré témoignerait plutôt d’une finition sous le règne de philippe le Hardi. Quant à l’enceinte, le pape Clément IV la réclamait en 1266 pour assurer la protection des pèlerins; c’est philippe le Hardi, en 1272, qui décida de la construire. position stratégique sur le fleuve et capitale de la Sénéchaussée en 1226, Beaucaire était le pilier de la présence royale sur les bords du Rhône. Le chantier initié par le sénéchal Latinier avec les pierres de l’église Sainte-pâques devait être modeste ; il se limita probablement à restaurer le château raimondin mis à mal par la croisade. dix ans plus tard, le projet était plus vaste : on détruisit les demeures des milites établis sur le site. en sanctionnant des chevaliers félons, on faisait aussi place nette pour un chantier d’envergure. Les travaux furent peut-être retardés jusqu’au milieu du siècle, car c’est seulement en 1248 que le roi récupéra tous les droits sur la place. On commença par clôturer le sommet du site. Cette enceinte a conservé sa hauteur sur la face occidentale du château, et des fouilles l’ont en partie dégagée sur les autres faces. protégée par un fossé sec, la courtine était bâtie en moyen appareil lisse soigné. elle était flanquée de tours circulaires talutées percées d’archères droites. Les étages, voûtés de grosses ogives quadrangulaires, étaient couronnés d’une terrasse bordée d’un parapet crénelé et hourdé. Au nord, la porte principale, une entrée charretière large de 2 m et une porte piétonnière d’environ 0,90 m de largeur, était précédée de pont-levis. en 1242, le roi confisqua la moitié de Sommières appartenant à pierre Bermond de Sauve, compromis dans la folle révolte de Raimond VII. en 1248, la seconde moitié appartenant à Bernard de Sommières fut échangée contre le Caylar. Les lieux étaient cependant sous le contrôle du roi depuis 1226 puisque le sénéchal y entreprit des travaux avec les pierres de l’église Sainte-Roque ; en 1229, un viguier y est signalé. L’accord de 1248 avec l’abbaye de psalmody signale que la ville, avec ses remparts et ses fossés, était dominée par une turre. Cette tour est-elle la tour Bermonde du château actuel ? N’était-elle pas située dans l’énigmatique Villevieille dont le toponyme témoigne de l’antériorité au lieu de Sommières? Le castrum des Bermond n’était-il pas à Villevielle ? Comme le bâtiment restauré par pélerin Latinier en 1226 ? Toutes ces questions restent sans réponse. Au milieu du siècle, un châtelain royal est mentionné ; en 1261, un inventaire du mobilier montre une forteresse en état. Les caractères architecturaux de la tour Bermonde et de la forteresse actuelle cadrant mal avec une datation aussi précoce, cela confirmerait l’existence d’un premier château royal à Villevieille, site 85


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très remanié au XIVe siècle. Le pont sur le Vidourle ne pouvait laisser la couronne indifférente : c’est dans le quatrième quart du XIIIe siècle qu’une nouvelle forteresse royale aurait été élevée pour en assurer le contrôle. une autre réalisation de l’époque de Saint Louis est révélée par une descente… dans les égouts d’Avignon, Franck Rolland y a retrouvé les bases d’une partie de l’enceinte relevée entre 1230 et 1248. Cette enceinte, qui reprenait le tracé de celle détruite après le siège de 1226, fut démantelée en… 1251. Le rempart, fondé sur des pieux, était grossièrement bâti en arêtes de poisson composées de blocs de remploi mêlés à des galets. Il était flanqué de tours semi-circulaires percées d’archères droites. Les portes étaient percées entre deux tours. La difficulté de l’accès interdit cependant de distinguer la reconstruction du second quart du XIIIe siècle des vestiges conservés du XIIe siècle. Ainsi, le règne de Louis IX, obsédé par la Terre Sainte, fut sans doute davantage celui de l’implantation que de l’enracinement dans le midi. La couronne se contenta en Languedoc oriental de reprendre les châteaux des anciens maîtres pour accueillir les nouvelles autorités. À l’exception de la tour de Constance et de Beaucaire, les chantiers furent d’autant plus modestes que la défense de la Terre Sainte épuisait le trésor royal.

Les règnes de Philippe le Hardi et de Philippe le Bel Il faut attendre philippe le Hardi (1270-1285) et surtout philippe le Bel (1285-1314), pour que la couronne ouvre dans le midi de vastes chantiers. Ces constructions utilisent le plus souvent l’appareil à bossage, parfois mêlé à l’appareil lisse. Les ouvertures de tir se modernisent, avec l’élargissement du poste de tir et l’évolution de la base de la fente. des éléments de confort améliorent la vie quotidienne des garnisons. C’est en 1272 que Bocca Negra et le roi conclurent un contrat pour la fortification de la ville d’Aigues-Mortes, deux ans plus tard, le chantier fut interrompu par la mort du génois : les fondations d’une partie de l’enceinte étaient déjà sorties de terre. L’administration royale reprit les travaux après avoir dédommagé les héritiers. Le chantier, toujours en cours en 1289, fut relancé par le sénéchal de Beaucaire : il restait alors à construire 1580 cannes et 5 pans de rempart, et 1667 cannes et 6 pans de tours. en 1294, un procès pour malfaçon entraîna la réfection d’une partie de l’enceinte. en 1298, une tour surmontée d’un phare, la tour de Constance, est mentionnée. en 1302, la tour Carbonnière, gardée par deux sergents, était terminée. 86


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porte de l’enceinte d’Aigues-mortes : l’appareil lisse utilisé dans les parties hautes témoigne de la reprise du chantier après 1289.

La tour de Costance.

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Le plan « philippien », utilisé dans la France du nord sous le règne de philippe Auguste, était jusque-là inconnu dans le midi ; il devait rester un cas unique. Avec la tour de Constance, la tour maîtresse de plan circulaire, à l’image de celle du Louvre, faisait aussi son apparition en Languedoc oriental. Ce cylindre en moyen appareil lisse très soigné (22 m de diamètre, hauteur d’environ 30 m) est fondé sur pilotis. Les murs (épais de 6 m à la base), renforcés de puissants talus, plongeaient dans un fossé en eau qui l’isolait des bâtiments voisins et de l’enceinte. Les trois niveaux sont voûtés d’ogives et dotés des éléments nécessaires à une résidence prolongée (latrines, cheminées, four, puits). Les moyens de la défense ne furent pas négligés ; les deux portes surélevées étaient closes de vantaux et de herses, une passerelle assommoir enjambait le sas des portes ; au second niveau, une haute coursière murale, ouverte sur la salle par onze baies en arc brisé, assurait la surveillance ; au fond de larges ébrasements en arc brisé, de longues archères plongeantes défendaient les abords ; la terrasse sommitale, dominée par la tourelle du phare, était bordée d’un parapet percé de six archères. L’enceinte montre plusieurs campagnes de construction. Sous la direction de Boca Negra, le chantier ne devait pas avoir dépassé le stade des fondations. Après 1274, l’enceinte et les tours, ainsi que la tour avancée Carbonnière, se caractérisent par l’emploi systématique de la pierre à bossage. de longues archères à base triangulaire furent ouvertes au fond de hautes niches ; un plancher permettait d’établir un second tireur. Après 1289, le chantier fut terminé avec un parement en appareil lisse dans le couronnement de l’enceinte et les parties hautes des tours ; des meurtrières plus courtes furent percées dans des niches basses ; la sculpture des clefs et des chapiteaux des salles de garde fut systématique. Cette enceinte talutée présentait toutes les nouveautés de l’époque. Les murs et les merlons du parapet étaient percés d’archères à étrier. Les niches, couvertes d’un berceau en plein cintre ou brisé, parfois d’un linteau sur quarts de rond, étaient aménagées de coussièges. Accessible de la rue par de belles volées d’escalier, le sommet des murs était aménagé de hourds. La circulation sur le chemin de ronde était facilitée par des coursives au revers des ouvrages principaux. Les portes principales s’ouvraient entre deux tours semi-circulaires : un assommoir, une herse, un double vantail précédaient un sas, contrôlé par un assommoir et par deux archères de flanc, et fermé par une seconde herse et des vantaux. Les tours latérales, hautes de deux niveaux sous terrasse étaient voûtées d’ogives et percées d’archères ; l’étage était relié au chemin de ronde et à la chambre de manœuvre des défenses de la porte. des cheminées et des latrines assuraient le confort de la garde. des poternes, défendues par un assommoir, une herse, un double vantail et une bretèche perçaient des tours rectangulaires à deux niveaux couvertes d’une terrasse. 88


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des tours, semi-circulaires ou outrepassées, flanquaient les longues courtines, et des tours circulaires garantissaient les angles. La surveillance du pont d’Avignon était essentielle pour la couronne. en 1292, un paréage fut conclu avec l’abbé de Saint-André pour la création d’une ville neuve et d’une forteresse près du vieux port. de cette Forteresse du pont, il ne reste que la tour Philippe-le-Bel. Les travaux, bien avancés en 1302, étaient encore en cours en 1307, soulevant la colère des Avignonnais opposés à la construction d’une porte barrant l’accès au pont. La tour adopte un plan trapézoïdal d’environ 16 m × 13 m. elle est parementée en moyen appareil associant pierres lisses et bossages rustiques. Haute à l’origine de deux niveaux, elle est accolée d’une tourelle quadrangulaire contenant la vis de l’escalier. L’accès se faisait-il déjà au rez-de-chaussée par la petite porte défendue par un assommoir ? La porte actuelle fut reprise au XIVe siècle. une autre porte communiquait avec le rempart ; un passage au second niveau reliait la tour au logis du capitaine. Les deux niveaux sont voûtés de robustes croisées d’ogives aux clefs et consoles sculptées. des fenêtres à bancs et des cheminées murales facilitaient le logement. des archères à fente droite et à étrier assuraient la défense. une terrasse la couronnait-elle ? Les travaux furent-ils interrompus ? La tour fut surélevée au milieu du XIVe siècle pour lui donner davantage de commandement. Les vestiges du château de Roquemaure ont été révélés par les travaux de Chantal maigret. Cette forteresse, l’une des principales sur la rive droite du Rhône, et le rocher qui la portait, furent en effet détruits après la Révolution. L’île de la Roca Maura portait un château que Raimond VI livra à l’église en 1209, et que le roi confisqua en 1229. dominant le fleuve, le château royal se composait d’une vaste enceinte grossièrement triangulaire. Au sud et à l’est, des tours semi-circulaires flanquaient la muraille ; la porte s’ouvrait à l’angle sud-est au sommet d’une longue barbacane gravissant La tour philippe-le-Bel à Villeneuve-lès-Avignon.


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la pente. Au sud-ouest, une puissante tour ronde, haute de trois niveaux, dominait le fleuve. Au sommet du site, une tour carrée émergeait d’un ensemble de logis où se trouvait la chapelle. Sur son rocher inaccessible, cette guette carrée (6,75 m de côté) est parementée en moyen appareil mêlant, comme à la tour philippe-le-Bel, pierres lisses et bossages ; les murs (épais d’1,50 m) ont conservé leur hauteur (environ 17 m). Autre rescapée, à l’angle nord-ouest, une tour en u repose sur une haute base pleine talutée datable de la charnière des XIIIe et XIVe siècles par son parement en moyen appareil lisse mêlé de bossages rustiques ; par contre, la salle supérieure et son escalier furent bâtis en appareil lisse au milieu du XIVe siècle sur le modèle des tours du Fort Saint-André. en bordure du fleuve, un pan de courtine est percé de deux niveaux d’archères à étrier ; une bretèche en encorbellement servait peut-être de latrine. Non loin de là, une ville neuve fut mise en chantier, en 1293, sous la protection du château du port. Sur une petite île du Rhône face à Roquemaure, le château de L’Hers appartenait à l’évêque d’Avignon. Au nom de ses prétentions sur les deux rives du Rhône, le roi de France le contrôla jusqu’en 1362. propriété privée, le château de L’Hers présente une enceinte grossièrement quadrangulaire ceinturant la plate-forme sommitale. Bâtis en moyen appareil de grés et de molasse, les murs, d’une épaisseur moyenne entre 1,20 m et 1,40 m, sont chaînés aux angles de bossages rustiques à large liseré. La face occidentale, où s’ouvrait une poterne, est percée de six archères à la fente droite haute d’1,50 m ; l’encadrement intérieur, sous linteau, comportait une plongée aménagée sous un plafond à contremarches. La porte, surélevée, s’ouvrait sur la face sud. Les vestiges des piédroits indiquent l’absence de herse ; un sas long d’environ 4 m était clôturé par une seconde porte large de 0,95 m. Cette courtine, épaisse d’1,40 m, est percée de onze archères ; concentrées dans l’angle sud-est, d’étroites fenêtres de tir (1,15 m × 0,60 m) ouvrent sur un appui (0,40 m) et une plongée couvertes de contremarches ; elles alternent fentes droites longues (2 m) et courtes (1,10 m). un vaste logis disposant d’un puits (?) était appuyé sur la courtine orientale, et d’autres logements occupaient les faces sud et ouest. perchée au sommet du rocher, à l’angle nord-ouest, une tour carrée (4,60 m de côté dans l’œuvre) est conservée sur un niveau ; une tourelle rectangulaire, à l’angle nord-est contenait l’escalier montant à l’étage. Bâtis en moyen appareil et chaînée de pierres à bossage, les murs sont épais d’1,20 m et jusqu’à 1,50 m sur les faces sud et ouest plus exposées. L’accès se faisait au rez-de-chaussée par une porte cintrée à l’encadrement arraché. La salle était voûtée d’un berceau assez grossier et éclairée par un jour percé au sud ; deux archères s’ouvraient de part et d’autre de l’angle sud-ouest. une latrine était aménagée sur la face nord donnant sur l’à-pic. dans la tourelle du nord-est, une échelle permettait l’accès 90


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Les ruines du château de Lhers.

à un emmarchement traversant la voûte. un dessin du XVIIe siècle montre que la tour comportait un second niveau couvert d’une terrasse, et que la tourelle se prolongeait par une guette quadrangulaire couronnée d’une terrasse crénelée. Ce petit château présente donc de nombreuses similitudes avec les forteresses royales de la rive droite ; les bossages, la guette, les archères indiquent une datation à la charnière des XIIIe et XIVe siècles. L’ouvrage qui donna son nom à la ville de Pont-Saint-Esprit fut achevé en 1310. Les deux tours bâties sur la rive gauche ayant été détruites sur ordre du pape en 1296, il était défendu par une tour en commande du pont sur la rive droite dont la construction est attestée dans les Comptes Royaux en 1302-1303. Il n’en reste que la base englobée dans un bastion moderne, mais d’anciennes descriptions évoquent « une petite tour carrée » parementée en bossages. Le gué de l’Ardèche près de Salavas fut également fortifié par une tour dont la visite est interdite pour des raisons de sécurité. Cette belle construction, haute d’au moins deux niveaux, est parementée en moyen appareil lisse ocre et chaînée de molasse blanche ; des bossages rustiques animent la base du chaînage sud-est et les premières assises de la face nord. elle est pourvue d’un éperon creux, et d’archères à étrier sur les faces nord 91


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et sud ; des fentes plus courtes percent le premier niveau. Ces critères correspondent aux constructions royales de la fin du XIIIe siècle et du début du XIVe siècle, époque à laquelle les ambitions de la couronne se faisaient pressantes sur le Vivarais. un petit éperon renforçait également l’une des deux tours encadrant le castellas d’Aiguèze, Ces petites tours présentent un appareil grossier et des chaînages lisses ; reprises et restaurées, elles sont interdites à la visite. en bordure du petit Rhône, face à celui d’Albaron, le château de La Motte, élevé par le comte Raimond V de Toulouse en 1180, fut récupéré par le roi en 1229. pourvu d’un châtelain et d’une garnison, il ne fut jamais l’enjeu de grands combats jusqu’en 1591, lorsque les Savoyards s’en emparèrent et le renforcèrent de bastions et de remparts de terre. Comme le montre le plan de la fin du XVIe siècle révélé par C. maigret, il était bâti sur une faible éminence et adoptait un plan régulier, avec une tour accolée à une enceinte presque carrée (environ 35 m × 31 m) ouverte par un pontlevis. propriété privée, il ne reste aujourd’hui qu’une enfilade de logis remaniés et une haute tour aménagée en logement. Cette tour quadrangulaire (9,30 m × 7,20 m) est parementée en moyen appareil calcaire lisse et soigné. elle devait comporter trois niveaux; l’étage supérieur, voûté d’ogives, supportait probablement la terrasse. La qualité de l’appareil et la voûte interdisent une datation antérieure à la prise de possession par le roi. C’est probablement dans le dernier quart du XIIIe siècle que fut lancé le chantier de la forteresse de Sommières, mieux située que Villevieille pour garder le pont, en bordure de l’à-pic sud, entourée d’une chemise quadrangulaire, la tour Bermonde adopte un plan rectangulaire (11,45 m × 9,70 m). parementée en appareil à bossages rustiques, les murs (épais de 1,90 m à l’est et à l’ouest, et de 2,50 m au nord et au sud) ont conservé une hauteur proche de 22 m. L’accès, au sud, se faisait au rez-de-chaussée, par une porte (1,70 m × 0,80 m) couverte d’un linteau soulagé par un arc en plein cintre bâti en longs claveaux à bossages. La salle (7,70 m × 4,70 m) est couverte d’un berceau en plein cintre percé d’une trappe et éclairée par deux fentes ébrasées en plein cintre. dans l’angle sud-ouest, une porte étroite sous un linteau déchargé ouvre sur une vis montant à l’étage. Celui-ci, couvert d’un berceau légèrement brisé percé d’une trappe, est éclairé par deux jours ébrasés. Au sommet, la terrasse était bordée d’un parapet percé d’archères. La chemise quadrangulaire, dont l’épaisseur des murs varie de 0,60 m à 1,60 m, est parementée en appareil mêlant pierres lisses et bossages à large liseré. À l’est, une fente s’ouvre sous une large niche couverte d’un arc segmentaire et des archères sans plongée percent les murs sud et ouest.

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Au nord, le plateau descendant de Villevieille vers la tour Bermonde constituait une menace que l’on essaya de conjurer par une vaste enceinte. une longue muraille polygonale, mêlant appareil lisse et à bossage, enserra une cour abritant des logis et la chapelle du Saint-Sauveur. À l’ouest, à la base d’un massif peu saillant, s’ouvre une large porte en plein cintre (3,40 m × 2,20 m) ; un assommoir et une bretèche sur consoles assuraient la défense verticale. Au nord, face au plateau, un large fossé fut creusé et la courtine, très épaisse, était percée de longues archères plongeantes droites (2,80 m) à fenêtres sous linteau (1,95 m × 1,12 m). Au-delà, toujours au nord, la seconde enceinte de La Vignasse accueillait, semble-t-il, la population en cas de danger. La longue courtine occidentale, parementée en bossages, s’ouvrait par une large porte surélevée en plein cintre aux longs claveaux à bossages. Cette porte était défendue par une bretèche en encorbellement ; elle était flanquée d’une grosse tour quadrangulaire à bossages percée d’archères. précédée d’un fossé, la face nord, aux assises lisses et à bossages, était percée de longues archères droites, et couronnée d’un chemin de ronde crénelé. La puissante tour quadrangulaire à bossages de l’angle nord-est et la longue courtine orientale furent probablement relevées après le siège du XVIe siècle ; la partie sud, préservée, présente deux niveaux d’archères droites, courtes et longues.

Les derniers Capétiens et les premiers Valois C’est probablement à partir du second quart du XIVe siècle qu’une nouvelle phase de travaux retoucha certaines des forteresses des bords du Rhône. elle visait peut-être à répondre, de façon ostentatoire, au prestige des papes et à la puissance de la dynastie de provence et Sicile installés sur la rive droite. Reprenant les critères de la période précédente, elle est caractérisée par l’utilisation de chaînages à bossages. À Beaucaire, un nouveau rempart fut bâti en bordure d’à-pic ; une porte et un long escalier fortifié descendit vers le Rhône. point fort du château, à l’angle nord-est, la tour polygonale domine la cour de sa hauteur d’environ 25 m. Son plan original, proche du triangle, permit de dresser un gigantesque éperon ostentatoire face au Rhône et à Tarascon. parementé en moyen appareil lisse, il présente des pierres à bossage dans le chaînage de la partie inférieure de l’éperon. À l’origine, le premier niveau consistait en une haute salle voûtée d’un berceau, accessible de l’étage par une trappe. L’accès se faisait au second niveau par un petit escalier mural droit ouvert à 1,60 m du sol dans le logis appuyé à la courtine orientale. Ce niveau, décoré de fresques religieuses, en particulier un beau Saint Louis en majesté, servit 93


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peut-être de chapelle. La rupture dans le chaînage montre que le donjon fut surélevé au milieu du XIVe siècle. moins connu, aux portes de la Camargue, le château de Fourques, récupéré par le roi en 1229, resta une forteresse royale jusqu’en 1598. propriété privée très remaniée, il en reste une enceinte quadrangulaire (environ 50 m × 28 m) cantonnée de quatre tours carrées (environ 3,50 m de côté). L’enceinte est parementée en moyen appareil lisse, et les murs (épais d’1,60 m) étaient couronnés d’un chemin de ronde hourdé. deux niveaux d’archères (environ 80 fentes) perçaient les quatre faces ; les fenêtres étroites (1,32 m × 0,63 m) étaient suivies d’un appui (0,50 m) et d’une plongée sous contremarches ouvrant sur une fente droite longue d’1,20 m. À l’ouest, sous un arc en plein cintre, la porte était protégée d’une herse manœuvrée de l’étage, ouvert à la gorge et percée de trois archères. Les tours d’angle dominaient les courtines qu’elles interceptaient au troisième niveau. Le premier niveau, plein, est chaîné en bossages tabulaires. Les second et troisième niveaux, voûtés en berceau, communiquaient par échelle, et une terrasse les couronnait. dans l’angle sud-ouest, les bases d’une tour (?) rectangulaire (17 m × 12 m) sont conservées.

La création de villes neuves Comme dans les Corbières et dans le sud-ouest du royaume, la création de villes neuves permit d’imposer la couronne, en particulier là où les sites présentaient un intérêt stratégique majeur. par une création ex nihilo, on fixait une population capable de participer au financement et peut-être à la défense de la nouvelle place. Là où un castrum raimondin existait, le remodelage du site éloignait la population de la nouvelle forteresse, évitant ainsi toute mauvaise surprise. À Aigues-Mortes, une charte de franchises fut accordée aux habitants dès 1246. deux ans plus tard, la ville était toujours en chantier, et c’est seulement en 1272, que la construction de l’enceinte fut lancée. À Roquemaure, un castrum novum fut installé sur la rive face au château. Le plan cadastral de 1824 montre le plan rectangulaire d’environ 1,5 ha. un murus vetus, signalé lors de la construction de la nouvelle enceinte en 1367, laisse supposer que cette ville neuve était entourée d’une enceinte. Beaucaire connut probablement une réorganisation de l’habitat après l’installation du siège de la nouvelle sénéchaussée. en 1236 l’ancien quartier chevaleresque fut détruit, et les enquêtes royales, au milieu du XIIIe siècle, rapportent les plaintes des habitants expropriés lors de la destruction de l’ancien castrum. La nouvelle 94


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ville fut alors établie au sud du rocher, à l’emplacement de l’antique Ugernum. une enceinte existait sans doute car, en 1356, des vestiges de murus antiquus, trois portes et deux tours sont signalés. en 1292, le paréage entre philippe le Bel et l’abbé de Saint-André prévoyait la construction de Villeneuve-lès-Avignon. en 1293, des franchises étaient accordées aux arrivants. Il fallut attendre 1369 pour qu’une enceinte soit envisagée; il n’est pas certain qu’elle ait été réalisée. À Sommières, le quadrillage de la ville basse, en bordure du Vidourle, incite à y voir une création contemporaine de la forteresse qui se substitua à l’ancien habitat de Villevielle. On retrouve aussi cette politique d’implantation de villes neuves en Vivarais. en 1284, le roi et l’abbé de mazan s’accordèrent sur la création de Villeneuve-de-Berg, Fondée sur un plan ordonné, la ville est protégée par une enceinte du milieu du XIVe siècle ; le clocher de l’église, remanié et masqué par les enduits, serait, selon pierreYves Laffont l’ancienne tour du roi. plus au nord, la ville neuve de Boucieu fut établie en 1292 par un paréage entre le roi et gérenton de Saint-Romain. en Tricastin, Charles, comte de provence et roi de Sicile, en partenariat avec l’abbé d’Aiguebelle, fondait Réauville à la frontière nord de ses états en 1281.

Les symboles de la présence royale (fin XIIIe-début XIVe siècle) dans la vaste réorganisation territoriale qui suivit l’éviction des comtes de Toulouse, la couronne éleva des bâtiments symbolisant son pouvoir au cœur des villes contrôlées. dépourvus de fonction militaire, ils rappelaient les droits du roi et abritaient ses agents. À Aramon, la couronne acheta peu à peu la seigneurie : l’opération était terminée en 1302, et le château, vieux et délabré (antiqua et corrosa) fut remplacé par une « maison du roi » (propriété privée). Ce logis rectangulaire (environ 15 m × 9,70 m), très restauré, se compose de murs épais d’1,10 m parementés en bossages rustiques à large liseré. Au-dessus du soubassement, le second niveau était ouvert à l’ouest par une baie géminée aux claveaux à bossages ; les arcs en plein cintre moulurés retombaient sur une colonnette centrale. Jugées peut-être dangereuses, les baies furent bouchées par un remplissage à bossages. Les niveaux supérieurs à bossages ont subi des transformations qui empêchent la restitution de l’état primitif. Au bas de la ville, près de l’enceinte, les niveaux supérieurs de la Tour Sarrasine (8 m de côté) furent relevés en moyen appareil à bossages. Cette tour appartenait-elle à l’un des heureux bénéficiaires d’une donation royale? en effet, Aramon servit à s’attacher les bienfaits de hauts dignitaires, tels le cardinal de Fréauville, confesseur de philippe le Bel, en 1313, ou le cardinal de Bologne en 1344. 95


Dominique Dieltiens

CHÂTEAUX ET FORTERESSES DU MIDI Dans le Midi de la France, sur les deux rives du Rhône, subsistent des villages fortifiés, des tours isolées et de splendides forteresses ; une richesse monumentale à l’image de la complexité de l’histoire de la région. Ici, aux Xe, XIe et XIIe siècles, la société féodale avait multiplié les châteaux dont, le plus souvent, seules des assises de murs ou des banquettes de rocher taillé rappellent l’existence. Les destructions de la croisade contre les Albigeois et l’enracinement progressif des Capétiens ouvrirent de nombreux chantiers à la charnière des XIIIe et XIVe siècles. Ce renouvellement du bâti fut alors financé par les rois de France et les grands, dont le pape et les riches prélats qui puisèrent dans les ressources inépuisables de la Chrétienté. À la même époque, les routiers se déchaînaient, obligeant les populations à se protéger derrière de hautes enceintes. Plus tard, au XVIe siècle, les guerres de Religion virent la restauration des défenses et leur adaptation à l’arme à feu. Avec l’affirmation de l’absolutisme, de grands chantiers allaient marquer le paysage monumental jusqu’à la révolte des Camisards au début du XVIIIe siècle. C’est à la découverte de ce riche patrimoine que nous convie Dominique Dieltiens. Il nous présente l’histoire et les grands personnages des différentes époques et nous explique les raisons qui ont présidé à la construction de ces châteaux et forteresses du Midi. Il nous invite ensuite à le suivre dans une description détaillée de soixante-seize d’entre eux situés autour du Sillon rhodanien, dans les départements des Alpes-deHaute-Provence, Ardèche, Bouches-du-Rhône, Drôme, Gard, Hérault, Lozère et Vaucluse.

ISBN 978-2-86266-654-9

Illustration de couverture : le château de Tarascon (Bouches-du-Rhône), © Gérard Marin-Fotolia.com

30 € 9 782862 666549

www.loubatieres.fr

Dominique Dieltiens est docteur en histoire de l’art. Il est l’auteur de « Châteaux et forteresses du Pays cathare » (Loubatières). Il enseigne l’histoire à Avignon et anime des sorties consacrées à la découverte du patrimoine.


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