Longueur d'Ondes n°54 (Avril-Juin 2010)

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Ca GaVE HUMEUR & VITRIOL

Il y a des feux sans fumée a chasse aux fumeurs est ouverte. Ce n’est pas nouveau mais ça prend maintenant des allures de battue au sanglier. S’abritant derrière le bon droit qui donne à n’importe quel kapo amateur la justification morale de passer sur le paisible pétuneur ses nerfs mis à cran par l’absence de plaisirs terrestres, les non-fumeurs pourchassent sans répit le moindre signe de tabagie. Il ne faudra pas longtemps avant que l’on ne décide d’autoriser la vérification au débotté des doigts de personnes prises au hasard dans les rues pour voir s’ils ne sont pas jaunis par l’abus de tabac. Le coupable fera alors l’objet de sanctions pouvant aller jusqu’à la déportation pendant plusieurs jours dans une communauté de végétariens macrobiotiques et abstinents qui le nourriront aux salsifis bouillis et auront le droit de lui infliger des conférences sur la manière de faire pousser des navets enrichis au crottin de bourricot. Certains y ont perdu la raison.

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Dans ce monde de pureté pulmonaire, les repentis font office de héros des temps modernes et passent leur temps à pérorer pour faire étalage de la force morale qui les a conduit à céder aux injonctions de l’hygiénisme à la mode en cessant d’apporter leur écot au comblement du trou de la Sécurité sociale par le biais d’achat de paquets de clopes prohibitivement surtaxés qui font passer l’héroïne pour un produit discount. Il n’est pas une soirée sans que l’un de ces modernes Sisyphe ne vienne mettre son tarin frétillant de bonheur hygiéniste sous ma lippe pour me demander si ça ne me gêne pas de continuer à m’empoisonner et à détruire ses alvéoles pulmonaires chèrement préservées en grillant une clope. Hé bien non, souffreteux collaborateur de l’esprit sain, je n’en ai rien à carrer que mon plaisir de fumer soit une insulte à ton calvaire d’abstinent ! Et si, à l’époque de tes parents, il avait existé les réjouissantes mises en garde figurant sur les paquets de tabac, nul doute que ton père aurait triplé sa consommation en voyant que “fumer peut nuire aux spermatozoïdes et réduit la fertilité”. Il aurait ainsi préservé le monde de ta présence. De même s’accrochent-ils à leur vie sans intérêt, sans tabac et sans alcool, au lieu d’avoir l’esprit citoyen et de chercher civiquement à l’écourter par la surconsommation desdits produits, ce qui permet d’économiser sur les retraites qui leur seront versées et sur la durée de la longue agonie médicalement assistée qui est le lot des gens en bonne santé qui ne se privent pas de prendre leur temps pour trépasser, laissant leurs héritiers dans l’expectative sur la destination des prochaines vacances qu’ils pourront se payer grâce à l’héritage. Alors que le cancer du poumon, c’est expéditif et on ne

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passe pas son quatrième âge à traîner sa sciatique de maison de retraites en chaises roulantes. A la place du déstressant naturel qu’est le tabac, ils restent persuadés qu’il vaut mieux se bourrer d’anxiolytiques qui, eux, sont remboursés. Et ils se pâment d’aise en racontant leurs exploits abstinents, soulignant à l’envie qu’ils perçoivent désormais toutes les odeurs mais oubliant de dire qu’ainsi, ils sont capables de faire la différence entre celle d’un sans plomb 95 et celle d’un sans plomb 98 alors qu’auparavant, ils ignoraient benoîtement que l’air qu’ils respirent en ville est plus pollué qu’une fumerie d’opium à Macao à l’époque glorieuse où l’on pouvait avoir des vices sans être obligé de se demander s’ils étaient à la mode. C’est le problème des convertis de fraîche date, qui se sentent investis de la mission de faire du zèle pour se faire accepter de leurs nouveaux amis. On appelle ça le “syndrome Eric Besson”, du nom d’un agité prosélyte de même type qui, lui aussi, “nuit gravement à la santé de son entourage”, le problème en l’occurrence étant que son entourage ne rentre pas dans une seule pièce mais subit son ardeur de repenti dans tout le pays. Le fumistement correct fait tâche d’huile (de colza) et il n’étonne plus personne que certaines troupes de théâtre cisaillent mesquinement la longue tirade apologique sur le tabac dans le Dom Juan de Molière afin d’être sûres de n’être pas accusées de mise en danger de la vie d’autrui, mais également que les possesseurs de briquets prétendent honteusement que c’est uniquement pour pouvoir déclencher des incendies dans les garrigues corses à la belle saison de peur d’encourir les foudres de la vox-populi. Mais que l’on se rassure : afin de pouvoir toujours mettre une ambiance pourrie dans les concerts ringards, un fabricant desdits briquets jetables a eu une idée lumineuse. Il existe maintenant une application pour gadget technoïde et vaguement téléphonique qui permet d’afficher l’image d’une flamme de briquet qui s’oriente en fonction des mouvements de la personne au goût moyennement sûr qui l’a téléchargée. L’histoire ne dit pas encore quelles seront les suites sur la santé publique de la surcharge d’ondes provoquée par tous les objets que l’on tente de nous faire considérer comme indispensables à notre intégration sociale. Dans vingt ans, je pourrais me la péter en racontant comment j’ai renoncé au portable pour garder mon bon vieux cancer du poumon plutôt que d’opter pour celui du cerveau. Il faut dire qu’il y a actuellement plus de gens qui se passent de cerveau que de poumons. Jean Luc Eluard


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