L'arsenal de Venise

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L’ARSENAL DE VENISE UNE HISTOIRE STRUCTURELLE, ARCHITECTURALE ET INDUSTRIELLE

LILI SZABO

PAS D’ARCHITECTURE SANS STRUCTURE ! SEMINAIRE S7 DÉPARTEMENT LAB 43 - 2016 SOUS LA DIRECTION DE JÉRÔME APACK ET KRISTELL FILOTICO ENSA MARSEILLE

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TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION

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I. LA LAGUNE VENETE ET LA CONSTRUCTION A

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La lagune élément continental et marin

Constitution géomorphologique

Fonctionnement du système fluvial

B

Techniques de fondations Du Zattaron au SCAC Le phénomène de pétrification du bois

C

Répercussions sur l’architecture Analogie à l’architecture navale : Une architecture légère et déformable de bois et de brique La solution de la marge, capillarité et expression architecturale

II. L’ARSENAL DE VENISE : STRUCTURES HISTORIQUES, HISTOIRE D’UNE INDUSTRIE NAVALE ET ARCHITECTURALE A

Histoire de l’Arsenal Etapes de la construction du complexe industriel

B

Les Tese Charpentes et systèmes muraux en relation aux techniques de pro duction

C

Bassin de carénage, une nouvelle ère de production de l’Arsenal La forme de radoub de 1910

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III. RECONVERSION ARCHITECTURALE DE L’ARSENAL : DIVERSITE STRUCTURELLE ET PROGRAMMATIQUE A

Objectifs de reconversion

B

Le Palais des congrès

C

Quelques exemples de reconversions

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Présentation du nouveau document directeur Projet de Louis Kahn - la grande portée Le pavillon flottant de la Biennale de 2004 La tour de la porta nuova Bureaux MOSE et Thetis - Tese della Novissima Passerelle Nord

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CONCLUSION

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G. M. Maffioletti, Plan Perspective représentant l’Arsenal avant la destruction française en 1798, Venise, Museo storico navale

"Venise est une ville qui est née adulte"

Elena Bassi dans Guido Perocco et Antonio Salvadori, civilità di Venezia, p.336, Venezia, 1977

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L’ARSENAL DE VENISE UNE HISTOIRE STRUCTURELLE, ARCHITECTURALE ET INDUSTRIELLE

INTRODUCTION

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Plan de l’Arsenal au début de son installation dans le quartier de Castello, source inconnue

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INTRODUCTION

La ville de Venise a un développement urbain très particulier de par sa position sur la lagune. Cette position au milieu de la lagune est privilégiée pour des raisons de défense naturelle qu’ apportent l’eau et les grandes différences de profondeurs qui demandent une connaissance de la lagune pour gouverner un navire dans ces territoires. La lagune n’est pas uniquement constituée de Venise est c’est même sur les autres îles-villes de la lagune qu’ont été d’abord effectués les expérimentations, c’est pour cela qu’Elena Bassi dit que « Venise est une ville qui est née adulte ». Venise n’est pas une île mais un archipel constitué d’îles séparées par des canaux, qui sont d’anciens fleuves (appelées encore rii - fleuves en italien- par les vénitiens). L’arsenal de Venise était d’abord dispersé dans la ville en ateliers avec pour centre névralgique la place Saint Marc. Puis au XIème siècle il est déplacé dans le quartier de Castello-Celestia quand Venise se détache définitivement de la tutelle du Saint Empire et a besoin de construire un grand nombre de galères défensives pour protéger le cordon marchand entre Istrie et Constantinople. Le mot arsenal vient de l’arabe dar a sina’a : la maison où l’on construit ou la maison du métier. L’arsenal était un catalyseur de nombreuses classes sociales, les arsenalotti* formaient une caste avec une hiérarchie très marquée. Très rapidement, l’arsenal est devenu la tête de tout le système défensif dispersé sur la terra ferma et le Lido. Il a également un rôle principal de représentation de la République Sérénissime*. L’évolution de l’Arsenal est intrinsèquement liée à la situation politique et aux modes de production de l’industrie navale. Il a été un des centres de l’expérimentation et de l’innovation navale pendant des siècles, jusqu’à ce que le changement radical de production au XIXème induise la déchéance de l’Arsenal. ϭϭ


Gravure du chantier de l’arsenal, date inconnue, auteur inconnu

Canaletto, Il ponte dell’arsenale, 1730, 47 x 78,8cm., Collection privée, Woburn Abbey

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Cette enceinte protégée, seule partie fortifiée de Venise, devient un immense espace de la ville, de plus de 48 hectares, auquel on doit redonner un usage, et se pose la question de la restauration, de la reconversion, de l’ouverture à la ville. Il devient progressivement dans les 25 dernières années un centre de recherche, et une nouvelle usine de la culture dans lequel les biennales d’art et d’architecture ont un rôle primordial. Le patrimoine architectural que détient l’Arsenal de Venise est extraordinaire. Les structures des Tese* avec leurs planchers d’ eau, certaines parties représentatives, comme la porte des lions ou bien la Casa del Bucintoro ont convoqué des architectes de renoms au cours des siècles. Les structures rythment le paysage et génèrent la poétique de ce lieu. Quelles sont donc les réponses architecturales et structurelles aux contextes divers de la production navale et da la lagune vénète ? Comment la rationalité de réponse aux enjeux techniques a engendré l’utilisation d’une diversité de matériau ? Comment les structures de l’Arsenal se sont elles adaptées à l’évolution constante du complexe et des nécessités.

Nous commencerons par énoncer les modes d’implantation et de construction sur le sol lagunaire, puis nous présenterons les structures des bâtiments industriels historiques, pour enfin présenter la nouvelle reconversion de l’Arsenal.

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Lili Szabo, Plan de la lagune de Venise

"La seule fortification de grande dimension de la lagune se trouve non pas face à un potentiel envahisseur, mais face à un phénomène naturel » Konstantinos Dell’Ollivo, Construire à Venise, 2011, p. 82

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L’ARSENAL DE VENISE UNE HISTOIRE STRUCTURELLE, ARCHITECTURALE ET INDUSTRIELLE

I. LA LAGUNE VENETE ET LA CONSTRUCTION A

B

C

La lagune élément continental et marin

Constitution géomorphologique Fonctionnement du système fluvial

Techniques de fondations

Du Zattaron au SCAC Le phénomène de pétrification du bois

Répercussions sur l’architecture

Analogie à l’architecture navale : Une architecture légère et déformable de bois et de brique La solution de la marge, capillarité et expression architecturale

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Bassin lacustre

Lagune primitive

Lagune actuelle

Dépôts tourbeux récents

Sédiments non consolidés

Sables côtiers et limons

Sédiments surconsolIdés CARANTO

Dépôts marécageux

Sédiments continentaux

Konstantinos Dell'Ollivo, évolution de la composition du sous-sol lagunaire Vénète, Construire à Venise, 2011

Possibilités d’agrandissement de Venise selon la distribution du caranto, Wladimiro Dorigo, Venezia Origini, Volume primo, p. 197

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LA LAGUNE : ELEMENT CONTINENTAL ET MARIN

CONSTITUTION GÉOMORPHOLOGIQUE La lagune de Venise est un élément intermédiaire entre la mer et la terre. Elle forme un bassin d’eau salée, subissant les marées mais à la fois dessinée par de nombreux fleuves. Le fleuve est un élément, on ne peut plus continental. Sa présence nous enseigne qu’à une époque, la lagune était émergée. La lagune est une marge entre la mer et la terre, elle est façonnée par l’interaction de l’érosion, du transport et du dépôt de matière géologique. La forme de la ville de Venise et la position des îles construites ne sont en rien dues au hasard. Mais contrairement à ce que l’ on pourrait communément penser, la profondeur n’est pas le seul critère. Les coupes de la composition du sous-sol lagunaire (à gauche) nous indiquent en noir la présence de caranto. Le caranto fait partie des argiles surconsolidés limoneuses, c’est-à-dire que l’ ancienne présence de charges importantes (un glacier par exemple) a augmenté sa compacité et réduit sa teneur en eau, donnant finalement une argile très compacte. Cette consolidation s’est également partiellement produite par évaporation lorsqu’elle était émergée. La répartition des couches géologiques dans le sous-sol lagunaire est très hétérogène. La couche de caranto est celle qui a permis une urbanisation de la lagune car elle est la plus solide du sous-sol lagunaire. Ainsi, Wladimiro Dorigo a dessiné un plan de possible extension de Venise et des îles selon la présence de caranto.

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Détournement de l’ embouchure du Sile et du Piave

Détournement de l’embouchure du Brenta

Détournement de l’embouchure du Brenta et du Bacchiglione

Konstantinos Dell'Ollivo, plan des détournements de fleuves, Construire à Venise, 2011

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LA LAGUNE : ELEMENT CONTINENTAL ET MARIN

FONCTIONNEMENT DU SYSTÈME FLUVIAL La présence de ces fleuves a sculpté la lagune vénète. Aujourd’ hui la lagune est figée, en effet, les fleuves qui la traversaient, surtout sur la zone de Venise, ne sont plus actifs. Ces fleuves entraînent une modification permanente de la lagune, leur présence est donc incompatible avec une pérennité de la ville de Venise. Le mélange d’eau douce et salée est également un facteur d’épidémies (dont la peste de Venise au XIVème siècle). Plusieurs opérations ont donc été menées afin de détourner ces fleuves. La plus grande opération de détournement fût le détournement du fleuve Brenta jusqu’à l’embouchure du Bacchiglione en 1610, puis les détournements du Piave et du Sile à partir de 1683. Ces opérations ont éliminé la tendance d’ensablement, en l’ exposant aux courants marins, la lagune est devenue un bras de mer. Elles ont également inondé la terra ferma au niveau des anciennes embouchures.

Les lidi* jouent un rôle essentiel protecteur à la fois des ennemis et des aléas marins, qui permettent d’empêcher toute houle dans la lagune. Ils ont été consolidés de larges digues en pierre d’Istrie, au XVIIIème.

Wladimiro Dorigo, La Terra Ferma avant et après le détournement du Piave-Sile

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Wladimiro Dorigo, Relevé de la pose du zattaron et des fondations en pierre, Venezia Origini, Volume second, p. 398, Ed. Electa, Milano, 1983)

Wladimiro Dorigo, Stratigraphie des fondations de la façade méridionale de San Marco, Venezia Origini, Volume secondo, p. 370, Ed. Electa, Milano, 1983

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TECHNIQUES DE FONDATION

DU ZATTARON AU SCAC Au commencement de l’urbanisation lagunaire, les fondations des édifices étaient constitué d’un zattaron, deux couches de bois croisées posées sur le sol peu creusé. Les fondations, très instables faisaient que les maisons flottaient plus qu’elle ne s’ appuyaient sur le sol. Il a fallu développer progressivement des techniques de construction qui puissent répondre aux variations constantes de son assise sans en entraîner la rupture. C’est ainsi que l’ analogie à l’architecture navale a pû devenir la plus apte à répondre à ces contraintes car elle est légère et déformable et par définition confrontée à l’élément liquide (qui outre le problème de l’infiltration génère des poussées latérales considérables). « Si l’on avait à bâtir dans l’eau [...] on creuserait jusqu’à ce qu’ on ait trouvé un fond solide et bien stable ; ou bien, si cela était difficile, on fouillerait un peu dans le sable ou dans la glaise afin d’y planter des pilotis de pieux de chêne dont les pointes aillent jusqu’à la bonne terre, et sur cette fondation ainsi préparée on pourra bâtir. ». Jusqu’au XVème siècle, les pieux étaient en aulne puis les pieux ont été taillé en chêne rouvre d’au moins 4 mètres de longueur. Pour ne pas fragiliser la couche de caranto, les pieux devaient être insérés doucement par de petits coups répétés. La constitution des fondations est une opération si coûteuse que lorsqu’un édifice était réalisé à la place d’un ancien, il en réutilisait les fondations.

Andrea Palladio, Les quatre livres de l’architecture, p.30, trad. Roland Fréart de Chambray, Ed. Flammarion, Paris, 1997

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Guido Perocco et Antonio Salvadori, technique constructive de fondation, in civiltà di Venezia, p. 339, Venezia, 1977

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Deux techniques se sont développées : Le tolpi : il consiste à planter deux ou trois rangées de pieux de 3 à 5m de long sous les principaux porteurs. Les pieux devaient être suffisamment serrés de sorte à ce qu’il soit impossible d’en rajouter un entre les deux. Pour permettre la répartition des charges sur les pieux, une plateforme de deux strates de planches entrecroisées de bois (sorte de zattaron) était disposée. La seconde technique consiste à planter des pieux sous l’ intégralité de la surface de l’édifice. Elle était utilisée quand les pieux ne pouvaient pas atteindre uniformément la couche de caranto. On retrouve cette technique sous les édifices les plus lourds comme les campaniles par exemple. Pendant le XIXème siècle, avec le développement du béton armé, on abandonne les pieux en bois pour privilégier des pieux de béton armé préfabriqués de section carrée. Après la seconde guerre mondiale, on utilise des pieux type SCAC, cylindriques, tronconiques posés après forage qui ont une longueur de 7 à 15 mètres de longueur et une capacité de 10 à 40 tonnes au lieu d’environ 4,5 tonnes pour des pieux en bois (ces valeurs ne doivent pas être prises pour exactes, sachant que la nature du sous-sol ainsi que le type de pieu peut faire varier grandement les résultats). Ces pieux SCAC sont des pieux à tubes battus, dont la concentration en eau est très faible, ce qui lui permet d’être très résistant dans des milieux agressifs ou aquatiques. En effet, la problématique qui se pose également à Venise est sa pollution, celle-ci ayant modifié le biotope aquatique vénitien, entraîne une dégradation des parties immergées, dont les fondations sont les plus problématiques.

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Bois pétrifié, source inconnue

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TECHNIQUES DE FONDATION

LE PHÉNOMÈNE DE PÉTRIFICATION La pérennité de ces fondations de bois s’explique par le phénomène de pétrification du bois et l’endiguement du processus de décomposition. La décomposition du bois est due a des micro-organismes comme des champignons ou des bactéries. Ils ne peuvent se développer sous l’eau en absence d’oxygène. De plus, la silice présente dans l’eau de mer pénètre - à travers le temps - dans la paroi cellulaire : elle la remplace, tout en maintenant l’équilibre, dans un processus de pétrification. Ce processus de pétrification se réalise en moins d’un siècle. La sédimentation progressive de sables et vases créent également une couche lithique qui accroît la solidité. L’ensemble des pieux forment après des décennies une large structure de pierre.

Fondations en pieux de bois, source inconnue et Aquarelle de Giovanni Grevembroch

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Schéma des forces agissant sur une structure architecturale et navale, Guido Perocco et Antonio Salvadori, civiltà di Venezia, p. 342, Venezia, 1977

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REPERCUSSIONS SUR L’ARCHITECTURE

ANALOGIE A L’ARCHITECTURE NAVALE : UNE ARCHITECTURE LÉGÈRE ET DÉFORMABLE DE BOIS ET DE BRIQUE

L’instabilité des fondations exigent que l’architecture soit la plus légère et flexible possible, pouvant ainsi réagir sans rompre aux déformations engendrées par les tassements différentiels de ses appuis. L’architecture doit aussi être capable d’une façon flexible de se contreventer à de fortes forces horizontales engendrées par la présence d’eau dans sa base, et ce même pour les édifices qui ne sont pas en bordure de canal. Le vocabulaire de l’architecture vénitienne exprime la nécessité d’alléger les murs, notamment en façade. Dans l’idée de façade comme signe de pouvoir, la présence d’une lourde façade de pierre est remplacée par les polifore*. Les polifore sont ces fenêtres à arcatures qui représentent l’emplacement du salon. Il est donc un marqueur social de premier rang, car plus le salon d’un propriétaire est grand, plus il est riche.

Palais Ca’Dario, Venise, Pietro Lombardo, XVème siècle

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Pierre S. Girard "Traité analytique de la résistance des solides et des solides d'égale résistance" Paris, 1798

Pietro Carnelutti, Détails d’assemblages (de gauche à droite) d’une galère et de la charpente des Squadratori

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Cette esthétique du bois de la brique, même si elle est parfois souvent parée de marbre sur les édifices les plus bourgeois, crée une palette chromatique propre à Venise.

Le bois et la brique sont non seulement des matériaux légers, mais tout à fait capables d’amortir des déformations, qui permettent cette élasticité nécessaire des constructions. Les capacités d’un bateau à reprendre les charges horizontales et à se déformer sans rompre deviennent alors une large source d’analogie dès les débuts de l’architecture non seulement vénitienne mais également génoise. Le modèle global structurel se rapproche des vaisseaux par la proportion plein-vide et le travail de contreventement d’ensemble trouve sa cohérence (voir spécialement Tesa* Gaggiandre p. 46). A l’Arsenal plus précisément, les artisans et architectes qui ont conçu les Tese* sont des constructeurs navals. La science de l’ utilisation du bois est récupérée. Pour être plus concret, les constructeurs privilégient des techniques et matériaux « déformables », des matériaux légers qui maintiennent une continuité d’appui et se comportent en plaques qui garantissent la continuité au nœud. L’utilisation non seulement du bois et de la brique mais aussi très tôt de pièces métalliques pour la solidarisation des planchers ou certains assemblages de charpenterie permet de gérer cette déformation d’ensemble, contrôlée. Le nœud en bois soumis à des efforts de traction est un problème au maximum évité dans la charpente marine que l’on retrouve dans les structures de l’Arsenal. Les techniques d’ assemblages ont démontré leur efficacité par la pérennité qu’ elles ont apportées. Le changement des orientations des fibres du bois dans les nœuds permet une résistance accrue. En effet, les charpentes se sont dégradées à force de l’érosion par le sel et l’humidité de la lagune plus qu’à des défauts structurels.

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Mauro Marzo, photographies de berges vénitiennes

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REPERCUSSIONS SUR L’ARCHITECTURE

LA SOLUTION DE LA MARGE, CAPILLARITÉ ET EXPRESSION ARCHITECTURALE

Comme l’illustre cette gravure, Venise est caractérisée par cette perpétuelle lutte entre l’eau et la terre.

“Opponesi elemento ad elemento”, gravure de Bernardo Trevisan 1718.

Mauro Marzo, sous-bassement de Santa Maria dei Miracoli, Pietro Lombardo, XVème siècle.

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Cet espace de marge prend de nombreuses formes, allant de la fondamenta* (rue au bord d’un canal), au pont, à la façade qui plonge directement dans l’eau, à la porte d’eau. Il est l’occasion de la création d’un ordre propre à l’ architecture vénitienne où architecture et éléments viennent générer un jeu d’horizontales successives. Par exemple, sur l’église Santa Maria dei Miracoli, on a la suggestion du commencement d’ un nouvel ordre à la limite de l’eau qui vient créer un nouveau chapiteau et de nouveaux pilastres par reflet, et suggère l’existence, d’un ordre aquatique précédant l’ordre aérien.

Cette architecture en position de limite doit gérer des aspects très techniques tels que l’érosion que provoquent les remous de l’eau salée et les remontées capillaires ainsi que le contact avec une eau polluée.


briques +1.00 Plancher en bois +0.00 Pierre d’Istrie

-1.80

0

0.5

1m

Lili Szabo, coupe et élévation types de la base d’un palais vénitien

La technique du taglio sur un mur de briques, source inconnue

Darse de l’Arsenal vecchio, archive privée

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Pour éviter une dégradation trop rapide il y a deux types de solutions. La première consiste à faire une base résistante et peu poreuse, en pierre d’Istrie (type de calcaire blanc de la région de Venise) généralement, puis de venir continuer le mur avec des matériaux plus léger, généralement la brique. La seconde solution est de réduire cette base de pierre (qui est très coûteuse) et de mettre une couche sacrificielle de briques qui seront changées et d’installer ensuite une feuille de plomb (technique du taglio) qui vient stopper les remontées capillaires. Il y a également un problème beaucoup plus récent et qui devrait être en partie endigué par la construction du nouveau port du Lido. En effet, le passage de gros ferrys touristiques, crée de grandes vagues qui font que certaines parties normalement immergées en permanence s’exposent à l’air libre et donc aux micro-organismes responsables de la décomposition. L’autre problème de ces remous est que les pierres ont une tendance désastreuse à se déchausser à cause du va-et-vient de l’eau, ce qui accélère les dégradations. Dans le cas de l’Arsenal, aucune façade n’entre dans l’eau directement, puisque la base a été construite avant de projeter les bâtiment qui y seraient construit. On a donc une base avec une marge en pierre d’Istrie donc un jeu d’empilement du sousbassement des Tese* au dessus de cette première ligne horizontale du sol.

Mauro Marzo, coupes schématiques de berges vénitiennes

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L’Arsenal dans le plan perspective de Francesco di Tommaso da Salo, XVIe, Venise, Museo civico Correr

« A l'arsenal, les bâtiments ne sont pas seulement la couverture d'une activité mais une véritable partie de la machine pour la construction navale. »

Andrea Palladio, Les quatre livres de l’architecture, p.30, trad. Roland Fréart de Chambray, Ed. Flammarion, Paris, 1997

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L’ARSENAL DE VENISE UNE HISTOIRE STRUCTURELLE, ARCHITECTURALE ET INDUSTRIELLE

II. L’ARSENAL DE VENISE : STRUCTURES HISTORIQUES, HISTOIRE D’UNE INDUSTRIE NAVALE ET ARCHITECTURALE A

Histoire de l’Arsenal

B

Les Tese

C

Etapes de la construction du complexe industriel

Charpentes et systèmes muraux en relation aux techniques de production

Bassin de carénage, une nouvelle ère de production de l’Arsenal La forme de radoub de 1910

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Bacini XXe

Galeazza XVIe

Casermette XXe

Bacini XIXe

Arsenal Nuovossimo XV-XVIe Arsenal Vecchio XIII-XIVe

Vergini XIXe

Arsenal Nuovo XIV-XVe

Lili Szabo, plan de l’évolution historique de l’arsenal.

1000

1808

1300

Îles

majoritairement

Arsenalotti

peuplées

d’

(information indisponible pour certaines époques)

1838

1500 1920

Lili Szabo, schémas de l’évolution de l’ Arsenal et du quartier ouvrier de Castello. (D’après les plans de Marco Giampiccoli, les cadastres napoléoniens et autrichiens

1779

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HISTOIRE DE L’ARSENAL

ETAPES DE CONSTRUCTION DU COMPLEXE INDUSTRIEL L’Arsenal de Venise était originairement dispersé en ateliers dans la ville, le principal de la production se faisant sur la place Saint Marc. Au moment du détachement de Venise de la tutelle du Saint Empire, le doge Ordelafo Falier décide de produire un cordon de défense ininterrompu pour le transport des marchandises de Istrie à Constantinople. Vers 1150, 1200, se forme le premier noyau de l’Arsenal Vecchio de Castello, pour pouvoir assumer la grande quantité de vaisseaux nécessaire pour la protection du négoce maritime. Le processus d’ agrandissement de l’Arsenal Vecchio se fait à l’est par agrégation au-delà du périmètre fortifié. Nous pourrons voir que tout le long de son histoire, le développement de l’Arsenal est directement lié au contexte politique et technique du savoir de construction des divers types de bateaux (galères, frégates, galères marchandes …). En 1304-1322 est construit le premier bâtiment de la Corderie della Tana, pour la fabrication de l’ensemble des cordages. En 1325-1326, l’acquisition de terrains marécageux et du lac de San Daniele permet la formation de l’Arsenal Nuovo. Sont mises en place de réelles usines, cette fois avec des murs de briques et non plus à ciel ouvert. La production commence à se réaliser en série en divisant la fabrication de toutes les parties (rames, gréé, cordage …) En 1344, le chantier est agrandi sur la rive nord de la darse* Nuova, c’est la zone de l’Isolotto (qui sera ensuite détruite). En raison du développement de l’artillerie et de l’utilisation de pièces métalliques pour le renforcement des éléments navals, une fonderie est construite dès le XIVème siècle.

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En 1453, la chute de Constantinople, entraîne la République Sérénissime de Venise à augmenter sa puissance de combat pour pouvoir répondre à la menace ottomane. Ainsi une série de travaux seront réalisés très succinctement, dans une période de 20 ans. Comme les deux remarquables hangars aquatiques, la salle d’armes et le bureau d’ artillerie, mais surtout l’excavation et la création de tout le terrain de l’ extension, l’Arsenal Nuovissimo (darse* Nuovissima, les bâtiments seront eux construit au début du XVIème siècle). La Sainte Ligue (guerre austro-turque) entraine un regain de production à partir de 1518. L’arsenal s’étend alors vers le nord ouest, sur la zone nommée Novissimetta, qui sert à la construction des galères. Le développement qui se produit à la même époque sur le domaine de l’ artillerie et des techniques d’utilisation du fer, amène la construction d’une nouvelle fonderie. Au XVIème siècle, l’Arsenal ne se suffit plus, dans l’urgence, il ingère le Couvent de la Celestia pour du stockage de poudres avant de pouvoir construire de nouveaux bâtiments, comme les Gaggiandre. Une cinquième extension est faite en 1569, pour créer la darse Galeazze, faisant face aux édifices de la Novissimetta. Les nouveaux bâtiments qui sont construit permettent la construction des nouveaux vaisseaux de combat : la galère. C’est aussi une époque où l’on ne peut plus construire à l’air libre à cause de la multiplication des pièces métalliques. La flotte navale vénitienne prend de plus en plus de puissance, ce qui lui permet de gagner la bataille de Lépante* contre les turcs en 1571. Pendant les XVIème et XVIIème siècles, des travaux sont menés pour adapter le chantier de l’Arsenal à la production et la manutention de vaisseaux de dimensions supérieures, beaucoup de charpentes sont refaites et les murs surélevés, des canaux sont élargis et des tours déplacées. Le grand avantage qu’a eu l’arsenal à ce moment est que d’ origine la largeur des hangars était souvent suffisante pour accueillir les nouveaux bateaux . Cette époque est également une période charnière dans la production navale car on passe d’un mode empirique à un mode scientifique ce ϯϴ


qui permet la survie de l’Arsenal face à une crise économique majeure. En 1797, l’armée française prend Venise, saccage l’arsenal et vole les canons et les armes pour que les troupes autrichiennes arrivantes ne puissent pas les retourner contre elle. Cette alternance des dominations autrichiennes et françaises a eu beaucoup d’impact sur Venise et l’Arsenal. Au début du XIXème siècle Napoléon occupe à nouveau Venise, l’Arsenal se modernise pour pouvoir construire selon les systèmes français, avant que les forces autrichiennes qui détenaient déjà toute la région du Frioul, ne contrattaquent. En 1866, Venise est annexée au Règne d’Italie, des opérations de transformation importantes sont mises en route pour suivre la révolution industrielle et une grande extension est réalisée au nord-est, avec des bassins de carénage. C’est à ce moment que l’Arsenal perd de la puissance, car malgré ses effort de modernisation, les moyens économiques ne permettent pas la mise à jour de tout le matériel. En 1876, le chantier de l’Isolotto est détruit pour pouvoir réunir les darses Nuova et Nuovissima, formant la darse grande. Le chantier ne se faisant plus dans les Tese*, celles-ci sont fermées pour devenir des magasins et des bureaux. Le principal de la production se déplace à la terra ferma, au port de Marghera, et la fonderie à Terni. La décision de déplacer la production est aussi due à une volonté de faire de Venise une ville culturelle et non plus industrielle. Après la seconde guerre mondiale, l’ensemble de la production restante est déplacée à Ancône et l’Arsenal ferme. L’Arsenal devient un immense espace presque entièrement délaissé, au même moment que Venise subit une crise sans retour (effondrement démographique, social et matériel, perte de la cohésion institutionnelle). Des groupes commencent à réfléchir à un réemploi dès les années 70. Pour le transformer en centre de recherche et de culture. ϯϵ


Gli Squadrattori p 50

Gaggiandre p 46

Tettoie acquee p 44

Corderie p 48

Plan de localisation des édifices présentés

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Bassin de carénage p 52

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Anna Gennaro, La répétition de prototypes dans la lecture d’ensemble de l’Arsenal, sur la base du relevé de F. Martini de 1888.

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LES TESE

CHARPENTES ET SYSTÈMES MURAUX EN RELATION AUX TECHNIQUES DE PRODUCTION

Comme le dit Palladio, les bâtiments de l’Arsenal ont une réelle fonction de contenant de grands navires mais aussi de machine de production des bateaux, et la corrélation avec l’évolution du savoir constructif est également primordial. L’objectif est ici de présenter 4 hangars qui ont été conçus pour des usages et à des époques différentes qui ont donc des structures différentes. Il est toujours important au regard de ces charpentes de se remémorer l’analogie à la construction navale, surtout dans le système de contreventement (cf. p. 26-29). Car en effet, les deux objectifs primés sont d’avoir un jour maximum libéré, mais aussi de réduire au minimum l’épaisseur des murs, et pour cela de leur retirer la fonction du contreventement, tout cela dans les conditions les plus économiques et ergonomiques. Tous les ateliers/usines ont été construits selon un projet conscient de l’ organisation industrielle de la production. Sur l’ensemble, aux différentes époques, la construction s’est formalisée pour répéter les dimensions et les techniques constructives sur des séries de bâtiments. Si les charpentes sont très variées, les systèmes muraux sont eux classables en un faible nombre de solutions, principalement à arcature. La vulnérabilité de ces murs réside dans leurs fondations, pour lesquelles la concentration des charges en peu de points pose un problème de tassement sur le sol lagunaire. Une chose intéressante dans l’Arsenal est que le mur d’enceinte fait partie de la structure et crée une face de la majorité des édifices et permet également une partie du contreventement. Sa forme irrégulière induit aussi des déformations dans les bâtiments qui y sont accolés, générant une complexité supplémentaire. La disposition des hangars se fait de sorte à ce que le maximum s’ouvrent sur le bassin.

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Lili Szabo, planche analytique d’un hangar aquatique dit Tettoie Acquee de l’Arsenal

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TETTOIE ACQUEE Les Tettoie Acquee ou hangars aquatiques datent du milieu du XVème siècle. Ils représentent un des éléments clés de l’ architecture de l’Arsenal. La charpente a une très grande portée pour l’époque et montre la qualité du savoir-faire des ouvriers, qui par des détails simples mais bien tenus a pu prouver la durabilité de sa construction. On a le premier exemple dans l’ Arsenal de contreventement par la toiture avec des pièces de bois fonctionnant en tirants (fonctionnement plus détaillé sur les Gaggiandre). Les hangars accolés offrent un grand espace libre ouvert sur le bassin. La nécessité de faciliter le passage des personnes et du matériel entre les différents bâtiments a entraîné le choix d’une structure murale à arcature. Ces arcatures se généraliseront sur d’autres hangars, et de façon plus optimale, comme sur les Gaggiandre par exemple. Les murs sont en briques et les colonnes en pierre d’Istrie. Ils soutiennent la charpente qui est posée sur des corbeaux de pierre d’Istrie. On remarque un mode de développement par accotement, avec le partage d’un mur de soutien commun pour deux hangars, c’ est la même typologie que l’on retrouve sur les Gaggiandre. Ils sont stratégiquement placés pour être proche de la corderie, avec un espace libéré en partie arrière pour permettre l’ acheminement des pièces.

Tettoie Acquee, source Documento direttore 2015

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Lili Szabo, planche analytique d’un hangar aquatique dit Gaggiandre de l’Arsenal

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LES GAGGIANDRE

Les hangars des Gaggiandre tiennent beaucoup des Tettoie* Acquee que nous venons d’analyser. Ils ont été réalisé en 1566, ils sont attribués à Jacopo Sansovino.

Projet de réhabilitation des gaggiandre, in Progetto Arsenale, p77.

Gaggiandre, source inconnue

Kristell Filotico, Gaggiandre

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A cause de la présence d’un canal, on perd l’orthogonalité de la structure. Le charpente suit le biais que forment les piliers sur la face ouest, et vient donc sur les murs de biais. Une analyse simpliste de la structure ne permet pas de rendre compte de l’efficacité du système mis en place. Ici le système mural est beaucoup plus réduit, avec une partie basse intégralement en pierre d’Istrie puis la partie supérieur ponctuée d’arcs, en brique. On a une économie de matière, notamment dans l’épaisseur. Le contreventement est principalement assuré par la charpente. Le contreventement se fait par des tirants de bois, ils démarrent sur les poinçons symétriques puis est encastré dans la demi épaisseur des pannes de couverture, ce qui génère une rigidification longitudinale de l’ entrait. La structure se comporte comme une réelle structure tridimensionnelle.


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Lili Szabo, planche analytique des ateliers de la Corderie alla Tana

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CORDERIE ALLA TANA

Ce bâtiment est très linéaire, ceci est imposé par la production des cordées de chanvre. Si la structure peut paraître plus simple et plus sérielle que les Gaggiandre, elle n’en est pas moins complète dans sa réponse aux nécessités industrielles. Ainsi les dépôts de chanvre et de cordages devaient se trouver dans le même bâtiment, et le bâtiment devait être très clos pour éviter de nouveaux incendies. Le bâtiment d’ origine de 1322 avait, en effet, été brûlé dans un incendie, le bâtiment actuel a été reconstruit en 1579 par Antonio da Ponte. Les fermes des bâtiments ainsi conçus linéairement, jusqu’au XVIème siècle étaient constitué de simples fermes de bois.

Vue perspective de la Corderie della Tana, Lithographie, XVIIIème siècle, auteur inconnu

Dans la nouvelle Corderie, les entraits sont surdimensionnés. Et contrairement aux théories qui prévalent une dissociation de l’entrait et des montants pour éviter l’affaiblissement possible dû aux déplacements sur les liaisons, on retrouve des nœuds rigides avec étriers de métal, ainsi qu’une pré tension de l’ entrait. Cette situation est relative à la nécessité d’accrocher de lourds chargements à l’entrait. Ainsi la conception structurelle de l’Arsenal est étroitement liée au processus de construction des bateaux.

Vue perspective de la Corderie della Tana, source inconnue

Fonctionnement structurel de la charpente, in Structural Analysis of historical construction

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Lili Szabo, planche analytique de l’atelier Squadratori

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LES SQUADRATORI Le bâtiment des Squadratori a été conçu pour la réalisation du placage par Scalfarotto en 1778. Il y avait donc besoin d’une grande hauteur, ainsi que de grandes ouvertures pour le passage de pièces et d’un l’éclairage abondant. C’est le bâtiment le plus monumental du chantier naval, avec une écriture en partie empruntée à Palladio. On ne reconnaît plus vraiment le bâtiment aujourd’hui à cause des modifications qui y ont été apportées au XIXème siècle, le grand espace ayant été coupé par l’ajout d’un plancher soutenu par un réseau de colonnades en rez-de-chaussée. Le plan original respecte avec un certaine habileté le rythme des Squeri della Novissimetta auquel il s’adosse. Son mur ouest est l’ancien mur d’enceinte. Tout comme la Corderie, ce bâtiment a un mode de développement linéaire, par la répétition d’une « unité architecturale ». Sa charpente présente une liaison mixte entre les montants, l’ entrait et les contrefiches. Cette structure étant plus tardive, elle bénéficie d’une connaissance des structure mixtes boismétal beaucoup plus avancées (Polonceau …). La charpente est elle simplement posée sur les murs périphériques.

Giorgio Ganis, plan et élévation des Squadratori

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Pierre Brique

Béton

Bassin de carénage moyen de l’ arsenal, Archive Zanon

Bassin de carénage moyen de l’ arsenal, in Documento direttore per l’Arsenale di Venezia 2015

Coupe schématique d’un mur bajoyer, source inconnue

Lili Szabo, plan et coupe du bassin de carénage à forme de radoub de 1910 de l’arsenal de Venise

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BASSIN DE CARENAGE : UNE NOUVELLE ERE DE LA PRODUCTION DE L’ARSENAL

LA FORME DE RADOUB DE 1910 En 1869 un projet d’extension est lancé pour pouvoir adapter le chantier à la production de bateaux métalliques de plus grandes dimensions avec des bassins de carénage en pierre. L’extension est très ample et demande la déviation du canal Biria et la solidification d’une zone marécageuse. En 1873-1875, le premier bassin de carénage, de 90 mètres de long est construit. En 1878, est construit un second bassin de carénage de 125m de long. Et enfin, en 1910, est construit le grand bassin de 240m, puis agrandi à 250m en 1912. Ce type de bassin de carénage s’appelle à forme de radoub. Le fond du bassin s’appelle le radier, c’est une surface plane, sa côté est inférieure à celle de la lagune. Le bassin subit des pressions importantes lorsque le bassin est asséché (circulations d’eau de mer dans le terre-plein dans lequel est creusé le bassin). Le radier se comporte comme une voûte inversée, l’essentiel des efforts qu’il doit reprendre s’exerçant du bas vers le haut. Les « murs » du bassin sont nommés les bajoyers. Ils se rejoignent au niveau du nez du bassin, souvent de forme effilée (la forme d’ogive permet de reprendre les poussées des terres et accueillir la forme du bateau). Ce sont des murs-poids, plus larges à leur base qu’à leur sommet, créant des banquettes (permettant la circulation du personnel et le positionnement de clefs de stabilité). Ici l’irrégularité des pierres est rattrapée par une partie en brique avant la partie en béton, finalement ce n’ est qu’une couche relativement fine qui est ici de pierre de taille. La zone d’entrée du bassin est la zone la plus fragile, car elle doit reprendre les efforts de la poussée d’Archimède, les feuillures maintenant la porte sont donc spécialement renforcées. ϱϯ


Luke Hayes (photographe), Pavillon d’entrée de la Biennale 2016, Alejandro Aravena.

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L’ARSENAL DE VENISE UNE HISTOIRE STRUCTURELLE, ARCHITECTURALE ET INDUSTRIELLE

III. RECONVERSION ARCHITECTURALE DE L’ ARSENAL : DIVERSITE STRUCTURELLE ET PROGRAMMATIQUE A

Objectifs de reconversion

B

Le Palais des congrès

C

Quelques exemples de reconversions

Présentation du nouveau document directeur Projet de Louis Kahn - la grande portée Le pavillon flottant de la Biennale de 2004 La tour de la Porta Nuova Bureaux MOSE et Thetis - Tese della Novissima Passerelle Nord

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Manufacture et Chantier naval Services collectifs : bureaux, laboratoires généraux Innovation : laboratoire de recherche

Logements Culture : espaces d’exposition et de commerce Marine Militaire

Lili Szabo, plan de la répartition générale des usages dans l’Arsenal.

Situation actuelle

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OBJECTIFS DE RECONVERSION

PRÉSENTATION DU NOUVEAU DOCUMENT DIRECTEUR La problématique de la reconversion est un sujet qui a été ouvert dans les années 1970, et qui continue jusqu’à aujourd’hui avec toujours de nouveaux chantiers et une série de documents directeurs, le dernier étant de 2015. La commune de Venise est devenue propriétaire d’une grande partie de l’Arsenal en 2013, prenant alors vraiment les rennes de sa réorganisation. La problématique principale de l’Arsenal est aujourd’hui son inaccessibilité et le manque d’unité.

Les bâtiments sont classé selon leur état, leur typologie et leur « qualité architecturale » pour décider de leur démolition, de leur restauration, reconstruction. Il en ressort que le langage structurel de colonnes, murs et arcs de l’Arsenal est à préserver. La nouvelle vie de l’Arsenal convoque de nombreux acteurs, qui interviennent ensemble sur la réhabilitation d’un même édifice. Ainsi le magistrat de l’eau est responsable de nombreux travaux d’infrastructures et de mise en sécurité. Sur le dernier projet global porté, les acteurs indépendants ou les institutions externes à la commune, sont beaucoup plus en retrait par rapport aux actions menées avant 2013 (cf. plan des interventions page suivante.)

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Magistrato Acque Sopraintendenza Comune di Venezia Marina Militare Biennale THetis ACTV

Lili Szabo, plan des acteurs ayant exécutés des interventions de restauration dans les 30 dernières années

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Ne serait-ce que le document directeur par exemple a été étudié et rédigé par plusieurs organismes tous acteurs de la commune de Venise: 

Direzione Sviluppo del Territorio Settore dell’Urbanistica Centro Storico ed Isole : instance de décision et d’archives et cartographie de l’urbanisme de la commune de Venise, coordination des outils et des actions urbanistiques menées.

Progettazione Urbanistica Attuativa Centro Storico ed Isole : coordination, définition des programmes complexes

de transformation urbaine, expérimentation de nouveaux instruments de contrôle de la planification, coordination de la gestion du site Unesco « Venezia e la sua Laguna » 

Direzione Patrimonio : gestion du patrimoine immobilier de

Ufficio Arsenale : valoriser l’Arsenal par le biais d’un projet

la commune, programmation des ressources humaines et financières, opérations de transformation et valorisation patrimoniale

soustrayant l’arsenal à une seule fonction touristique mais générer un nouveau poste de travail de qualité, ouvrir l’aire à la ville, définir le sujet, la gestion des actions du projet de régénération.

L’institution de la Biennale est également un élément phare de la reconversion elle commence à coloniser l’Arsenal dès 1974, ce qui lui permet d’avoir une surface d’exposition de très grande ampleur, elle dirigera certaines opérations de rénovation (cf. plan page de gauche).

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5

Espace vert public réglementé Espace vert public Arrêt de Vaporetto Parcours public Parcours public projeté Parcours public réglementé Parcours public réglementé projeté Parcours réglementé dans la zone militaire Entrée publique réglementée Entrée publique réglementée projetée Entrée publique Entrée publique projetée Lili Szabo, plan du projet d’ouverture urbaine de l’Arsenal

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5

Restauration conservative Restructuration avec lien partiel Restructuration Démolition Localisation de possibles nouvelles constructions Axes directeurs de pour nouveaux édifices

Lili Szabo, plan de synthèse des stratégies d’interventions, passées et futures.

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Passerelle Nord p 80

MOSE & Thetis p

Tour Porta N Pavillon Flottant p 68

Palais des congrès p 64

Plan de localisation des édifices présentés

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Nuova p 72

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Louis Kahn, plan du palais des congrès de Venise, premier projet Giardini, 1970

Louis Kahn, plans du palais des congrès de Venise, 1974

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LE PALAIS DES CONGRES

LE PROJET DE LOUIS KAHN 1968-1974 Ce projet a d’abord été pensé pour être installé dans les jardins de la Biennale, puis Louis Kahn se voit obligé de le repenser au sein de l’Arsenal. Ce projet n’a finalement jamais été réalisé. Bien que Louis Kahn ait analysé l’Arsenal avant d’y déplacer le projet, celui-ci ne change que très peu. Le bâtiment s’affine pour venir s’intégrer à l’échelle des Tese de l’Arsenal Vecchio. Le projet est placé dans la perspective de la Porta Magna, venant générer une nouvelle séquence représentative forte.

Le concept du bâtiment est un architecture de pont qui vient créer une place en sous-face du palais des congrès, puis à l’ arsenal, le pont vient enjamber la darse* Vecchia. Le fin plancher en béton précontraint en parabole permet que les sièges soient placés dans une légère pente et dans une série de cercles concentriques, il y a une référence aux théâtres grecs et au campo di Siena. Les deux piles servent à la circulation verticale. On peut voir sur le plan un traitement de sol et un dessin du quai, en relation avec l’attitude vénitienne de cohérence du bâtiment avec son parvis.

Louis Kahn, coupe structurelle du palais des congrès de Venise, premier projet Giardini, 1970 (accroche avec tirants centraux et plancher à caisson

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Giulia Foscari, Elements of Venice, Lars Muller Publishers, 2014

Maquette du palais des congrès, source inconnue

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Dans ce projet, Louis Kahn multiplie les réemplois de l’ architecture vénitienne avec notamment le parement en marbre ou encore les dômes recouverts de plomb rappelant San Marco,

La structure vient servir véritablement l’usage. De l’organisation générale avec les circulation verticales dans les piles et le programme du bâtiment dans la « poutre ». Mais aussi la gestion de la pente de la salle de conférence, ainsi que la distinction de l’ espace central et des espaces de circulation. Ainsi, au niveau de la salle de conférence, les circulations horizontales sont logées dans les poutres. La poutre résulte de la compréhension de la partie supérieure et de la partie inférieure comme fonctionnant en interaction. Seul, le plancher parabolique, provoquerait beaucoup trop de poussées horizontales. La poutre supérieure, récupère non seulement une partie des charges reçues par le plancher parabolique, mais permet aussi d’avoir une arrivée de charges verticales forte en tête de pile.

Image de synthèse du palais de congrès, source inconnue

Alexandre de la Foye, Principe de la poutre sous-tendue, 2012

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Studio Cecchetto, coupe perspective du Pavillon 2004

Studio Cecchetto, plan du Pavillon 2004

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QUELQUES EXEMPLES DE RECONVERSION

LE PAVILLON FLOTTANT DE LA BIENNALE DE 2004 Les biennales d’art contemporain et d’architecture de Venise ont été de grands moteurs de reconversion de l’Arsenal de Venise. Ce pavillon « Ville d’eau », réalisé par Alberto Cecchetto en 2004 pour la biennale d’architecture est une structure légère et temporaire, économique, facilement mise en œuvre et démontable faîte en éléments d’échafaudages. Le plancher également est crée par l’assemblages de cubes en plastique, très légers mais qui peuvent supporter jusqu’à 350 kg/m². Cette architecture revendique une esthétique de l’instable. Elle vient en partie s’abriter sous le toit des Gaggiandre, s’accrocher à la berge et s’avancer sur la darse*, dans une position très ambiguë dans son rapport terre-eau. Il réemploi les nombreux jeux de relations de la ville lagunaire avec des quais, des ponts, l’ idée de piscina*, ou bien même l’échelle presque du sotoportego*. Au final Alberto Cecchetto vient créer un nouveau micro archipel temporaire.

Studio Cecchetto, photographies du Pavillon 2004

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Studio Cecchetto, Image de synthèse de l’insertion du projet dans la Darse grande

Studio Cecchetto, Coupe du Pavillon 2004

(On observe le rapport d’échelle du pavillon et des Gaggiandre, l’espace du bateau face à l’ espace de l’homme)

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La façade en panneaux de polycarbonate est un mode d’ animation nocturne de la façade par des jeux de reflets, ce qui peut être vu comme une métaphore aux canaux vénitiens de nuit. Mais cette enveloppe permet aussi au bâtiment de devenir une réelle lanterne dans l’arsenal. Ici la façade ne vient pas se plonger dans l’eau, mais se soulever et ce détacher du plancher du pavillon pour créer un effet de flottement. La nuit, le bâtiment et son reflet ne se confondent pas du fait de ce soulèvement, on a deux faces qui se confrontent, une se perdant dans l’obscurité du ciel et l’autre de la surface aquatique.

Studio Cecchetto, photographie du projet. 2004

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Machine de levage de la tour de la Porta Nuova, Archives Nationales de France

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QUELQUES EXEMPLES DE RECONVERSION

LA TOUR DE LA PORTA NUOVA La tour de l’entrée occidentale est, encore une fois, plus un élément de chantier naval qu’une tour de garde défensive, comme on peut le voir sur les plans à gauche. L’intervention de MAP Studio dans cette tour est intéressante plus par le parcours qu’elle offre et sa capacité à révéler l’ architecture préexistante que par la réelle surface d’exposition. Ainsi, des escaliers et des rampes de béton précontraints (préfabriquées pour les conditions de chantier très complexes), recouvertes d’acier corten viennent se loger dans les refends. L’ espace de la tour est donc grandement libéré, le visiteur ayant un parcours ascensionnel au même temps à fleur des briques, et au même temps en surplomb de cet espace d’exposition. Cette ascension se poursuit jusqu’à mener à un mirador sur l’ Arsenal. Ce nouveau projet utilise le volume capable de la tour et y ajoute des planchers fixés aux murs d’origine. La tour conditionne beaucoup les conditions de chantier, ce qui conduit à privilégier des solutions préfabriquées et d’assemblage.

Montage d’une volée de la rampe préfabriquée, in AMC intérieurs 2012

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Alessandra Chemollo (photographe), montage du plancher acier / bac-collaborant.

De gauche à droite : Coupe du projet, Studio Cecchetto. Alessandra Chemollo (photographe), vue intérieure. Alessandra Chemollo (photographe), vue extérieure du chantier.

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Les solutions sont diverses, on retrouve par exemple pour la rampe des planchers mixtes en béton précontraint qui viennent directement se déposer par grue et se boulonner aux corbeaux encastrés dans les murs d’origine. Le chantier s’est déroulé du bas vers le haut, venant déposer successivement par le dessus les planchers successifs. Le dernier plancher (que l’on peut voir sur la page de gauche) est un plancher mixte de poutres IPN et de bac-collaborant. On remarque une ossature métallique en sous-face, mais celle-ci n’ a pas de fonction structurelle, elle permet de générer une compression spatiale.

Alessandra Chemollo (photographe), vue intérieure du chantier.

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Studio Cecchetto, axonométrie éclatée du projet.

Concept des boîtes dans la boîte articulées par la colonne vertébrale

Studio Cecchetto, plan du projet, 2009

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QUELQUES EXEMPLES DE RECONVERSION

BUREAUX MOSE ET THETIS - TESE DELLA NOVISSIMA Ce projet de 2009 de bureaux partagé pour MOSE et Thetis. Mose (qui signifie Moise en italien) est un projet qui regroupe des chercheurs et des ingénieurs sur la recherche, la planification et la gestion de projets pour la sauvegarde de Venise (digue pour retenir l’acqua alta, nouveau port de Chioggia …) et de son écosystème. Thetis est un laboratoire de recherche pluridisciplinaire pour les solutions durables dans des situations côtières complexes, en relation aux infrastructures et les territoires lacustres, lagunaires, ou marins. L’installation de ces bureaux dans l’arsenal est le témoin de la volonté de redonner à l’Arsenal une qualité d’excellence scientifique. Ces bureaux viennent s’installer dans six des Tese* de la Novissima qui étaient des bâtiment de chantier, transformé en entrepôts au XIXème siècle. Le changement d’usage beaucoup plus radical, la nécessité d’isoler, et de séparer des groupes et de densifier le projet a poussé les architectes de Studio Cecchetto à dessiner une nouvelle structure qui serait apte et conforme à toutes les exigences contemporaines de confort et d’usage, à l’intérieur de la structure même des Tese de la Novissima.

Photo de chantier, Studio Cecchetto

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Jeux de lumières et de perspective, une recréation de l’urbain dans les Tese, Studio Cecchetto

Studio Cecchetto, coupe du projet, 2009

La densification des Tese par l’insertion d’un nouvel étage, rapport d’échelle, quelles proportions pour quel usage.

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Cette structure d’acier indépendante, vient tout de même jouer avec l’existant qui est très puissant spatialement et matériellement. Le projet propose une lecture de boîtes dans les boîtes qui sont unifiées par une colonne vertébrale, une passerelle qui traverse toutes les Tese dans une légère oblique. Le projet affirme sa propre matérialité mais offre aussi comme troisième face beaucoup de vue sur les murs, colonnes et charpentes d’origine. Ainsi on a un réel dialogue entre les colonnes de pierre d’Istrie, les murs de briques, les fermes métalliques, le verre transparent et blanc du projet, qui se pose comme une perle dans un écrin, produisant des reflets et des vues indirectes. Spatialement, il se crée un jeu de dialogue entre la structure des Tese et les volumes des bureaux qui gardent une distance de respect permettant de ne pas briser la spatialité et de générer des parcours de dilatation et compression, par la nouvelle installation.

Matière—lumière, Studio Cecchetto

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Coupe perspective de la passerelle (premier projet), Studio Cecchetto, 2006

Photographie de la passerelle nord, Studio Cecchetto

On voit bien que la passerelle s’ancre dans cette superposition d’horizontales qui forment un sous-bassement.

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QUELQUES EXEMPLES DE RECONVERSION

PASSERELLE NORD La muraille de l’Arsenal, depuis la déchéance de l’arsenal comme chantier militaire , n’a plus de raison d’être réellement, mais elle reste un témoin historique ainsi qu’une présence monumentale qui donne une unité à l’ensemble. Dans la logique d’ouverture de l’arsenal à la ville, cette passerelle offre un parcours le long de la muraille nord de l’ Arsenal, à fleur du mur historique, depuis Celestia jusqu’à la partie de Casermette pour atteindre l’entrée nord de l’Arsenal. Elle propose une nouvelle perspective ouverte sur la fondamenta* nuova et le cimetière de San Michele. La passerelle de 400 mètres de long existait déjà, voici son projet de reconstruction en 2006, car la précédente avait été rongée par les embruns. Cette nouvelle passerelle est en acier corten, encastrée d’un côté dans la muraille de briques, offrant un parcours périmètral. En porte-à-faux au dessus d’une barene (zone marécageuse de la lagune qui émerge à marée basse). Le choix d’un matériau beaucoup plus sombre sur lequel il s’ancre est une décision pour créer une nouvelle forte horizontale très sombre de jour et par contraste très claire de nuit.

Photographies du projet, Studio Cecchetto

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Xu Bing, Phoenix, 2015 (photographie Inexhibit 2015)

L’arsenal est « un système de suggestions héroïques (…) suggestions d’ une ouverture du regard et une capacité de projection »

Egel R. Trincanato, Guide de l’architecture mineure Venise, 1997

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L’ARSENAL DE VENISE UNE HISTOIRE STRUCTURELLE, ARCHITECTURALE ET INDUSTRIELLE

CONCLUSION

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Gli Squadratori, source : Marina Militare

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CONCLUSION

DE LA STRUCTURE CAPABLE Nous avons vu tout au long de ces exemples et cette réflexion que l’architecture et les structures de l’Arsenal sont par nature caractérisées par leur contexte lagunaire et par les usages de production navale. Comme le dit Palladio, les bâtiments sont de réels éléments de la machinerie de production. Il y a une relation complexe entre des savoir-faire industriels, architecturaux et des contextes politiques. La question principale que l’on pourrait mettre en regard réflexif sur les bâtiments et l’histoire présentée est la suivante : Quand ces modes de production et nécessités évoluent, comment la structure est-elle capable d’amortir ou non ces modifications ? On pourrait relever deux qualités des structures de l’Arsenal, la structure comme production d’un espace capable et la structure comme machine efficiente. Ces qualités sont au cœur de la puissance de ce complexe, mais elles ont aussi souvent été mises en crise dans la perpétuelle évolution depuis le XIème siècle. Les Tese ont été particulièrement mises à l’épreuve par l’ évolution des tailles des navires. Ainsi, au XVIème siècle, elles ont eu le grand avantage de pouvoir accueillir, en plan, les nouveaux vaisseaux, car auparavant elles étaient prévues pour pouvoir y construire deux bateaux simultanément. En revanche, les murs ont été surélevées et les charpentes toutes refaites. Il y a eu une capacité d’adaptation bénéfique.

En revanche, au XIXème siècle, la capacité d’adaptation a montré ses limites. L’Arsenal n’avait pas la capacité de s’agrandir outre mesure et n’était pas équipé de fonderies modernes, ce qui a marqué le coup d’arrêt de sa puissance industrielle. Le centre névralgique de la production navale vénète s’est alors dispersé entre Marghera, Ancône, Terni et Malamocco.

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Anja Thierfelder, transsolar’s dynamic ‘lightscapes’ , 2016, Biennale Venise.

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Aujourd’hui, certaines des Tese ont été transformées en centre de recherche et bureaux. La nécessité de densifier les espaces, de gérer des espaces thermiquement a entrainé la création de nouvelles sous-enveloppes et sous-plancher. Les structures du chantier naval, sont des réponses très spécifiques, comme nous l’avons vu, à des activités précises. Actuellement, la capacité de structure opérante qu’elles présentent, n’ est exploitée que très rarement. Le pavillon d’entrée de la Biennale 2016, de Alejandro Aravena, exploite cette capacité portante en sous-face des charpentes de la Corderie, en suspendant des tonnes de pièces métalliques à la toiture.

Suite à la crise de l’adaptation de l’Arsenal de la fin du XIXème siècle au milieu du XXème siècle, le changement radical de son utilisation apporte de nouveaux questionnements et réponses parfois contradictoires à la définition ancienne de l’Arsenal. Il devient un laboratoire de réflexion et d’intervention de la reconversion post-industrielle. L’Arsenal n’est pas un cas isolé. En effet, au XXème siècle de nombreux complexes industriels, se sont retrouvés en crise à cause de l’expansion de la ville, du changement trop radical des modes de production et de la réduction de la production industrielle. L’Arsenal a la particularité d’être au cœur d’une ville dense, qui n’a quasiment plus de possibilité de croissance sur sa partie lagunaire. Ainsi, la question de l’ouverture à la ville est une problématique primordiale. Amples, sobres, d’une justesse structurelle et esthétique, ces espaces montrent aujourd’hui une capacité à accueillir des installations et de nouveaux parcours très esthétiques de confrontation du contemporain et de l’historique. Quand Alejandro Aravena parle de la pertinence contre l’abondance lors de la dernière Biennale d’architecture, on peut appliquer sa thèse à l’ Arsenal. Ainsi, la justesse du geste, la réponse à un contexte, devient une base solide et pérenne qui non seulement règle les besoins contemporains mais peut ensuite également être réinterprétée. ϴϳ


GLOSSAIRE

POLIFORA : (italien) Type de fenêtre multiple. Elle est constituée d’une série d’arcs divisée par des colonnettes, dans un numéro indéfini d’ouvertures. Ces fenêtres sont typiques de l’architecture gothique. Dans l’architecture vénitienne ils coïncident avec la position du salon principal. Son nom peut changer en fonction du nombre d’ouvertures (pentafora par exemple). ARSENALOTTI : (italien) Le terme arsenalotto indique l’ouvrier d’un arsenal. Dans la République Sérénissime, les arsenalotti étaient une corporation de militaires-ouvriers, corporalisée et étatique, regroupant tous les corps de métier. Ce corps social était responsable de la surveillance de l’Arsenal. Les arsenalotti constituaient en fait le nerf de la marine vénitienne. TESA : (italien) Terme propre aux bâtiments sériels de l’Arsenal de Venise, ce sont des

ateliers/usines.

REPUBBLICA SERENISSIMA : (italien) La république de Venise fut créée au Moyen Age, c’est un Etat qui s’est constitué par l’annexion de territoires et comptoirs commerciaux sur la mer adriatique, en méditerranée orientale et en Italie du nord. Elle fut une des principales puissances économiques et politiques européennes, forte de sa puissance marchande entre l’Orient et l’Occident. Elle disparait en 1797 sous l’occupation des forces napoléoniennes.

LIDO : (italien) Dépôt de sable et de graviers du à l’accumulation amenés par le flux ;

bande de terre qui divise une lagune de la mer.

TETTOIA : (italien) Construction apte à couvrir des espaces ouverts, constitué d’une couverture qui s’appuie sur des colonnes, des poteaux ou des pilastres. PISCINA : (italien) Elément d’urbanisme vénitien, il représente une rue très large, présente suite à des travaux d’enterrement d’un canal. FONDAMENTA : (italien) Rue en bordure de canal (caractéristique de l’urbanisme

vénitien), elle a classiquement des bordures de pierre d’Istrie et est ponctuée d’escaliers et d’amarres pour le chargement des marchandises et personnes des bateaux.

SOTOPORTEGO : (italien) C’est un des éléments les plus caractéristiques de l’urbanisme vénitien. C’est un passage creusé dans le corps d’un bâtiment pour relier la rue a une cour intérieure, une placette ou une fondamenta. Lorsque ce passage est en bord de canal on l’appelle plutôt fondamenta couverte. ϴϴ


DARSE : (de l’italien darsena) Bassin abrité à l’intérieur d’un port. Ce dit dans certains

ports, surtout de la Méditerranée

BATAILLE

DE LÉPANTE : le 7 octobre 1571. La bataille de Lépante est une des plus grandes batailles navales de l'histoire. Durant la 4ème guerre vénéto-ottomane, dans le golfe de Patras en Grèce, des escadres ottomanes et de la Sainte Ligue se sont confrontées (vénitiennes, espagnoles, génoise, maltaise, pontificales et savoyardes). Cette terrible défaite des Turcs a marqué un coup d'arrêt de l'expansionnisme ottoman.

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BIBLIOGRAPHIE

Il sottosuolo ed i problemi geotecnici di Venezia, Mestre e Marghera P. Colombo Construire à Venise : Les stratégies de construction et de développement urbain au sein du système lagunaire vénète - Enoncé théorique du projet de Master - Konstantinos Dell'Ollivo - 2011 - EPFL Progetto Arsenale : Studi e ricerche per l'arsenale di venezia - a cura di Paola Gennaro e Giovanni Testi - IUAV - Venise - 1985 La rinascita dell'Arsenale : La fabbrica che si trasforma - A. Dina Comune di Venezia - Marsilio - 2004 Documento Direttore per l'Arsenale di Venezia 2015 - Città di Venezia L'arsenale di Venezia e i cantieri navali della marina - Pasquale Ventrice - Il contributo italiano alla storia del Pensiero - Tecnica 2013 GCI 315 – Mécanique des sols II, Mourad Karray

Structural Analysis of Historical Construction - Claudio Modena, Paulo B, Lourenço, Pere Roca - AA. Balkema Publisher - 2005 Elena Bassi dans Guido Perocco et Antonio Salvadori, civiltà di Venezia, trad. de l’italien, Venezia, 1977 HAULuP, Heritage of Urban Landscape under Production, Venezia Arsenale, Margherita Vanore, 2013, Libellula Edizioni Giulia Foscari, Elements of Venice, Lars Muller Publishers, 2014 La construction navale en bois aux XVIIe et XVIIIe siècles, musée national de la Marine, Services culturels, Paris, 2005

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Reporting from the front, Biennale Architettura 2016, 28.5-27.11, Guide, Ed. Marsilio REVUES Bauwelt, 20 mai 2011, n°102, p 22-31 Casabella 802, 6 juin 2011 Progetti, Rivista dell’arquitettura italiana, n°7 Squeri d'Arte all'Arsenale - Lotus international - juin 2000 - n° 105 - p 6-24 CONFERENCE Mauro Marzo, venezia citta nobilissima, storia dell’architettura nella laguna veneta, février 2016, IUAV, Venise VIDEO L'arsenale della Repubblica di Venezia - Anna de Sigis - Milena Lion - Production Assonautica 19 Terza Passegiata patrimoniale, Ufficio Arsenale, 2014 LIENS INTERNET http://www.comune.venezia.it http://194.199.191.5/taiga_ftp/cours/2011/101587/ Kahn_non_construit.pdf http://www.treccani.it http://www.marina.difesa.it http://www.labiennale.org/

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L’arsenal de Venise a été, pendant des siècles, le centre d’innovation et de production de la technologie navale vénitienne. L’architecture de son complexe a su au fil de l’évolution des techniques architecturales et navales faire évoluer sa structure. Pendant le XIXème siècle, il subit une crise sans retour et perd une grande partie de sa fonction industrielle. Il se pose alors la question de sa reconversion et vient montrer la capacité d’évolution cette fois dans un cadre hors du contexte industriel. Ce travail fait une lecture de structures de l’Arsenal de différentes

époques dans leur contexte complexe. Entre histoire, politique, industrie, lagune et patrimoine, c’est un kaléidoscope de réponses architecturales et techniques qui nous est présenté.

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