Une horloge n'est pas le temps (extrait)

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Matthieu Loos

17,00 € TTC ISBN : 978-2-917659-56-4 Dépôt légal : octobre 2016 www.editions-libel.fr



Tant qu’on n’a pas prouvé que c’était faux, c’est peut-être vrai. Peut-être.



Parce que je n’en sais rien. Prenons le temps. Le reste, c’est de la poésie. Le temps réel n’existe pas. Il nous semble vivace mais ne coule pas, Engourdissons-le ! Il est des cycles que l’on devine. Qu’on en reste là ! Tant qu’il y a du mouvement dans l’espace, les minutes se distendent. Le temps ne s’écoule pas de la même façon en chaque chose qui remue. Chef artificier, je déclare sans fierté que j’ai un plan pour engourdir le temps. Entre le 29 février 2015 et le 29 février 2016 s’est écoulée la dernière année grégorienne, coïncidant avec la première année engourdie, longue d’un an et un jour poétique. Depuis le 29 février 2016, nous sommes soumis au seul calendrier engourdi et ses trois règles simples : - chaque année du calendrier engourdi est la seule qui soit considérée, à jamais. - chaque millésime existe en soi, furieusement bissextil, et commence avec le 29 février du calendrier grégorien, même si celui-ci doit parfois y être ajouté. - le temps y roule comme une brise. Chers amis, des pages se suivent, dénombrées en silence, exhumant la dernière année grégorienne où s’éveilla ma supplication bissextile, généreuse et engourdie. J’ai dans l’idée que de chaque flânerie émerge un feuillet. Ou l’inverse. Peu importe.


08.02.15 Mes amis, Chers flâneurs abîmés, Je vous dois bien deux circonflexes. En signant la pétition « Offrons-nous un 29 février 2015 ! », vous vous êtes associés à une lutte essentielle contre la course du temps. Mais nous sommes encore trop peu nombreux… petite cohorte des fantassins de l’inepte, nous chuchotons encore. Pour amplifier notre essor étincelle, il nous faut communiquer feu de Bengale. Étendus sans peur à la droite de l’inepte, le serrant dans nos bras, nous nous offrirons un jour de plus, un jour impossible. Nous rêvons cet impossible, et l’ignorons. En déclarant 2015 bissextil, nous refusons et célébrons l’inadmissible, lui opposant son reflet. Nous refusons l’idée même de temporalité. En frappant sur le temps, apparemment insaisissable, nous invoquons ensemble une raison nouvelle, justement déraisonnable. La contradiction est notre idéal. Pas comme alternative, mais parce que dans la co-existence des contraires, dans leur frottement, jaillit la vie. Ce que nous avons compris, c’est que pour qu’existe cette harmonieuse dynamique, il faut parfois servir l’absurde. Ou l’inverse. Peu importe. Au chapitre des bonnes nouvelles, je vous annonce sans fierté que Grégoire XIII, vieux pape et auteur du calendrier grégorien, m’a contacté. Pour mémoire et culture : son œuvre calendaire fut érigée en 1582, rattrapant 10 jours « perdus » sur la course du soleil, et instaurant un nouveau cadre bissextil, ni amoureux ni souple. A ma grande surprise, il est encore vivant, et parle français avec un délicieux accent latin. Sa jambe droite est très longue, il écoute peu, et tresse sa longue barbe blanche façon aubépine. Dans son discours téléphonique, il me félicita pour mon initiative, m’apportant un soutien théorique à la fois inutile, surprenant et indispensable. Selon lui, 2015 sera bissextile ou ne sera pas. Il n’est pas le premier grand homme d’État à rallier notre cause, et surtout, il n’est pas le dernier. Le président français, son Premier ministre et leurs disciples répondront bientôt. Ils n’ont guère le choix. En attendant, flâneurs abîmés, nous chuchotons encore. Il faut amplifier notre essor étincelle, il nous faut communiquer feu de Bengale. Utilisez mes mots, utilisez les vôtres. Diffusez cette pétition. Feu de Bengale. Le reste, c’est de la poésie.

M. L.


16.02.15 Mes amis, Libres couturiers du temps, Notre dé à coudre a débordé ! Je vous annonce sans fierté une nouvelle grande victoire. En effet, après de longues semaines de combat, nous avons enfin atteint le nombre de soutiens nécessaires ; la pétition « Offrons-nous un 29 février 2015 ! » a donc officiellement été transmise à François Hollande. Suite à mon premier courrier, voici donc un second aiguillon dans l’épiderme national. Je ne doute pas que dans la cohorte des lecteurs élyséens, certains sauront reconnaître en notre bissextile cause une affaire à considérer en haut lieu. Et face au charme de notre ânerie, le chef de l’État saura mollir. L’alternative que nous lui offrons est sévère : donner raison à des rêveurs, ou les endormir. Nous serons les vainqueurs accidentés d’une bataille émue. Ou l’inverse. Peu importe. Nos flâneries auront lieu, j’en suis convaincu. Alors, commençons déjà à ne rien prévoir pour notre 29 février 2015. Le reste, c’est de la poésie.

M. L.


29.02.15




01.03.15 Chers amis, Rêveurs visionnaires, Notre 29 février 2015 a eu lieu ! Encore ivre de mes grises flâneries, je ramasse nos hi-han. Quelle moisson d’ânerie... Le 29 février 2015 – presque dimanche, Quand d’autres ignorants – moins courageux – croupissaient déjà en mars Immobiles, nous, dévoués imbéciles, voltigions au grand air en hurlant notre inconséquence. Et ce fut facile ! Il a suffi de le désirer. Il a suffi d’y croire – et il est encore temps de s’en convaincre. Oui. Qui, le 1er mars, osa affirmer que le 29 février 2015 n’avait pas existé ? Personne. Car personne n’en savait rien. Sur notre formidable ignorance s’est ouverte la rêverie, sur la page avinée s’est écrit la musique. Nous, flâneurs débonnaires, avons affirmé que le 29 février 2015 existerait, et il exista. Nous avons créé un présent-embarcadère, mirage étincelant de vérité, crédible comme une illusion bien moulée. Le reste, c’est de la poésie. Absurdes combattants, Nous inventerons d’autres doutes, nous briserons d’autres dogmes. Ou l’inverse. Peu importe.

M. L.







Toute chose est soumise au principe d’illusion. Une conviction est un enchantement. Une représentation est un mirage. Prenons la physique. La cosmologie moderne s’étire entre relativité générale et mécanique quantique. Les deux modèles décrivent notre univers main dans la main : quantas pour l’infiniment petit ; espace-temps quand c’est plus charnu. Mais les deux théories se contredisent ! L’une exclut l’autre. Littéralement : elles ne peuvent pas être diligentées en même temps : les résultats d’équations relativistes sont d’amusantes inepties pour un quantiste. Et l’inverse. Peu importe. Notre pensée n’est pas un territoire, ni même un chemin. C’est un mouvement. Elle n’est pas un endroit où se réfugier, ni une cabane d’où méditer. C’est une marche. Aussi, pour décrire le temps, on tripote de nombreux modèles, parmi lesquels on aime : le temps relativiste (« l’enflé trou noir se croit moins vieux qu’il ne m’apparaît »), la temps galiléo-newtonien (« la pomme tombera sur Gaspard dans 29 secondes »), ou le temps subjectif (« c’est long d’écrire un bouquin »). Là encore, ma subjectivité pourra sembler stupide à Galilée, et Isaac Newton paraître ignare à Albert Einstein. Mais ces représentations contradictoires coexistent. Aucune n’est réelle. Seul le temps est réel. Et notre pensée sur le temps n’est qu’une pensée sur le temps, délicieuse fantaisie bourgeoise. Chronos, général en chef de ces armées d’imposteurs, agite sa chimère, et érige son escroquerie comme un jongleur sous une jupe. Comme toute chose, elle est sujette au principe d’illusion.




collectionne le temps



29.03.15




Une nuit à rêver Sous le bras gris d’un chat Engourdi L’esprit adossé Aux balustrades Vaporeuses Plus actif que lundi Dynamo paresseuse Entraînée Aux errances nocturnes Au plancher Traînent les jambes Jalouses d’être Lourdes









29 La tranche de temps dont il faut s’engourdir Pour que les présents s’entrelacent


Matthieu Loos

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