leperlier antoine by leperlier.antoine

ANTOINE LEPERLIER OEUVRES RECENTES VERRE ET PAPIER 2021

Cristallir l'immatériel « Comment faire comprendre que je faisais des images en trois dimensions, que le volume transparent n'est qu'une sorte de châssis à peindre sur lequel je proje;e ces images d'un monde à quatre dimensions ? Ce monde étant tout à la fois celui de la mémoire, en tant que domaine temporel du fixe et des images défini@ves, et celui de notre réalité insaisissable, domaine du flux. C'est pourtant bien, selon moi, à ce monde mouvant et chao@que que permet d'accéder le verre, matériau fixe qui montre le flux en cours. L'informe ou la figure ne sont que des états de la forme dans le temps. L'image figée dans le verre émerge-t-elle avant ou après que la forme ne s'informe, n'apparaisse ou ne disparaisse ? Est-on en face de ce qui advient ou de ce qui disparaît ? Prises dans le mouvement, les images saisies dans le verre restent souvent à l’orée du sens et de la figure, et leur iden@fica@on ne saurait être immédiate. C'est indécidable car le temps déforme. » Antoine Leperlier

Si son œuvre plus ancienne avait parfois le hiéra5sme de stèles, affichant des inscrip5ons savantes et poé5ques, présentant des éléments figurés et symboliques – le crâne, le temple, le lièvre... – l'art d'Antoine Leperlier a pris, depuis une dizaine d'années, une tournure moins « classique ». S'il poursuit sa médita5on tragique sur la fuite du temps, la mortalité, l'insaisissable, autant qu'une affirma5on de la mesure de l'homme face à la matérialité du monde et ses limites, c'est avec des moyens autres – disant peut-être même un rapport autre à ces thèmes chers. Si son art con5nue à traduire son obsédante préoccupa5on du passage du temps, c'est au prix désormais d'un lâcher-prise. Après le langage virtuose, presque démonstra@f d'un art symbolique, « à indices » – c'est-à-dire, en quelque sorte, « à message » –, les plus récentes séries d'Antoine Leperlier (Chair et Os et Espace d'un instant) témoignent d'un dépouillement, d'un abandon à ce qui vient et échappe à la volonté. S'efforçant à capter un hasardeux éclat du temps, à saisir une beauté fugace, imprévue, qui ne répond à aucune pensée ordonnatrice, il produit des pièces abstraites relevant de cePe beauté qu'André Breton disait « explosive-fixe, magiquecirconstan@elle ». Beautés « explosives » soudain figées, en effet, affirma5on de la ma5ère dont l'ar5ste ne peut prévoir les capricieuses dispersions : giclées, bulles, érup5ons, dilu5ons qui paraissent n'être plus 2

pigments et verre – mais huile dans l'eau, linges humides et claquant au vent, nuages crevés, poussières en suspensts du « heureux hasard [qui] ne s'adresse qu'à ceux qui savent l'a;endre, n'a de sens que quand il est révélé comme tel, parce qu'on le sait et qu'on l’a;end », dixit Antoine Leperlier, qui revendique le concept de « hasard objec5f » d'André Breton. Cet art non-figura5f désormais, plus sensuel et sugges5f que cosa mentale, dit quelque chose d'une accepta5on du hasard, de l'instant, de ce qui advient. L'œuvre alors témoigne moins d'une impuissance ou d'une capitula5on devant le temps invincible, mais d'un amor fa@. Et qui se dépouille de la volonté de toute-puissance, de l'illusion d'une maîtrise ra5onnelle, mûr alors pour accueillir l'imprévisible beauté que la ma5ère fait surgir et fige enfin : beauté comme gratuite, sans plus de raison ni mo5f qu'un instant de crépuscule. Dans un monde dévasté par le scien5sme et le ra5onalisme économique, cePe vieille leçon de philosophie de deux mille ans, est d'une jeunesse vive et têtue. Et c'est là certainement que réside la force de l'art d'Antoine Leperlier à ce stade de sa vie, de son œuvre et de notre temps. Mikael Faujour 2020