Ulla von Brandenburg

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p. 46 – 47 Le Soleil te regarde (2018) Structure en bois, tissus teints, corde / Wodden structure, dyed fabrics, rope 600 × 700 × 1000 cm Vue de l'exposition / View of the exhibition « Experience Traps », 01.06 – 23.09 2018, Middelheimmuseum (Anvers / Antwerp) Photo : Tom Cornille /  Middelheimmuseum

Le Soleil te regarde (2018) Structure en bois, tissus teints, corde / Wodden structure, dyed fabrics, rope 600 × 700 × 1000 cm Performeur / Performer : Benoît Résillot Vue de l'exposition / View of the exhibition « Experience Traps », 01.06 – 23.09 2018, Middelheimmuseum (Anvers / Antwerp) Photo : Sigrid Spinnox /  Middelheimmuseum


Chorspiel (2010) Photogrammes / Stills Vidéo HD (noir et blanc, son) /  HD video (black and white, sound) 10 min 35 s Collection Fondation Louis Vuitton (Paris) (1/5)


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L’Hier de demain (2019) Tissus teints et peints, œuvres sur papier, objets divers, tables en bois suspendues / Dyed and painted fabrics, works on paper, varied objects, suspended wooden tables Dimensions variables / Dimensions variable Vue de l’exposition / View of the exhibition « L’Hier de demain », 17.02 – 02.06 2019, Musée régional d'art contemporain Occitanie/ Pyrénées-Méditerranée (Sérignan) Photos : Aurélien Mole / Mrac (Sérignan)


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It Has a Golden Sun and an Elderly Grey Moon (2016) Photogrammes / Stills Film Super 16 mm transféré en vidéo HD (couleur, son) /  Super 16 mm film transferred to HD video (colour, sound) 22 min 25 s Collection Noirmontartproduction (Paris) (2/5)

Toutes les œuvres / All the works : Courtesy de l’artiste / of the artist & Galerie Art : Concept (Paris), Meyer Riegger (Berlin / Karlsruhe), Pilar Corrias Gallery (Londres /  London), Produzentengalerie Hamburg (Hambourg / Hamburg)


Découvrir, récupérer, recycler, transformer : thèmes, objets et matériaux dans l’œuvre d’Ulla von Brandenburg 1 par Merel van Tilburg

Scènes d’ouverture Aucun espace n’est neutre – pas même celui du white cube, qui en est pourtant venu à désigner, pour l’art contemporain, un espace d’indétermination générique. Car cette catégorie neutre en apparence est toujours également un espace réel, au sein d’un bâtiment tout aussi réel. L’architecture du Palais de Tokyo, par exemple, est fortement déterminée historiquement et fortement présente dans ses murs blancs. Ulla von Brandenburg a l’habitude de camoufler, de dissimuler, d’habiller les espaces d’exposition. Elle utilise des tissus, parfois du bois, pour créer des espaces autres à l’intérieur du white cube. De telles « ouvertures » nous permettent à nous, visiteurs, de sortir d’un espace générique pour entrer dans des espaces plus spécifiques 2 . En arrivant dans l’exposition du Palais de Tokyo, nous rencontrons une série d’installations sous forme de cabanes dans lesquelles un ensemble de choses ont (ou pourraient avoir) lieu, et dans lesquelles des gens vivent (ou pourraient vivre) ensemble. Les espaces au sein de ces environnements sont à la fois ici et ailleurs, puisqu’ils fusionnent espace réel et espace possible. Les installations peuvent ainsi être envisagées comme des hétérotopies, car, selon la description que Michel Foucault propose de la scène de théâtre, elles se caractérisent par leur capacité à juxtaposer plusieurs espaces et temps dans un même lieu tangible 3 . Le tissu est le matériau par excellence pour ce processus de transformation. Il agit non seulement comme dans les jeux d’enfants où l’on construit un ailleurs imaginaire sous les couvertures du lit parental – ce que Foucault désigne comme l’une de nos premières hétérotopies 4 ; mais il est aussi l’un des principaux moyens qu’a l’humanité pour créer une architecture distincte, des habitats 5. Chaque espace séparé, à son tour, circonscrit et produit des schémas comportementaux et des codes. 1 Merci à Ulla von Brandenburg pour sa générosité et la richesse de nos échanges continus. 2 Voir Jeremy Lecomte, « L e quatrième mur », in Alexandra Baudelot (éd.), Ulla von Brandenburg: It Has a Golden Sun and an Elderly Grey Moon (Mousse Publishing, Milan, 2016), p. 7-20. 3 Foucault développe l’idée d’hétérotopie à trois occasions. Les descriptions les plus élaborées de ce concept ont été présentées au cours de deux conférences publiées après la mort du philosophe. Dans la seconde, Foucault définit six principes d’hétérotopie ; le travail d’Ulla von Brandenburg fait écho à l’un d’eux, la scène de théâtre. Voir Michel Foucault, « Des espaces autres », conférence au Cercle d’études architecturales, 14 mars 1967, publiée dans Architecture, Mouvement, Continuité, no 5, 1984, p. 46-49 ; disponible en ligne : https://foucault.info/documents/ heterotopia/foucault.heteroTopia.fr/. Voir aussi Michel Foucault, « Les Hétérotopies », conférence pour France Culture, 7 décembre 1966, publiée dans Le Corps utopique. Les Hétérotopies (Éditions Lignes, Paris, 2019) ; également disponible en ligne : http://oiselet.philo.2010.pagesperso-orange.fr/OC/Foucault.%20Conference.pdf. 4 Michel Foucault, « L es Hétérotopies », op. cit. 5 C’est l’architecte Gottfried Semper qui, le premier, a déclaré que l’architecture humaine était un dérivé des procédés textiles. Voir Gottfried Semper, Der Stil in den technischen und tektonischen Künsten, oder Praktische Ästhetik, vol. 1 (Verlag für Kunst & Wissenschaft, Francfort-sur-le-Main, 1860) & vol. 2 (Friedrich Bruckmann, Munich, 1863).

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Modifier le white cube de cette façon signifie en remettre en question les systèmes de valeurs et les cadres de pensée. Ce dernier est intimement lié à l’architecture moderne, dont les formes angulaires peuvent rendre l’expérience rigide, surtout quand l’architecte détermine fortement les usages que les personnes feront de chaque pièce et les mouvements qu’elles y effectueront. La « dureté » de ce type d’architecture est renforcée par l’usage de matériaux tels le béton, le verre ou la pierre. Le travail d’Ulla von Brandenburg est influencé par les soft spaces créés par les architectes des années 1970, comme Verner Panton et Nanna Ditzel – directement cités dans la série des tentures percées suspendues dans le hall d’entrée du Palais de Tokyo. L’introduction de matériaux souples et doux dans les intérieurs induisait une déhiérarchisation de l’architecture moderniste, une forme de vie plus démocratique aussi, puisqu’il appartenait désormais à chaque habitant·e de décider comment se déplacer et où s’asseoir ou se coucher. Le foin, qu’Ulla von Brandenburg utilise pour la première fois dans cette exposition, peut lui aussi rendre les espaces plus souples : il peut accueillir toute une gamme de postures corporelles. L’opposition entre architectures « dure » et « douce » préoccupe l’artiste au moins depuis Singspiel (2009), film et installation pour lesquels elle reconstitue en tissu la villa Savoye de Le Corbusier, comme une satire de sa rigidité architecturale et expérientielle. Lors de son exposition personnelle « A Color Notation » (2018) au Musée Jenisch à Vevey, en Suisse, Ulla von Brandenburg crée un tout nouveau musée à l’intérieur du musée, dont elle double l’architecture d’une version plus colorée, en tissus suspendus. L’artiste aborde la question de l’in situ en s’appropriant souvent un aspect historique ou un événement lié au lieu. Les murs en tissu à l’intérieur du Musée Jenisch dessinent ainsi un espace évoquant un intérieur du début du xixe siècle, celui de la villa privée de la fondatrice du musée à Hambourg – ville où, comme Fanny Jenisch, l’artiste a vécu. Non seulement le lieu, mais la temporalité à l’intérieur de cette architecture muséale mobile sont indéfinis : l’exposition est-elle déjà terminée ? Est-elle encore en cours d’installation ? Par un précieux procédé d’impression et de soustraction, qui imite le photogramme ou l’effet décolorant de la lumière du soleil sur les tissus au fil du temps, les tentures murales de Vevey se parsèment de taches de couleur aux formes angulaires. Il peut s’agir ou non de traces d’une présence antérieure – comme des tableaux. Cet exemple particulier s’inscrit dans une longue lignée de stratégies par lesquelles l’œuvre d’Ulla von Brandenburg joue avec l’idée d’exposition, dont le statut, pour elle, n’est jamais fixe. Le textile joue un rôle essentiel en tant que matériau pliable, réutilisable et nomade : l’artiste recycle les tissus d’une exposition à une autre. On retrouve notamment plusieurs des tissus de l’exposition de Vevey dans l’une des installations du Palais de Tokyo. Chaque installation réemploie les textiles d’une exposition passée différente. Cette pratique renforce la superposition métaphorique des espaces et ajoute au va-et-vient entre les espaces réels, présents, et les espaces mentaux, autres. Chaque exposition d’Ulla von Brandenburg est le résultat de toutes les précédentes et contribue à la constante expansion d’un palais de la mémoire. Une hétérotopie est un monde en soi, avec des limites, comme une scène de théâtre. De façon similaire, les mondes qu’Ulla von Brandenburg ouvre et crée sont

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12 Modèle pour un « rideau de théâtre présentant des vues de villes et de rues ou des ornements quelconques et des réclames aux endroits vides » / Model for a “theater curtain presenting views of cities and streets or any ornaments and advertisements in empty places” Brevet déposé par / Patent deposited by Stern à / in Paris, 1892 Photo : Archives INPI

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13 Mise en scène de / Staging of Pelléas et Mélisande (1893) de / by Maurice Maeterlinck par / by Julie Duclos, Festival d’Avignon, 04.07 – 23.07 2019, La FabricA (Avignon) Photo : Christophe Raynaud de Lage 14 Mise en scène de / Staging of My Fair Lady (1956) de / by Frederick Loewe et / and Alain Jay Lerner par / by Robert Carsen, 05.12 2013  –

01.01 2014, théâtre du Châtelet (Paris) Photo : Marie-Noëlle Robert / Théâtre du Châtelet (Paris) 15 Exemple de rideau brechtien /  Example of Brecht curtain. Mise en scène de / Staging of Die Dreigroschenoper (1928) de /  by Bertolt Brecht, musique de /  with a music by Kurt Weill, vers / circa 1929-1930.


Down with the Curtain by Léonor Delaunay and Manuel Charpy

The drape of the red curtain haunts our imaginations as the very essence of theatre. It preoccupies architects and the directors of theatres and opera houses, and occupies painters, decorators and stagehands. It plays a core part in the theatre’s workings, marking out space and orchestrating time. In 1875 French lexicographer Pierre Larousse described how “at the end of each act the enormous cloth descends from the flies, hiding the stage from the spectators’ view and protecting them from the sight of all the prosaic scene-shifting details that would very quickly remove all their illusions.” 1 The audience’s scrutiny is all the keener in that the curtain dramatises daily life outside the theatre. Mechanics of the Curtain Privacy and Eloquence In the eighteenth century, the curtain abetted the assertion of privacy. On doors and four-poster beds it countered draughts and indiscretions. Jean-Honoré Fragonard’s Le Verrou [The Bolt] (ca. 1777) could just as easily be called Le Rideau [The Curtain], given the way the great red velvet hanging, at once baldaquin and theatre curtain, holds the stage. In the nineteenth century curtains were omnipresent in bourgeois interiors. Draperies were a passion. Finding nudity unbearable, the bourgeoisie cast a veil of modesty over the legs of women and furniture, and even over walls. Everywhere fabric defended privacy while putting it on show. Curtains were always lined, always embellished with festoons and complicated trimmings. The decorators necessary to the bourgeois lifestyle spoke of “picture window settings,” a neat designation for these edifices of fabric that veiled and unveiled the view, creating enigmatic, intriguing forms of privacy. Curtains were to be found wherever a need for theatrics made itself felt in public life. In France pomp—royal, imperial, then republican—made generous use of them: drapes and gathers hymned the powers that be in the ephemeral structures glamourising an entrance into a city, or a speech, or a burial. Solemnity and eloquence: the world of drama provided the model. As it also did in the auction rooms: in this theatre where the value of things was decided, sales were 1 “Rideau,” Pierre Larousse (ed.), Grand Dictionnaire universel du xixe siècle : français, historique, géographique, mythologique, bibliographique, littéraire, artistique, scientifique, etc., Vol. 13 (Paris: Bureau de l’Encyclopédie, 1875).

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