Magazine PALAIS #30

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Aussi, je fais rejouer ces pauvres âmes en peine de la rue du Nadiraux-Pommes enfermées à jamais dans une boucle temporelle, une malédiction saisie d’abord par la pellicule ou, dans mon cas, par le crayon et la peinture. »

db | Une certaine culture underground ou expérimentale – tant cinématographique que musicale – est au cœur de ta pratique. Peux-tu nous en parler ? jean-luc blanc | Je me souviens de Jacques Rivette parlant du cinéma out comme celui d’un refus obstiné d’appartenir à la production cinématographique de son époque, afin de conserver le secret d’un cinéma des origines. L’underground participe de cela, c’est le lieu du contre, un lieu poétique, donc politique. J’ai un goût du minoritaire, de l’expérimental, il me semble que la contre-culture est toujours plus séduisante, parce qu’elle ne fait pas de compromis, ni dans l’excès, ni dans l’esthétiquement correct du moment. ab | Comment votre activité est-elle liée aux réseaux sociaux ? alain  séchas | Je n’ai d’Internet qu’un usage obligatoire de citoyen contemporain. Je n’ai jamais eu aucun goût pour l’ordinateur qui me rebute. J’ai découvert récemment Instagram grâce à l’acquisition d’un téléphone mobile dont l’écran plus grand permet des photos qui auraient été impensables il y a quelques années. Je fais des dessins un peu chaque jour, que je photographie, avant de les publier sur ce réseau social. C’est un peu comme « exposer » quotidiennement. Instagram, c’est une grille d’images aux légendes assez laconiques, finalement semblable aux murs d’un musée ou d’une galerie… C’est une facilité de travail assez plaisante et une information iconique qu’il faut modérer sous peine d’addiction ! Je montre aussi des expositions que je visite. C’est un travail « sur le motif ». db | De quelles manières les œuvres que tu regardes, lis et écoutes informent ta pratique ? renaud  jerez | J’accorde beaucoup d’importance aux espaces créés à l’intérieur de ces œuvres. Ce sont des sortes de cavités pleines d’informations invisibles, où il existe toujours un contexte et des connotations incluses. Ces dernières se communiquent peu mais apparaissent comme des fantômes, qui renseignent et renvoient le spectateur à ses propres émotions. fb | À l’extérieur du champ de l’art, qu’est-ce qui nourrit ta pratique ? anna  solal | La nourriture première de l’art n’est probablement pas l’art, mais la relation que nous entretenons avec le réel, auquel nous ne pouvons pas vraiment nous adapter et que nous devons réagencer pour en saisir un sens. Autour de nous tout peut être source d’inspiration, particulièrement ce qui ne l’est pas a priori ; cela permet des combinaisons auxquelles nous n’avions pas songé. Pour l’artiste, l’imagination est plutôt la capacité de procéder à un déplacement du monde réel, moins pour s’en échapper que pour le transformer. Tout ce qui rend poreuse la frontière entre du connu et de l’inconnu, dans ses scintillements les plus ténus, est bon à prendre. La rêverie est toujours derrière les pas de l’attention. Le réel est souvent en avance sur l’inconcevable, donc

la marge de manœuvre pour le délire de l’art est grande avant qu’il puisse ne serait-ce que frôler le délire de ce qui est « en dehors de l’art ». Ces cohabitations imprévues de matières peuvent être sonores, tactiles, sociales, émotionnelles, oniriques. L’inspiration peut naître de l’éblouissement face au règne animal et au règne végétal, mais aussi du plus dérisoire de la culture mainstream, en passant par le rap ou les magasins de vêtements bon marché dans les rues de Pantin. Le plus banal ou le plus sordide, empoigné d’une certaine façon, peut crépiter de féerie. Les sentiments provoqués par l’admiration et le dégoût nourrissent probablement un désir d’entrer dans la pratique, mais il y a aussi le pacte d’exigence et de sincérité que certaines personnes engagent envers elles-mêmes, et enfin l’humour.

ab | Parmi tes centres d’intérêt, lesquels constituent des sources d’inspiration ? nina  childress | D’une certaine façon, mes tableaux parlent de ma vie. De manière plus ou moins codée bien sûr. Je peux y lire des allusions à ma vie amoureuse, sociale, ou même à des obsessions qui remontent à l’enfance. C’est un apport permanent qui évolue avec mes centres d’intérêt. Parce que je suis une femme, j’aime peindre des femmes. L’espace scénique de l’opéra et du théâtre revient souvent. La natation a aussi une influence, mais pas sur le plan pictural ; sa pratique intensive et la compétition m’aident à prendre de la distance et à accroître mon endurance. ab | Quelle œuvre d’art a compté pour toi ? martin  belou | Plutôt que citer une œuvre ou une référence, je vais citer une chose fondamentale – j’ai mis du temps à comprendre, ou plutôt à réaliser son importance essentielle pour mon travail. Ce sont les années passées en pleine montagne avec mon père, dans les Pyrénées. Il était alors guide de pêche à la mouche, et de l’âge de 7 ans à l’âge de 16 ans, j’ai passé tous mes étés, avec d’autres enfants, dans les stages qu’il organisait là-bas. Je crois que les idées qui tiennent mon travail viennent toutes de là : la communauté, le rapport au corps, à la nature, au bien-être, les éléments… Je me suis rendu compte, au fil du temps, que chaque expérience, chaque choc esthétique vécu par la suite, entrait en résonance avec des états sensibles vécus dans les montagnes. fb | Avez-vous le souvenir d’événements ayant marqué votre parcours ? maurice  blaussyld | Oui, au niveau de l’œuvre elle-même, dès l’âge de quatre ans, lorsque j’ai vécu l’impossibilité d’accéder à la parole. Il y a eu une souffrance déchirante qui a suscité chez moi la créativité et la créativité même de ma propre parole par la suite, mais très tardivement. De toute façon, j’ai commencé à parler très tard dans mon enfance, et aussi commencé très tard à parler de mon œuvre, vers l’âge de trente ans. À ce moment-là apparaissent les tapuscrits. Ce ne sont pas des écrits, mais des manifestations verbales, auditives, comme un verbe pensé venant scinder le silence. Cela ressemble à de l’écriture mais n’en est pas. Tout comme, et cela, je n’en suis conscient que depuis peu dans mon travail, il y a analogie entre l’œuvre et la légende ; c’est l’œuvre qui parle en donnant l’impression d’informer et de divulguer des éléments rationnels. C’est pour cela que ces textes qui ressemblent

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