Magazine Palais #22

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Les Nyingmapa : les plus anciens représentants du bouddhisme ésotérique au Tibet par Nathalie Bazin Le Tibet entre dans l’histoire au viie siècle, durant l’époque monarchique (600 – 842), alors que le bouddhisme est introduit dans le pays et obtient la faveur du roi Songtsen Gampo. Au siècle suivant, il s’y implante plus fortement, grâce à Padmasambhava, maître insigne originaire du Swât, région située à la frontière du Pakistan et de l’Afghanistan actuels. Réputé aussi pour la puissance de sa magie, il enseignait une forme ésotérique du bouddhisme, dénommée en sanskrit Vajrayâna, ou « Voie de Diamant », proposant à l’initié un processus complexe et puissant de transformation intérieure. Padmasambhava fut invité au Tibet par le roi Trisong Detsen et un premier monastère fut édifié à Samye. Vers 779, le roi conféra au bouddhisme le statut de religion officielle et, selon la tradition, un grand débat opposa vers 785 le maître tibétain Drenpa Namkha, représentant du Bön, l’ancien courant religieux autochtone qui prévalait jusqu’alors, à Padmasambhava qui en ressortit victorieux. Le rôle majeur joué par Padmasambhava dans le développement du bouddhisme au Tibet explique la ferveur immense dont il devint l’objet dans ce pays, au sein de toutes les écoles, et ce jusqu’à aujourd’hui. C’est cependant chez celle des Nyingmapa, « Les Anciens », que sa place est la plus essentielle, et ceux-ci considèrent le maître comme à l’origine de leur ordre, créé au viiie siècle. Les Nyingmapa ne sont néanmoins connus sous ce nom qu’à partir du xie siècle, alors que le bouddhisme tibétain, connaissant un extraordinaire développement qui faisait suite à une période de persécutions, voyait se multiplier les écoles religieuses et les monastères. Padmasambhava, le « Précieux Maître », ou Guru Rinpoche en tibétain, est donc abondamment représenté dans la peinture et la sculpture tibétaines, et aisément reconnaissable à sa coiffe aux bords relevés. Il apparaît seul [voir ill. 1] ou accompagné de ses deux disciples principales, la princesse indienne Mandâravâ et la Tibétaine Yeshe Tsogyal, qui n’était autre qu’une épouse du roi Trisong Detsen [voir ill. 2]. Celle-ci œuvra ardemment à la transmission des enseignements de Padmasambhava. La présence de ces disciples féminines rappelle l’importance majeure que tiennent les femmes dans le courant du Vajrayâna. Associées aux concepts de Sagesse et de Connaissance, elles se révèlent être des pratiquantes, des disciples et des partenaires importantes dans la pratique ésotérique. Certaines, telle Yeshe Tsogyal, acquirent une grande renommée dans l’histoire du bouddhisme tibétain. Dans le manuscrit des Visions secrètes du Ve Dalaï lama, rédigé entre 1674 et 1681 et conservé au musée Guimet, elle apparaît à diverses reprises, ainsi que

Padmasambhava et Mandâravâ, au chef temporel et spirituel du Tibet, jouant le rôle d’initiatrice et de guide. Il faut rappeler que, selon la tradition tibétaine, nombre d’enseignements ésotériques furent reçus par les maîtres par le biais de ces expériences visionnaires. Le « Grand Cinquième », l’un des Dalaï lama les plus prestigieux de l’histoire du pays, bien qu’appartenant ainsi que tous les membres de cette lignée à l’ordre des Gelugpa, eut aussi des maîtres nyingmapa et apporta à leur école un soutien actif. Considéré au Tibet comme le « second Bouddha », Padmasambhava acquit de surcroît une dimension surhumaine, et il revêt dans l’iconographie tibétaine des formes diverses, à l’aspect paisible (roi, ascète, bouddha…) ou terrible, selon les circonstances. Ses principaux aspects symbolisent divers types d’expériences spirituelles et sont très vénérés par les Nyingmapa. Ils figurent dans la peinture, regroupés sur une même œuvre de part et d’autre de sa forme humaine habituelle [voir ill. 3], ou individuellement au sein d’une série [voir ill. 4]. Ces deux exemples du musée Guimet, légués par Alexandra David-Néel (1868-1969), évoquent l’intérêt de la célèbre exploratrice, qui parviendra à Lhasa en 1924, pour le courant nyingmapa. Sous l’aspect de Lama Sangdu, le « Maître qui condense les secrets » [voir ill. 4], Padmasambhava, de couleur bleu foncé, symbole de la vacuité, est nu, mais paré de riches bijoux, uni à sa partenaire mystique. À la partie supérieure de l’œuvre, siège Samantabhadra, « l’Universellement bon », bouddha primordial chez les Nyingmapa, de même couleur mais dénué de parures. Ce concept d’un bouddha suprême ou primordial, source de tous les enseignements, est une création du Vajrayâna. Guru Dragmar [voir ill. 5] est l’un des aspects terribles que peut revêtir Padmasambhava, illustrant de façon spectaculaire l’énergie puissante qui doit être déployée pour neutraliser et transmuter les obstacles qui ne manquent pas de se dresser sur le chemin de l’Éveil et de l’accomplissement spirituel. Brandissant un vajra ou « foudre-diamant », symbole de l’Éveil, et un scorpion, dont le venin peut être destructeur, mais aussi purificateur et curatif, il plante la lame d’une dague, constituant ici la partie inférieure de son corps, dans une effigie démoniaque, allongée à l’intérieur d’un triangle sacrificiel. L’effigie est ainsi « libérée » des éléments négatifs qu’elle renferme. La dague, objet rituel doté d’un très riche symbolisme, possède donc une fonction salvatrice, et elle est emblématique de la tradition nyingmapa. Padmasambhava aurait été l’un des principaux artisans de la diffusion au Tibet des enseignements de la « dague de diamant » (vajrakîla). Selon la tradition, le Précieux Maître dissimula de nombreux enseignements nommés en tibétain « trésors spirituels » ou terma, destinés à être redécouverts plus tard, à des moments propices. Les terma sont ainsi, depuis le xie siècle, caractéristiques du courant nyingmapa, et jusqu’à nos jours se sont succédé de multiples « découvreurs de trésors » ou tertön, considérés comme des réincarnations de disciples de Padmasambhava. Ils apparaissent dans les peintures, tel le fameux Guru Tchöwang (1212 – 1270) [voir ill. 4, angle supérieur droit], qui découvrit le terma de Lama Sangdu, et dont l’épouse spirituelle fut la plus importante des tertön féminins. Les terma sont néanmoins présents aussi dans le Bön et il faut souligner la relation privilégiée qui unit Nyingmapa et Bönpo dont la tradition, antérieure au bouddhisme, est très ancienne. Tsewang Ridzin (viiie siècle),

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