Lettres de la Marquise de M***au Comte de R***

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LETTRES DE LA MARQUISE DE M*** AU COMTE DE R***

Lettre XXII

Hier le chagrin de mon mari me mettait en peine; je craignais que vous n’en fussiez l’objet, et qu’il ne trouvât à redire à des assiduités qui ne sont déjà remarquées que par trop de personnes; son procédé me rassure, et il faut, puisqu’il vous choisit pour confident, que vous ne lui soyez pas suspect. J’aurais parié presque, à voir son inquiétude, qu’une nouvelle passion l’agitait, car il ne m’appartient pas d’être le but de ses réflexions, de quelque façon que ce puisse être. C’est donc de votre cousine qu’il est amoureux, et c’est vous qu’il charge du soin de faire valoir ses soupirs. Il faut pour être si timide, qu’il soit bien cruellement blessé. C’est sans doute pour réserver à votre cousine le plaisir de faire les avances. Elle n’est pas si cruelle que l’on doive tant craindre de lui dire qu’on l’aime, et la passion du Marquis est de nature à ne devoir pas l’ennuyer. Il ne demande pas mieux que d’avancer; et je ne répondrais pas de son amour, si on le laissait trois jours aux Petits Soins. Avertissez-en votre cousine, afin qu’elle s’arrange là-dessus. Mais que deviendra le pauvre petit D***? que deviendra R***? enfin que deviendra toute la cour? que de malheureux! il n’y aura pas moyen de les garder tous! Le Marquis est pour les rivaux d’une incommodité sans égale, surtout dans les premiers jours. La croyez-vous capable de se refuser une semaine le plaisir d’être perfide? il voudra être aimé sans partage, au moins ce temps-là. Mais quoi qu’il en puisse arriver, servez mon mari. Peignez à votre cousine le feu qui le consume. 56


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