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La revue de l’imaginaire

LES SUPERSTITIONS Numéro 1 - Printemps 2011





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La revue de l’imaginaire

© 2011- Laurence Bourdais - Droits réservés, superstition interdite



ÉDITO

Est-ce grave Docteur ? Chaque vendredi 13 vous vous cloîtrez chez vous. Vous préférez rompre le pain plutôt que de le couper. Vous ne passez jamais sous une échelle par crainte du mauvais œil… Non, non, vous ne rêvez pas vous êtes affecté. On vous dit fou à lier. Diagnostic effectué : vous êtes superstitieux. Mais n’ayez crainte votre vie est à présent placée sous le signe de la pensée magique. Quand trèfles, chats noirs, sel, échelles, lune, couteaux, 13… envahissent vos pensées. “Abracadabra” la raison vous a quitté, l’imaginaire vous a gagné. Nos superstitions, nos religions : Jésus, Moïse, Mahomet. Des anges, des démons, des miracles et des mythes, vous y croyez ? À notre insu, serions-nous tous superstitieux ? Face à des présages suspicieux, le superstitieux voyage dans l’irrationnel, toujours pour chercher le bonheur et éviter le malheur !

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SOMMAIRE

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_ORDONNANCE Interview de Jean-Marc Harel, psychothérapeute Les superstitions dans l’histoire Comment contrer le mauvais œil ? _LES GÉNÉRIQUES Les objets les plus simples sont souvent nimbés d’une aura inquiétante et deviennent parfois de véritables indices et nous indiquent notre avenir.

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En route vers l’Enfer… La roue tourne Uh Dada ! Toc-toc Rage de dents Noir c’est noir Poudre blanche C’est le pompon ! Coup de ciseaux Briser la glace Pleine Lune Tête à l’envers Treize… Triskaïdékaphobie

_REPORTAGES Le passeur d’âmes de Bangkok Cap ou pas cap ? La voyance : un remède ? _EFFET PLACEBO Il n’y a pas de mal à se faire du bien. Automédication, ils racontent…

84 90 92 96 98 100 104 106 108 112 114 118

La superstitieuse nocturne Le superstitieux phobique Le superstieux à la coque Le superstitieux accro Le superstitieux organisé La superstitieuse lunaire La superstitieuse maniaque La superstitieuse cocoon La superstitieuse légendaire La superstitieuse cruciforme La superstitieuse sentimentale La superstitieuse encerclée

_POISON ET ANTIDOTE Quand la superstition prend le pouvoir ! 124 126 128

666 La peur entretient la superstition 777

_MUSIQUE La superstition est-elle la solution ?… Ils la chantent. 134 136

Superstition - Stevie Wonder Abracadabra - Florent Pagny

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ORDONNANCE

La superstition est à la religion ce que l’astrologie est à l’astronomie, la fille très folle d’une mère très sage. Voltaire


Test Rorschach, la voyance par les tâches d’encre


Jean-Marc Harel Ramond, spécialiste des techniques dites “parallèles”, est un psychothérapeute, sophrologue et un écrivain français originaire de Montpellier. Il est révélé par son essai sur les Phobies. Il s’intéresse à toutes les formes de pensée liées à l’imaginaire comme les superstitions. Il est notamment l’auteur de B.A.-BA des superstitions sorti aux édtions Pardès en 2010.

12 bis : Pourquoi est-on superstitieux ?

Jean-Marc Harel Ramond : Je voudrais juste vous rappelez une citation de Goethe avant de vous répondre. “La superstition, est inhérente à l’homme. Si l’on veut la bannir complètement, elle se réfugie dans les plis et les recoins les plus singuliers de l’âme, d’où elle sort pour reparaître tout à coup lorsqu’on se croit le plus sûr de soi”. Selon moi la superstition est inhérente à l’homme qui a toujours eu besoin de se rassurer. Chacun a secrètement besoin de se raccrocher à quelques signes pour évacuer son angoisse et envisager un futur plus paisible. La preuve en est, regardez autour de vous, vous trouverez toujours quelqu’un pour croire aux présages ou aux signes prémonitoires. Qui n’a pas un jour évité de passer sous une échelle parce que sa grand-mère le lui avait interdit étant petit ? Qui ne s’est pas joyeusement tapoté la tête après avoir prononcé ces mots : “Je touche du bois” ? Quel artiste n’a pas ses instruments de prédilection ? Qui n’a pas un jour pretexté une maladie pour éviter un dîner où les convives seraient treize à table ? Un jour, ne nous-sommes nous pas exclamés : “Je fais ce geste… même s’il ne sert à rien je préfère ne pas tenter la malchance !”. En fin de compte, chacun se crée sans le vouloir ou sans y prêter attention un code personnel de croyances. On voit souvent des gestes se répéter et différer d’une personne à l’autre comme porter un objet fétiche le jour d’un examen pour éviter l’échec. Finalement, nous nous créons une sorte de mode d’emploi du bonheur, toujours avec le “si” qui introduit la cause et la conséquence.

12 bis : Comment interpréter un comportement superstitieux ?

J.M.H.R. : Freud pense que le superstitieux interprète un événement produit par le hasard pour guider ses choix. Alors que le psychanalyste identifie dans un événement qui semble dû au hasard, ce qui a été produit par la vie psychique inconsciente du sujet.

12 bis : Pourriez-vous m’expliquer plus en détail cette théorie ?

J.M.H.R. : Je vous donne un exemple : un faux pas à l’entrée d’une maison (mauvais présage pour les romains) est un acte manqué et donc une production de l’inconscient. Par contre, un vol d’oiseau dans le ciel interprété comme favorable n’a aucune relation avec le psychisme d’un individu et relève de la superstition. Mais à partir du moment où l’individu s’appuie sur un événement extérieur indépendant de sa personne, pour décider qu’une chose est bonne ou non pour lui, il fait appel non plus à la superstition mais à un désir refoulé. Par exemple, un individu décide qu’il rompra avec sa maîtresse, si le feu passe au rouge dans les trois secondes ; quelle que soit la couleur du feu dans ce délai, son désir inconscient, exprimé sous forme de superstition, intègre l’idée de rupture et appuie sa décision sur ce qui paraît dépendre de l’événement extérieur. En réalité celui-ci sert à justifier une décision déjà prise inconsciemment.

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12 bis : Quand et pourquoi la superstition devient-elle pathologique ?

J.M.H.R. : Un lien étroit existe entre les superstitions et la médecine. Dans la plupart des pays en développement, la médecine moderne, onéreuse, s’avère souvent inaccessible. Quantité de personnes se tournent vers les coutumes ancestrales, le spiritisme et les superstitions afin de soigner leurs maux, ou simplement à titre préventif. Qui plus est, certaines d’entre elles sont davantage à l’aise avec un sorcier qui connaît leurs coutumes et parle leur dialecte, qu’avec un médecin moderne. Pour la plupart d’entre nous, la pensée magique demeure, le plus souvent, sans conséquence négative car elle ne constitue pas un mode de fonctionnement dominant et n’empêche pas les modes de pensée plus efficaces pour la compréhension et l’adaptation. Développée à l’extrême, la pensée magique peut représenter un problème de santé mentale et devenir un trouble obsessionnel compulsif. La personne se retrouve victime de ses propres rituels superstitieux. Selon Freud, la superstition rime avec les termes obsession et compulsion. J’ai eu une patiente qui raccrochait trois fois le téléphone à chaque conversation pensant que sa mère allait mourir. Plus tard elle a développé d’autres rituels qui lui rendaient le quotidien invivable. C’est un véritable effet boule de neige, une superstition en amène une autre et devient pathologique allant jusqu’au délire.

12 bis : Doit-on lutter contre ses superstitions ?

J.M.H.R. : Non, si cela vous rassure tant mieux ! Mais un conseil méfiez vous toutefois de ne pas devenir dépendant de signes occultes, jusqu’à en être victime !

12 bis : Y’a t’il un côté positif dans “la pensée magique” dans un monde si rationnel ?

J.M.H.R. : Pour la plupart des psychiatres, la superstition donne l’illusion à l’individu de maîtriser ou de contrôler des évènements sur lesquels il n’a pas de prise. C’est une sorte de tranquillisant bon marché. Chez les sportifs, la superstition est très présente, elle n’est pas mauvaise car elle leur donne une certaine énergie qui se cristallise autour d’un objet ou d’un rituel. Par exemple embrasser le crâne de Fabien Barthez. En dehors des cas extrmes, un brin de folie superstitieuse permet de lâcher prise sur ce besoin de vouloir tout contrôler. En somme, celà permet de réenchanter la vie en gardant une part de mystère. C’est comme tout, il ne faut pas en abuser !


ON NE GUÉRIT JAMAIS VRAIMENT DE LA SUPERSTITION

12 bis : Quel est le lien entre superstition et religion ?

J.M.H.R. : La superstition est une croyance irrationnelle et imaginaire en la valeur magique de certains actes. La religion est ce qui relie l’homme à Dieu, c’est-à-dire la foi. Mais toutes deux se rejoignent car elles essaient d’influer sur le destin des hommes.

12 bis : La superstition est-elle un refuge face à la crise et aux angoisses de notre époque ?

J.M.H.R. : Le fait que la technologie se soit parfois retournée contre l’homme a accentué chez l’homme ce sentiment d’angoisse qui le fait se sentir isolé dans son propre monde et dans sa culture. Je dirais que, les difficultés de la crise offre un contexte fertile pour que se développent largement des superstitions choisies, des attirances pour le monde ésotérique (astrologie, voyance, médium…). Mais surtout la crise a ouvert un large passage à l’irrationnel et accentué la fragilité devant l’inconnu. On ne guérit jamais vraiment de la superstition, je pense.

12 bis : Êtes vous superstitieux ? Si oui, un exemple.

J.M.H.R. : Non je ne suis pas superstitieux mais comme beaucoup je ne passe pas sous une échelle, on ne sait jamais. Je suis un peu comme Niels Bohr, prix Nobel de physique en 1922, a qui un étudiant disait qu’il n’aurait jamais pensé qu’un savant puisse avoir un fer à cheval cloué sur sa porte. Niels Bohr avait répondu : “Je n’y crois pas. Mais il paraît qu’il porte bonheur que l’on y croie ou que l’on y croie pas.”

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Ĺ’il de la providence


Mauvais Ĺ“il


Les superstitions dans l’histoire 12 bis : Quelle est l’origine des superstitions ? Magali Baillot : À Rome le mot “superstition” ne désignait pas une “croyance erronée” mais un comportement excessif envers le religieux et qui était suscité par la crainte des dieux et du châtiment qu’ils pouvaient infliger si un sacrifice était improprement exécuté par exemple… C’est qu’avec l’apparition du christianisme (vers le IIIe siècle) que le sens du mot superstition a pris celui d’une “religion ou croyance mauvaise” comme nous l’entendons aujourd’hui. L’origine des superstitions ou du moins des “pratiques prophylactiques” ne peut être établie faute de données concrètes (sources littéraires, archéologiques…). Cependant, pour Rome, celles-ci (à l’instar de certains rites religieux) puisent leurs origines dans la crainte des catastrophes naturelles, des maladies, de la mort. On croyait volontiers que ces calamités étaient dues au “mauvais sort” ou plus généralement au “mauvais œil”. Ce dernier (phtonós ou Φθόνος chez les Grecs et invidia chez les Latins) était censé se manifester par le regard venimeux d’un individu provoqué par son envie, sa jalousie. C’est ce qu’expriment certaines épitaphes funéraires qui attribuent la mort prématurée des défunts à l’action de jeteurs de sorts et d’envieux. Certaines inscriptions grecques spécifient ainsi : “Que l’envieux crève !”. De nombreuses amulettes et gestes conjuratoires témoignent également de ces croyances. C’est le cas du mauvais œil porté sur soi ou représenté sur le seuil d’un édifice ou sur la proue d’un navire. L’œil était censé terrifier l’envieux, le malheur et les repousser. D’autres symboles pourraient être cités comme la tête de Méduse, le fascinum (phallus), la chouette, le dauphin, de nombreux végétaux. On croyait aussi au pouvoir maléfiques des fantômes. Aussi, d’après Pline l’Ancien, planter un clou au point exact où un épileptique venait de s’effondrer permettait de fixer la maladie au sol et de neutraliser l’âme du défunt à l’origine du mal (Pline l’Ancien, Histoires Naturelles, XXVIII, 17, 3). 12 bis : Comment et pourquoi perdurent-elles ? Magali Baillot : Les sources historiques et archéologiques ne permettent pas de répondre directement à cette question mais il est clair que ces faits doivent être appréhendés non pas globalement mais dans un cadre culturel et chronologique précis (Rome, Moyen Âge occidental etc…). C’est la seule façon de poser un regard objectif sur ce phénomène, ses mutations dans le temps et sur ses protagonistes, c’est-à-dire de ne pas le juger à partir de valeurs occidentales héritées de la pensée judéo-chrétienne par exemple. À la fin de l’Antiquité on sait que le christianisme a relégué les religions et cultes païens au domaine de la magie et les a condamnés… Autrement dit, ce qui peut nous paraître relever de superstitions dans certaines cultures ne l’est pas forcément. En fait, il est assez malaisé, voire vain de distinguer les rites magiques des pratiques religieuses. Aujourd’hui de nombreux pendentifs religieux sont d’ailleurs portés en amulette et les diverses définitions générales qui ont été données à la magie se heurtent à ce type d’ambiguïté. Les cérémonies funéraires des Romains destinées à séparer les morts des vivants le démontrent. Elles pouvaient ­­ en effet être renforcées par des gestes “magiques” (comme le dépôt dans la tombe de clous ornés de signes magiques par exemple) de même valeur symbolique. Dans les deux cas, les gestes opérés devaient empêcher tout contact avec les morts.

Magali Bailliot, chargée de recherches et d’études en archéologie préventive, est une spécialiste en archéologie antique, rituels, mobilier magique et religieux d’époque romaine. Elle a publié de nombreux articles présentant une approche pluridisciplinaire des faits archéologiques.


12 bis : Y a t-il des endroits dans le monde où la superstition est plus importante ? Magali Baillot : Il est difficile de répondre. Chaque culture possède ses propres particularités et ce qui peut nous sembler relever de la magie ne l’est pas forcément. C’est le cas des rites funéraires romains qui transposés à l’époque actuelle pourraient être interprétés comme magiques… 12 bis : Quelle est selon vous la superstition la plus universelle ? 13 ? Noir ? Magali Baillot : Le “mauvais œil” apparaît dans les textes de Sumer, de Babylone, de Grèce et de Rome. Les Anciens croyaient qu’il se manifestait par un regard venimeux. Eschyle, Euripide, Platon, Plutarque Héliodore ou encore Apollonios de Rhodes parlent ainsi d’œillades nocives. Au livre VII des Histoires Naturelles, Pline l’Ancien rapporte que des individus en “fascinant” par leurs regards pouvaient occire ceux qu’ils fixaient longtemps avec haine. Au Moyen Âge, on croyait que les sorcières pouvaient lancer le mauvais œil contre tous ceux qu’elles croisaient… Le mauvais œil se rencontre encore dans le Bassin méditerranéen où il figure sur de nombreuses amulettes. On retrouve également les amulettes phalliques en Asie et en Méditerranée mais la valeur et la signification de ces images peut différer d’une culture à l’autre… Ce qui compte, c’est d’étudier le symbole dans son contexte culturel, local et historique. 12 bis : Dans l’histoire, les hommes ont-ils gouverné en se servant de la superstition ? Magali Baillot : Les témoignages relatifs aux envoûtements dans la Rome antique indiquent clairement que la magie n’était pas uniquement une affaire d’horribles sorcières mais également de personnages liés au pouvoir. Tacite nous rapporte en effet que Germanicus, fils adoptif de de Tibère, aurait été “marabouté” : “On trouvait par terre et sur les murs des restes de cadavres humains arrachés aux tombeaux, des formules magiques, des imprécations et le nom de Germanicus gravé sur des tablettes de plomb, des cendres humaines mal brûlées et souillées de sang ainsi que d’autres maléfices par lesquels, croit-on, les âmes sont vouées aux dieux infernaux” (Tacite, Annales, II, 69). D’autres historiens latins font quant à eux écho à des accusations de magie qui permettaient aux délateurs de nuire à un adversaire politique. Selon Ammien Marcelin (Histoires, XIV, 1, 2) : “Par de sourdes manœuvres, les accusations de se livrer à la magie ou de prétendre au trône allaient frapper les têtes les plus innocentes” (en 353-354). Enfin, on sait aussi qu’en Egypte, la magie étaient officiellement pratiquée à la cour pour protéger les Pharaons de leurs ennemis. On pourrait citer plusieurs autres exemples… 12 bis : Êtes vous superstitieuse ? Si oui, un exemple. Magali Baillot : Bonne question ! Je n’y crois pas mais j’évite de passer sous une échelle. Il y a toujours un risque comme la chute d’un objet ou d’un pot de peinture ! Et là ce n’est plus de la superstition mais de la méfiance. Il faut savoir adpater notre esprit à une situation donnée.

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COMMENT CONTRER LE MAUVAIS ŒIL ?

Le rituel à suivre Matériel : - un récipient - 1L d’eau - 15 cl d’huile

Remplissez le récipient d’eau à moitié. Versez quelques gouttes d’huile dedans. Observez la réaction de l’huile.

Résultats : 1) Si les gouttes d’huile tombent au fond, on vous a jeté le mauvais œil. 2) Si les gouttes d’huile restent à la surface, on ne vous a pas jeté le mauvais œil. 3) Si vous avez le mauvais œil une méthode a déjà fait ses preuves, elle est simple il vous suffit de brûler un encens appelé papier de Storax.



LES GÉNÉRIQUES

Ça ne porte pas malheur si on passe en dessous d’un chat noir, mais il n’y a presque personne qui le sait. Pierre Legaré




EN ROUTE VERS L’ENFER…

“Noir dans le noir. Plus noir que noir… C’est de la magie ? Mais bien sûr. Croyez vous qu’on soit noir à ce point, sans être sorcier ?” Colette

La superstition selon laquelle croiser un chat noir ou voir un chat noir traverser la rue annonce un malheur est la plus connue. Cette croyance existe dans de nombreux pays et pour palier à ce danger il faut passer au même endroit que lui. Le chat noir, de tous temps, a fasciné et inquiété les hommes. C’est le seul animal domestique nimbé d’une aura de mystère. Celà est sans aucun doute lié à son caractère distant et indépendant, à sa capacité à apparaître puis disparaître comme par magie, à sa capacité à voir la nuit. Toutes ces caractéristiques sont presque surnaturelles. Le chat noir est un suppôt ou une incarnation de Satan. Pourtant divinisé par les Égyptiens (la déesse Bastet était représentée sous la forme d’une chatte), il tombe en disgrâce au Moyen Âge où il est associé au diable et dans les traditions populaires, il reste néanmoins le compagnon des sorcières. Il est le diable qui accompagne la mort. Laurence Bobis dans

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son ouvrage “Une histoire de chats”, rapporte quelques légendes sur le chat noir qui prédisent la mort. Selon une légende Cathare, Gaufrid, l’inquisiteur de Carcassonne est trouvé mort sur un lit entouré de deux chats noirs. Le chat noir cause la mort. Une légende du XIIe siècle raconte que le diable ayant l’apparence d’un chat noir offre à une jeune fille une parure et l’étrangle avec. Le chat noir est très souvent associé aux sorcières qu’on pense possédées par le diable. Lors de leur rassemblement à certaines phases de la Lune, le diable préside incarné en grand chat noir. On dit même que les sorcières se transforment en chat noir lors de certaines cérémonies. Si encore aujourd’hui le chat noir continue à faire couler de l’encre, c’est bien parcequ’il fascine. De nombreux écrivains sont férus de chat noir comme Pierre Loti, Doris Lessing ou encore Colette.




LA ROUE TOURNE La chance en vol Attraper le vent, Saisir la chance, Se battre contre des géants. C’est mon seul courage. Je suis Don Quichotte, Je suis un poète et un fou. Pour pouvoir, Il suffit de le vouloir. Je suis un poète, Je suis un fou. On m’appelle Don Quichotte. Je me bats contre des géants, Qui vendent du vent. Pour t’offrir une chance, Je me bats contre des géants. Je suis un poète, Je suis un fou. On m’appelle Don Quichotte de la Mancha ! L.B

La légende dit qu’Ève en quittant le Paradis a cueilli un trèfle à quatre feuilles en souvenir. Les druides pensait qu’il éloignait les mauvais esprits. Il est utilisé pour faire revenir l’être aimé dans les philtres d’amour. Il est le symbole par excellence de la chance et de la réussite. On dit que chaque feuille du trèfle représente quelque chose. La première feuille est pour l'espoir, la seconde est pour la foi, la troisième est pour l'amour, et la quatrième feuille est, naturellement, pour la chance. Il existe même un club des ultratrifoliophiles (collectionneurs de trèfles à quatre feuilles). Un américain en possèderait 25 000 exemplaires. Avec tout ça si votre chance ne tourne pas !

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UH DADA !

Lucifer Lucie fer Vers sur fer Femme de verre En vers Femme sans fer Enfer Lucifer Femme et fer Lucie Te ferre Sans fer Enfer Lucifer L.B

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TOC-TOC

Je touche du bois Faire les cent pas, Tourner autour de la terre Faire le passant sans souci, Ne pas s’en faire, Le loup n’est pas encore sorti de sa tanière Les enfants jouent sur le nid de la vipère Et moi je suis là, je croise les doigts Je touche du bois, on en est là Et je sens la mort qui me tutoie Je touche du bois, je touche du bois… Surtout ne pas sortir du lit de la rivière Dormir, ne pas se retourner en arrière De vous à moi on s’habitue en enfer Aux rêveries d’un vieux rôdeur solitaire Et je sens mon cœur qui marche au pas Je touche du bois, on en est là Et je sens la mort qui me tutoie Je touche du bois, je touche du bois… 3 satellites ont débuté leur sabbat 103 fusées se sont fixées sur mon toit 500 pingouins ont dû passer la frontière 600 chats noirs paradent au ministère 3 satellites ont débuté leur sabbat 103 fusées se sont fixées sur mon toit 23 corbeaux qui nous picorent la main Sait-on si le soleil se lèvera demain Moi je me love entre tes bras Je touche du bois, on en est là Et je sens la mort qui me tutoie Je touche du bois, je touche du bois… Sur nos têtes patrouillent les cerfs-volants La vérité sort de la bouche des serpents T’as vu le chat mais t’as pas vu la panthère Les enfants sont dans la marmite des sorcières Et moi je suis là, en face de toi Je touche du bois, on en est là Et je sens la mort qui me tutoie Je touche du bois, je touche du bois… Weepers Circus

La signification de cette expression est explicite : il ne s’agit là que d’un geste superstitieux, souvent accompagné de la parole “je touche du bois !”, tout aussi efficace que de “croiser les doigts” ou de se signer, selon les convictions ou les habitudes de chacun. Ce geste est supposé empêcher que des bâtons viennent se mettre dans les roues des projets de celui qui y participe ou lui permettre d'exaucer ses vœux de santé, de gain au Loto… Apparemment, cette superstition remonte à très loin, puisque les les Perses et les Égyptiens l’employaient déjà. Pour les premiers, ce serait parce qu’ils pratiquaient

le mazdéisme*, religion dans laquelle le fait de toucher du bois permettait de se mettre sous la puissance protectrice d’Atar, le génie du feu. Pour les seconds, ce serait parce qu’ils pensaient que le bois diffusait une forme de magnétisme bénéfique au corps humain. C’était une nourriture spirituelle qui devenait non plus un besoin mais une necessité. Au Moyen Âge, les chrétiens disaient que l’habitude de toucher du bois venait de ce que le Christ avait été sacrifié sur une croix en bois. Toucher du bois était donc une forme de prière ou de supplication qui permettait de se protéger de l’adversité.

* Religion polythéiste des indo-européens de l’Iran du IIe millénaire av. J.-C. au Ier millénaire av. J.-C.

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RAGE DE DENTS

Je perds mes dents. Je meurs en détail. Voltaire

Les dents sont indissociables du cycle de la vie : les dents de lait correspondent au sevrage symbolique avec sa mère, les dents de sagesse annoncent une nouvelle étape ; la perte des dents caractérise la vieillesse et l’approche de la mort. Selon une tradition quasi universelle, il ne faut pas se débarasser des dents tombées ou arrachées. On recommande de les ranger dans un lieu précis et facile à retrouver, sinon on risque de souffrir d’une rage de dents, les dents restantes n’arrivant pas à faire le deuil des disparues. En France comme en Angleterre ou en Italie on conseille de les brûler. Dans le Jura, on dit : Tiens feu, voici ma dent, Rends-la moi dans un mois. Blanche comme de l’argent. La tradition la plus populaire, commune à de nombreux pays du monde, est de donner sa dent à la petite souris dans l’espoir d’acquérir les mêmes dents fines, solides et blanches que l’animal. On dit aussi que voir une souris porte chance. Aujourd’hui encore on effectue ce rituel qui consiste à mettre la dent sous l’oreiller et à prononcer cette formule : “Petite souris, je t’offre une dent, donne en moi une autre encore plus belle.”

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Chez les Anglo-Saxons, les enfants mettent une dent dans une assiette près du lit avec une pincée de sel. Pendant la nuit, la fée prend la dent et dépose une pièce de monnaie à la place. La perte des dents, notamment chez les adultes, a toujours été associée à des significations néfastes et liées à la mort. Rêver que l’on perd des dents annonce chagrin, malheur et mort ; le présage est aggravé si le matin on trouve un morceau de dent ou une dent entière dans sa bouche. Selon certains traités des songes, on lit: “Dents, perdre de dessus = perte de son père ; perde de dessous = perte de de sa mère ; si ce sont de grosses dents = perte des amis ; si elles ne sont qu’ébranlées ou noircies = perte de ses deux parents ; enfin si elles sont blanches et belles = joie, plaisir et profit.” Il existerait un remède superstitieux pour calmer un mal de dent, on répète trois fois le mot “Anasages” ou avoir un morceau de papier portant ces mots : “Strigiles falcesques dentatae dentium dolorem personate” (Strigies et faux dentelés, prenez sur vous, en résonnant, les maux des dents). En un mot surveillez vos dents pour éviter la rage de dents !







NOIR C’EST NOIR

“Ils arrivent, ils arrivent ! Quel est ce mystère angoissant des oiseaux ? Ils se groupaient par milliers… Par dizaine de milliers. Dans quelle intention diabolique ? Du suspense, de l’angoisse dépassant tout ce que vous avez pu voir… ou imaginer !” Extrait de la bande-annonce du film “les Oiseaux” d'Alfred Hitchock en 1963

Le noir caractérise les ténèbres, la mort, la tristesse et le néant. Pierre Kaufmann dans son livre L'Expérience émotionnelle de l'espace dit : “Comme un rien sans possibilités, comme un rien mort après la mort du soleil, comme un silence éternel, sans avenir, résonne intérieurement le noir principe malfaisant, l’ignorance, l’erreur.” C’est le symbole de ce qui est mal et faux. Les Romains marquaient les jours néfastes avec du charbon. Chez les Grecs, cette couleur désignait les angoisses de l’âme. Dans la civilisation Égyptienne le noir était le symbole du passage et de la régénération, c’était la couleur du Dieu Osiris (dieu des morts) et d’Anubis (dieu de l’embaumement et conducteur des âmes). Mais l’usage même de porter du noir en signe de deuil montre que la couleur n’est pas si négative

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que ça. Le noir ici devient un symbole de recueillement et d’apaisement. On prétend que porter le deuil éloigne le diable qui ne voit pas le noir. La tradition attribue au noir une signification néfaste, comme en témoignent les expressions “nourrir de noirs desseins”, “noirceur d’âme”, “roman noir”, “bête noire”, “broyer du noir”, “avoir des idées noires”, “voir tout en noir”. Lié à l’idée du mal, le noir constitue, avec le rouge, la couleur diabolique par excellence. Satan est appelé le Prince des Ténèbres ; les démons sont noirs. Les animaux ou les oiseaux noirs passent en général pour maléfiques et diaboliques. De même, ceux qui, par leur fonction, étaient vêtus de noir attiraient la malchance; certains à leur vue, croisaient les doigts ou se signaient. Le noir sera souvent associé à l’autorité, au mystère mais aussi à la sobriété.



POUDRE BLANCHE

Le sel est sûrement le produit comestible qui rassemble le plus de superstitions. Il existe bel et bien un mystère autour de ce composé toujours tiraillé entre le sacré et le profane. Il est proscrit de passer la salière de main en main lors d’un repas, de renverser la salière. Pour conjurer le mauvais sort, il faut jeter du sel par dessus notre épaule. Pour plus de sécurité, il est conseillé de mettre du sel dans les recoins de la maison. Il est difficile de trouver l’origine exacte de cette superstition. Pour certains, cela viendrait de la gabelle, cette taxe sur le sel qui le rendait assez cher alors qu’il était indispensable pour conserver les aliments, pour éviter qu'ils ne moisissent.

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Le sel est aussi vu comme élément dangereux, le jeter sur le feu mène à l’enfer. Dans certaines religions, le sel est devenu élément de purification. On l’utilise lors d’un baptême mais aussi contre les sorcières. On dit aussi que jeter du sel sur des mariés garantit prospérité à la nouvelle famille. Il y a aussi ceux qui pensent que ces superstitions viennent des Romains qui, après la conquête d’un territoire qu’ils ne pouvaient occuper, répendaient du sel sur le sol afin que rien ne puisse repousser. Quoi qu’il en soit, éviter de manger trop salé, c’est mauvais pour la santé !





C’EST LE POMPON !

L’impératrice Eugénie était en visite, le 9 Août 1858, sur un navire au port de Brest. Un matelot, très grand sans doute, en se mettant au garde à vous à son passage se heurta violemment le sommet du crâne au plafond de la coursive. Il saignait et l’impératrice lui offrit son mouchoir en guise de pansement. Comme le marin guérit aussitôt, ce mouchoir taché de sang, placé sur sa tête, devint alors, en souvenir de ce geste, le pompon rouge du béret de marin. C’est paraît-il pour cela que toucher le pompon d’un marin, porte-bonheur. Peut-être n’est-ce qu’une légende mais il en reste que seuls les marins français portent un pompon. Malheureusement cette belle histoire semble avoir été inventée de toutes pièces. En effet, le pompon de la marine française, “houppette” pour les initiés, ornait déjà le bonnet des marins en 1808, soit 50 ans avant la visite d’Eugénie à Brest. Mais alors d’où vient-il, ce “fameux” pompon ? Eh bien, il sert tout simplement à protéger la tête des marins lorsqu’ils travaillent

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sous les plafonds très bas des navires. Une vraie trouvaille ! Bien entendu, la confection d’un pompon demande une précision militaire. Depuis des dizaines d’années, il est confectionné à la main par des ouvrières virtuoses d’une petite manufacture de la Sarthe. Et comme on ne rigole pas avec le pompon national, son diamètre est d’exactement 8cm, il doit peser 14,1g (et pas un gramme de plus), mesurer 25mm de hauteur et être teinté couleur rouge garance ! Mais attention : le pompon ne sert pas uniquement à protéger la tête des marins ! Si vous arrivez à le toucher sans que l’heureux propriétaire ne s’en aperçoive, cela vous portera chance pendant une journée entière. Mais si vous êtes une demoiselle et qu’il vous prend toutefois sur le fait, la tradition veut que vous lui donniez un baiser. Ce n’est quand même pas trop demandé pour une journée de chance ! Heureux celui ou celle qui pourra substituer ce pompon !



COUP DE CISEAUX

Les superstitions tournant autour des cheveux sont nombreuses. Comme pour les ongles, il est conseillé de ne pas laisser traîner les cheveux coupés, parce qu’ils pourraient être utilisés pour faire de la magie noire et des envoûtements. On conseille donc de détruire, par le feu, les cheveux coupés puis de disperser les cendres. Une croyance paysanne affirme que si des rats prenaient des cheveux pour faire leur nid, le malheureux dont provenaient ces cheveux était destiné à souffir de migraines jusqu’à en devenir fou. Une vieille croyance dit que “beaucoup de cheveux égale beaucoup de force”, malheur à celui qui n’en possède pas, il est vu comme faible. Même les techniques de médecine populaire pour faire repousser les cheveux perdus reste du

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domaine de la superstition et ne donnent pas de résultats. On dit qu’il ne faut jamais arracher les cheveux blancs dès qu’ils commencent à apparaître, parce que pour chaque cheveu blanc arraché, sept autres pousseront. Aucune pitié pour les cheveux roux ! Ils ont toujours souffert d’une sinistre réputation. La couleur rousse évoque le feu mais il s’agit d’un feu infernal et dévorant. Cette couleur représente encore “les délires de la luxure, la passion du désir, la chaleur d’en bas, qui consument l’être physique et spirituel.” Autrefois celui qui avait des cheveux roux était vu comme un adepte du diable ; du temps de la chasse aux sorcières. On brulait certaines personnes ayant le cheveux roux dans le but d’éliminer toutes traces liées au malin.




BRISER LA GLACE Le miroir brisé Le petit homme qui chantait sans cesse le petit homme qui dansait dans ma tête le petit homme de la jeunesse a cassé son lacet de soulier et toutes les baraques de la fête tout d’un coup se sont écroulées et dans le silence de cette fête j’ai entendu ta voix heureuse, ta voix déchirée et fragile enfantine et désolée venant de loin et qui m’appelait et j’ai mis ma main sur mon cœur où remuaient ensanglantés les septs éclats de glace de ton rire étoilé. Jacques Prévert

Il existe deux explications possibles à cette superstition. Depuis la nuit des temps on raconte que cette superstition est liée au trouble des Hommes face à leur propre reflet. On croyait, en effet, que les miroirs renfermaient les âmes des morts en épousant la forme de celui qui s’y reflétait. Si le miroir cassait, l’âme du mort se libérait pour les sept années suivantes. Une autre explication indique que les miroirs étaient le refuge des démons. Briser celui-ci, les libéraient. L’origine des sept ans de malheur vient probablement de la Bible et du songe du pharaon dans lequel sept vaches maigres annonçaient les sept ans de malheur qui allaient frapper l’Égypte.

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PLEINE LUNE Le loup-garou Enfin, vient ma nuit préférée ! La nuit de la pleine Lune… nuit où l’on rencontre aussi des fées, aimant la lumière blanche de cet astre nocturne. Je sens mes sens s’alerter, mon côté animal se développer… s’agit-il d’une malédiction ? Je n’en ai pas la conviction. Mon corps va se transformer, mes vêtements se déchirer, je vais devenir plus grand, plus puissant… et je vais ressentir ce besoin de sang, avant de me mettre à hurler. Je vais fuir les lumières de la ville, et courir vers la forêt, où il me sera plus facile, de me cacher, de ne pas me faire repérer. Et puis, je vais me mettre à chasser, et vous ne pourrez pas m’échapper. Où que vous soyez, n’importe où… je vais vous retrouver, car je suis un loup-garou… J’ai une préférence pour les jeunes femmes, j’aime les maîtriser et les mordre au cou. Mais ne vous inquiétez pas madame, je vous garderai en vie, ma compagne je veux faire de vous. Et avant le petit matin, à moins que quelqu’un ne vous trouve, j’en suis certain, vous serez devenue ma louve… L.B

La lycanthropie désigne la transformation d’un homme en loup. Il peut s’agir d’un lycanthrope, humain partiellement ou totalement transformé en loup dans les légendes et le folklore, plus connu en français sous le nom de loup-garou. À notre époque la lycantropie ne fait plus l’objet de superstitions religieuses et est entrée dans le domaine de la pathologie. Cette maladie dans laquelle le patient se croit transformé en loup est appelée la “lycanthropie clinique”.

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TÊTE À L’ENVERS “Un parapluie ouvert est un beau ciel fermé.” Extrait de Brousailles de la pensée de Xavier Forneret

L’idée même qu’un parapluie ouvert dans une maison porte malheur semble plus récente. Au XVIIIe siècle, à Londres, lorsque commencèrent à se répandre les parapluies à armature métallique, leurs mécanismes d’ouverture en faisaient de véritables dangers publics à l’intérieur des maisons. Un parapluie, déplié brusquement dans une petite pièce, pouvait blesser gravement un adulte, un enfant, ou briser un objet fragile. Un incident mineur risquait de provoquer une vive discussion, voire une véritable dispute, ce qui était dommage au sein d’une famille ou entre amis. La superstition fut uniquement créée dans un but de dissuasion. Depuis on impose de ne jamais ouvrir son parapluie dans une maison

par crainte du mauvais sort. Selon une autre interprétation, effectuer cette action entraînerait la perte de richesse et de la maison. On dit aussi qu’ouvrir un parapluie lorsqu’il fait beau va amener la pluie. Si un parapluie tombe, il doit être ramassé par quelqu’un qui n’est pas le propriétaire, sinon celui-ci sera frappé par bien des malheurs. Si une femme ramasse son propre parapluie, elle restera vieille fille. Parmi les croyances, il n’y a rien malheureusement qui ne puisse nous aider à comprendre ce qu’il faut faire pour éviter d’oublier son parapluie... Et pourtant ne chante-t-on pas un petit coin de parapluie contre un petit coin de Paradis.

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TREIZE…

… Le nombre qu’il ne fallait pas prononcer. CHUT !

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TRISKAÏDÉKAPHOBIE

1r3 Le nombre 13 est au centre de nombreuses superstitions. Le terme technique pour qualifier la peur du nombre 13 est triskaidékaphobie, et pour la peur du vendredi treize paraskevidékatriaphobie. A contrario pour certaines personnes le nombre 13 peut porter bonheur.

Installée au fil du temps, cette superstition connue trouve ses origines essentiellement dans la Bible, mais pas seulement. Les nombreuses incidences du nombre 13 dans divers domaines temporels, religieux, historiques ou mathématiques semblent expliquer le caractère mystérieux et les superstitions entourant ce nombre :

Dans les religions chrétiennes, le chiffre 13 est un symbole à la suite d’une interprétation de la Sainte Cène où Jésus avait réuni les douze Apôtres autour de lui, la treizième personne, Judas, étant le traître qui conduira Jésus à la mort par crucifixion, le chiffre 13 fut associé aux malheurs et aux souffrances de Jésus. D’autres légendes suggèrent qu’Ève aurait croqué la pomme un vendredi avant de la présenter à Adam. La phobie du numéro 13 pourrait provenir de l’Antiquité. Au IVe siècle av. J.-C., Philippe II de Macédoine, eut l’idée d’ajouter sa statue à celle des 12 Dieux. Malheureusement pour lui, il fut assassiné peu de temps après. Mem, la treizième lettre de l’alphabet hébreu, proche est maïm qui signifie eaux s’apparenterait aussi à la mort. Le treize suit le chiffre douze, nombre symbolisant accomplissement et cycle achevé et très symbolique dans la mythologie chrétienne où il est un nombre “saint”. Il y a 12 mois dans l’année, 12 heures le jour et 12 la nuit ; il y a 12 signes du zodiaque, 12 dieux dans l’Olympe, 12 travaux d'Hercule, 12 tribus d’Israël et 12 apôtres de Jésus Christ. Le nombre est divisible par 2, 3, 4, ou 6 alors que 13 n’est divisible que par 1 ou seulement par lui-même. Treize est plutôt source de déséquilibre et tombe dans une portion opposée du divin, et marque une évolution fatale vers la mort, vers l’achèvement d’une puissance et d’un accomplissement. 13 est aussi : L’âge du début de l’adolescence, dans les pays de culture anglo-saxonne, le numéro atomique de l’aluminium, un métal pauvre ; un nombre“malchanceux” pour certains, dans le vocabulaire du bingo ; le nombre de dimensions dans certaines théories de la relativité ; le nombre de joueurs dans une équipe d’une variante de rugby, le Rugby à XIII ; l’âge de la maturité dans la tradition juive. Un garçon obtient sa Bar Mitsva le sabbat suivant son treizième anniversaire ; le nombre de degrés de la pyramide sur le verso du billet américain de 1$ ; le nombre de colonies d'origine des États-Unis. Le drapeau original possédait treize étoiles, une pour chaque État. Le numéro de l’autoroute française A13. Elle est appelée Autoroute de Normandie ;

Triskaïdékaphobie, vient du grec ancien treiskaídeka, “treize” et phóbos, “peur” est la phobie du nombre treize. Elle est souvent considérée comme une superstition. La peur du nombre treize triskaïdékaphobie a peut-être également affecté les Vikings, le dieu Loki étant le treizième dieu de leur mythologie. Ce fut repris plus tard par les chrétiens, désignant Satan comme le treizième ange.


ize le nombre sur le tatouage des Hells Angels en référence à la lettre M, pour “marijuana” ; la 13e Lune de Jupiter est Élara ; La Ligne 13 du métro parisien ; le numéro du département français des Bouches-du-Rhône ; le nombre d’années de mariage des noces de muguet ; une bière brassée à Marseille ; le nombre de desserts à l’occasion de Noël en Provence ; la treizième carte atoût “arcane” du Tarot. Elle représente un squelette en train de faucher, symbole de la mort. Le nom de la bande dessinée, XIII, de W. Vance et J. Van Hamme dont le héros amnésique est à la recherche de son identité ; le numéro de Train Heartnet, tatoué sur sa clavicule, héros du manga “Black Cat” ; le nombre cité dans le film Le 13e Guerrier ; le nombre cité dans la malédiction supposément jetée par le dernier templier : “Soyez maudits jusqu’à la 13e génération”. le nom d’un jeu de cartes, le Treize. la durée de la semaine aztèque. Certains millénaristes estiment que la fin du monde aura lieu le 21 décembre 2012, date correspondant à la fin du calendrier maya en compte long, soit 13.0.0.0.0 ; À certains endroits, on ne compte pas de 13 : Dans certains bâtiments l’étage 13 n’existe pas, il passe du douzième au quatorzième ou utilise 12a ou 12b à la place de 13. La plupart des services hospitaliers ne possèdent pas de lit n°13, en réaction aux protestations de certains patients. Certains grands hôtels passent directement de la chambre numéro 12 à la chambre numéro 14 (ou numérotent la chambre 12bis) pour ne pas avoir l’indélicatesse d’y mettre un client qui pourrait être superstitieux, on ne sait jamais. Les cinémas qui ne possèdent pas non plus de salle numéro 13. Certaines compagnies aériennes, n’utilisent pas le nombre 13 pour la numérotation des sièges en cabine. Le magazine Spirou n’a pas de page 13, remplacée par la page 12bis, afin de tourner en dérision la triskaïdékaphobie. De nombreuses compétitions comme la Formule 1 n’attribuent le numéro 13 à aucun concurrent. De même que lors de la construction du pont de l’Øresund où le 13e bloc de son tunnel a été appelé 12bis. Malgré ça, un accident a tout de même eu lieu lors de la pose du bloc au fond de la mer. Comme pour le 13, on rencontre dans d’autres pays des phobies similaires concernant d’autres nombres : En Italie, le nombre 17, car celui-ci, écrit en chiffres romains (XVII) est l’anagramme du mot latin VIXI, qui signifie “j’ai vécu” (i.e. “je suis mort). En Chine et au Japon, le nombre 4, est une homophonie du mot désignant la mort.

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REPORTAGES

Les gens superstitieux vous recommandent de ne pas passer sous une ĂŠchelle, mais ils ne vous empĂŞchent pas de passer sous un taxi. Pierre Dac



Le passeur d’âmes de Bangkok C’est l’histoire d’un pacte avec les fantômes. Une cohabitation en bonne intelligence avec les esprits erratiques qui peuplent les nuits de Bangkok. Dans ce pays ou l’imaginaire vagabonde, Sackhai, “l’attrape-morts” est un héros. Selon les croyances locales, l’esprit de celui qui meurt de mort violente ne repose pas en paix. Si l’on accomplit pas rapidement les rites nécessaires, il rejoint la cohorte des esprits malfaisants qui errent dans la ville. Sackhai, employé par une association boudhiste ramasse les cadavres mutilés, décapités ou écrasés. Il les enveloppe et assure le service funéraire pour que leur âme parte en paix. Malgré une longue expérience, il redoute toujours la rencontre d’un ectoplasme. “Dans les rues il fait noir, il faut agir vite. Les pii thai hong (les esprits) sont susceptibles et aiment prendre possession des vivants.” Les nuits sont meurtrières dans cette ville de 12 millions d’habitants. Alcool, drogue et motards font “vivre” la mort à Bangkok. Sackhai invente la géographie des nuits d’épouvante. Il y a la rue de l’actrice morte, la rue des “mouches ”, ces jeunes qui risquent leur vie dans des courses folles à vélomoteurs, le “virage aux cent morts” … Il guette, scrute et écoute la police. Chaque “attrape-morts” a ses rituels. Sackhai ne se sépare jamais de son amulette repousse fantômes. Il lance régulièrement des oreillers dans les khlongs, les canaux de Bangkok pour que les esprits soient à l’aise. Il ne les prend pas au dépourvu, il les prévient de son arrivée, “la rue est détrempée…” Il prend les photos, prépare tout pour la police, prévient les familles. Il a peur des fantômes, pas des corps. Sackhai ajoute : “Si ce rituel ne se fait pas je ne peux jamais dormir tranquille, je suis superstitieux comme beaucoup de personnes dans le monde et en Asie la superstition est très forte, elle se superpose toujours à la croyance. Elles vivent l’une avec l’autre depuis toujours.” Sackhai est un bonze “morbide” doublé d’un superstieux. Il est le passeur d’âmes de Bangkok, une ville superstitieuse de l’Asie.

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Cap ou pas cap ? Encore une fois, les Égyptiens considéraient qu’une échelle posée contre un mur formait un triangle sacré en Égypte. Si l’on passait dessous on comettait un sacrilège. Cette croyance est donc restée et a par la suite été récupérée dans la religion chrétienne où le triangle représente la Trinité. Pour les cartésiens, le risque est celui de recevoir un pot de peinture laissé par mégarde par un ouvrier. En France et en Grande-Bretagne, il était d’usage de faire passer le condamné à mort sous l’échelle dressée contre le gibet. Le bourreau, quant à lui, la contournait et contribuait au succès de la superstition. De cette habitude est née la croyance que celui qui passe sous l’échelle sera pendu. Sur un pannel de 80 individus seuls 16 ont eu le cran de passer sous les barreaux : - 8 adultes (7 femmes + 1 valise / 1 homme) - 6 enfants (4 garçons dont 2 en patinette / 2 filles) - 2 pigeons sur 3

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La voyance : un remède ? Si autrefois, on s’en cachait, de plus en plus nombreux sont ceux qui vont consulter des médiums et des astrologues sans complexe. Prédictions hasardeuses, arnaques, les voyants rivalisent ils avec les psys ? Le Festival d’astrologie et de la voyance a fait fureur en 2010 à Antibes. Payer 39 euros au lieu de 80 euros la consultation fait oublier la peur du ridicule. Les superstitieux, les inquiets de l’avenir en tout genre ne se cachent plus. Les hommes, plus réticents s’y mettent, leur vie professionnelle servant d’excuse pour évoquer leur vie sentimentale. Cette frénésie astrale s’explique facilement selon Michel Maffesodi, sociologue : “Le cycle qui caractérisé la modernité et qui était purement rationaliste est derrière nous. Désormais, nous sommes entrés dans ce que j’appelle le réenchantement du monde. C’est le retour du hasard, des formes obscures et impénétrables, mais aussi de l’émotion. Autant de choses que l’on a évacuées. Les astres et la voyance sont l’une des manifestations de cette nouvelle ère. La technologie s’en mêle aussi. Selon le philosophe Michel Maffessoli : “Il y a une synergie entre l’archaïque et le développement technologique. Ainsi comme la voyance revient en force, elle trouve un développement exponentiel grâce aux différents médias”. La mode du coaching se croise à ce besoin d’être rassuré, le voyant devient le coach, le médecin des bleus à l’âme. Croire en la voyance, croire en une boule de cristal, un jeu de cartes, ou dans le pouvoir d’un objet ou d’un acte reste totalement irrationnel. Et pourtant si “le malade de l’imaginaire” se soigne ainsi, je n’y vois rien de très grave. Il s’agit bien de l’effet placebo. En revanche, le problème est tout autre si le sujet souffre de phobies ou de névroses. Dans ce cas, cela peut mener à la catastrophe.

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Superstition , voyance, croyance en tout genre soignent peut-être le malade de l’imaginaire.






EFFET PLACEBO

Je ne suis pas superstitieux, รงa porte malheur. Jean-Paul Sartre



Laurence - 23 ans

LA SUPERSTITIEUSE NOCTURNE

Pantoufles… à bout de souffle. Je n’ai jamais été superstitieuse, et pourtant… J’ai douze ans. Après des mois passés à l’hôpital, le cardiologue m’annonce qu’il va tenter une première. Je comprends que je vais peut-être m’évaporer ! Alors le jour où l’on vient me chercher pour l’anesthésie, je pose mes pantoufles alignées près de mon lit perpendiculaires au niveau de la tête en me disant que je les reverrai à mon réveil. Je l’explique aux infirmières. Au Paradis, en Enfer ou dans le néant il n’y a pas de pantoufles. Ça a marché, elles sont bien là ! Depuis , le soir au moment d’aller me mettre à l’horizontal, cette peur de ne jamais se réveiller me reprend. Ma seule façon de conjurer le mauvais sort est d’accomplir ce rituel superstitieux. Je ne suis pas folle, je veux juste tombée dans les bras de Morphée. C’est un peu comme surveiller l’eau bouillante, arrêter l’ébullition avant qu’il ne soit trop tard, avant que l’angoisse ne vous gagne. D’une peur est née une superstition. Mais, Docteur rien de grave, juste une envie de vivre.

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“Écrire : arracher quelques brides précises au vide qui se creuse”

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Jake - 26 ans

LE SUPERSTITIEUX PHOBIQUE

I’m a “Writer’s block”, autrement dit, je suis leucosélophobique. J’ai ce qu’on appelle, l’angoisse de la page blanche. On parle même de syndrome. Je suis écrivain c’est plutôt courant. Je suis parfois en panne d’inspiration. Les affres de l’écriture, les vertiges, les maux de têtes, le désespoir, et les fameuses boulettes de papier qui s’accumulent au pied du bureau me font beaucoup souffrir. Être seul au monde face à cette immensité blanche. Un vide à combler ! Comment faire pour que les mots se dessinent à nouveau sur le papier ? Comment faire pour voir réapparaitre un semblant de signe ? Je recherche sans cesse une lueur d’espoir pour palier à cette absence d’imagination. Il est beau le désespoir créateur, il me faut affronter l’infini. Il paraît que Colette écrivait toujours sur du papier bleu pour éviter ce blocage. J’ai trouvé la parade de mon côté : peindre une page blanche en noir avant de commencer à écrire. Je n’ai plus peur de me lancer dans le vide puisque celui-ci n’existe plus. Un peu de noir, un peu de blanc pour mieux envisager l’avenir. Mon prochain livre fera un carton, je l’espère.

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Erwann - 23 ans

LA SUPERSTITIEUX À LA COQUE

Je suis fan de l’œuf, sous toutes ses formes : brouillés, au plat, en cocotte, à la coque, mais là danger ! Si je fais tomber mon œuf à la coque c’est la panique. Il va m’arriver une “coquille” dans la journée. Je fais très attention à ne pas le briser autrement que nécessaire. Alors là tout roule ma poule ! En Finlande le Kalevala, recueil de chants du XIXème siècle rapporte ce récit : “Avant la naissance du temps, la déesse des Eaux, laisse apparaître son genou à la surface des eaux primordiales. Le canard, maître de l’air y dépose sept œufs, dont six d’or et un de fer. La déesse plonge, les œufs se brisent dans les eaux et dit :

“Tous les morceaux se transformèrent en choses bonnes et utiles : le bas de la coque de l’œuf forma le firmament sublime, le dessus de la partie jaune devint le soleil rayonnant, le dessus de la porte blanche, fut au ciel la Lune luisante : tout débris taché de la coque fut une étoile au firmament, tout morceau foncé de la coque devint un nuage de l’air le temps avança désormais…”

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Samuel - 22 ans

LE SUPERSTITIEUX ACCRO

J’ai toujours aimé jouer, un vrai plaisir. Rien ne peut m’en défaire, je suis accro, obssédé ! Même quand mes fins de mois sont difficiles, il faut que je fasse trois ou quatre grilles, c’est plus fort que moi. C’est une pulsion que je ne peux pas maîtriser. Jouer, c’est grisant. On s’imagine déjà en train de décrocher le gros lot et de changer de vie. On pourrait enfin s’offrir toutes les choses dont on rêve, sans plus jamais avoir à compter… Mon rêve, être plein au as ! Et pour le devenir seule la chance compte. Je ne tire pas mon épingle du jeu comme ça, je suis bâti comme l’as de pique. J’affiche la couleur à chaque partie que j’entreprends. Pas facile d’abattre ses cartes surtout lorsque le jeu est mauvais. Les dés sont pipés, c’est impossible que je perde. Je ne me promène jamais sans mon porte-bonheur, une dame de cœur que je garde précieusement dans mon portefeuille. Si la partie tourne court, je demande à ouvrir un nouveau jeu. Rien de mieux qu’une partie en compagnie de ma dame pour attirer la chance.

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François - 65 ans

LE SUPERSTITIEUX ORGANISÉ

On m’appelle le superstitieux organisé. Mon cerveau est comme l’horloge de Big Ben, un tic un tac je sonne toujours à heure fixe. 12h10 vous avez dit ? Je croise les doigt je touche du bois. Non je ne suis pas superstitieux, juste organisé ! 12h10, je regarde ma montre, pas une minute de plus. L’heure c’est l’heure. Je suis programmé ! Ma pile est garantie à vie. C’est vrai, je suis très à cheval sur l’heure parfois même un peu trop. 12h10 l’heure du crime ? Non, l’heure où tout se joue, où ma vie se joue de moi. Je suis né à 12h10… Vous comprenez ?

Comme les montres sont molles, alors le temps n'existe pas... il se déforme, il se courbe. En fin de compte, il est malléable.

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Chen - 27 ans

LA SUPERSTITIEUSE LUNAIRE

Chen, originaire de Taïwan. Je suis superstitieuse et fière de l’être ! Comme la plupart des Taïwanais je suis très à l’écoute des esprits. Je respecte les rites et les traditions que l’on m’a transmis depuis mon enfance. Ma mère dit toujours : “Si tu n’importunes pas les esprits alors la chance viendra sur toi et les mauvais présages disparaîteront dans l’au-delà.” Ma famille est très superstitieuse, surtout mon père. Lorsqu’il se rend dans un hôtel, il signale toujours sa présence en frappant trois fois à la porte pour prévenir les esprits de son arrivée. Pour lui c’est une marque de respect il les prie de bien vouloir l’excuser de la gène occasionnée. Une autre superstition veut que l’on mette une chaussure dans un sens et la seconde dans l’autre sens pour chasser les mauvais esprits avant de s’endormir. La liste est longue à Taiwan mais une me résiste, la Lune. Celui qui a l’audace de pointer la lune du doigt se verra couper l’oreille par l’astre lui même. Je ne la montre donc jamais du doigt, mes oreilles sont trop précieuses. Avec le soleil, aucun problème. Rappelez-vous juste une chose : “Lune pointée, oreille coupée !”

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“Il faut toujours viser la Lune car même en cas d’échec on attérit toujours dans les étoiles.” Oscar Wilde



Sixtine - 22 ans

LA SUPERSTITIEUSE MANIAQUE

J’accroche tout à tout, J’en finis par m’accrocher moi-même. Personnne ne me comprend, Ça devient inquiétant. Je n’ai pas peur de perdre mais de me perdre J’ai chez moi, des mètres de ruban Qui sont comme des soudures du temps Clés, lunettes, stylo… tout y passe, tout est lié, emmelé, rattaché et jamais déplacé. Je ne suis pas folle vous savez. Juste un peu barrée ! J’ai la niak, je suis maniaque. Quand je sors, Je ne crains jamais le mauvais sort. Avec mes rubans, Je suis maîtresse du temps. Parfois excessive je l’avoue, et vous ?

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Florence - 24 ans

LA SUPERSTITIEUSE COCOON

Superstieuse ? Oui. Ma superstition est sans nul doute très personnelle. Entre moi et mes chaussettes rouges, tout est une question d’avenir. Il m’est totalement impossible de travailler sans elles lorsque je suis chez moi. Je me dis toujours, n’oublie pas tes chaussettes Flo ou l’échec viendra à toi. En plus de leur jolie couleur rouge, elles sont d’un confort incroyable ! Un petit rituel accompagne toujours cette superstition. Je murmure dans ma tête : Cocoon, Ma chausette rouge Je t’aime. Tu es si douce Sur ma peau. Tu rougis Quand je te saisis Par la maille. Cocoon, Ma chaussette rouge Je t’aime. Tu me tiens chaud. Il n’y a que toi Pour me dire Au boulot Ma Flo ! Tout se passera bien, Au bout de la nuit Nous irons enfin… Cocoon, Tu rougis Le vers devient coquin. C’est stupide je vous l’accorde mais ça marche ! Approuvé et testé, vous en voulez ?

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Andrea - 24 ans

LA SUPERSTITIEUSE LÉGENDAIRE

Je suis mexicaine. Dans mon pays, le blanc a plusieurs significations. Nous sommes très croyants mais nous sommes aussi très superstitieux. Porter un vêtement blanc transmet l’énergie vitale. Quand je vois la vie en noir, je m’habille en blanc. Je porte toujours quelque chose de blanc sur moi. C’est aussi une des couleurs “del dia de los muertos”. Cette fête est très importante, nous célébrons les morts en famille en leur faisant des offrandes. En particulier, nous faisons don de fleurs blanches aux enfants disparus, les adultes ont le droit à de la tequila. Avec la mort, on célèbre la vie !

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Raphaëlle - 23 ans

LA SUPERSTITIEUSE CRUCIFORME

Je ne suis pas barrée, Juste croisée. Je croise les doigts à tout bout de champ Pour que mes vœux se réalisent. Ne croyez pas que je mens Si je les croise dans le dos, C’est juste pour la photo. Croyez-moi, Croisez-moi, Et vous verrez Que je ne suis pas barrée, Juste croisée. Croix de bois, croix de fer, Si je mens je vais en enfer. Croyez-moi, je ne mens pas.

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Victoire - 22 ans

LA SUPERSTITIEUSE SENTIMENTALE

Je suis très sentimentale. Toutes les choses ayant appartenues à mes ancêtres me tiennent à cœur. Ce sont des souvenirs que je garde sur moi pour me rappeler d’eux mais pas seulement. Je considère ces objets comme des sortes d’amulettes porte-bonheur. Par exemple je ne me sépare jamais d’une bague offerte par ma grand-mère pour mes dix-huit ans, je pars toujours en vacances avec la vieille valise de mon père. Je leur attache un pouvoir quasi “magique”. Sans eux difficile de se sentir bien, c’est comme une prolongation de ceux que j’ai aimé. On m’a déjà parlé des superstitions liées au mariage. Je trouve cela amusant et j’essaierai de tenir compte de ces critères si un jour je me marie. Pour les superstitieux, une robe de mariée doit satisfaire des critères précis : Une touche de couleur bleu doit être portée (même si elle n’est pas visible) par la mariée, il représente la pureté et la fidélité. Quelque chose d’ancien : La mariée se doit de porter un objet qui fait parti de son patrimoine familiale, en effet “le vieux” symbolise la vie de la mariée avant le mariage. Le neuf symbolise l’avenir de la mariée et son bonheur futur. Et enfin, le prêté, par exemple une paire de gants blancs peuvent très bien convenir. Plus que l’objet en effet c’est la personne qui prête qui est importante. J’y ajouterai simplement un détail, un ensemble rouge symbole de la passion.

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Sarvenaz - 27 ans

LA SUPERSTITIEUSE ENCERCLÉE

Le cercle est pour moi une figure magique : bracelets, colliers, anneaux, tout y passe. Je me sens protégée, entourée. Quand j’ai peur d’un échec, je trace avec mon pied un cercle sur le sol et j’écris virtuellement mon prénom à l’intérieur. Je suis danseuse et ma superstition est en parfaite harmonie avec ma passion, un bon exercice pour les chevilles. Je tourne, et tournerai toujours…

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POISON ET ANTIDOTE

Il n’y a pas de moyen plus efficace que la superstition pour gouverner la multitude. Baruch Spinoza


666 Il est le nombre de l’Antéchrist ou de la Bête de l’Apocalypse. “[...] C’est ici la sagesse. Que celui qui a de l’intelligence calcule le nombre de la bête. Car c’est un nombre d’homme, et son nombre est six cent soixante-six .” Apocalypse, Jean XIII/18. Hitler serait l’Antéchrist. L’écrivain Robert Ambelain raconte qu’à sa confirmation Adolf Hitler reçut un second prénom. Adolf = Adolphus Wolfgang = Lupus Hitler : ADOLPHUS 500 + 50 + 5 = 555 LUPUS 50 + 5 + 5 = 60 HITLER 1 + 50 = 51 555 + 60 + 51 = 666 L’hexakosioihexekontahexaphobie est la peur du nombre de la Bête, mais dans les pays anglophones, le mot est plutôt employé comme virelangue que pour réellement désigner la notion.

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La peur entretient la superstition Nous nous souvenons tous d’un journal télévisé durant lequel Roger Gicquel avait débuté par une phrase qui allait le rendre célèbre : “La France a peur !” soulignant l’émotion provoquée par l’enlèvement et l’assassinat, à Troyes, du petit Philippe Bertrand par Patrick Henry. La peur est une crainte, une frayeur, une émotion pénible produite par l’idée ou la vue d’un danger. Si elle sert à se protéger d’un danger, la peur est une émotion positive : “il est bon d’avoir peur”. Parfois, le corps est paralysé un instant : la peur s’installe de quelques secondes à quelques heures. Au-delà, nous sommes, certainement, dans le domaine de la phobie. Dans certains pays sous-développés, la peur est utilisée comme un moyen de pression. Elle devient une nouvelle stratégie de contrôle de la société. Cependant, dans nos pays dits “développés”, la peur a largement contribué à maintenir ou à irriter le peuple. Au cours de la Révolution Française (1789-1799), la Grande Peur incarna un mouvement de peur collective qui dura deux semaines au cours de l’été 1789. Le bruit se répandit que des brigands étaient recrutés par l’aristocratie pour parcourir les campagnes afin de couper les blés verts et anéantir les récoltes. Les paysans, une fois armés, ne rencontrèrent pas de “brigands”. La Grande Peur n’engendra qu’une révolte armée antiféodale qui conduisit à l’abolition des privilèges décrétée le 4 août 1789 par l’Assemblée Nationale de l’époque. Au XVIIIe siècle, la peur du loup engagea une traque. Entre 1500 et 2000 loups furent abattus en France. Vers 1880, l’espèce fut exterminée en France. La guerre froide (1945-1990) fournit un excellent exemple de l’utilisation de la peur pour obtenir le soutien populaire. Si la perception du danger représenté par le bloc communiste s’amenuisait dans l’opinion publique, les bénéficiaires du complexe militaro-industriel américain se faisait un plaisir d’annoncer un nouveau danger. On nous informait que les Russes possédaient un nouvel avion de chasse, un nouveau sous-marin ou une nouvelle génération de satellites et le tour était joué. Comme par hasard, les budgets militaires augmentaient en conséquence… Plus proche de nous, la peur de la violence urbaine et la sécurité publique sont souvent mises en avant dans les médias. La prévention routière diffuse aisément des scènes d’accidents et terrorise l’automobiliste en montrant des photos de cadavres défigurés pour l’apeurer, pour le traumatiser, voire le culpabiliser. Les paquets de cigarettes exhibent des slogans choquants en rappelant au fumeur que “la cigarette donne le cancer et tue”. Les exemples ne manquent pas. Plus récemment encore, dès l’été 2009, souvenez-vous : “Nous allons tous mourir de la grippe A si nous ne nous vaccinons pas !”, à cause d’un méchant microbe, probable cousin mexicain de la grippe espagnole. Depuis le 11 septembre 2001 et ces images choc du World Trade Center, cette stratégie médiatique de la peur est en constante augmentation et se généralise de plus en plus, à tel point que Ben Laden est ainsi devenu une marionnette en vente dans les magasins de jouets… Les politiciens ont toujours su que la peur révèle le meilleur moyen de convaincre les populations réticentes à accorder leur soutien inconditionnel au Gouvernement. Que ce soit pour détourner l’attention de la population, pour justifier plus de taxes ou pour faire accepter une législation impopulaire, les politiciens peuvent toujours compter sur un événement dramatique réel ou annoncé. Progressivement, en maintenant les populations dans un état d’appréhension constant, l’État gruge les libertés individuelles au profit des politiciens et de la bureaucratie gouvernementale. Les gens acceptent à peu près tout ce qui leur est imposé graduellement, incluant la perte de leur liberté. Il est plus que jamais important de se rappeler les paroles que Benjamin Franklin prononça en 1759 : “Ceux qui troquent leur liberté en échange d’une sécurité temporaire ne méritent ni la liberté ni la sécurité.” La peur entretient plus que jamais la superstition, l’Homme se sentant menacé il cherche d’autres moyens de se libérer de cette peur, de ce sentiment d'angoisse qui le dévore de l'intérieur. Il cherche un soutien dans un monde totalement irrationel qu’ il se crée.

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C’est le fanatisme de la liberté, seul, qui peut avoir raison du fanatisme de la superstition.



777 Le chiffre 7 est un nombre sacré dans de nombreuses religions. Dans la Bible, le monde a été créé par Dieu en sept jours. Les musulmans tournent sept fois autour de la Kaaba (la pierre noire) à La Mecque. Pour les Hindous, il y a sept sources d’énergie du corps, les sept Chakra. Dans la religion juive, le chandelier, la Ménorah possède 7 branches qui symbolisent l’équilibre. Il y a aussi : 7 astres gouvernent le zodiaque 7 notes de musique 7 couleurs de l’arc-en-ciel 7 systèmes cristallin 7 péchés capitaux 7 merveilles du monde 7 est l’âge de raison C’est le symbole de la perfection, de la vie éternelle et du cycle complet.

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MUSIQUE

Le mythe des “lendemains qui chantent” attire les foules comme la lampe les papillons. L’avenir étant muet, rien n’est plus facile que de lui faire chanter la chanson qu’on veut : aucun risque de démenti dans l’immédiat… Gustave Thibon




SUPERSTITION Paroles et musique Stevie Wonder Année de création 1972 Durée 4 : 26 Label Motown

Very superstitious, writing’s on the wall, Very superstitious, ladders bout’ to fall, Thirteen month old baby, broke the lookin’ glass Seven years of bad luck, the good things in your past. When you believe in things that you don’t understand, Then you suffer, Superstition ain’t the way


Very superstitious, wash your face and hands, Rid me of the problem, do all that you can, Keep me in a daydream, keep me goin’ strong, You don’t wanna save me, sad is my song.

Very superstitious, nothin’ more to say, Very superstitious, the devil’s on his way, Thirteen month old baby, broke the lookin’ glass, Seven years of bad luck, good things in your past

When you believe in things that you don’t understand, Then you suffer, Superstition ain’t the way, yeh, yeh.

When you believe in things that you don’t understand, Then you suffer, Superstition ain’t the way, no, no, no

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A B R A C A D A B R A A B R A C A D A B R A B R A C A D A B A B R A C A D A A B R A C A D A B R A C A A B R A C A B R A A B R A B A


ABRACADABRA Paroles et musique Florent Pagny Année de création 2006 Durée 2 : 47 Label Universal music

Un trèfle à 4 feuilles contre le mauvais œil une bonne étoile un fer à cheval et puis 2-3 grigris je les ai pris aussi un coup de baguette magique une potion qu’on fabrique un ange gardien un peu malin les sorts, les dés jetés j’aurais tout essayé Désormais tous les plus grands sorciers peuvent bien se réunir comploter mijoter des plans pour l’avenir plus besoin de tout ça puisque tu veilles sur moi Abracadabra des scarabés dorés devenus de bonnes fées un talisman un rêve d’enfant une formule secrète et plusieurs amulettes Un dieu n’importe lequel ou même jeter du sel la providence pour self defense rien de grande valeur que des portes-bonheurs tous les plus grands sorciers peuvent bien se réunir comploter mijoter des plans pour l’avenir plus besoin de tout ça puisque tu veilles sur moi Abracadabra puisque tu veilles sur moi Abracadabra...

Ce mot magique viendrait de l’hébreu abreg ad hâbra : “Envoie ta foudre jusqu’à la mort”. Il servait à protéger des maladies et à guérir des fièvres : on suspendait autour du cou un parchemin vierge sur lequel les lettres étaient disposées de manière à former un triangle inversé. Cette disposition est censée “diriger vers le bas les énergies d’en haut” que le talisman prétend capter. On dit aussi que chez les Perses on prétendait qu’il pouvait favoriser les rencontres avec le diable pour ceux qui le souhaitaient.

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Il y a de la superstition Ă ĂŠviter la superstition. Francis Bacon



CONTRIBUTEURS Interviews : Magali Baillot, Jean-Marc Harel Ramon. Textes : Laurence Bourdais, Colette, Jacques Prévert. Modèles photos : Sixtine d’Arexy, Florence Bamberger, Laurence Bourdais, Véronique Bourdais, Sarvenaz Dezvareh, Andrea Ilse, Jake Kovach, Erwann Portais, François Pasquier, Victoire Rolland-Marescot, Chenyin Shih, Raphaëlle Taschet, Samuel Verspieren. Musique : Stevie Wonder, Florent Pagny, W. Circus. Merci à Michel Maidenberg mon maître de thèse et à ma famille pour leur soutien.




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