PONTS DE MÉMOIRE
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la liberté. Celle-ci retrouvée, les ponts partent reconstruire les provinces à franchir le temps. — MARYLÈNE CARRE en Franche-Comté, Pays de Loire et région Centre. Certaines sont réutilisées à plusieurs reprises : le pont de Cattenon, en Moselle, est construit en 1965 à partir de cinq passerelles rapportées de Sarrebourg. En principe provisoires, elles sont inébranlables et si l’on cesse de les utiliser, c’est parce que leur dimension (3,48 m de large) ne suffit plus au trafic. Aujourd’hui, neuf ponts sont encore en service. Certains ont été ferraillés. D’autres sont rapatriés en Normandie, où ils deviennent les passerelles de la mémoire. DES OBJETS DE MÉMOIRE
Le déblaiement des plages du Débarquement s’achève en 1956. Il ne reste plus du port artificiel que quelques caissons Phoenix i m mergés, des Ces ponts, qui f lotteurs et un quai de déchargement échoués sur la plage. Des blocs de béton. Le reste est vendu au prix de la ferraille, qui vaut alors de l’or, pour reconstruire les communes sinistrées et bâtir le futur musée du Débarquement à Arromanches. Mais très tôt, on s’émeut de la disparition des vestiges du
ZÉRO - FÉVRIER 2016
port. Habitants et commerçants signent en 1950 une pétition pour demander « la conservation de ces vestiges qui ont une valeur touristique considérable pour la région ». Le tourisme de mémoire naît au lendemain de la guerre. Mais à mesure que le nombre de visiteurs augmente, la mer grignote un peu plus le béton. Les moins optimistes prédisent que les caissons auront disparu dans trente ans. Les autorités de tutelle se renvoient la responsabilité de ces vestiges, qu’aucun classement ne protège. L’inscription des Plages du Débarquement au patrimoine mondial de l’Unesco pourrait changer la donne. L’Unesco abhorre les reconstitutions historiques ; il faut des « restes ». Les passerelles, qu’on avait fini par oublier, rentrent en scène.
Vierville-sur-Mer finance le rapatriement de cinq passerelles stockées par l’Équipement en Indre-et-Loire, afin de reconstituer une chaussée flottante. Elle repose sur le bas-côté de la route, où elle surnage étrangement un champ de bovins. 70e anniversaire, nouvel emballement de l’Histoire. Deux des quatre p a s s e r e l le s de Re v i n , d a n s le s Ardennes, promises à la ferraille, sont sauvées. La Région finance leur retour à Arromanches, où elles campent la falaise, près du monument consacré au Corps of Royal Engineers, celui de Beckett. Inaugurées le 6 juin 2015, elles deviennent les « témoins emblématiques de l’histoire de la Normandie et de l’Europe ». En 2016, le Conseil départemental de Moselle remplace
ont libéré l’Europe, vont désormais reconstruire la France. En 2004, à la faveur du 60 e anniversaire du Débarquement, le pont de Quincy-Landzécourt, dans la Meuse, revient à Arromanches ; la passerelle est exposée sur la cale, à quelques brasses de sa position historique. La même année, le musée (privé) de
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le pont de Cattenon. Cinq passerelles sont disponibles, mais le cadeau est un peu embarrassant. Arromanches, qui ne sait plus quoi faire de ses ponts historiques, a persuadé les communes voisines de Saint-Côme-de-Fresné et Tracy d’accueillir l’héritage.