LES NUITS 2023
23.04 > 12.05
BOTANIQUE.BE
SARAH DAVACHI âą BILL CALLAHAN âą ZED YUN PAVAROTTI
ANNABEL LEE âą ALBIN DE LA SIMONE âą OISEAUX-TEMPĂTE & FRIENDS âą JOHAN PAPACONSTANTINO âą TUKAN âą COBY SEY
JEANNE ADDED âą PIERRES âą ORACLE SISTERS âą UZI FREYJA
LO BAILLY âą ICO âą ECHT ! âą MEYY âą FLAVIEN BERGER âą MUSTII
ANNA B SAVAGE âą DAVID EUGENE EDWARDS, ... AND MANY MORE !
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Conception graphique
Mateo Broillet
Jean-Marc Klinkert
Seance.info
Impression die Keure
Prochain numéro Mai 2023
Ădito
Lâinformation nâa sans doute Ă©chappĂ© Ă (presque) personne⊠Mi-janvier, le Fuse, temple bruxellois de la techno depuis prĂšs de 30 ans, a annoncĂ© sa fermeture suite Ă un litige avec un voisin. Si, depuis, le club a rĂ©ouvert ses portes sous condition, il a remis en lumiĂšre la fragile et difficile cohabitation entre les lieux de spectacles et le voisinage. Ce qui fait forcĂ©ment trembler la grande majoritĂ© des organisateurs de concert qui se demande de quoi leur avenir sera fait. Dans certaines villes et villages, plusieurs lieux culturels ont dĂ©jĂ Ă©tĂ© contraints de fermer leur portes, incapables entre autres dâassumer financiĂšrement des travaux qui leur coĂ»teraient trĂšs chers, la plupart dâentre eux ne faisant pas de profits.
Le confinement nâa rien arrangĂ© Ă lâaffaire puisque la reprise de la circulation et des bruits ambiants a, semble-t-il, rendu allergique au moindre son toutes celles et ceux qui avaient pris goĂ»t au calme⊠Sans parler des effets pervers de la gentrification.
Sâil est plutĂŽt sain de lĂ©gifĂ©rer sur la question, il devient urgent de trouver un Ă©quilibre pour que vie sociale et vie privĂ©e puissent cohabiter de façon plus dĂ©mocratique. Pour que les jeunes et les moins jeunes puissent sortir, se cultiver, socialiser⊠à moins de vouloir transformer les villes en mouroirs remplis de centres commerciaux.
En Couverture
p.8 ENTRETIEN Hamza
Ouverture
p.4 ARRIĂRE-PLAN Philippe Delvosalle
p.5 AFFAIRES Ă SUIVRE
p.6 EN VRAC
# rencontres
p.11 YellowStraps
p.12 Arno Saari â RORI
p.13 Oberbaum â Sylvain Chauveau
p.14 Annabel Lee
p.16 Neptunian Maximalism
p.17 Aka Moon
p.18 Sturm und Klang
p.19 Quatuor Alfama
Articles
p.20 AVANT-PLAN Véronique Vincent
p.22 360° Le point sur le néo-classique
p.26 DĂCRYPTAGE La vie dâartiste des labels de musique
p.28 BUSINESS Les tournées et la crise énergétique
p.30 IN SITU Le Baixu
p.32 180° Musique en ville : vaste débat!
p.35 Les sorties
Bonus
p.38 ARRĂT/IMAGE Alexandre De Bueger
Crédits
Maurice Jaccard
Alexander Popelier
Mayli Sterkendries
Diego Mitrugno
p.39 4Ă4 Judith Kiddo
p.40
p.42
V. ENSEMBLE Belgium Booms
ESPRESSO Aleph Quintet
p.42 JâADORE⊠Marc Pinilla (Suarez)
Philippe Delvosalle fĂȘte les dix ans dâOkraĂŻna Records
TEXTE : NICOLAS ALSTEENĂcharpe autour du cou, casquette bleu et jaune sur la tĂȘte, Philippe Delvosalle sâapprĂȘte Ă rejoindre le stade de la Royale Union saint-gilloise. « Ce que jâaime ici, câest lâambiance dans les tribunes On y croise des filles et des garçons de toutes les gĂ©nĂ©rations. Dans les supporters, il y a des Ă©tudiants, des infirmiĂšres, des fonctionnaires, des peintres, etc. Les gens ont des origines grecques, portugaises, italiennes⊠Et, pendant un match, on se parle indiffĂ©remment en français ou en nĂ©erlandais. Moi, je suis attirĂ© comme un aimant par de tels assortiments. » Câest tellement vrai que, depuis 2012, Philippe Delvosalle crĂ©e, lui aussi, des ponts entre des personnalitĂ©s issues de diffĂ©rents horizons. Avec son label OkraĂŻna Records, il entremĂȘle en effet poĂ©sie, littĂ©rature, folk, blues et musiques traditionnelles sur des vinyles Ă©ditĂ©s au format dix pouces, tous dĂ©corĂ©s par les soins de lâillustratrice GwĂ©nola CarrĂšre.
DiplĂŽmĂ© en gĂ©ographie Ă lâULB, Philippe Delvosalle prolonge alors sa formation en architecture, Ă Paris. « Dans le mĂȘme temps, je collaborais avec Rock This Town, un magazine dans lequel jâĂ©crivais sur lâactu du rock en français. Au bout dâun temps, jâai trouvĂ© ça frustrant dâĂ©crire sur Les Garçons Bouchers et dâautres groupes qui ne mâintĂ©ressaient pas. » Il quitte alors la rĂ©daction pour fonder un fanzine prĂ©nommĂ© Bardaf. « Je me suis offert la
Collectionneur de sons, géographe de formation, Philippe Delvosalle favorise la rencontre des gens et des genres via les sorties de son label.
libertĂ© dâĂ©crire sur ce que jâavais envie dâĂ©couter. » En 1993, toujours Ă Paris, il inaugure Ubik, petit label dĂ©vouĂ© au rock lo-fi. « Jâai publiĂ© un 45 tours de The Folk Implosion, puis il y a eu Les Brochettes ou De Portables. » De 1995 Ă 2001, le gĂ©ographe travaille Ă la CinĂ©mathĂšque. Puis, il prend la route de la MĂ©diathĂšque (PointCulture) oĂč il gĂšre encore aujourdâhui les collections du cinĂ©ma documentaire. Mais quelques semaines aprĂšs avoir obtenu cet emploi, une explosion de gaz souffle le quartier bruxellois oĂč il habite⊠« Via des connaissances, je suis alors parti vivre au sein de la communautĂ© de la Ferme du BiĂ©reau, Ă Louvain-la-Neuve, jusquâen 2007. Ă lâĂ©poque, habiter lĂ -bas, ça impliquait dâorganiser des concerts et des projections pour le cinĂ©-club. » Depuis une quinzaine dâannĂ©es, Philippe Delvosalle sâinvestit aussi Ă©galement dans la programmation du Ptit Faystival, un micro-festival implantĂ© Ă proximitĂ© de BiĂšvre. « AprĂšs seize Ă©ditions, jâai toutefois dĂ©cidĂ© de passer la main. Je ne peux pas tout faire⊠» Ce qui ne lâempĂȘche pas de prester, chaque dimanche soir, sur les ondes de Radio Campus. « Cela fait une vingtaine dâannĂ©es que jâanime MU, une Ă©mission dans laquelle nous diffusons de la musique lĂ©gĂšrement dĂ©calĂ©e. Cela va de la pop au field recording. » Encore et toujours une affaire de melting-pot. Plus dâinfos ? https://okrainarecords.com
Affaires Ă suivre
# clip
Macgray Backbone
# nouvel·album
# anniversaire
Rock System Festival fĂȘte ses 10 ans
# concours
# en·français
Du F. dans le texte
âŠTen points !
# coaching
# chanson
Studio des Variétés Formation en songwriting
Vous souhaitez dĂ©velopper vos compĂ©tences dâĂ©criture et de composition dans la crĂ©ation de chanson ? Le Studio des VariĂ©tĂ©s organise une formation pour vous aider Ă optimiser votre talent. Master classes, writing camp et sessions studio sont au menu de ce coaching trĂšs complet, Ă destination des artistes en musiques actuelles, rĂ©sidant en FĂ©dĂ©ration Wallonie-Bruxelles et bĂ©nĂ©ficiant dâun minimum dâencadrement professionnel. Plus dâinfos ? studiodesvarietes.be
# tremplin
# metal
Durbuy Rock Festival Des lauréats à suivre !
Cette annĂ©e, le Durbuy Rock avait bien prĂ©parĂ© le terrain. Pour complĂ©ter son affiche et prĂ©senter le meilleur des artistes/ groupes Ă©mergents âmetalâ de Belgique, ce nâest pas un tremplin⊠non pas deux tremplins⊠mais trois rampes de lancement qui ont Ă©tĂ© organisĂ©es : Ă Ittre, Ă Namur et Ă Arlon. Pour dĂ©couvrir ces trois nouvelles formations, Ice Sealed Eyes, One Hour et Obsolete Humanity, rendez-vous est donnĂ© les 12 et 13 mai Ă Bomal-surOurthe. Avec aussi Paradise Lost, Amenra, etc. Ă lâaffiche !
En vracâŠ
@gensdelamusiquefwb
Mais qui es-tu ?
Depuis quelques semaines, on peut voir défiler dans son fil Instagram de nombreuses images provenant du mystérieux compte @gensdelamusiquefwb
Des portraits de personnes Ă premiĂšre vue inconnues⊠à la seconde vue, oui on confirme, iels sont inconnu·es. Les visages sont accompagnĂ©s de petites phrases Ă©nigmatiques pour toute personne extĂ©rieure Ă la vie musicale de la FĂ©dĂ©ration WallonieBruxelles mais qui suscitent le sourire, voire le rire, chez les personnes proches du secteur. On ne demande quâune chose : que ça continue.
VoilĂ qui Ă©gaie notre fil Instagram avec ces petites notes dĂ©calĂ©es qui font mouche. Pour mieux comprendre, allez jeter un oeil. Quant Ă nous, on a une seule question⊠mais qui donc se cache derriĂšre ce @gensdelamusiquefwb ? LâenquĂȘte est toujours ouverte ! Une piste, un Ă©clair de gĂ©nie, contactez la rĂ©daction de Larsen : larsen@ conseildelamusique.be
Ou laissons le mystĂšre entier, câest bien aussi.
Meilleures ventes dâalbums en Belgique
Un pays, deux tops 10
La BRMA (Belgian Recorded Music Association) vient de dĂ©voiler les chiffres des meilleures ventes musicales de lâannĂ©e 2022 en Belgique. Au rayon albums, le Top 10 varie significativement dâune partie Ă lâautre du
pays. CĂŽtĂ© francophone, câest Stromae qui, sans surprise, navigue en tĂȘte avec lâalbum Multitude, juste devant Orelsan et AngĂšle. Le reste du classement est occupĂ© par les plus gros vendeurs de la scĂšne hip-hop francophone (Damso, Ninho, Lomepal, PNL ou Gazo). CĂŽtĂ© nĂ©erlandophone, les stars internationales occupent largement le terrain. Harry Styles, Adele, Rammstein, Olivia Rodrigo ou Ed Sheeran sont bien reprĂ©sentĂ©s. En tĂȘte du classement, on retrouve Metejoor avec lâalbum du mĂȘme nom (Metejoor). Il est intĂ©ressant de noter que Stromae est le seul artiste prĂ©sent dans le Top 10 en Flandre (5e) et en Wallonie (1er). Lâensemble des informations est disponible sur le site de la BRMA.
Eurovision 2023
Découvrez Gustaph
Câest le dĂ©nommĂ© Gustaph, Stef Caers de son vrai nom, qui reprĂ©sentera la Belgique Ă lâoccasion de la prochaine Ă©dition du concours Eurovision de la chanson. Avec son titre Because of You, cet Anversois de 42 ans a rĂ©ussi Ă sĂ©duire le public et un jury de professionnel·les, comprenant notamment en son sein certains prĂ©cĂ©dents reprĂ©sentants belges au concours (Laura Tesoro â 2016 et Jeremy Makiese â 2022). Il a Ă©tĂ© choisi lors dâun show organisĂ© par la VRT au Palais 12 de Bruxelles. Le Concours Eurovision de la chanson aura cette annĂ©e lieu en mai, Ă Liverpool. Le RoyaumeUni sâest proposĂ© dâorganiser le tĂ©lĂ©crochet en lieu et place de lâUkraine qui avait emportĂ© lâĂ©dition en 2022 Ă Turin. Belgium, ten points ?
VKRS
Propose ton clip !
Vous avez rĂ©alisĂ© un clip, produit ou auto-produit, et il a Ă©tĂ© diffusĂ© pour la premiĂšre fois entre le 1er janvier 2022 et le 30 mars 2023 ? Vous pouvez le soumettre au comitĂ© de sĂ©lection du festival VKRS (le festival bruxellois dĂ©diĂ© Ă lâart du clip) au plus tard le 30 mars 2023 !
Quelques dĂ©tails pratiques avant de sâinscrire :
- la compĂ©tition nationale belge est ouverte Ă toute personne physique, sans limite dâĂąge ou restriction de nationalitĂ©. Sans contrainte de durĂ©e et tous genres confondus.
- la sociĂ©tĂ© de production du clip ET/OU lâartiste/le groupe doi·ven·t ĂȘtre domicilié·es en Belgique (les autoproductions sont acceptĂ©es).
- le clip nâa pas Ă©tĂ© diffusĂ© avant le 1er janvier 2022. Les clips nâayant jamais Ă©tĂ© diffusĂ©s sont les bienvenus.
- le clip nâa pas Ă©tĂ© soumis Ă la prĂ©cĂ©dente Ă©dition de VKRS. Un jury de prĂ©sĂ©lection dĂ©signera les clips qui seront projetĂ©s durant VKRS#5. Rendez-vous les 9 et 10 juin 2023 aux Riches-Claires Ă Bruxelles pour une premiĂšre version internationale du festival (5e Ă©dition) !
Shoot Me Again
La Playlist de la Semaine de la Musique Belge
La Semaine de la Musique Belge sâest achevĂ©e il y a quelques jours. Shoot Me Again, le webzine dĂ©diĂ© au monde du âmetalâ (Ă entendre au sens large : hardcore, doom, stoner, rock dur, etc.) a contribuĂ© Ă cet Ă©vĂšnement et a rassemblĂ© dans une playlist, quelques 150 artistes et groupes belges de musique alternative. Ce sont les musi-
cien·nes belges dont le webzine a parlé sous forme de chroniques ou de news, durant les derniers mois, de Annabel Lee à Amenra en passant par CERE, Carnation, Emptiness, Tars, La Muerte, La Jungle⊠Large, éclectique et LOUD ! Super initiative !
Printemps de Bourges 2023
Avec Ada Oda, Pierre de Maere et Hamza au programme
Depuis sa crĂ©ation, en 1977, le Printemps de Bourges se porte au chevet de la dĂ©couverte et de lâĂ©mergence. Festival prisĂ© par les mĂ©dias, mais aussi par les professionnels français et internationaux, le rendez-vous mise sur un subtil Ă©quilibre entre vedettes françaises et internationales, artistes confirmĂ©s et jeunes pousses inconnu·es ou presque. La programmation de lâĂ©dition 2023 vient dâĂȘtre annoncĂ©e. Ă cĂŽtĂ© de -M-, Lomepal, Benjamin Epps, Flavien Berger, Oxmo Puccino, Juliette Armanet, Gazo, Acid Arab, Bertrand Belin, La Femme ou la nouvelle sensation anglaise DEADLETTER, plusieurs artistes de la FĂ©dĂ©ration Wallonie-Bruxelles se hissent sur les hauteurs de lâaffiche. Ada Oda, Pierre de Maere et Hamza sont, notamment, attendus Ă Bourges entre le 18 et le 23 avril.
Compétition nationale Sélection du chantier des Francos 2023
Ada Oda et Lazza Gio en route vers La Rochelle
Le Chantier des Francofolies de La Rochelle, qui a notamment rĂ©vĂ©lĂ© Pomme, Feu! Chatterton, Juliette Armanet, November Ultra, Lomepal, Cali ou encore Christine and the Queens, a dĂ©voilĂ© les 15 artistes quâil accompagnera en 2023. Ada Oda et Lazza Gio, deux projets/ artistes issu·es de la FĂ©dĂ©ration WallonieBruxelles, comptent parmi les candidatures sĂ©lectionnĂ©es. Créé en 1998, ce dispositif mis en place dans le cadre des Francos permet Ă des artistes Ă©mergents de bĂ©nĂ©ficier dâun accompagnement privilĂ©giĂ© Ă La Rochelle, avec coaching personnel, soutien et conseils. Pour cette session 2023, prĂšs de 600 candidatures ont Ă©tĂ© reçues. Quinze artistes ont Ă©tĂ© retenu·es par lâorganisation du festival.
Les Aveuglés
LoĂŻc Nottet publie son premier roman
LoĂŻc Nottet sâengage sur tous les fronts de la crĂ©ation. Alors que son concert bruxellois du 27 avril affiche complet au Cirque Royal â une deuxiĂšme date a Ă©tĂ© ajoutĂ©e â, le chanteur a publiĂ© son premier roman aux Ă©ditions
Michel Lafon. Intitulé
Les AveuglĂ©s â Le Palais Des murmures, lâouvrage se dĂ©voile au rayon science-fiction.
Le programme de mentorat de Scivias
Les lianes entrent en piste
Les Lianes est un programme qui accompagne les femmes, les personnes non-binaires, transgenres et a-genrĂ©es dans le dĂ©veloppement de leur carriĂšre au sein du secteur musical. Le programme est portĂ© par la plateforme Scivias, qui impulse un changement vers plus dâĂ©galitĂ© dans le secteur de la musique depuis 2019. Le programme met en relation dix mentoré·es qui souhaitent dĂ©velopper leur carriĂšre et dix mentores expĂ©rimentĂ©es qui les soutiennent et les guideront dans leur avancĂ©e professionnelle, de janvier Ă mai 2023. En parallĂšle de cette relation, le programme organise des ateliers collectifs qui offrent aux participant·es des outils concrets pour naviguer dans la filiĂšre musicale. Le programme permettra aux mentorĂ©es dâacquĂ©rir de nouvelles compĂ©tences et de pallier le sentiment dâisolement auquel elles font face dans un secteur encore largement masculin. Dans un monde de la musique oĂč le rĂ©seau et les liens professionnels sont essentiels, Les Lianes permet Ă ses participantes de crĂ©er une communautĂ© de femmes qui se nourrit de la force
du collectif et sâĂ©tablit comme un rĂ©seau dâentraide indispensable. Un outil trĂšs utile pour lutter contre les inĂ©galitĂ©s professionnelles au sein du secteur de la musique, et contribue Ă la diversitĂ© culturelle et crĂ©ative de la FĂ©dĂ©ration Wallonie-Bruxelles.
La Croix-Rouge de Belgique
8 stars internationales et une campagne au profit de lâUkraine
Le 24 fĂ©vrier, cela faisait douze mois que le conflit ukrainien a dĂ©butĂ©. Via une grande campagne de sensibilisation, la Croix-Rouge de Belgique est venue nous rappeler que lâaide reste essentielle pour des millions dâhommes, de femmes et dâenfants restĂ©s dans le pays.
La Fondation cherche aujourdâhui Ă attirer lâattention du public sur toutes les victimes du conflit en faisant disparaĂźtre des images des clips de RomĂ©o Elvis, Ed Sheeran, Editors, Tame Impala, Years & Years, George Ezra, Rudimental et Twenty One Pilots. Soit huit stars internationales qui ont rĂ©alisĂ© un clip en Ukraine avant le dĂ©but du conflit. Certains lieux, visibles dans ces vidĂ©os, ont Ă©tĂ© touchĂ©s par les affrontements. Nous dĂ©couvrons donc une toute nouvelle version de ces vidĂ©os : une version sur fond noir, sans dĂ©cor ni acteur oĂč quelques sous-titres viennent briĂšvement dĂ©crire la scĂšne.
« La Croix-Rouge est mobilisĂ©e depuis un an en Ukraine mais aussi dans tous les pays limitrophes : 17 millions de personnes ont besoin dâun soutien humanitaire », commente Nancy Ferroni, porte-parole de la Croix-Rouge. Un numĂ©ro de compte en lien avec cette campagne de sensibilisation a Ă©tĂ© lancĂ© sur leur site : croix-rouge.be
DerniÚre tournée pour BRNS
Fin de lâaventure pour le groupe bruxellois AprĂšs treize ans dâactivisme aux avantpostes du rock indĂ©pendant, BRNS dĂ©branche les amplis. Le groupe a en effet annoncĂ© les dates de son ultime tournĂ©e avec, en apothĂ©ose, une derniĂšre prestation aux Nuits Botanique. Tristesse et feux dâartifice⊠Au-delĂ des Ă©tiquettes et de vaines tentatives de classification, BRNS nâa jamais cessĂ© dâoffrir des alternatives. Parti au sprint avec un tube olympique (Mexico), le groupe bruxellois a connu la hype, la vie en van, de grandes tournĂ©es europĂ©ennes aux cĂŽtĂ©s de Why?, Archive, Lightning Bolt, Peter Kernel, Girls in HawaĂŻi et tant dâautres. BRNS a foulĂ© les scĂšnes de rendez-vous mythiques. LâOlympia, le ZĂ©nith de Paris, le PalĂ©o, Les Ardentes, Pukkelpop, Dour Festival, Rock en Seine, Main Square, Great Escape, Eurosonic et mĂȘme le South by Southwest, au Texas. Des Ătats-Unis Ă la Russie, de lâIslande Ă la Finlande, en passant par lâAngleterre, la Suisse ou la NorvĂšge, les tournĂ©es de BRNS relevaient de lâabnĂ©gation et du jusquâau-boutisme. IntĂšgre, le groupe belge laisse derriĂšre lui quatre albums, une collection de remixes (DC Salas, RariâŠ), des collaborations hors des sentiers battus (Ropoporose, Carl Et Les Hommes BoĂźtes) et des histoires de fĂȘtes Ă nâen plus finir. La fin de BRNS, câest un peu comme la retraite anticipĂ©e dâEden Hazard : un mĂ©lange de nostalgie, de frustration et de souvenirs impĂ©rissables.
Vers un âstatut europĂ©en de lâartisteâ ?
Une priorité pour le Parlement européen
Le Parlement europĂ©en vient de dĂ©voiler ses prioritĂ©s en matiĂšre de politique culturelle Ă lâintĂ©rieur et au-delĂ des frontiĂšres de lâUnion EuropĂ©enne. Dans ses dossiers prioritaires, le Parlement demande notamment Ă la Commission de proposer un âstatut europĂ©en de lâartisteâ, Ă©tablissant un cadre commun pour les conditions de travail et des normes minimales pour tous les pays de lâUE. Les Ătats membres devraient Ă©galement veiller Ă ce que les indĂ©-
pendants et les travailleurs indĂ©pendants, y compris les artistes et les travailleurs culturels, aient accĂšs Ă la nĂ©gociation collective, dĂ©clarent les dĂ©putĂ©s dans une rĂ©solution adoptĂ©e par 543 voix pour, 50 contre et 107 abstentions. Les dĂ©putĂ©s demandent Ă©galement des programmes spĂ©cifiques pour aider les jeunes crĂ©ateurs et innovateurs Ă se dĂ©placer et Ă travailler dans toute lâEurope. Ă lâheure des plateformes de streaming, la question des revenus de droits dâauteur se posent aussi. Les dĂ©putĂ©s demandent Ă la Commission de veiller Ă ce que les revenus soient dĂ»ment et Ă©quitablement rĂ©partis entre tous les crĂ©ateurs, artistes et ayants droit chaque fois quâun titre est jouĂ© sur une plateforme de streaming. « MĂȘme avant la pandĂ©mie, de nombreux artistes Ă©taient en difficultĂ© et avaient besoin dâun deuxiĂšme revenu pour gagner leur vie dĂ©cemment, constate la dĂ©putĂ©e Monica Semedo via un communiquĂ© de presse. Nous exhortons les Ătats membres et la Commission Ă prendre des mesures spĂ©cifiques pour lutter contre les revenus instables, le travail non rĂ©munĂ©rĂ© et la prĂ©caritĂ© de lâemploi, et pour garantir un revenu minimum aux artistes et aux professionnels de la culture. Nous devons Ă©galement Ă©viter les charges bureaucratiques, telles que les permis de travail ou les permis pour organiser des festivals et la double imposition pour les artistes travaillant Ă lâĂ©tranger. » Une prise de conscience qui sonne comme le dĂ©but dâun vaste chantierâŠ
30 ans de rap belge
Toute lâhistoire en deux podcasts
Deux podcasts consacrĂ©s au rap belge (30 ans de rap belge en 2023!) ont apparu sur la toile ces derniers jours. Leurs noms ? Pull Up et OG Story. Le premier est disponible via Facebook ou IG, bref via les RS, et son premier Ă©pisode est consacrĂ© Ă James Deano. Câest par ailleurs Kaer (Starflam) qui est aux commandes de ce podcast. Lors de chaque nouvel Ă©pisode, il y reçoit un invitĂ© qui nous raconte son histoire et sa place dans lâhistoire du rap belge. Kaer est accompagnĂ© de CĂ©line (Kayogera â CLNK) qui dresse quant Ă elle le portrait de lâinvitĂ©. « Pull Up, le nouveau podcast sur le rap belge racontĂ© par celles et ceux qui lâont vĂ©cu. » Le second, OG Story, Ă©mane quant Ă lui de la RTBF (Tarmac) et est disponible sur Auvio. Huit Ă©pisodes pour retracer « La success story du rap belge ». Dans le premier Ă©pisode, OG Story revient sur les dĂ©buts du rap en Belgique et son ascension en compagnie de Benny B, Scylla et Bakari. Des thĂ©matiques spĂ©cifiques Ă©maillent les diffĂ©rents Ă©pisodes : les femmes, la mode, le sample, etc. Autant dâangles pour aborder les spĂ©cificitĂ©s du rap belge et ses acteur·trices en compagnie e.a. de JeanJass, Daddy K ou Geeeko. Ouvrez bien les oreilles !
Hamza
Nouvelle donne
INTERVIEW : NICOLAS CAPART
PubliĂ© Ă la mi-fĂ©vrier, la sortie de SincĂšrement est Ă nâen pas douter lâun des Ă©vĂ©nements attendus de ce dĂ©but dâannĂ©e. Du haut de ses vingt-huit printemps, le rappeur de Bockstael livre ici son meilleur album Ă ce jour. Le plus Ă©crit aussi. On y dĂ©couvre un autre visage de Hamza, plus apaisĂ©, presque intime par endroit et en totale maĂźtrise de son sujet. Un disque signature taillĂ© dans un rânâb de velours, mais minĂ© de dĂ©flagrations et de quelques rencontres au sommet.
Comme elle semble lointaine, lâĂ©poque oĂč le jeune Hamza cuisinait La Sauce avec ses trois copines et conjuguait le verbe sale dans le clip du mĂȘme nom. Quasi dix ans de rimes plus tard, les gardien·nes de la bien-pensance auront bien du mal Ă trouver de quoi incriminer le dernier album en date du rappeur. Si, des annĂ©es durant, Hamza sâest longtemps plu Ă dĂ©crire dans ses couplets une rĂ©alitĂ© et un quotidien dont il Ă©tait moins acteur que tĂ©moin, jamais le Bruxellois nâest apparu aussi en adĂ©quation avec sa musique quâaujourdâhui.
En phase lorsquâil se livre et expose ses blessures sur un fil de piano dĂšs lâintro. Quand il promĂšne ses sneakers entre les pistes et se joue des registres (rap, rânâb, afro, Ă©lectro) avec une facilitĂ© presque arrogante. Ou encore lorsquâil croise le vers au calme avec Offset, lâun des boss du ârap gameâ international. PosĂ©, confiant, serein, rieur et Ă©gal Ă lui-mĂȘme tel quâil se prĂ©senta face Ă nous ce matin-lĂ . Un gars simple, dans une jolie veste Louis V, sur le point dâenfin occuper le trĂŽne qui lâappelle depuis une dĂ©cennie.
Quatre albums, dix ans de carriÚre. Pas encore vétéran mais assez pour dresser un premier bilan.
Je ne suis pas encore vieux (rires) ! Mais je sens que je prends de lâĂąge⊠et surtout de lâexpĂ©rience. Jâessaie toujours de mâamĂ©liorer. Avec le temps, jâai gagnĂ© en confiance, je suis plus sĂ»r de moi. Il faut Ă©viter de trop rĂ©flĂ©chir, revenir Ă la passion. Aujourdâhui, je me prends moins la tĂȘte et je mâamuse Ă nouveau en studio. Tout va bien dans ma vie.
Il sâest passĂ© pas mal de choses depuis 140 bpm (son prĂ©cĂ©dent projet drill, â ndlr). Le covid nous a forcĂ© Ă rester enfermĂ©s, il y a eu beaucoup de musique, jâai pas mal charbonnĂ©.
Jâai Ă©galement changĂ© de management. Le temps a filĂ© trĂšs vite⊠Et je me suis mariĂ© lâan dernier, âĂ la maisonâ, sur la Grand-Place de Bruxelles.
Depuis les premiĂšres rimes de Kilogrammes, votre parcours a connu des hauts et des bas, il y a eu quelques mauvais choix⊠Dâaucuns diraient que vous devriez ĂȘtre plus âgrosâ aujourdâhui. AprĂšs des dĂ©buts totalement en indĂ©, jâai entamĂ© mon parcours label avec REC118 et lâalbum 1994 en 2017. En co-prod.
Et ça sâest toujours bien passĂ©, mĂȘme si on a pu se sentir un peu seuls sur le navire Ă un moment donnĂ©. Aujourdâhui, câest toujours ensemble que lâon publie ce dernier projet. Pour la suite, on verra⊠CĂŽtĂ© management, il y a eu en effet pas mal de changements au fil des annĂ©es. Mais câest le destin : tu fais parfois des mauvais choix, tu apprends de tes erreurs⊠Peut-ĂȘtre que jâaurais pu ĂȘtre plus âgrosâ, je ne sais pas⊠Finalement, ça fait partie de mon parcours, mon histoire Ă©tait sĂ»rement Ă©crite comme ça. Il a fallu beaucoup travailler, ça nâa pas Ă©tĂ© facile de sortir de Bruxelles et de la Belgique. Je suis fier de ce que jâai rĂ©alisĂ© jusquâĂ prĂ©sent et heureux de ce qui mâarrive aujourdâhui. Jâai repris ma boĂźte solo, avec une nouvelle Ă©quipe : Amir (Trez Recordz) et Oz Touch⊠qui Ă©tait dĂ©jĂ lĂ Ă mes dĂ©buts en fait. Regroupement familial (rires) Comme le titre lâannonce, SincĂšrement est un album bien plus personnel que vos prĂ©cĂ©dents travaux.
Lâalbum Ă©tait quasiment terminĂ©, mais je nâavais pas dâidĂ©e de titre. Quand Lucozi, avec qui je travaille, mâa suggĂ©rĂ© SincĂšrement, jâai tout de suite adhĂ©rĂ©. Ăa sonnait intimiste et ça collait parfaitement avec lâhumeur dans laquelle jâĂ©tais au moment de composer tous ces nouveaux morceaux. Et tu rentres immĂ©diatement dans cette ambiance avec le piano de lâintro (le premier single dĂ©voilĂ©, â ndlr). Il y a eu deux phases dâĂ©criture. Toute la partie plus sombre, les titres introspectifs, ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© pendant le confinement. Les morceaux plus colorĂ©s et rythmĂ©s datent de lâĂ©tĂ© qui a suivi. En Ă©crivant, jâai laissĂ© ma crĂ©ativitĂ© parler, je me suis beaucoup remis en question et jâai pas mal rĂ©flĂ©chi sur ma vie dâartiste. Je me suis endurci aussi. Donc je raconte plus de choses dans ce disque.
Un disque plus intime, plus Ă©crit, mais aussi bien plus âsoftâ que certaines rimes passĂ©es qui, Ă lâĂ©poque, ont pu choquer certaines oreilles sensibles.
En effet, ce disque est moins corsĂ© on va dire, mĂȘme sâil reste quelques mots pimentĂ©s par ci par lĂ (rires). Jâai toujours Ă©tĂ© un peu lover et beaucoup parlĂ© dâamour. Câest encore le cas aujourdâhui dans pas mal des nouveaux tracks. Mais câest ma maniĂšre dâen parler qui diffĂšre. Le message est clair, direct, les mots sont moins crus⊠Et il nây a plus toute cette agressivitĂ©, le ton a changĂ©. Faut croire que jâai gagnĂ© en maturitĂ© aussi avec lâĂąge, jâai vingt-huit ans maintenant (sourire)
Ă plusieurs reprises, vous Ă©voquez Ă©galement vos addictions, de maniĂšre dĂ©tournĂ©e ou frontale comme dans le titre CodĂ©ine 19. Jâen parle en effet beaucoup dans mes lyrics. Mon problĂšme, câest que jâai eu trop facilement tendance Ă associer certains produits au fait dâĂȘtre en studio. Tellement que je nâarrivais plus Ă faire de la musique sans avoir recours Ă ces trucs. CâĂ©tait psychologique, car je nâavais pas besoin de ça finalement. Mais jâai heureusement rĂ©ussi Ă mâen dĂ©faire dans ma vie de tous les jours.
Le 22 novembre 2023, vous jouerez devant une Accor Arena sold out Ă Paris. DĂšs lâannonce, la salle sâest remplie trĂšs vite. Vous vous y attendiez ?
Je ne mây attendais pas, je ne vais pas mentir. Pas Ă ce que ça aille si vite en tout cas. Jâessaie toujours de rester rĂ©aliste. Mais Oz et Amir ont fait un gros taf en amont et ça a portĂ© ses fruits. Les diffĂ©rents feat. que jâai rĂ©alisĂ©s ont fait monter la sauce progressivement. Jâai eu de la chance avec Fade Up aussi, car le morceau a vraiment cartonnĂ© et plein de gens mâont dĂ©couvert suite à ça⊠Donc on a rempli lâAccor Arena. Jâen suis vraiment fier et jâai hĂąte dây ĂȘtre. Tout comme jâai hĂąte de jouer ce disque ici en Belgique (Hamza sera au Palais 12 le 16 novembre, â ndlr) et en festivals cet Ă©tĂ© (aux Ardentes notamment, â ndlr).
Parlons de collaborations justement. Il y a cette rumeur dâalbum en tandem avec SCH dâabord, puis les invitĂ©s de marque de SincĂšrement. Avec SCH, on sâentend super bien. Et il a Ă©tĂ© question de rĂ©aliser un projet en commun, on avait mĂȘme commencé⊠Le morceau Fade up devait en faire partie. Mais, finalement, câest tombĂ© Ă lâeau. Sur ce disque figure la deuxiĂšme partie de AtasantĂ© avec Tiakola. Câest un mec que jâadore, aussi bien humainement que musicalement, jâessaie de le capter chaque fois que je suis sur Paris et il fait de mĂȘme quand il passe Ă Bruxelles. Il mâa invitĂ© sur son dernier album et je voulais vraiment lui rendre la pareille. On sâentend super bien dans le boulot, on a les mĂȘmes automatismes en studio et on est efficaces en duo.
Il y a lâincontournable collaboration avec Damso, plutĂŽt surprenante cette fois.
Avec Damso, on se connaĂźt depuis trĂšs longtemps et nous nous sommes souvent retrouvĂ©s ensemble en studio. Lui et moi, on aime sâaventurer dans des trucs diffĂ©rents, on adore prendre les gens Ă contre-pied et, surtout, on nâavait pas envie de livrer le morceau rappĂ© auquel tout le monde sâattendait. Ponko nous a fait Ă©couter des sons en studio et on a dĂ©cidĂ© de reprendre le titre Lady de Modjo. En mode club.
Enfin, au rayon international, il y a un titre avec CKay et lâĂ©norme duo avec⊠Offset. Comment cette collaboration a pu voir le jour ?
JâĂ©tais dans le sud pour bosser et mon Ă©quipe a reçu un coup de fil. Offset Ă©tait en France pour la Fashion Week, quelquâun lui avait parlĂ© de moi et il avait envie de partager une session. Jâai directement pris un avion pour Paris. La rencontre sâest
faite dans un studio et le courant est vite passĂ© entre nous. On sâest posĂ©, je lui ai fait Ă©couter des sons et il a kiffĂ©. Ensuite, il est entrĂ© dans la cabine pour poser. CâĂ©tait super impressionnant de lâobserver travailler. Ces gars dâAtlanta ne procĂšdent pas du tout comme nous pour enregistrer, ils y vont Ă lâimpro. Offset a Ă©coutĂ© lâinstru une fois et il est parti directement en freestyle au micro. Sans rien Ă©crire au prĂ©alable. Ensuite, il gardait ou supprimait des lignes au fil des prises jusquâĂ avoir ses couplets. Je nâavais jamais vu ça.
Cela donne Sadio, un hit en puissance en forme de clin dâĆil au buteur sĂ©nĂ©galais. La rĂ©fĂ©rence footballistique, ça reste un passage obligĂ© dans le rap ?
ObligĂ© non, mais moi je nâhĂ©site jamais, parce que jâadore ça. Je crois que jâaime le foot autant que jâaime le rap. Jâai regardĂ© la Coupe du Monde, jâai vu des matches de dingue⊠JâĂ©tais déçu pour la Belgique, je les voyais aller un peu plus loin, mais jâĂ©tais forcĂ©ment heureux et fier du parcours des Marocains. Câest dommage les dĂ©bordements dans la foulĂ©e. Dommage aussi que le mauvais comportement dâune poignĂ©e provoque des jugements gĂ©nĂ©ralisĂ©s. Et que certains mal intentionnĂ©s sâen servent ensuite Ă de fins politiques⊠Mais ce nâest pas neuf. Perso, je soutiens le Barça. Mais jâadore Sadio ManĂ©, câest un joueur incroyable. JâespĂšre quâil entendra le morceau.
Y a-t-il des choses que vous voudriez encore réaliser avant de raccrocher les crampons ?
Il y a plusieurs featurings que jâaimerais bien enregistrer un jour. Une collaboration avec Drake par exemple, ce serait fort. Puis, jâaimerais bien faire une tournĂ©e internationale surtout, car câest quelque chose que je nâai jamais fait. Jâai jouĂ© en Belgique, en France, en Suisse, mais jâadorerais tourner aux Ătats-Unis ou mĂȘme en Afrique. Les plateformes rendent ce genre dâobjectif possible aujourdâhui. Mais Ă part ça, je vis au jour le jour, et je sais que dâautres opportunitĂ©s se prĂ©senteront.
Hamza SincĂšrement
Quitte Ă ĂȘtre sincĂšre, autant lâavouer dâentrĂ©e : cet Hamza-lĂ nous avait manquĂ©. Pas le Sauce God roi du dancefloor qui flambe du Hennessy dans le sud avec son pote SCH (cfr. Fade Up)⊠MĂȘme sâil ressurgit ici sur Nocif ou I Love U Pas non plus le MC qui sĂ©vit dans les ruelles sombres oĂč rĂ©sonnaient il y a deux ans les bombes drill de lâimplacable 140 BPM 2⊠MalgrĂ© un semblant de rechute sur CodĂ©ine 19. Non, celui que lâon retrouve aujourdâhui, câest le Hamza de Paradise, celui de la mixtape 1994 ou du gĂ©nial morceau Life. Et il cĂ©lĂšbre son grand retour au pays du RânâB. Un genre dans lequel le rappeur bruxellois excelle, mais qui ne suffit pas Ă dĂ©finir la richesse de cette nouvelle plaque de haut vol. SincĂšrement est bavard, dense, Ă©clectique et dâune cohĂ©rence Ă lâĂ©preuve des balles. Le gamin
de Bockstael a parcouru bien du chemin et il avait beaucoup Ă dire. Un disque qui respire lâamour, Ă lâinstar de Only U ou de Ma RĂ©alitĂ© (et son clin dâĆil au I Need a Girl dâUsher & Diddy). Peut-ĂȘtre est-ce la bague quâil porte dĂ©sormais autour du doigt qui fait çaâŠ
Au rayon production, on retrouve les habituĂ©s (Ponko, Prinzly) mais aussi les trĂšs inspirĂ©s Lucozi, Kosei ou encore Guapo du Soleil. CĂŽtĂ© collaborations, on croise Damso, le NigĂ©rian CKay, le toujours excellent Tiakola ou encore lâAmĂ©ricain Offset pour un Sadio Ă©pique qui devrait rĂ©sonner cet Ă©tĂ©. Enfin, pour conclure ce sans-faute, citons encore Free YSL et surtout lâincroyable Tsunami, hymne en puissance et peut-ĂȘtre titre le plus efficace du meilleur album de Hamza. â NC
YellowStraps
TEXTE : NICOLAS ALSTEEN
AprÚs dix années de hobby au plus haut niveau, YellowStraps passe en mode pro. Métamorphosé, le projet repose désormais sur les épaules du seul Yvan Murenzi. En solo, mais pas esseulé, le chanteur embarque Sofiane Pamart, Sam Wise, Blu Samu, Swing et Roméo Elvis sur un premier album épris de néo-soul et de modernité.
Au revoir et Merci
AprĂšs avoir signĂ© deux EP et affolĂ© les algorithmes YouTube avec une session COLORS largement plĂ©biscitĂ©e par le public (plus dâun million de vues), YellowStraps se met Ă confondre crise sanitaire et malaise identitaire. « DĂšs les premiers jours du confinement, nous avons lancĂ© le projet Yellockdown : une sĂ©rie de morceaux composĂ©s, Ă distance, en compagnie de Primero, Lord Esperanza, Blackwave, Swing ou Nelick. Dâun point de vue artistique, ce projet Ă©tait une vĂ©ritable bouĂ©e de sauvetage. Ă la fin, nous avons rassemblĂ© toutes ces collaborations sur une mixtape. Dans notre esprit, cette sortie marquait la fin du confinement et le dĂ©but dâun nouveau chapitre. Mais la crise sanitaire sâest prolongĂ©e⊠» Le moral dans les chaussettes, un peu dĂ©mobilisĂ©, le groupe sombre alors dans une pĂ©riode de doutes et de remises en question.
Au printemps 2021, un alignement des agendas rĂ©unit les frĂšres Murenzi en studio aux cĂŽtĂ©s de Swing et RomĂ©o Elvis. En une journĂ©e, totalement improvisĂ©e, ils enregistrent Merci. Sans le savoir, Alban et Yvan signent lĂ leur dernier morceau ensemble. Loin des frasques des frĂšres Gallagher, les Murenzi se quittent sans bagarre ni coup de boule. « Alban a entamĂ© un processus de reconversion professionnelle. Il a dâabord travaillĂ© dans la compta. DĂ©sormais, il sâinvestit dans lâĂ©vĂ©nementiel. Jâai pris son dĂ©part comme un signe du destin. »
Gros cĆur
YellowStraps
Tentacle
InterceptĂ© le jour de la sortie officielle de Tentacle, le premier album de YellowStraps, Yvan Murenzi laisse parler ses Ă©motions. « Je suis aussi excitĂ© que stressĂ©, dit-il. Jâai toujours idĂ©alisĂ© le format album. Pour moi, câest un peu lâobjet de tous les dĂ©sirs. Je traverse donc cette journĂ©e avec la certitude de vivre un moment important. » VoilĂ dĂ©sormais dix ans que YellowStraps explore les frontiĂšres qui sĂ©parent la pop urbaine des contre-allĂ©es soul-jazz. Parti de Braine-lâAlleud avec une cargaison de mĂ©lodies moelleuses, le duo â composĂ© par le guitariste Alban Murenzi et son frĂšre Yvan â fait dâabord Ă©tape chez Le Motel le temps dâun disque collaboratif, puis se dirige vers Bruxelles. Dans la capitale, le groupe se lie dâamitiĂ© avec RomĂ©o Elvis et les garçons de LâOr du Commun. Ă force de voir leurs camarades sâimposer sur les scĂšnes dâici et dâailleurs, les Murenzi remettent bientĂŽt en question leur statut dâamateur. « Avec Alban, nous avons toujours envisagĂ© la musique comme un hobby. Ă un moment, toutefois, nous avons Ă©voquĂ© la possibilitĂ© de nous professionnaliser. Câest lĂ que notre mĂ©canique sâest grippĂ©e⊠Parce quâil y a une Ă©norme diffĂ©rence entre composer pour le plaisir et vivre de ses chansons. Quand un passe-temps devient un travail, il sâassortit de multiples obligations contractuelles. Alban sâest senti dĂ©contenancĂ© par toutes les contraintes imposĂ©es par le mĂ©tier. »
Si Yvan Murenzi est dĂ©sormais le seul pilote Ă bord de YellowStraps, de nombreux passagers lâaccompagnent sur le trip Tentacle. RomĂ©o Elvis et Swing, notamment, prolongent le remerciement (Merci), tandis que la copine Blu Samu glisse sa voix dâange dans les couplets de Writerâs Block. Sur Flowin, le chanteur atteint un sommet aux cĂŽtĂ©s du rappeur Sam Wise, taulier de House of Pharaohs, collectif londonien autrefois chaperonnĂ© par Frank Ocean. InvitĂ© vedette, le pianiste Sofiane Pamart vient, lui aussi, prĂȘter main forte Ă YellowStraps sur lâun des morceaux les plus osĂ©s de lâalbum. Dans Blue, Yvan Murenzi sort en effet de sa zone de confort en cumulant les expĂ©riences inĂ©dites. « Jusquâici, je mâĂ©tais toujours interdit dâutiliser de lâAuto-Tune et de chanter en français. Dans ce titre, je fais les deux dâun coup. Je me lĂąche complĂštement. » Dans un registre nĂ©o-soul maĂźtrisĂ© et parfaitement assumĂ©, lâartiste belge se faufile Ă travers des failles sentimentales et plonge dans le grand labyrinthe de lâamour. « Toutes les chansons tournent autour de la complexitĂ© des relations amoureuses », dit-il. Parti prĂ©senter ses nouveaux morceaux Ă lâĂ©tranger, YellowStraps sâest notamment produit Ă Seoul, Paris, Berlin, Amsterdam, Barcelone, mais aussi Ă MontrĂ©al ou au Montreux Jazz Festival. De quoi valider le plan de vol dâYvan Murenzi : ses histoires de cĆur lui valent dĂ©sormais des marques dâaffection aux quatre coins du monde.
Yvan Murenzi
« Il y a une énorme différence entre composer pour le plaisir et vivre de ses chansons. »Polydor / Universal
Arno Saari RORI
Niché entre les quatre murs de son appartement, Arno Saari relance la machine et débarque en solo avec un premier projet dont la dualité nous attend à chaque tournant.
Romantique jusque dans les tripes, ce gars-lĂ a toujours eu la musique dans la peau. AprĂšs plusieurs annĂ©es passĂ©es aux commandes du trio Ă©lectro-pop ULYSSE, le chanteur et multi-instrumentiste reprend la route en solo avec Airbag, un EP de sept titres concoctĂ©s Ă la lueur dâune Fender Jazzmaster, dâune carte son et dâun clavier MIDI. « Câest un projet trĂšs bedroom dans lâapproche. MĂȘme les voix, je les ai enregistrĂ©es dans une piĂšce fermĂ©e, lâordi posĂ© sur la machine Ă laver », confesse lâartiste, le regard rieur. Une recette qui renforce lâaspect intimiste de son projet, portĂ© par des paroles tantĂŽt limpides et truffĂ©es de rĂ©fĂ©rences pop culture, tantĂŽt mĂ©taphoriques et plus distantes. « Je ne sais pas si câest dĂ» Ă lâusage du français ou au moment oĂč je les ai Ă©crits, mais jâai lâimpression que mes morceaux sont trĂšs personnels, peut-ĂȘtre mĂȘme plus que ce que jâaurais voulu. »
Une musique bedroom, certes, mais pas uniquement.
Entre King Krule, David Bowie, Tame Impala, Steve Lacy ou encore Daft Punk et The Strokes, les superstars qui
forgent lâidentitĂ© de ce vĂ©ritable touche-Ă -tout sont multiples et apportent chacune leur pierre Ă lâĂ©difice. « Jâentends Ă©normĂ©ment de trucs, ce qui fait que je pars un peu dans tous les sens. Le challenge, câest de rĂ©ussir Ă recentrer tout ça dans quelque chose de cohĂ©rent, qui mâappartienne un peu ». Pari rĂ©ussi pour Arno Saari : tout comme celle de ses idoles, sa musique oscille entre prods ultra ficelĂ©es et humaine subtilitĂ©. « Je peux ĂȘtre inspirĂ© par des blockbusters ou des projets musicaux qui prennent beaucoup dâespace. Deux jours aprĂšs, je vais voir un truc super simple, sans artifice, et ça va me parler », ajoute-t-il en citant un certain Kanye. Tandis que La Drache nous offre un spectacle instrumental subjuguant, certains morceaux comme Dimanche et Tellement nous ramĂšnent Ă lâessentiel et donnent de lâespace aux mots, nouveau terrain de jeu de cet artiste en pleine Ă©closion.
Via le prisme de lâadolescence, des premiers bourgeons amoureux ou encore du spleen de fin de semaine, Arno Saari aborde tous les sujets qui touchent. Une chose est sĂ»re, ça fait mouche.
Révélation 2022 avec son single Docteur, la jeune Hannutoise se libÚre sur Ma Saison En Enfer, premier EP thérapeutique qui casse les codes de la pop.
DĂ©jĂ repĂ©rĂ©e en 2015 sous son vrai prĂ©nom âCamille â dans le trio Beffroi, RORI sâest affirmĂ©e en solo lâannĂ©e derniĂšre avec Docteur, neuviĂšme chanson la plus diffusĂ©e sur les radios francophones qui, sous ses gimmicks pop, soulevait des questions gĂ©nĂ©rationnelles. Bien entourĂ©e (elle est signĂ©e sur la major Warner et lâagence indĂ©pendante de booking Green Revolver lâa placĂ©e dans les plus gros festivals gĂ©nĂ©ralistes lâĂ©tĂ© prochain), la jeune femme poursuit sur sa lancĂ©e avec Ma Saison en Enfer, son premier EP. « Le titre de mon EP sâinspire du recueil de poĂšmes dâArthur Rimbaud Une Saison en Enfer. Il sâest imposĂ© de lui-mĂȘme. Non seulement je lâĂ©voque dans la plage dâouverture Ma Place, mais les quatre morceaux proposĂ©s se rattachent dâune maniĂšre ou dâune autre Ă une pĂ©riode sombre que jâai traversĂ©e durant mon enfance et mon adolescence. La musique et lâĂ©criture mâont permis dâĂ©vacuer ces moments difficiles et de mesurer le chemin parcouru. Cet EP, câest aussi une maniĂšre de dire que je passe Ă autre chose. Avec Beffroi et au dĂ©but de mon aventure solo, je chantais en anglais.
Ici, tout est interprĂ©tĂ© en français. Je ne me cache plus. » Dans les paroles de la chanson Ma Place, RORI revient sur cette quĂȘte de confiance. La narratrice se plaint de ne « pas avoir les codes ». Elle se sent fragilisĂ©e par les regards extĂ©rieurs mais se sent dĂ©sormais prĂȘte Ă lutter « dans un monde qui sâenflamme ».
« Câest 100% autobiographique mais je me rends compte que de nombreux jeunes passent aussi par lĂ . Ce phĂ©nomĂšne dâanxiĂ©tĂ© a toujours existĂ© mais il est devenu moins tabou dâen parler aujourdâhui, notamment au travers des rĂ©seaux sociaux. »
RORI reconnaĂźt quâil y a beaucoup de dualitĂ© en elle. Timide et plutĂŽt casaniĂšre dans la vie de tous les jours (« Je ne bois pas, je ne fume pas, je ne sors pas, je suis la fille la plus ennuyante qui existe »), elle pĂ©tille sur scĂšne et insuffle une belle Ă©nergie rock Ă son projet. « MĂȘme si je suis consciente que câest moins dans lâair du temps, jâavais envie dâune guitare Ă©lectrique en live et sur le EP », explique celle qui a Ă©coutĂ© en boucle les Babyshambles, Nirvana et le Tranquility Bass Hotel & Casino des Arctic Monkeys.Vous lâentendrez et la verrez beaucoup ces prochains mois.
Oberbaum Sylvain Chauveau
Longtemps cachĂ©e derriĂšre les chansons des autres, Lucie Rezsöhazy sâĂ©mancipe pour donner corps au premier album dâOberbaum. Une perle de pop indĂ©pendante.
Câest le regard confiant et tournĂ© vers lâavenir que Lucie Rezsöhazy pose sur la pochette du premier album dâOberbaum. En onze morceaux, fredonnĂ©s en anglais et, tous, surlignĂ©s par quelques notes de piano, la chanteuse dĂ©voile son espace dâexpression : un lieu convivial et Ă©thĂ©rĂ©, baignĂ© dâune luminositĂ© mĂ©lancolique. « Je suis une grande nostalgique, confie-t-elle. Mais mon spleen est plutĂŽt joyeux. » DâentrĂ©e de jeu, le morceau The Absence Of Misery donne le ton et le titre Ă lâalbum. « Cette chanson cristallise lâĂ©tat dâesprit dans lequel jâĂ©tais quand jâai composĂ© le disque. Je venais de dissiper mes doutes et mes angoisses, dâapprendre Ă me faire confiance, Ă trouver du plaisir dans lâĂ©criture. » Originaire de Jodoigne, Lucie Rezsöhazy a grandi au contact de la musique. « Jâai suivi un itinĂ©raire classique. Qui passe par le solfĂšge, le piano et la harpe. Je me suis aussi initiĂ©e au jazz et Ă lâimprovisation. » Traductrice de formation, la musicienne entame un sĂ©jour linguistique Ă Berlin. « Au dĂ©part, je devais y rester douze mois. Finalement, jây ai passĂ© huit ans de ma vie⊠»
De retour en Belgique, elle reprend goĂ»t au piano au contact dâun certain Dorian Dumont, musicien connu pour son travail avec le groupe ECHT! et pour ses relectures atypiques des Ćuvres dâAphex Twin. « Sur ses encouragements, jâai envisagĂ© la possibilitĂ© de jouer avec dâautres personnes. » Au mĂȘme moment, la musicienne croise la route du multi-instrumentiste Fabrice Detry (Austin Lace, Endz) qui lâinvite Ă rejoindre lâaventure Fabiola. Quelques mois plus tard, elle met Ă©galement son savoir-faire au service des chansons de Condore. Investie dans ces deux projets, Lucie Rezsöhazy prend, peu Ă peu, conscience de ses propres envies dâĂ©vasion. Clin dâĆil Ă son pĂ©riple berlinois, le pont dâOberbaum lui offre alors un nom de scĂšne profilĂ© pour franchir le pas. EnregistrĂ© aux cĂŽtĂ©s du bassiste AurĂ©lien Auchain (Mountain Bike), finalisĂ© en compagnie de Remy Lebbos (Glass Museum, Nicolas Michaux), The Absence Of Misery se faufile aujourdâhui dans lâactualitĂ©, en douce, sur la pointe des pieds. Mais quâon ne sây trompe pas. Il sâagit lĂ dâun beau coup dâessai.
Avec LâEffet Rebond, le Bruxellois dâadoption sort un disque dans lequel mĂ©lodies, textures et rĂ©pĂ©titions Ă©cartent des rideaux. Ce quâils rĂ©vĂšlent vaut le dĂ©tour.
Il est capable de produire une piĂšce de sept ans (oui, vous avez bien lu) ou des morceaux de quelques secondes, de reprendre Depeche Mode avec lâEnsemble Nocturne ou de composer des musiques de films. Dire que Sylvain Chauveau est un musicien libre relĂšve du doux euphĂ©misme. Son nouveau disque est accompagnĂ© dâun double dont il a confiĂ©, Ă son ami compositeur Pierre-Yves MacĂ©, un versant en miroir. Un mĂȘme titre et deux versions : une Silicium pour Chauveau, et une Iridium pour MacĂ©. Chauveau a mis trois ans Ă mettre au monde cette compilation de morceaux, Ă©conomes en esbroufe mais riches en sensations et qui offrent, Ă qui veut bien les Ă©couter, une palette dâĂ©motions et de voyages. Un piano, une guitare, des bruitages, des voix, qui parfois se font bribes, et des titres, souvent acronymes Ă©nigmatiques, sont autant de balises dans un jeu de piste âjouetteâ, qui nous emmĂšne Ă travers les paysages dâun artiste en perpĂ©tuel mouvement : « Depuis tout petit, ce que jâadore, câest la rĂ©pĂ©tition. RĂ©pĂ©ter et varier⊠Je me suis enfin accordĂ© le luxe de le faire,
je suis vieux, jâai le droit (rires). Jâai compris que ce qui mâintĂ©resse vraiment, câest le son, la douceur du timbre et une forme de dĂ©pouillement ».
Chez lui, dĂ©pouillĂ© ne veut jamais dire chiche. Enrichi par la voix dâun AmĂ©ricain touche-Ă -tout (Peter Broderick), les bidouillages Ă©lectroniques du vieux briscard NĂ©erlandais (Rickert Zuiderveld), les apports dâun plasticien (Rainier Lericolais), les sons voyageurs dâune performeuse (Lucille Calmel) ou les guitares dâun prodige NĂ©erlandais (Romke Kleefstra), le disque, sorti sur lâexigeant label belge Sub Rosa, habille la piĂšce de qui lâĂ©coute dâun Ă©lĂ©gant mobilier, tout en lâinvitant Ă quitter le bĂątiment pour une excursion pleine de surprises. Bien que son travail soit louĂ© et son nom âdroppĂ©â par The Guardian ou Les Inrocks, Sylvain Chauveau sait quâil ne va pas devenir une star : « Ă chaque album, jâespĂšre faire un truc fantastique, Ă©norme, colossal⊠Je cherche Ă chaque fois le chef-dâĆuvre. Ăvidemment je nây arrive jamais, sinon, vous le sauriez dĂ©jà ». Peut-ĂȘtre mais on sâen fiche, tant on a envie de le suivre.
Annabel Lee
INTERVIEW : LUC LORFĂVRE
Trois ans aprÚs Let The Kid Go, dont la trajectoire avait été freinée par la pandémie, le trio bruxellois élargit son point de vue sur Drift. Entre questionnement et lùcher-prise, Annabel Lee met en avant les guitares garage, affiche sa mélancolie post-Covid et prend la température du moment présent. Explications avec Audrey Marot, chanteuse, guitariste et paroliÚre.
Votre premier album Let The Kid Go est paru en mars 2020, quelques jours avant la mise sous cloche de la culture à cause de la pandémie. Comment avez-vous surmonté cette épreuve ?
Lâalbum venait de sortir, nous avions quelques dates en France et la perspective de jouer lâĂ©tĂ© dans des festivals qui nous tenaient Ă cĆur, comme le Dour Festival. Et puis tout sâest Ă©croulĂ©. Je ne vais pas mentir : nous avons accusĂ© le coup. Nous Ă©tions complĂštement paumĂ©s. Il y a eu beaucoup de remises en question au sein du groupe et puis on sâest dit : « Essayons de faire ce que nous faisons le mieux : de la musique ». Nous nous sommes donc revus en mode chill, sans la moindre pression, lâĂ©chĂ©ance dâun concert ou dâune sortie de disque. Nous sortions nos instruments, on buvait un verre de vin, on se lançait dans une jam, on rigolait. Parfois nous arrĂȘtions trĂšs vite de jouer, Ă dâautres moments, ça se prolongeait jusquâau bout de la nuit. Ăa nous a fait un bien fou. Pas mal de morceaux qui figurent sur notre nouvel album Drift viennent de cette pĂ©riode.
La plupart des chansons de Let The Kid Go Ă©voquaient des relations, fictives ou non, entre partenaires. Sur Drift, câest le monde extĂ©rieur que vous observez.
Mon Ă©criture a Ă©voluĂ©. Beaucoup de textes sont venus pendant le Covid, une pĂ©riode assez bizarre pour tout le monde. Cela explique peut-ĂȘtre le cĂŽtĂ© mĂ©lancolique et sombre de certains morceaux. Il y a eu aussi du changement dans ma vie privĂ©e. Pendant des annĂ©es, je me suis trouvĂ©e au cĆur de relations sentimentales houleuses et jâĂ©crivais lĂ -dessus. Au dĂ©but de la pandĂ©mie, jâai dĂ©couvert lâamour. Je vis dĂ©sormais en couple, je suis heureuse sur un plan privĂ© et affectif. Quand tout se passe bien dans ta vie, tu ressens moins le besoin de raconter tes petites histoires et tu regardes alors ce qui passe autour de toi pour trouver de nouvelles inspirations.
Drift a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© en trois Ă©tapes au studio The Apiary, en France, par Amaury SauvĂ© (It It Anita, Birds In RowâŠ). Quelle Ă©tait la ligne directrice ?
Avant lâenregistrement et le mixage final, il y a eu une importante phase de prĂ©production qui nous a permis dâamener les chansons encore plus loin. Amaury SauvĂ© impose cette mĂ©thode pour chacune de ses collaborations. Il prend soin de dĂ©cortiquer chaque morceau avec le groupe. CâĂ©tait la premiĂšre fois que nous travaillions de la sorte avec un producteur. Ăa nous a permis de nous rendre compte que nous nâĂ©tions pas encore prĂȘts. On a encore bossĂ© deux mois avant dâenregistrer. Nous avions des schĂ©mas pour chaque composition, avec des repĂšres, des mots-clefs, des indications techniques, des remarques⊠Le moment du morceau oĂč je devais pousser la voix âcomme Liam Gallagher dans un stadeâ et pas comme âsi je chantais seule dans ma chambreâ. Le passage oĂč la guitare devait sonner âfolkâ, celui oĂč nous pouvions âtout faire pĂ©terâ⊠Il y a eu beaucoup de brainstorming mais le rĂ©sultat est lĂ . Au final, Drift est plus abouti, plus travaillĂ© et plus diversifiĂ© que Let The Kid Go mais il est aussi plus proche de lâauditeur. Dans le communiquĂ© envoyĂ© aux mĂ©dias, on dit que « chaque chanson est comme un instantanĂ©. Lorsque vous assemblerez tout cela, vous vous sentirez comme le quatriĂšme membre dâAnnabel Lee »
Vous signez seule tous les textes des chansons. Vous discutez des thématiques entre vous ?
Oui, ça aide pour mieux capter lâatmosphĂšre du morceau et y mettre les bonnes couleurs. Prenez By The Sea. A priori, un titre comme celui-lĂ pourrait exprimer lâidĂ©e de partir au bord de lâeau avec tout ce que cela sous-entend habituellement : le soleil, les vacances, la baignade. Alors que moi, quand je pense âBy The Seaâ, câest la mer du Nord en pleine semaine au
mois de novembre, dans la grisaille, seule sur la plage, avec un imper jaune et le vent dans la troncheâŠ
Quâest-ce qui a Ă©tĂ© le plus difficile durant lâenregistrement ?
Les voix. Amaury SauvĂ© est hyper perfectionniste. Il mâa poussĂ©e dans mes derniers retranchements et parfois mĂȘme bien au-delĂ quand câĂ©tait nĂ©cessaire. Il mâest arrivĂ© de chialer. Jâai dĂ» prendre sur moi, mais jâai adorĂ©. Si on doit refaire un disque, ce sera Ă nouveau avec lui.
La formule trio, câest ce qui convient le mieux pour la musique que vous faites ?
Je crois quâeffectivement la formule trio nous tire vers le haut, Vankou (JĂ©rĂŽme âVankouâ Damien, basse, â ndlr), Hugo (Hugo Claudel, batterie, â ndlr) et moi. On sâest beaucoup cherchĂ© au dĂ©but. Avec un quatriĂšme membre dans le groupe qui jouait de la guitare, je pouvais me reposer, me limiter au minimum.
Ă trois, jâai dĂ» ajouter un second ampli, des pĂ©dales dâeffet, amĂ©liorer mon jeu. Je ne peux plus me cacher, je dois assumer que je suis devant avec le chant et la guitare. Si je me plante, câest tout le groupe qui se plante, ça se voit et ça sâentend.
Le stress avant de monter sur scĂšne est toujours lĂ ?
Oui, et il sera toujours lĂ . Ce nâest pas le risque dâun pĂ©pin technique qui me rend comme ça, câest le regard des autres. Ăa tient aussi inconsciemment du clichĂ© âgonzesse qui joue de la guitareâ. Jâai lâimpression de devoir faire davantage mes preuves, au niveau maĂźtrise. Le plus dur, ce sont les showcases. Imaginer au fond de la salle les journalistes et les tourneurs qui sont habituĂ©s Ă voir des dizaines de concerts, ça me tĂ©tanise. GĂ©nĂ©ralement, je demande Ă mon booker Damien de ne pas me dire quand il y a des pros dans la salle.
Ă ses dĂ©buts, le groupe Annabel Lee a Ă©tĂ© rattachĂ© par certains mĂ©dias Ă la scĂšne âriot grrrlâ, ce mouvement du rock alternatif aux idĂ©es fĂ©ministes ayant Ă©mergĂ© au dĂ©but des annĂ©es 90. Vous vous en ĂȘtes Ă©loigné·esâŠ
Au lancement du projet, les gens pensaient quâAnnabel Lee, câĂ©tait moi. Une seule fille. Je peux comprendre. Quand je dĂ©barquais avec mon mini-short, ma guitare Ă©lectrique et ma dream pop Ă fortes influences nineties, le raccourci Ă©tait facile. CâĂ©tait mon projet, mes chansons, câest moi qui rĂ©pondais aux interviews. Il faut ajouter que jâĂ©tais jeune et cĂ©libataire. Annabel Lee Ă©tait ma premiĂšre expĂ©rience artistique. Je voulais plaire et me distinguer. Le truc, câest que je nâai jamais
aimĂ© ĂȘtre en avant et faire un projet solo. Nous avons beaucoup travaillĂ©, notamment au niveau des photos et des clips, pour faire comprendre que nous Ă©tions un groupe de rock.
Est-ce quâil y a eu des Ă©tapes symboliques qui vous permettent de mesurer le chemin parcouru depuis votre premier EP Wallflowers en 2017 ?
Oui. Câest marrant que vous me posiez la question car je me rends compte que jâavais pensĂ© trĂšs tĂŽt Ă ce truc dâĂ©tapes. Quand jâai commencĂ© le groupe, jâai effet dressĂ© une liste des choses que jâaimerais atteindre. Je rĂȘvais notamment de jouer au Botanique et on y a jouĂ© Ă six reprises dĂ©jĂ , chaque fois dans des atmosphĂšres diffĂ©rentes. Jâavais aussi inscrit le Dour Festival dans ma wishlist et on y a Ă©tĂ© programmĂ© en 2020. JâespĂ©rais Ă©galement que le groupe soit photographiĂ© par Olivier Donnet (photographe indĂ©pendant qui collabore au Focus Vif, auteur de la sĂ©rie One Minute After, â ndlr) dont jâai toujours apprĂ©ciĂ© le travail et ça sâest fait. Jâavais pointĂ© Les Inrocks et on vient de se produire Ă la Boule Noire, Ă Paris, dans une soirĂ©e organisĂ©e par lâhebdo français. Tout ça tenait du fantasme adolescent mais ça sâest rĂ©alisĂ©. Ă chaque fois, jâai pris ça comme une petite victoire.
Avez-vous enregistrĂ© Drift pour les mĂȘmes raisons que Let The Kid Go ?
Non, Let The Kid Go est formĂ© de chansons que jâavais composĂ©es seule et qui se trouvaient sur un disque dur de mon ordi. Un jour, jâai voulu les faire partager. Jâavais envie de jouer partout, en faire mon mĂ©tier. Maintenant jâai un boulot Ă temps plein, jâai une vie privĂ©e. La musique reste une passion mais je suis plus dans le plaisir. Je suis trĂšs fiĂšre des chansons, de mon groupe et de ce qui nous arrive. On a pris un booker en France, un autre en Suisse, une attachĂ©e de presse pour la Flandre, on se professionnalise et on se donne les moyens pour faire dĂ©velopper le projet, mais je sais que jâai autre chose Ă cĂŽtĂ©.
Annabel Lee Drift
Humpty Dumpty Records
Neptunian Maximalism
TEXTE : DIDIER STIERS
Nous sommes prĂȘts Ă vous le parier : en Belgique, il nây a pas deux formations comme celle quâemmĂšne le Franco-Saint-Gillois Guillaume Cazalet.
Qui mélange drone, métal, doom, rock psyché, transe, free jazz, impro et aspirations cosmiques ?
FenĂȘtres Ă©troites, cage dâescalier itou et tout en virages serrĂ©s : on se demande comment Guillaume Cazalet a bien pu trimballer ses meubles et surtout son matĂ©riel jusque tout en haut de cet immeuble de la chaussĂ©e dâAlsemberg ! Le fait est⊠quâil lâa fait, le musicien originaire du Grau-du-Roi en Camargue, lui qui nâa jamais cessĂ© de multiplier les expĂ©riences musicales depuis ses six ans Ă lâĂ©cole de musique. Ă la trompette alors quâil rĂȘvait de guitare Ă©lectrique ! Pour lâheure, Guillaume Cazalet sâest lancĂ© dans lâexploration de la musique indienne, quâil apprend et pratique maintenant rĂ©guliĂšrement.
« Jâen ai fait pendant le Covid, tout seul grĂące Ă Internet, nous raconte-t-il. Et des syllabus de la Sangit Academy de Bruxelles. LĂ , jâai commencĂ© Ă prendre des cours en ligne via la Darbar Academy. Darbar, câest le gros festival de musique indienne qui a lieu chaque annĂ©e au Barbican Center Ă Londres. Je prends des cours de sitar, de chant⊠» Histoire de ramener ça dans la musique de Neptunian Maximalism ? « On est dĂ©jĂ en train de le faire en ce moment Ă huit : la moitiĂ© de notre
set live actuellement, câest âRaga Marwaâ, un raga de la musique indienne. Et ce que ça amĂšne est assez intĂ©ressant : on le joue Ă notre façon, câest-Ă -dire que ça sonne drone, metal, jazz, mais jâessaie de faire en sorte que les rĂšgles et les modalitĂ©s soient le plus possible celles de la musique indienne. »
âĂ huitâ ? Vous avez bien lu ! Câest aussi par son line up que Neptunian Maximalism sort de lâordinaire. Tout a dĂ©marrĂ© pour Guillaume avec Jean-Jacques Duerinckx (Ze Zorgs), le saxophoniste⊠« Ă la base, câĂ©tait des petites performances, un peu de recherche, dâimprovisation, entre drone metal et saxophone. En mars 2018, jâai eu envie de booker une rĂ©sidence avec dâautres musiciens, des batteurs pour essayer dây intĂ©grer lâĂ©lĂ©ment rythmique⊠» Un concours de circonstances fait alors que deux batteurs dĂ©barquent en mĂȘme temps : SĂ©bastien Schmit, de K Branding, et Pierre Arese. « La base, câest de pratiquer une musique jusquâau-boutiste, sans compromis, et de faire Ă©merger une idĂ©e artistique. Il faut adapter le line up Ă lâintention que tu veux donner et pas lâinverse. » On est donc ici face Ă un collectif plutĂŽt quâĂ un groupe au sens habituel du terme.
Les trois mois qui ont suivi cette rĂ©sidence seront consacrĂ©s Ă un gros travail sur cette musique Ă©videmment enregistrĂ©e. Un travail dâarrangement, de recherche dans le traitement sonore, de post-production, de maniĂšre Ă arriver Ă quelque chose quâon puisse avoir envie de réécouter. « Lâinnovation ou la recherche musicale, câest bien, mais on est aussi intĂ©ressĂ© par une oeuvre en tant que telle. Et lĂ , je me disais quâon touchait Ă quelque chose de singulier et que ça ne devait pas rester coincĂ© dans mon disque dur. » But final : obtenir un rĂ©sultat surrĂ©aliste⊠à vivre sur Eons, un triple album ! « Comme si tu faisais un trip ou que tu avais pris de lâayahuasca. Comme ces expĂ©riences particuliĂšres quâon vit parfois avec une drogue, dans une transe, avec de lâhyperventilation, la mĂ©ditation, quand on a cette sensation des oreilles qui se bouchent et des sons qui apparaissent diffĂ©remment avant de revenir Ă la rĂ©alitĂ©. »
En parallĂšle de cette formation Ă huit, NNMM, ce sont aussi des formules plus rĂ©duites, les Arkestra. « On a dĂ©jĂ fait quelques concerts Ă cinq ou six, en version drone sans batterie⊠En avril, on envisage aussi de mener de nouvelles recherches en rĂ©sidence, en faisant intervenir dâautres musiciens. » En tout cas, ce nâest pas demain la veille quâon arrivera Ă coller une Ă©tiquette sur tout ce qui est dĂ©jĂ sorti de ces expĂ©riences ! « Câest toujours un peu dur Ă expliquer en deux mots, admet Guillaume Cazalet, mais on ne peut pas lutter contre les Ă©tiquettes. Alors on fait avec. Et blague Ă part : on est par exemple trĂšs content de jouer dans des festivals de jazz. En vrai, on vit tous ça comme une, entre guillemets, consĂ©cration. »
Guillaume Cazalet
« Câest toujours un peu dur Ă expliquer en deux mots mais on ne peut pas lutter contre les Ă©tiquettes. »
Aka Moon
TEXTE : JACQUES PROUVOST
Que nâa-t-on pas encore dit Ă propos dâAka Moon et de son dernier album â le 24e en trente ans-Quality Of Joy ? Un album qui marque sans doute une nouvelle Ă©tape dans la recherche musicale constante du trio. 14 invitĂ©s triĂ©s sur le volet ont travaillĂ© dâarrache-pied pour sortir, une fois de plus, des sentiers battus. RĂ©sultat : un album brillant, fluide et radieux. Rencontre avec Fabrizio Cassol.
cela ne remplacera jamais le fait de ressentir les vibrations sur place. Jâai fait plus de cent voyages en Afrique, et plus de quarante en Inde â et ailleurs âet pour moi câest fondamental ».
ConfrontĂ© Ă la pandĂ©mie, comme tout le monde, et empĂȘchĂ© de voyager autant quâil ne lâaurait voulu, Fabrizio sâexile plus de cinq mois Ă la Fondation Camargo Ă Cassis oĂč il fait rĂ©guliĂšrement des âretraites musicalesâ comme pour I Silenti, Requiem pour L ou actuellement Othello avec Brett Bailey. LĂ -bas, il ne se contente pas de composer pour Aka Moon, il retravaille aussi sa technique au saxophone. Il est obsĂ©dĂ© par des frĂ©quences et micro tonalitĂ©s quâil nâarrive pas toujours Ă obtenir.
« Quand on est au Maroc, en Syrie, en Irak ou en Ăgypte, on est focalisĂ© sur une frĂ©quence, une intonation. On sâen approche mais on nây arrive jamais. Du coup, dans plein de projets, je jouais de moins en moins. Concevoir la musique, la penser et lâĂ©couter me donnait plus de libertĂ© et de satisfaction que de la jouer. DâoĂč un travail de lutherie avec Xavier Hoffait et une reprise Ă zĂ©ro de ma technique Ă lâalto, dix heures par jour. »
Quality Of Joy
Outhere Instinct Collection
Ce qui surprend toujours Ă lâĂ©coute dâun nouvel opus du trio belge, câest la fraĂźcheur, le renouvellement perpĂ©tuel des idĂ©es et les nouvelles perspectives quâelles nous offrent. Infatigable et stakhanoviste, Fabrizio Cassol, saxophoniste et principal compositeur du groupe, entraĂźne Ă nouveau ses acolytes (le bassiste Michel Hatzigeorgiou et le batteur StĂ©phane Galland), qui ne demandent que cela, sur de nouveaux chemins, de nouveaux sons et de nouvelles frĂ©quences. Lorsquâon demande Ă Fabrizio ce qui a changĂ© entre le premier et le dernier album du groupe, il rĂ©pond aussitĂŽt : « LâĂ©poque. Dans les annĂ©es nonante, on Ă©tait occidentalo-centrĂ©s. Il y avait peu dâaccĂšs Ă la musique venue dâailleurs. Il y avait le jazz amĂ©ricain, le free, la fusion, mais hors de ces axes-lĂ , au niveau richesse rythmique, câĂ©tait plutĂŽt limitĂ©. On sâest intĂ©ressĂ© aux polyrythmies et ce qui Ă©tait visionnaire est devenu courant. Mais si on a accĂšs Ă plein dâinfos via YouTube et autres aujourdâhui,
Et Fabrizio, plus passionnĂ© que jamais et intarissable, explique comment et pourquoi il divise lâoctave par vingt-quatre, les demi-tons par cinq, la quarte par trois. Il compare cela aux artĂšres, aux vaisseaux sanguins et aux veines qui amĂšnent aux capillaires. « Quand tu acquiers la technique, ces vibrations commencent Ă sâagiter et Ă sâouvrir. Câest du vĂ©cu. Cela sort par le souffle et pas par la composition. Câest ce que jâappelle des bulles de mĂ©moires. » Ces bulles, ce sont aussi des rĂ©fĂ©rences littĂ©raires, aux engagements sociaux et politiques forts, tels ceux dâEdgar Morin, Toni Morrison, Elsa Dorlin ou encore Anne Dufourmentelle. « Tout aide Ă la composition. Jâen parle avec les musiciens mais de façon informelle. Je leur donne dĂ©jĂ assez de partitions en derniĂšre minute ! Chacun est confrontĂ© Ă son intuition et son instinct. Parfois câest bingo, parfois il faut refaire. » En plus de la crĂšme du jazz belge, Aka Moon a pu sâappuyer sur des musiciens de haut vol : accordĂ©oniste, trompettistes, chanteuse lyrique, violoncelliste ou guitaristes venus dâIrak, du Congo, du Portugal et des USA. « Je suis content pour Steph et Michel qui se demandaient oĂč on allait. Je sais que je ne reviendrai pas en arriĂšre. En 2023, on ne pouvait pas faire un album qui aurait ressemblĂ© aux prĂ©cĂ©dents. Si on ne capte pas les vibrations de son temps on est mort. Je ne dis pas que câest un album visionnaire mais, en tous cas, je sais quâon nâest toujours pas des suiveurs. » Qui en aurait doutĂ© ?
« Si on ne capte pas les vibrations de son temps on est mort. »
Sturm und Klang
INTERVIEW : BERNARD VINCKEN
Entre la parution de Sur le Fil (SOOND) et celle de Tsilogiannis (Cypres), lâactualitĂ© discographique de Sturm und Klang bruisse. Thomas Van Haeperen, le directeur musical, nous en parle depuis son bureau situĂ© chez Be-Here, un âvillage durableâ nichĂ© Ă Laeken, oĂč se cĂŽtoient, chacun Ă son rythme, marchĂ© bio, atelier de bicyclettes, potager urbain, art du spectacle et crĂ©ation musicale.
Thomas, vous qui avez créé lâensemble Sturm und Klang, quelle en est lâĂąme ? Jâai toujours voulu diriger et la façon la plus simple dây arriver, câest de crĂ©er, et de gĂ©rer, son propre ensemble. Dâautant plus que jâaspirais Ă un effectif ambitieux, symphonique mĂȘme au dĂ©but. Puis il a fallu ĂȘtre rĂ©aliste. NâempĂȘche, on rassemble toutes les couleurs de lâorchestre avec cordes, vents, percussions, piano, harpe, cuivres et câest atypique dans le paysage belge. Nous sommes jusquâĂ quinze ou vingt pour certains projets, ce qui spĂ©cifie notre rĂ©pertoire. AprĂšs plus de vingt ans dâexistence, on commence Ă sâinsĂ©rer sur le long terme : la reconnaissance est lĂ , les musiciens sont fidĂšles, des liens parfois amicaux se sont tressĂ©s avec les compositeurs. Nous avons dĂ©veloppĂ© un focus sur la musique contemporaine et nous sommes attachĂ©s Ă susciter la crĂ©ation, par des commandes et des partenariats avec les compositeurs, ce qui ouvre Ă la dĂ©couverte et laisse une part dâincertitude. MĂȘme si, souvent, on connaĂźt dĂ©jĂ un peu leur univers musical, le processus de crĂ©ation Ă©volue, se nourrit de renouvellements.
Sâengager dans une commande, ça peut crĂ©er des surprises ? De grosses surprises, pas vraiment. Et en tant quâinterprĂštes, on est en premiĂšre ligne pour dĂ©fendre la musique du compositeur qui, lui, nâest pas sur scĂšne face au public ! On peut avoir des soucis de rĂ©alisme dans lâĂ©criture, des difficultĂ©s quâil nâa pas anticipĂ©es ou qui peuvent aussi ĂȘtre volontaires le cas Ă©chĂ©ant. Le travail se dĂ©roule en plusieurs temps. Jâai tout dâabord un contact avec le compositeur alors quâil travaille, en gĂ©nĂ©ral sur la base dâun cahier des charges : instruments, durĂ©e, contexte du concert de prĂ©sentation. Parfois il me pose des questions ou teste avec un musicien la faisabilitĂ© dâune idĂ©e. Ensuite, je reçois une partition globale, une directrice, et on se met dâaccord sur de petites adaptations pratiques, pas esthĂ©tiques. Je passe beaucoup de temps Ă lire les partitions avant que les musiciens ne les reçoivent, je suis responsable de la vue synthĂ©tique de lâensemble et je dois mâapproprier lâunivers de chaque piĂšce avant de pouvoir la transmettre.
Vous ĂȘtes la courroie de transmission entre compositeur et interprĂštes⊠comment se fait la mise en place ?
TrĂšs souvent on a peu de temps pour rĂ©pĂ©ter des nouveaux programmes car avec dix Ă quinze musiciens, le plus souvent le processus coĂ»te cher. Il est rare dâavoir plus de cinq rĂ©pĂ©titions et, si chacun a travaillĂ© sa partie chez soi, personne ne sait encore comment elle sâinsĂšre dans le tout. Mon rĂŽle est de faire en sorte, par ma gestique et mes explications, que chacun puisse, dĂšs la premiĂšre rĂ©pĂ©tition, ĂȘtre trĂšs vite Ă lâĂ©coute des autres et se faire une idĂ©e globale de son intervention par rapport au tout.
Construire un programme, câest en choisir le contenu mais aussi trouver oĂč le jouer ?
RĂ©interprĂ©ter des Ćuvres, câest le deuxiĂšme pan de notre travail. Nous voulons faire vivre le rĂ©pertoire. Je suis responsable de la programmation, pour laquelle je cherche Ă assurer une cohĂ©rence qui dĂ©pend de nombreux paramĂštres. Jâessaie de plus en plus de dĂ©velopper un rĂ©seau de partenaires pour dĂ©crocher dĂšs le dĂ©part plusieurs concerts, ce qui est difficile en Belgique vu le petit nombre de lieux qui accueillent cette musique. On le fera par exemple le 26 mai pour notre concert Ă Eupen, quâon reproduira dans des pays limitrophes. Ă cĂŽtĂ© de cela, jouer des piĂšces plus anciennes et qui font sens pour nous, par exemple dans un programme mixte, nous permet de prendre un peu lâair par rapport Ă notre spĂ©cialitĂ©.
Sur le Fil vient de sortir : deux CD pour 2 x 10 bougies ?
Il a paru rĂ©cemment chez Soond et câest le premier jalon dâune nouvelle aventure pour le Forum de la CrĂ©ation Musicale.
Lâassociation fĂȘte ses vingt ans par la mise en avant discographique des compositeurs et des ensembles interprĂštes. Pour ce projet, qui reflĂšte notre façon de travailler avec des compositeurs de diffĂ©rentes gĂ©nĂ©rations â Ă©tablis comme Boesmans ou BartholomĂ©e, confirmĂ©s tels Deleuze et Bosse ou plus jeunes comme DâHoop ou Jesupret â jâai proposĂ© deux piĂšces sorties de nos archives et nous avons enregistrĂ© les autres lors dâun concert au Marni. Je suis trĂšs content du rĂ©sultat, un disque au livret instructif, qui dĂ©voile diffĂ©rents stades de maturitĂ© dans le processus de composition, avec des piĂšces aux Ă©nergies variĂ©es â une pour cuivres, une pour cordes â et les autres avec notre instrumentarium typique, et deux solistes.
Thomas Van HaeperenLâalbum Tsilogiannis paraĂźt bientĂŽt lui aussi ?
Oui. Pour ce disque monographique consacré à Adrien
Tsilogiannis â et câest rare, Ă 40 ans, dâavoir 70 minutes de musique pour ensemble qui tiennent la route ! â, nous avons enregistrĂ© en studio dans de trĂšs bonnes conditions. On a privilĂ©giĂ© un souffle global, de longues plages dâenregistrement et quelques retouches ultĂ©rieures. Adrien est un des proches de lâensemble : commandes, participation Ă notre atelier (avec une piĂšce dĂ©jĂ trĂšs personnelle, trĂšs vive) et une musique Ă la richesse, poĂ©tique et humaine, Ă©vidente. Lâalbum sort le 31 mars chez Cypres, ce sera lâoccasion dâun concert Piknik, le midi Ă Flagey.
Sturm und Klang a des idées et veut le faire savoir !
On cherche aussi Ă promouvoir cette musique, passionnante mais peu mĂ©diatisĂ©e, auprĂšs de publics non spĂ©cialistes. Lâenvie de dĂ©couverte est lĂ , il faut la titiller, par plusieurs stratĂ©gies : doubler lâangle dâattaque, en associant un Ă©lĂ©ment visuel (les dessins de François Schuiten pour On Mars), une rĂ©fĂ©rence extra-musicale (la poĂ©sie), expliquer et collaborer avec un partenaire en contact avec le public visĂ©. On a des projets en cours dâĂ©laboration, qui visent aussi Ă nous sortir de notre zone de confort : du théùtre musical (on rĂȘve dâun opĂ©ra de chambre), un atelier dâĂ©criture oĂč les textes des enfants sont mis en musique par des compositeurs, puis rĂ©citĂ©s ou slammĂ©s par les auteurs en herbe lors du concert de clĂŽture. Lâimportant pour moi, câest de rester ouvert : on ne sait pas dans quoi on sâaventure, comment sera cette musique dans 5 ou 10 ans, mais ce qui est sĂ»r, câest la grande richesse de la crĂ©ation musicale dans notre petit territoire.
Sturm und Klang Sur le Fil
Soond
Sturm und Klang
Tsilogiannis
Cypres
Quatuor Alfama
âCloseâ, câest Fanny et âFarâ, Clara. Avec le prĂ©cieux concours de Gilles Millet Ă la direction artistique et de FrĂ©dĂ©ric Briant au vernis sonore, les talentueux·euses musicien·nes dâAlfama ont composĂ© une fresque des relations de âcouples de compositeursâ. Dâun cĂŽtĂ© le frĂšre et la sĆur Mendelssohn, trĂšs proches⊠bien que physiquement Ă©loignĂ©s par leurs parcours musicaux. De lâautre, les amoureux Schumann entre qui sâinsinue lâabsence dâune Clara partie en tournĂ©e, provoquant chez le tortueux Robert une immersion passionnelle dans lâexercice du quatuor. Alice Van Leuven, Caroline Denys, Morgan Huet et Renaat Ackaert forment la nouvelle âĂ©quipeâ Alfama et Ă©voquent en riant un « mariage Ă quatre », revendiquant une rĂ©partition harmonieuse des Ă©nergies et des compĂ©tences.
DĂšs les premiĂšres mesures du disque, les musicien·nes enflamment les sillons et envoĂ»tent immensĂ©ment avec le quatuor en fa mineur de Mendelssohn. Une Ćuvre douloureuse, composĂ©e suite au dĂ©cĂšs de Fanny, sĆur chĂ©rie Ă laquelle le compositeur ne
survivra que quelques mois. Quant Ă Robert Schumann, sâil dĂ©die⊠à son ami Felix (!) le 3e quatuor de lâopus 41, il sâagit aussi de compositions offertes Ă Clara pour son anniversaire. Un ricochet de dĂ©dicaces qui passe aussi par une crĂ©ation contemporaine car entre les deux Ćuvres sâimbriquent les trĂšs organiques Trois mouvements pour quatuor Ă cordes de Patrick Leterme, composĂ©s pour la circonstance, et dont la personnalitĂ© musicale sensible, Ă©clectique et passionnĂ©e apporte une piĂšce qui vient avantageusement enrichir le patrimoine musical en FWB. Suivant ce flux de dĂ©dicaces, Patrick Leterme sâinspirant de la spiritualitĂ© de Mendelssohn et du lyrisme de Schumann, dĂ©die quant Ă lui sa piĂšce⊠au quatuor Alfama. Un quatuor aujourdâhui reliftĂ©, comprenant deux garçons et deux filles issu·es de nos deux communautĂ©s : un hasard qui a du sens et les musicien·nes ont ainsi tenu Ă ce que le livret soit disponible dans les deux langues. De prĂšs, de loin, une volontĂ© affirmĂ©e dâĆuvrer Ă la fluiditĂ© et (pourquoi pas) de rĂ©duire lâĂ©cart qui sĂ©pare les moitiĂ©s culturelles du pays.
« Nous sommes jusquâĂ quinze ou vingt pour certains projets, ce qui spĂ©cifie notre rĂ©pertoire.»# nouveau·line-up # album © JESSICA HILLTOUT TEXTE : VANESSA FANTINEL
so Far so Close : le quatuor Alfama entame sa seconde vie avec brio dans un programme qui souligne lâintensitĂ© des liens relationnels.
Véronique Vincent La musique des mots
TEXTE : DIDIER STIERS
Une fois nâest pas coutume, le nouvel album dâAksak Maboul a vu le jour, certes chez Crammed Discs, mais dans la sĂ©rie Made To Measure, la collection lancĂ©e en 1984 et consacrĂ©e aux musiques classiques, ambient et expĂ©rimentales. Son titre : Une aventure de VV (Songspiel).
Pour la musique, on peut avoir du mal Ă dire mieux que le communiquĂ© de presse : « Un joyeux vagabondage stylistique dont Marc Hollander est coutumier, brins dâĂ©lectronique, pop, jazz, collages, techno, ambient, krautrock, classique contemporain et minimalisme sont Ă©troitement tissĂ©s, Ă la maniĂšre inimitable dâAksak Maboul ». Quant aux textes, tout est dans le titre de lâalbum, justement : ils sont de la plume de VĂ©ronique Vincent et forment une sorte dâhistoire un peu mystĂ©rieuse, peut-ĂȘtre mĂȘme bien un conte⊠« Marc mâa suggĂ©rĂ© que jâĂ©crive aussi en anglais, parce quâon a quand mĂȘme un public qui dĂ©passe les frontiĂšres francophones. Et il suggĂ©rait Ă©galement que je fasse de la voix parlĂ©e ou du âSprechgesangâ, et que je prenne quelques invitĂ©s⊠» Qui sont, au final : Alig Fodder, Audrey Ginestet et Benjamin Glibert (Aquaserge), LĂŠtitia Sadier (Stereolab), Blaine L. Reininger (Tuxedomoon) et Don The Tiger, sans oublier les membres de la formation live actuelle dâAksak Maboul.
« De fil en aiguille, reprend VĂ©ronique Vincent, je me suis dit que jâallais Ă©crire une histoire. Parfois, on fait des rĂ©fĂ©rences aux disques prĂ©cĂ©dents. Marc le fait dans sa musique, et moi dans mes textes Ă©galement. Dans Dramuscule, qui est sur Figures (lâalbum dâAksak Maboul sorti en 2020, â ndlr), le personnage fĂ©minin dit Ă un moment quâil sort. Ici, je fais sortir Ă nouveau mon personnage par la fenĂȘtre et je lui fais traverser, si vous voulez, tout le disque. Il entre dans cet⊠endroit, mais il vit une espĂšce de perte de repĂšres. Comme sâil Ă©tait dĂ©possĂ©dĂ© de lui-mĂȘme. Et pour se retrouver, il lui faut vivre toute cette aventure, rencontrer un certain nombre de personnages. » Parmi lesquels un hĂ©ron et un rouge-gorge ! « JâĂ©tais beaucoup dans des lectures de Philippe Descola, Latour, Nastassja Martin (notamment des anthropologues, donc, â ndlr), jâĂ©tais trĂšs proche de tout ce qui est âla natureâ, qui nâexiste pas, enfin, câest tout, câest nous. Et donc jâai voulu que mon personnage rencontre des oiseaux, jâai voulu faire parler les pierres, la forĂȘt⊠Les oiseaux, câest aussi parce que Faustine Hollander, qui est la bassiste et chanteuse du groupe Aksak Maboul â et qui par ailleurs est ma fille â est passionnĂ©e par les oiseaux. Donc je vis quand mĂȘme un peu avec cette espĂšce de professeur ornithologue, et forcĂ©ment, ça mâinspire ! »
LâĂ©preuve de lâĂ©criture âSongspielâ ? VĂ©ronique Vincent nâĂ©prouve aucune nostalgie pour lâune ou lâautre forme musicale du passĂ© ou quâon nâentendrait plus beaucoup aujourdâhui. Faire avancer son personnage dans cette histoire lui est venu naturellement. « Il nây a pas de nostalgie mais, effectivement, des tas de choses qui ont Ă©tĂ© faites sont trĂšs intĂ©ressantes. Je pense Ă La Ralentie dâHenri Michaux, en 1957, pour la radio, avec cette musique extraordinaire (de Marcel van Thienen, â ndlr). Michaux a toujours dit que tout Ă©tait Ă©pouvantable et lĂ , il lâa trouvĂ©e vraiment bien. Câest une piĂšce magnifique qui est sortie par la suite en disque. Il y en a eu Ă©normĂ©ment Ă©videmment, des pĂ©pites, mais je vous donne celle-lĂ parce que je lâaime particuliĂšrement. » Friande dâoeuvres de ce genre ? « Pas spĂ©cialement ! Jâaime Lâenfant et les sortilĂšges (Maurice Ravel et Colette,
ndlr), il y a des tas de choses que jâaime qui sont plutĂŽt de lâordre, pas de lâopĂ©ra Ă©videmment, mais de ce que Brecht a appelĂ© le Songspiel, pour Mahagonny (Grandeur et dĂ©cadence de la ville de Mahagonny, â ndlr). Au lieu dâappeler ça le Singspiel qui est le mot allemand pour Ă©voquer une sorte dâopĂ©ra comique, il avait appelĂ© ça le Songspiel pour le travail quâil faisait avec Kurt Weill. »
LâĂ©criture et elle, ça ressemble Ă ceci : « Je crois toujours que je ne vais jamais y arriver mais jâĂ©cris quand mĂȘme depuis toujours, toujours, toujours ! ». Pour elle, la musicalitĂ© et la sonoritĂ© des mots sont fondamentales. « Je suis un peu un Ă©crivain ratĂ©, dit-elle en souriant. Jâai commencĂ© un bouquin Ă un moment donnĂ© et je ne lâai pas terminĂ©. Câest quelque chose Ă cĂŽtĂ© de quoi je suis passĂ©e. Mais je pense quâĂ©crire des chansons, câest devoir raconter une histoire en trĂšs, trĂšs, trĂšs peu de lignes et de mots. Câest assez compliquĂ©, mine de rien. Et câest une Ă©preuve que jâaime beaucoup. »
Retour Ă la peinture
Avec les annĂ©es, les deux groupes que renseigne son CV sont devenus culte. Au dĂ©but des annĂ©es 80, Les Tueurs de la lune de miel dâYvon Vromman, quâelle a dâabord rejoint, et Aksak Maboul de Marc Hollander et Vincent Kenis âfusionnentâ, se partageant une partie du mĂȘme personnel. LâidĂ©e sera alors Ă un moment dâenregistrer deux albums diffĂ©rents. Mais : « Comme il y avait plus de morceaux des Tueurs de la lune de miel qui Ă©taient aboutis, on sâest dit que câest celui-lĂ quâon enregistrerait dâabord. Et avec ce disque des Tueurs, on est parti en tournĂ©e pendant des annĂ©es, on a fait toutes les tĂ©lĂ©s en France⊠». Quant Ă celui dâAksak Maboul et les textes Ă©crits pour celui-ci par VĂ©ronique Vincent, ils vont finalement rester dans un tiroir⊠avant de voir le jour en 2014 sous le titre dâEx-futur album.
Véronique Vincent
«Un morceau comme RĂ©veillons-nous, je lâai Ă©crit quand jâavais 25 ans. Chez les aborigĂšnes, aussi. Mais ce sont des textes â et des musiques aussi dâailleurs â qui, je pense, nâont pas vieilli. Je ne devrais peut-ĂȘtre pas le dire parce que ce sont mes textes, mais je nâen ai pas honte en tout cas. »
« JâĂ©tais vraiment déçue que ça ne sorte pas, dit-elle encore Ă propos de cette trĂšs longue pĂ©riode âsansâ. Entretemps, jâai eu deux enfants dont je me suis pas mal occupĂ©e. Et comme je ne pouvais plus faire de scĂšne (Marc Hollander ayant envie de dĂ©velopper Crammed Discs, le label quâil venait de monter, et Yvon Vromman ayant repris les Tueurs Ă son compte avant de dĂ©cĂ©der en 1989, â ndlr), je me suis beaucoup plus plongĂ©e dans le dessin et la peinture, que je pratiquais dĂ©jĂ aussi au dĂ©part. Je viens dâune famille de peintres : du cĂŽtĂ© de mon pĂšre, toutes les femmes peignent. Et donc jâai fait ça pendant des annĂ©es. » Avec lâune ou lâautre expo Ă la clĂ©. Avant que cet Ex-futur album ne nous ramĂšne finalement Aksak Maboul en concert⊠oĂč VĂ©ronique Vincent accompagne aussi les passages purement instrumentaux de dessins ou, dĂ©sormais, de vidĂ©os.
Aksak Maboul
Une aventure de VV (Songspiel)
Crammed Discs
Ă lâheure des rĂ©seaux sociaux, ça peut paraĂźtre anecdotique, mais Ă lâĂ©poque, ce fut quelque chose : VĂ©ronique Vincent, originaire de Paris et qui chantait prĂ©cisĂ©ment pour Les Tueurs de la lune de miel, ou en lâoccurrence les Honeymoon Killers, est la premiĂšre francophone Ă avoir fait la âuneâ du sacro-saint New Musical Express britannique.
« CâĂ©tait aprĂšs un concert Ă Paris, au Centre Wallonie-Bruxelles. On savait que le journaliste du NME viendrait avec un jeune photographe pas connu Ă lâĂ©poque⊠» Mais qui le sera par la suite puisquâil sâagit dâAnton Corbijn ! « Pendant le concert, alors que jâĂ©tais en train de chanter, jâai une molaire qui sâest cassĂ©e ! Jâai dĂ» rester
dans un tel contrĂŽle⊠Je crois que ce concert Ă©tait vraiment trĂšs rĂ©ussi de ma part. Pour les autres, câĂ©tait toujours le cas, mais moi, je suis inĂ©gale, quoi. Mais donc, avec cette molaire qui se casse Ă moitiĂ© dans ma bouche, ça mâa vraiment obligĂ©e Ă un contrĂŽle parfait, et on a eu une critique dithyrambique. Je pense quâeffectivement, câĂ©tait la premiĂšre fois quâun groupe francophone faisait la couve du NME. La photo dâAnton Corbijn, câest moi qui sors de scĂšne dans un Ă©tat dâĂ©puisement total. Jâai lâair complĂštement dĂ©composĂ©e, mais jâĂ©tais effectivement vraiment fatiguĂ©e. Ăa donne une photo qui est assez intĂ©ressante, quoi.
« Je crois toujours que je ne vais jamais y arriver mais jâĂ©cris quand mĂȘme depuis toujours, toujours, toujours ! »
NĂ©o-classique, baume au cĆur dâune Ă©poque chaotique et angoissĂ©e
DOSSIER : DOMINIQUE SIMONET Quelle que soit lâĂ©tiquette y accolĂ©e, la nouvelle approche musicale fondĂ©e sur la consonance est partout.PrĂ©sentes en force dans les playlists des plateformes dâĂ©coute numĂ©riques, ses vedettes â Ludovico Einaudi, Max Richter, Nils Frahm â font des Ă©mules en Belgique avec Echo Collective ou Glass Museum. Leur point commun : une quĂȘte dâidentitĂ© sonore comme moyen de sĂ©duction. Quâil rassure ou quâil Ă©nerve, le nĂ©o-classicisme est parmi nous.
Sâil y a une petite entreprise musicale qui ne connaĂźt pas la crise, câest bien ce que lâon regroupe sous lâappellation ânĂ©o-classiqueâ. On pourrait dire aussi âclassique contemporainâ, ânĂ©oâ ou âpost-minimalisteâ, câest du pareil au mĂȘme : dans tous les cas, la mĂ©lodie est reine, le piano son roi, la simplicitĂ© Ă la clĂ©.
Cela va faire bientÎt vingt ans que sévissent Max Richter et Nils Frahm, les stars internationales du genre, gros vendeurs comme leur prédécesseur, Ludovico Einaudi. Plus récemment, en Belgique, sont apparues des formations comme Echo Collective et Glass Museum, ou La Reine Seule, incarnée par Judith Hoorens, évadée de We Stood Like Kings.
Il va sans dire que le succĂšs populaire et commercial entraĂźne la suspicion. Laissant sur place la deux-millioniĂšme interprĂ©tation du PrĂ©lude n°15 en rĂ© bĂ©mol majeur Sostenuto, connu sous le nom de La goutte dâeau, de FrĂ©dĂ©ric Chopin, ou de la NeuviĂšme de Ludwig van, les Richter, Frahm et Einaudi caracolent aussi devant les tenants de la crĂ©ation dite contemporaine, qui a fait de la dissonance son cheval de bataille. InĂ©vitablement, la rĂ©ussite des uns suscite une certaine jalousie parmi les tenants de lâorthodoxie.
Vieille controverse
ImposĂ© par lâindustrie musicale qui en fait son beurre, le terme lui-mĂȘme de ânĂ©o-classiqueâ est sujet Ă caution, lâappellation recouvrant Ă peu prĂšs autant de styles quâil y a dâinterprĂštes. La controverse bat donc son plein, et elle ne date pas dâhier.
« Le nĂ©o-classicisme, dans les histoires de la musique, câest plutĂŽt lâentre-deux-guerres », observe Christophe Pirenne. Les critiques des annĂ©es 1920 dĂ©crivaient Maurice Ravel, Igor Stravinsky, Darius Milhaud, Francis Poulenc, Serge Prokofiev ou Paul Hindemith comme Ă©tant des compositeurs nĂ©o-classiques, tous dans le mĂȘme sac, ce qui posait dĂ©jĂ problĂšme. Pour lâhistorien, professeur Ă lâUniversitĂ© de LiĂšge et Ă lâUC Louvain, ce sont donc « deux Ă©tiquettes collĂ©es Ă des Ă©poques trĂšs diffĂ©rentes sur des choses trĂšs diffĂ©rentes »
Quand la violoniste Margaret Hermant compose, notamment pour Echo Collective, « câest dans une esthĂ©tique qui correspond Ă celle de Max Richter ou de Nils Frahm. En gĂ©nĂ©ral, cela vient du mouvement minimaliste : simple, comprĂ©hensible par les adeptes de plusieurs genres musicaux diffĂ©rents, cela peut toucher plein de gens »
RĂ©action contre lâhermĂ©tisme
Dans ce quâil appelle aussi « la nouvelle simplicitĂ© », Christophe Pirenne voit « plutĂŽt une rĂ©action assez forte contre lâhermĂ©tisme quâon peut reprocher Ă certaines formes de musique contemporaine, aprĂšs 1945. En Belgique, en France comme en Allemagne, il y avait une terrible force institutionnelle du âtoboggan de lâhistoireâÂč. Ceux qui continuaient Ă utiliser des accords consonants Ă©taient diabolisĂ©s ».
Ainsi, en Europe, se sont imposĂ©s les adeptes du dodĂ©caphonisme, puis du sĂ©rialisme, du post-sĂ©rialisme et enfin du post-modernisme musical. Dans le mĂȘme temps, les recherches en musique Ă©lectronique battaient leur plein : avant lâIrcam Ă Paris, Pierre Schaeffer avait son Studio dâessai, Stockhausen crĂ©ait le sien Ă Cologne, Berio faisait de mĂȘme Ă Milan.
ĂlĂšve de Frederic Rzewski et de Philippe Boesmans, proche dâHenri Pousseur en Belgique, de György Ligeti et de Iannis Xenakis, entre autres, Ă lâĂ©tranger, le compositeur Claude Ledoux a son explication du rejet quasi total de la musique tonale durant cinquante ans : « Les compositeurs de cette Ă©poque voulaient retrouver un langage commun, et ils lâont trouvĂ© dans le langage chromatique. Ce quâon appelle lâĂ©mancipation de la dissonance. Initialement, les musiciens contemporains faisaient partie dâune gĂ©nĂ©ration qui a connu la guerre. Ils voulaient Ă©chapper Ă une forme de romantisme, la musique dâHitler, des nationalismes. Pour eux, la musique tonale Ă©tait liĂ©e Ă lâhistoire des conflits, des rĂ©volutions, de la violence. Une forme dâabstraction musicale Ă©tait faite pour sâĂ©loigner de la musique qui symbolisait la tragĂ©die ».
Changement de cadre
Selon lâanalyse du compositeur belge, la musique dite contemporaine a connu un vrai succĂšs. Comme le public nâavait plus de point de repĂšre, de rĂ©fĂ©rence face Ă cette crĂ©ation, « il fallait avoir une solide Ă©ducation » pour sây intĂ©resser et « curieusement, elle Ă©tait là ». La grande diffĂ©rence, aujourdâhui, câest que « la guerre ne veut plus rien dire pour les gĂ©nĂ©rations actuelles. On nâest plus dans le mĂȘme cadre social et idĂ©ologique. On nâa plus cette Ă©ducation, cette culture ». Or, lâapprĂ©hension de la musique est toujours liĂ©e Ă cette culture. « Il y a donc des modifications de choix esthĂ©tiques. »
LâavĂšnement de lâapproche musicale qualifiĂ©e de nĂ©o-classique serait « une rĂ©action contre lâultra-intellectualisme dâune partie des musiciens contemporains. Face Ă cela Ă©merge une ultra-simplification, ce qui est assez convenu comme rĂ©ponse », rĂ©sume le professeur Pirenne. Les sources dâinspiration rĂ©guliĂšrement invoquĂ©es par les nĂ©o-classiques sont, outre⊠Erik Satie, les minimalistes ou rĂ©pĂ©titifs amĂ©ricains des annĂ©es 1960 : Steve Reich, Terry Riley, Philip Glass, John Adams, LaMonte Young. « Ceux qui ont une Ă©ducation pop-rock nâhĂ©sitent pas Ă se rĂ©clamer des Kraftwerk, Tangerine Dream, Klaus Schulze, ajoute Christophe Pirenne. Ceux-lĂ ont Ă©tĂ© les prĂ©curseurs de la techno, et maintenant, ils sont ceux de cette nouvelle simplicitĂ© ». Le fait dâĂȘtre une musique trĂšs consonante explique lâĂ©norme succĂšs de lâapproche nĂ©o-classique et « les tempos assez lents font contrepoint Ă la vitesse ou Ă la frĂ©nĂ©sie de la vie quotidienne. Cette musique nourrit le besoin de mĂ©ditation ou de spiritualitĂ© du XXIe siĂšcle ».
La âLeçon de pianoâ
La majoritĂ© des Ćuvres produites sous lâĂ©tiquette nĂ©o-classique sont instrumentales. « Ce nâest pas trĂšs Ă©loignĂ© des musiques de film, qui prennent de plus en plus dâimportance, note le professeur Pirenne. Câest une façon pour ces musiques dâintĂ©grer le rĂ©pertoire des grands orchestres ». Et câest vrai que la plupart des artistes post-minimalistes, tels Nils Frahm ou Max Richter, sont aussi des compositeurs de bandes musicales de films, de sĂ©ries tĂ©lĂ©, etc.
Ă noter quâun de leurs cĂ©lĂšbres prĂ©dĂ©cesseurs, lâAnglais Michael Nyman, 78 ans, a Ă©tĂ© le premier Ă utiliser le terme âminimalâ Ă propos de cette musique, lors dâune performance, Ă Londres, en 1968. Nyman auquel on doit une kyrielle de musiques de films, dont lâemblĂ©matique Leçon de piano de Jane Campion, en 1993.
Le plus Ă©tonnant est que ces musiciens viennent dâunivers souvent diffĂ©rents. Frahm et Richter ont des formations classiques solides, comme la violoniste Margaret Hermant et la pianiste Judith Hoorens â mĂȘme si elle Ă©volue dans le⊠post-rock avec We Stood Like Kings. De formation classique Ă©galement, le pianiste Antoine Flipo constitue, avec le batteur Martin GrĂ©goire, un Glass Museum dâobĂ©dience plutĂŽt jazz Ă la base. « Câest un confluent de plusieurs approches dâĂ©criture musicale, observe Margaret Hermant. Il y a des gens qui connaissent bien la musique et lâont Ă©tudiĂ©e, ou pas, venant de la musique Ă©lectro. »
Ăa plane pour eux « Des producteurs techno en sont proches Ă©galement, confirme Christophe Pirenne. Ces musiques planantes ont pris leur place dans le théùtre alors quâavant, câĂ©tait uniquement des contemporains stricto sensu. Elles accompagnent aussi des Ćuvres de plasticiens. Ce nâest pas une techno basĂ©e sur le rythme mais qui travaille sur des ambiances. »
La technologie nâest pas pour rien dans lâengouement pour le nĂ©o-classicisme sous toutes ses formes. Lâun des logiciels de composition les plus cĂ©lĂšbres est GarageBand, fourni avec les ordinateurs Apple depuis 2004. Bien dâautres ont fait leur apparition, comme Tracktion Waveform Free, Audacity, Pro Tools First ou encore Ohm Studio (!). « Ces outils sont incroyablement faciles, analyse Christophe Pirenne, et, sans la moindre compĂ©tence, des gens Ă©crivent des musiques magnifiques ! Ce qui peut poser des problĂšmes aux conservatoires⊠Les logiciels dâĂ©criture
musicale ont beaucoup favorisé le développement du répertoire post-minimaliste. »
« Bidouiller les ordinateurs, câest une grande porte dâentrĂ©e musicale pour la nouvelle gĂ©nĂ©ration, estime le compositeur Claude Ledoux. « Il nâest pas rare que lâon utilise lâĂ©lectronique et que lâon compose Ă lâordinateur avec des librairies de sons, confirme Margaret Hermant. Certains Ă©crivent comme ça avant de faire jouer leur musique par des interprĂštes. Max Richter prend des instrumentistes de haut vol. »
Arvo PÀrt au supermarché
Christophe Pirenne se souvient de ses dĂ©buts au cours dâHenri Pousseur, quâil juge dâune « bienveillance extrĂȘme ». Ă 20 ans, quand on lui demandait de citer des musiciens contemporains et quâil Ă©voquait Philip Glass et Arvo PĂ€rt, il se voyait rĂ©pondre : « Câest de la musique de grande surface, ça ! ». PĂ€rt au supermarchĂ© ? « Câest trĂšs bien, parce que ça me donnerait envie de rester dans la grande surface, sourit Margaret Hermant, pour qui il faut de la musique pour tout le monde. Je nâai aucun problĂšme Ă partir du moment oĂč les gens sont sincĂšres et ont des intentions de partage. »
Venant de certains interprĂštes du rĂ©pertoire classique, les critiques fusent quant Ă la âsimplicitĂ©â du post-minimalisme, « mais il faut soutenir les sons, les couleurs sont assez pures », relĂšve la violoniste. Parfois, des musiciens classiques qui savent trĂšs bien jouer ne sont pas bons du tout dans ce rĂ©pertoire ». Avant de confier ses 12 Conversations with Thilo Heinzmann Ă Echo Collective, feu le compositeur islandais JĂłhann JĂłhannsson avait testĂ© son Ćuvre avec un quatuor Ă cordes anglais, sans succĂšs.
Au plus simple, au plus difficile
« Comme celle dâArvo PĂ€rt, câest une musique trĂšs Ă dĂ©couvert, analyse Margaret Hermant. Quand on joue devant 4, 5 ou 600 personnes, soutenir des sons bien justes sans stresser nâest pas facile. La musique la plus facile peut ĂȘtre la plus compliquĂ©e Ă
mettre en valeur et Ă transmettre. Techniquement, il nây a pas grand-chose Ă prouver, on nâest pas lĂ en tant que virtuose. LâinterprĂšte doit capter et garder lâattention de lâaudience sans virtuositĂ© ! » « Ce sont souvent les musiques les plus simples qui sont les plus difficiles Ă jouer », renchĂ©rit Christophe Pirenne.
Lâhistorien de lâULg et de lâUCLouvain se dit fan du genre â « Jâadore ! » â, tout en reconnaissant que câest « de la musique dâascenseur dans pas mal de cas⊠». De son propre aveu, Margaret Hermant sâinspire du nĂ©o-minimalisme â et de tas dâautres choses dâun peu partout dans le monde â, quâelle pratique.
Le compositeur Claude Ledoux, lui, a Ă©tĂ© frappĂ© par les Quatre Saisons dâAntonio Vivaldi revisitĂ©es par Max Richter : « En partant dâune Ćuvre extraordinaire, nous entrons dans une autre forme, comme Las Meninas de Picasso oĂč Les MĂ©nines de Diego VĂ©lasquez sont rĂ©interprĂ©tĂ©es Ă la maniĂšre cubiste de quarante-quatre maniĂšres diffĂ©rentes. On a un point dâancrage et lâartiste nous emmĂšne tout Ă fait ailleurs ». Pour le reste, « des tas dâautres piĂšces me laissent indiffĂ©rent, comme une musique qui glisse sur nos tympans »
Ce qui ne laisse personne indiffĂ©rent, câest le succĂšs commercial de ces artistes. RĂ©ussite due, en grande partie, Ă lâĂ©volution des technologies de diffusion de la musique enregistrĂ©e : « Le mode dâĂ©coute est important ! », relĂšve Christophe Pirenne. « Chez les nouveaux arrivants qui ont 15 Ă 20 ans, lâĂ©coute par album a disparu. Elle passe dĂ©sormais par des playlists, qui ont souvent Ă faire avec des activitĂ©s ou des atmosphĂšres : âMood boosterâ pour se remonter le moral, âLazy Sundayâ pour la grasse matinĂ©e, âSouper entre amisâ⊠»
Vous avez dit playliszt ?
« Dans les playlists de musique classique, je suis frappĂ© par la disparition de la musique contemporaine, poursuit le professeur Pirenne. Par contre, dans les âClassical New Releasesâ, on trouve en premier Einaudi, Steve Reich, Rachel Portman. » Il se dit mĂȘme que certains nâexerceraient leur âartâ que pour entrer dans lâune
Glass Museum : Et maintenant, ils sont trois !
Au dĂ©but, lâinfluence du jazz prĂ©dominait chez Glass Museum. « Mais comme ce quâon Ă©coute Ă©volue trĂšs fort, on est moins dans le jazz », concĂšde le batteur Martin GrĂ©goire. Avec son compĂšre pianiste Antoine Flipo, quâĂ©coutent-ils donc ? Erik Satie, « influence incontournable qui a marquĂ© la musique contemporaine », Philip Glass, Steve Reich, Jon Hopkins, Hania Rani, Nils Frahm et les artistes des Ă©tiquettes correspondantes, Gondwana et Erased Tapes. OĂč le nĂ©o-classique se mĂȘle Ă lâĂ©lectro. Dâailleurs, via le duo Elefan, Brieuc Angenot se situe plutĂŽt dans cette mouvance, avec sa contrebasse et ses synthĂ©s basse et polyphonique. PrĂ©sent dans les concerts depuis 2020, ce dernier va participer au prochain enregistrement : Glass Museum devient un trio ! « Câest une pĂ©riode de recherche, explique Martin GrĂ©goire, nous remettons en question notre maniĂšre de travailler pour ne pas tomber dans les mĂȘmes schĂ©mas que les trois premiers albums. La partie Ă©lectro Ă©tant gĂ©rĂ©e par Brieuc, cela libĂšre le piano pour nous permettre dâavoir une mĂ©thode de composition plus directe. »
La Reine, Seule et romantique
Au sein de We Stood Like Kings, la pianiste Judith Hoorens dĂ©finit lâorientation comme Ă©tant « post-rock/nĂ©o-classique ». La filiation avec le rock progressif sâarrĂȘte Ă la dĂ©construction du format couplet/refrain, en mode instrumental uniquement. Non sans un certain culot, le groupe a rĂ©interprĂ©tĂ© de la musique savante, du baroque au contemporain : Classical : Re:Works (2020), « en gardant trĂšs bien notre identitĂ© ». De bonnes prĂ©dispositions pour que Judith Hoorens se lance dans un projet solo, La Reine Seule, dont le premier album, Visages, a paru mi-2022. Avec un bagage bien rempli
piano en acadĂ©mie, Ă©criture au Koninklijk Conservatorium Brussel â, elle sâest lancĂ©e dans « une Ă©criture qui se rapprochait plus du classique, assez technique et dense ». Travail Ă©purĂ© pour en arriver à « huit variations sur une mĂȘme cellule musicale exprimĂ©e de diverses façons », comme autant de facettes de Visages. « Je nâĂ©tais jamais allĂ©e chercher aussi profondĂ©ment ce qui est en moi, dit-elle, cela me ressemble Ă 300 %. » BercĂ©e par Chopin et tout ça, Judith Hoorens « pense ĂȘtre une grande romantique ». Cela se reflĂšte dans Visages, avec ses « envolĂ©es mĂ©lodiques qui font un peu venir la larme Ă lâĆil » NĂ©o-classique de tempĂ©rament, dira-t-on.
ou lâautre de ces playlists (playliszt ?) fournies en abondance sur les plateformes dâĂ©coute en ligne comme Tidal, Deezer, Qobuz, pour ne parler que des plus recommandables.
Vient alors la question qui fĂąche : et si tout ça nâĂ©tait quâune affaire commerciale ? Lâindustrie a toujours Ă©tĂ© trĂšs forte pour vendre Ă tour de bras de la musiquette facile Ă Ă©couter. « Est-ce que cela empĂȘche les chefs-dâĆuvre ? », rĂ©torque Christophe Pirenne. « Les deux peuvent aller de pair. Mais, une fois que lâindustrie musicale sâempare dâun phĂ©nomĂšne, on va produire des choses sans importance qui seront oubliĂ©es demain. Cette traditionnelle opposition entre lâart et le commerce, je crois quâon peut oublier. »
« On ne sait pas si Vivaldi nâĂ©tait pas un petit peu commercial, sourit Margaret Hermant. Musique et commerce ont toujours existĂ©, et il y a toujours des gens qui utilisent les ficelles des autres, les pionniers, pour faire de lâargent. Il ne faut pas mĂ©langer les deux. Parfois, les playlists et les rĂ©seaux sociaux sont une maniĂšre intelligente dâarriver Ă se faire connaĂźtre. On demande ça aux virtuoses aussi. »
La séduction par le son
En tout Ă©tat de cause, nĂ©o-classique ou post-minimaliste, voire « nouvelle simplicitĂ© », selon lâexpression de Christophe Pirenne, cette approche actuelle de la musique plaĂźt. Et la sĂ©duction du son nây est pas pour rien : « Ă partir dâun instrument ultra connu comme le piano, il est surprenant quâon puisse Ă ce point trouver de nouvelles sonoritĂ©s ». Chez Echo Collective, qui enregistre dans des lieux particuliers comme les Ă©glises, « on cherche aussi dans la technique dâenregistrement ce qui va personnaliser le son », explique Margaret Hermant.
« Cela vient du rock », relĂšve le professeur Pirenne : « tous les guitaristes peuvent jouer les mĂȘmes accords, mais chez certains, on reconnaĂźt immĂ©diatement la sonoritĂ© » « Et il y a le son, ce quâon recherche dans la musique rock, renchĂ©rit Claude Ledoux. Dans ma musique, jâessaie aussi dâavoir un son, une identitĂ© sonore ».
Grosse tĂȘte en zone dâinconfort
Adoucir les maux du quotidien nâest pas le seul rĂŽle dĂ©volu Ă la musique actuelle. « Une sociĂ©tĂ© Ă©coute avant lâindividu, analyse Claude Ledoux, les playlists apaisantes ne sont que le reflet des choix de prĂ©fĂ©rence. » Face Ă ces Ă©coutes rassurantes, le compositeur en appelle aux neurosciences2 disant que, paresseux, le cerveau nous porte vers des Ă©lĂ©ments qui confortent : « avec ce qui nous rassure ou nous conforte, le cerveau travaille sur le mode Ă©conomique et il sâappauvrit. En Ă©coutant une musique oĂč lâon sent quelque chose quâon connaĂźt, et autre chose quâon ne connaĂźt pas, on est en zone dâinconfort. Le cerveau crĂ©e alors des relations neuronales, câest la meilleure façon de le faire travailler. Or, grande dĂ©couverte des neurosciences ces derniĂšres annĂ©es : la musique est partout dans le cerveau. »
Bulle protectrice
« Dans les paramĂštres sĂ©duisants de ces musiques, il y a des sonoritĂ©s trĂšs feutrĂ©es, analyse Christophe Pirenne. Ă un certain moment, on ne sait plus si câest jouĂ© sur des logiciels de sons ou si lâon a mis des micros sur les touches et les marteaux du piano ». Et le professeur dâhistoire de la musique de prendre en exemple le disque Debussy-Rameau de VĂkingur Ălafsson â encore un Islandais â paru chez Deutsche Grammophon en 2020 : « Cela donne lâimpression dâultra-proximitĂ© avec le piano. On est dans une bulle protectrice, enveloppante, rassurante. Cela a beaucoup Ă faire avec le sentiment dâinsĂ©curitĂ© des ĂȘtres humains du XXIe siĂšcle ».
« Le XXIe siĂšcle est chaotique et angoissant, confirme Margaret Hermant. Cette musique aide Ă se rapprocher de quelque chose de simple, dâorganique, de la nature, comme un petit rappel en douceur. Simplement, ça fait du bien. Quâils soient en lutte ou en quĂȘte de beautĂ© apaisante, les artistes ont un rĂŽle Ă jouer par rapport Ă lâĂ©poque dans laquelle ils se trouvent. » « Je ne comprends pas â et plus â le jugement en gĂ©nĂ©ral, la mise en concurrence des choses, assĂšne la violoniste et compositrice. On prend ou on ne prend pas, il nây a pas de revendication. Cela peut perturber des gens qui se sont donnĂ©s dâautres missions, mais il nây a pas Ă considĂ©rer ce que les autres font comme nâĂ©tant pas bien ».
(1) Par « toboggan de lâhistoire de la musique », le professeur Christophe Pirenne Ă©voque « une voie dĂ©terministe dont on ne pouvait sâĂ©chapper ». « La tonalitĂ© dâun Jean-SĂ©bastien Bach Ă©volue vers des tensions harmoniques chez Haydn et Mozart, puis chez les romantiques, jusquâĂ aboutir Ă lâatonalitĂ© fin du XIXe siĂšcle. Et lâon bascule vers le dodĂ©caphonisme, puis le sĂ©rialisme, qui applique les principes du dodĂ©caphonisme Ă tous les paramĂštres de la musique. Le toboggan sâarrĂȘte avec le post-sĂ©rialisme, fin des annĂ©es septante, lĂ oĂč les voies se multiplient. Un Olivier Messiaen nâest pas sur le toboggan musical. »
(2) La symphonie neuronale » (2020), Pourquoi la musique est indispensable au cerveau, Emmanuel Bigand et Barbara Tillmann, éd. Humensciences, 242 pp.
La vie dâartiste des labels de musique
TEXTE : DIDIER ZACHARIE
Vie et mort des labels de musique. Comment fait-on pour rester pertinent lorsquâon produit des disques dans un milieu musical qui ne cesse dâĂ©voluer ? ĂlĂ©ments de rĂ©ponses.
Il y a des logos qui sont marquants. Souvent placĂ©s dans un coin au verso des pochettes de disques, ils nous ramĂšnent Ă un style, un imaginaire, une Ă©poque bien prĂ©cise. Les Disques du CrĂ©puscule, par exemple, nous plongent dans la new wave du dĂ©but des annĂ©es 80, lorsque Bruxelles avait un air de Manchester. Avec Bang!, câest le rock indĂ© des annĂ©es 90 et 2000 qui ressurgit dâun coup. Des instantanĂ©s, des âflashsâ dâun passĂ© plus ou moins lointain. Mais comment faire pour durer quand on est un label indĂ©pendant ? Comment rester Ă la page dans un milieu, la musique pop (au sens large), oĂč une tendance musicale efface la prĂ©cĂ©dente ?
Certains y sont parvenus, un peu malgrĂ© eux. « Jamais je nâaurais imaginĂ© que Crammed existerait quarante ans plus tard, dit son fondateur Marc Hollander. Mais je ne pensais pas non plus arrĂȘter aprĂšs six mois. Ăa sâest fait comme ça, de façon organique. On rencontre des gens, un artiste en conduit Ă un autre et ouvre des portes sur de nouveaux univers musicaux. Toute la direction artistique du label sâest faite Ă lâinstinct ».
Ă lâinstinct, mais avec, toujours, dans un coin de la tĂȘte, lâaspect Ă©conomique. Car le milieu du disque reste une industrie : « Ce nâest pas tout dâaimer un groupe, il faut aussi Ă©valuer si on peut arriver Ă quelque chose de bien avec, continue Marc Hollander. Est-ce quâil peut trouver son public ? Est-ce que nos moyens sont adaptĂ©s Ă ce quâon aimerait faire avec ce projet ? ». Ainsi, pour un label, durer Ă©quivaut Ă trouver lâĂ©quilibre entre le cĆur artistique et le rĂ©alisme Ă©conomique. Il est illusoire de se dire que lâun peut se passer de lâautre.
« Les labels indĂ©pendants se sont créés par rapport aux majors, câest-Ă -dire au fait que le circuit principal de la musique Ă©tait tenu par quelques grandes multinationales qui avaient plus facilement accĂšs aux grands magasins, dit Benjamin Schoos de Freaksville et actif au sein de la FLIFF â FĂ©dĂ©ration des Labels IndĂ©pendants Francophones. IndĂ©pendant, câest quand tu ne fais pas partie de cette grande famille Ă©conomique. Ăa a donnĂ© lieu Ă un marchĂ© parallĂšle qui est âde factoâ trĂšs liĂ© aux musiques alternatives. Quelque part, ça veut dire quâil y a autant de labels indĂ©s que de styles musicaux »
Ă chaque label ses empreintes musicales
Et donc, Ă chaque label son, ou plutĂŽt ses, empreintes musicales. « Beaucoup de petits labels se spĂ©cialisent dans un son, un style musical, dit Marc Hollander. Ce nâest pas le cas de Crammed, on a toujours Ă©tĂ© sur diffĂ©rents genres en mĂȘme temps. Le label est un peu une extension de mon groupe Aksak Maboul, une espĂšce dâhybridation de genres, entre rock, pop, Ă©lectronique, avantgarde, musiques du monde⊠»
De son cĂŽtĂ©, « Freaksville a commencĂ© parce que personne ne voulait de notre disque, dit Benjamin Schoos. Et puis, on a rassemblĂ© les choses quâon aimait : rock lo-fi, post punk et pop française⊠DĂšs le dĂ©part, notre ADN est alternatif, mais sans excĂšs de jeunisme parce que nos premiĂšres sorties, câĂ©tait Jacques Duvall et Marie France, des personnalitĂ©s qui Ă©taient lĂ depuis un moment, cultes, un peu sĂ©rie B de la musique. On sâest retrouvĂ©s un peu Ă la mode parce que câĂ©tait lâĂ©poque des bĂ©bĂ©s rockeurs en France qui revisitaient justement ces artistes, si bien que ces albums se sont un peu plus vendus que ce qui Ă©tait prĂ©vu. Ils continuent dâailleurs de se vendre ». Et voilĂ comment Freaksville est devenue la maison de la pop française âde sĂ©rie Bâ.
Lâexigence plutĂŽt que le style Ce qui pose aussi la question : un succĂšs pousse-t-il Ă rester sur la mĂȘme vague ? « Ăa, câest une stratĂ©gie plus industrielle de major, dit Marc Hollander. Je ne pense pas que câest quelque chose quâil faut faire quand on est un label indĂ©pendant dont les gens apprĂ©cient la ligne artistique, ou, disons, âlâexigenceâ. Il faut se contenter de faire ce quâon sait faire. Il ne faut pas courir aprĂšs les choses si tu ne le sens pas, sous prĂ©texte que ça va marcher. Parce que ce nâest pas dit non plus que ça va marcher »
Ainsi, plus quâun style musical et plutĂŽt que de suivre les tendances, câest peut-ĂȘtre la philosophie dâun label qui lui permettra de faire son trou et de rester pertinent Ă travers les Ăąges et les modes. Chez Sub Rosa, « on a toujours Ă©tĂ© Ă contre-courant, dit Guy-Marc Hinant. LâidĂ©e de suivre une tendance musicale, câĂ©tait mĂȘme un repoussoir. Quand on a commencĂ©, en 1987, on ne savait pas ce quâon voulait faire, mais on savait exactement ce quâon ne voulait pas faire, Ă savoir le circuit classique : disque, promo, tournĂ©e. Ce qui nous intĂ©resse, câest de crĂ©er du lien. Câest pour ça quâon a sorti des choses que personne ne sortait. Petit Ă petit, une communautĂ© sâest créée autour de nous. Jâimagine que le fait dâĂȘtre Ă la marge nous a permis de trouver plus facilement notre public »
MĂȘme sentiment chez Crammed : « Les gens nous suivent dans de nombreux pays, ils ne sont pas forcĂ©ment nombreux mais on a une certaine rĂ©putation Ă lâinternational et un public qui nous suit et se dit : « Si ça sort chez Crammed, câest que ça vaut la peine ». Câest comme ça quâon reste pertinent et quâon dure, je pense ».
Ăconomie digitale
Lâexigence plutĂŽt que le style. Mais en plus des Ă©volutions musicales, les labels doivent faire face Ă lâĂ©volution de lâindustrie. Et se rendre compte quâĂ lâĂšre du streaming et des rĂ©seaux sociaux, ils ne sont plus forcĂ©ment indispensables. De nombreux artistes prĂ©fĂšrent crĂ©er leur propre structure : « Pour la musique que je fais, il nây a pas besoin dâĂȘtre soutenu par un label, dit Le Motel, producteur Ă©lectro qui a créé son propre label, Maloca. Lâimportant, câest de bien sâentourer : un manageur, un tourneur, un Ă©diteur qui va dĂ©goter les droits dâauteur, quelquâun pour faire la promo et un distributeur qui tâaide Ă ce que ta musique soit visible sur les plateformes » Dans le milieu hip-hop, on va encore plus loin. Beaucoup de rappeurs montent ainsi leur propre label et cherchent un âdealâ de distribution en France, « lĂ oĂč se trouve le marchĂ© » (Hamza). Le style est tellement populaire que les rappeurs cherchent Ă ĂȘtre eux-mĂȘmes des marques. Pour des labels indĂ©s qui fonctionnent encore âĂ lâancienneâ, câest une autre philosophie. « On a bossĂ© avec PNL et Jul Ă leurs dĂ©buts, dit Benjamin Schoos. On nâĂ©tait pas sur la mĂȘme page. Ce sont des auto-entrepreneurs, presque sur le modĂšle des influenceurs. Câest trĂšs liĂ© Ă lâĂ©conomie digitale. Ăa ne collait pas avec ce quâon faisait ». On en revient aux paroles du sage : faire ce quâon sait faire.
La voie alternative Quelle est la plus-value dâun petit label aujourdâhui, Ă lâheure du tout digital ? Câest sans doute de fouiller toujours un peu plus vers lâalternatif, lĂ oĂč personne ne pense aller, et continuer de surprendre. Exemple avec le label bruxellois Vlek. « Je pense que les stratĂ©gies ne portent pas tant sur les tendances musicales que sur les concepts, les idĂ©es, dit Thomas Van de Velde. Notre derniĂšre sortie, câest Maxime Denuc qui a fait un disque techno sur un orgue dâĂ©glise. Et ça marche, on a tout vendu. Chanel nous a achetĂ©s des morceaux pour un dĂ©filé⊠On pourrait dire quâil y a une trame de fond, que lâorgue est revenu Ă la mode depuis quelques annĂ©es, et câest vrai. Ou alors dire que le concept est assez singulier et que le disque surprend. Câest probablement un peu des deux ».
Il ajoute : « Jâai appris une ou deux choses au bout de dix ans, câest que la production musicale est elle-mĂȘme un art. En ce sens que Maxime est venu avec une idĂ©e et quâil a fallu la concrĂ©tiser » On touche peut-ĂȘtre un point central : le parcours artistique dâun label nâest en fait pas trĂšs diffĂ©rent de celui dâun artiste. Il Ă©volue au fil des rencontres, des remises en question, de dĂ©couvertes, de lâĂąge⊠Et ça passe ou ça casse. Mais il ne faut pas oublier lâessentiel : « Une musique, câest un vecteur dâĂ©motion, continue Thomas Van de Velde. Elle doit toucher des gens. Ils ne doivent pas ĂȘtre des millions⊠mais quelques-uns quand mĂȘme. Câest ça qui me motive. Et quand tu as des retours sur ce que tu sors, câest aussi motivant ».
Les tournĂ©es Ă lâheure de la crise Ă©nergĂ©tique
TEXTE : NICOLAS ALSTEEN
AprĂšs une pause forcĂ©e, infligĂ©e par la crise sanitaire, les artistes et leur entourage sont dĂ©sormais confrontĂ©s Ă lâinflation, mais aussi Ă une flambĂ©e des prix de lâĂ©nergie. Sur la route des tournĂ©es, les surenchĂšres Ă la pompe Ă essence ne sont pas sans consĂ©quences.
Ă la veille des festivals dâĂ©tĂ©, les concerts se cherchent des solutions durables face aux Ă -coups du monde de la finance.
«Depuis quelques temps, les crises se succĂšdent sans nous laisser le temps de respirer », constate Maxime Lhuissier, responsable dâOdessa, une agence artistique qui chapeaute les tournĂ©es de groupes tels que Glauque, Condore, Glass Museum, Tukan, Dan San ou Under The Reefs Orchestra. « Notre gros problĂšme, câest lâabsence de perspectives, poursuit-il. Nous sommes systĂ©matiquement mis au pied du mur, sans alternative ni solution raisonnĂ©e. Avant 2019, ce nâĂ©tait dĂ©jĂ pas simple de monter une tournĂ©e. Mais aujourdâhui, câest juste compliquĂ©. On dirait que le monde sâobstine Ă nous mettre des bĂątons dans les roues. » Dans une salle de concerts comme le Botanique, de nombreux spectacles se volatilisent dâailleurs en cours de route. « Au lendemain de la pandĂ©mie, le Covid Ă©tait un motif dâannulation frĂ©quemment invoquĂ©, prĂ©cise le programmateur musical Olivier Vanhalst. Ă prĂ©sent, câest diffĂ©rent. Nous faisons face Ă une situation inĂ©dite. Des groupes connus ou Ă©mergents, dont les tournĂ©es passent par les meilleures salles europĂ©ennes, sont amenĂ©s Ă annuler leurs dates. Juste parce quâelles sont injouables sur le plan financier. »
Entre les corollaires de la guerre en Ukraine et lâinflation, les coĂ»ts de la vie explosent. « Tickets dâavion, de train, vĂ©hicules de location, essence, nourriture : tous les prix partent Ă la hausse », rĂ©sume Oliver Vanhalst. « Comme les coĂ»ts de production augmentent, la part allouĂ©e aux rĂ©munĂ©rations artistiques diminuent », signale pour sa part Damien Aresta qui, au sein de lâagence de booking Julia Camino, se charge dâorganiser les tournĂ©es de Gros CĆur, Commander Spoon ou Annabel Lee. « Je travaille uniquement avec des artistes Ă©mergents et des groupes en dĂ©veloppement. Câest important de le prĂ©ciser. Car, pour ces gens, les concerts restent des Ă©tapes obligatoires. MalgrĂ© lâinflation et la flambĂ©e des prix de lâĂ©nergie, nous nâavons pas le choix : il faut partir en tournĂ©e. Câest un moyen de subsistance, mais aussi la seule façon efficace de se faire connaĂźtre du public. La succession des crises nous amĂšne Ă revoir notre façon de penser. Aujourdâhui, il ne sâagit plus de savoir comment gagner de lâargent avec les tournĂ©es, mais comment Ă©viter dâen perdre. »
Lâorchestre fantĂŽme
« Pour colmater les pertes ou, du moins, faire correspondre les prix Ă la rĂ©alitĂ©, jâessaie dâobtenir des cachets plus Ă©levĂ©s auprĂšs des organisateurs », indique Maxime Lhuissier. « Les agents nous demandent effectivement des montants artistiques de plus en plus Ă©levĂ©s, confirme-t-on du cĂŽtĂ© du Botanique. Mais, cela se rĂ©percute inĂ©vitablement sur le prix des tickets. Reporter la hausse des prix sur le public, câest dangereux. Parce que les gens sont dĂ©jĂ extrĂȘmement sollicitĂ©s par ailleurs. Ă partir du moment oĂč notre travail se concentre sur les prestations dâartistes Ă©mergents, nous nous efforçons de rester dĂ©mocratiques et de pratiquer des prix dâentrĂ©e raisonnables. Nous essayons de ne pas dĂ©passer la barre des vingt euros⊠» Afin de compenser les pertes consenties pour partir en tournĂ©e, certains imaginent toutefois des subterfuges. « Plusieurs artistes se privent dĂ©libĂ©rĂ©ment de musiciens. Il sâagit alors de dĂ©barquer sur scĂšne en solo puis, depuis la console, dâenvoyer toutes les orchestrations sur bandes prĂ©enregistrĂ©es. Pour notre secteur, ce serait terrible de voir cette pratique se gĂ©nĂ©raliser. Câest pourtant un modĂšle qui fait son chemin⊠»
Jouer plus pour gagner moins
« Les artistes ne jouent pas moins de concerts quâavant la crise sanitaire, assure Maxime Lhuissier, chez Odessa. En revanche, ils gagnent moins bien leur vie. Pour retrouver un niveau comparable Ă celui dâavant le Covid, nous sommes obligĂ©s dâajouter des dates. Avec Dan San, par exemple, nous prĂ©parons actuellement un plan de tournĂ©e pour lâĂ©tĂ© et la rentrĂ©e 2023. Quand il sâagit de se dĂ©placer Ă six ou sept dans un van, il convient dâanticiper les dĂ©penses. LĂ , un festival situĂ© Ă 700 bornes de LiĂšge vient
de nous solliciter. Câest excitant, Ă©videmment. Mais sans amĂ©nager dâautres concerts en amont ou sur le chemin du retour, ce ne sera pas jouable de se produire sur une date unique comme celle-lĂ . RĂ©cemment, avec Glauque, jâai dâailleurs dĂ» dĂ©cliner une offre pour un super festival organisĂ© dans le nord de lâItalie. Le cachet proposĂ© Ă©tait trĂšs correct. Le problĂšme, câest que parcourir mille kilomĂštres dans un sens, puis dans lâautre, pour jouer un seul concert, ce nâest plus possible. Avant, un tel plan aurait certainement abouti. Ă prĂ©sent, câest le meilleur moyen de revenir en Belgique avec le portefeuille trouĂ©. » Le constat est partagĂ© par Damien Aresta : « Il y a quelques semaines, le groupe Annabel Lee a jouĂ© une date en Auvergne, retrace-t-il. Pour jouer ce concert, nous avons dĂ» trouver deux autres engagements sur le chemin du retour. Sans ça, impossible dâassurer lâĂ©quilibre financier de la tournĂ©e. » En vue dâamortir leurs frais de dĂ©placement Ă lâĂ©tranger, les artistes de la FĂ©dĂ©ration Wallonie-Bruxelles ont toutefois lâopportunitĂ© dâobtenir des interventions financiĂšres auprĂšs dâun organisme comme WBI (Wallonie-Bruxelles International). « Il faut alors remettre un dossier, justifier des dĂ©penses et rencontrer toute une sĂ©rie de critĂšres et dâexigences. Câest beaucoup de paperasserie, mais ce genre dâaide nâest pas nĂ©gligeable. Dans le contexte actuel, câest mĂȘme une vĂ©ritable bulle dâair. »
Oliver Vanhalstâ BotaniqueDes solutions dâavenir
Face Ă lâinflation et Ă la flambĂ©e des prix de lâĂ©nergie, la pertinence de certains postes est parfois remise en cause. « Partir en tournĂ©e avec un ingĂ©-lumiĂšre, par exemple, câest devenu un sacrĂ© luxe, affirme Maxime Lhuissier. GĂ©nĂ©ralement, câest la premiĂšre fonction qui saute. Pourtant, câest un mĂ©tier important, parce quâil permet dâajouter une dimension visuelle et dâamĂ©liorer la qualitĂ© du spectacle proposĂ©. Mais nous sommes obligĂ©s de nous adapter au contexte Ă©conomique qui Ă©volue partout, mĂȘme dans les festivals dâĂ©tĂ©, oĂč les offres âall-inâ tendent Ă se gĂ©nĂ©raliser. Par le passĂ©, il Ă©tait possible de nĂ©gocier un cachet, puis dây ajouter des frais de logement, de dĂ©placement ou de catering. DĂ©sormais, les offres proposĂ©es par les festivals incorporent lâensemble des points de nĂ©gociation. Dans certains cas, cela signifie que nous devons prendre les coĂ»ts de lâhĂŽtel Ă notre charge, par exemple. »
Câest que, du cĂŽtĂ© des festivals dâĂ©tĂ©, la crise Ă©nergĂ©tique se fait aussi sentir. « Cette crise menace notre Ă©quilibre, dĂ©plore Jean-Yves Laffineur, le directeur dâEsperanzah! Nous allons devoir prendre des mesures pour rĂ©duire la facture, nous dĂ©barrasser du superflu. Chaque Ă©lĂ©ment posĂ© sur le site devra rĂ©pondre Ă une nĂ©cessitĂ© absolue. » Depuis lâan dernier, les Ă©quipes dâEsperanzah! misent dâailleurs sur une forme de dĂ©croissance. « Notre site a atteint une taille critique. Il nous est impossible dâabsorber la croissance des coĂ»ts en augmentant la jauge du festival. Nous allons donc rĂ©duire la voilure. La crise Ă©nergĂ©tique risque de nous affecter directement, mais aussi indirectement, souligne encore Jean-Yves Laffineur. Ă cĂŽtĂ© des investissements inhĂ©rents Ă la mise en Ćuvre du festival, nous assistons Ă une diminution du pouvoir dâachat de la population. La Belgique regorge de festivals. Il y a une dizaine dâannĂ©es, il Ă©tait envisageable dâacheter des tickets pour trois ou quatre Ă©vĂ©nements diffĂ©rents. Ce temps-lĂ est rĂ©volu. DĂ©sormais, les gens vont devoir faire des choix⊠La situation est donc extrĂȘmement prĂ©occupante. Paradoxalement, je reste optimiste. Ce nâest pas la premiĂšre crise Ă laquelle nous sommes confrontĂ©s. Nous avons toujours rĂ©ussi Ă nous adapter, en innovant et en trouvant des solutions dâavenir. »
« Tickets dâavion, de train, vĂ©hicules de location, essence, nourriture : tous les prix partent Ă la hausse »
Le Baixu Cercle vertueux de la beauté
Prononcez-le âbaĂŻchouâ. La salle de concert a ouvert ses portes Ă Tours & Taxis, en septembre 2022. Créée par Martine Renwart et Emmanuel De Ryckel, ses ambitions dĂ©passent le cadre dâune âsimpleâ programmation et le lieu
entend rĂ©unir toutes les populations du quartier en proposant dâautres types dâactivitĂ©s, tant culturelles que sociales. Ici, les maĂźtres-mots sont : rencontre, mixitĂ© et inclusivitĂ©. PrĂ©sentation et visite guidĂ©e avec la maĂźtresse des lieux.
Pour sây rendre, on peut emprunter le nouveau pont qui enjambe le canal entre le quartier de la gare du Nord et la rue Picard qui mĂšne Ă Tours & Taxis. La vue est parsemĂ©e de chantiers de construction et, ce matin-lĂ , la vie sâĂ©veille doucement dans les entrepĂŽts devenus galeries marchandes : âconcept storeâ, clinique esthĂ©tique, bureau dâarchitectes, quelques restaurants et snacks chics-bios, spa oriental, antiquitĂ©sâŠ. Le quartier change, câest sĂ»r, le renouveau est en marche. Ă quel prix ?
LâentrĂ©e du Baixu se trouve un peu plus loin, prĂšs de lâĂcole de Cirque. Une affiche Ă©lĂ©gante, une typologie soignĂ©e : câest lĂ , en bas de lâescalier. Tout nouveau, tout beau, lâendroit vit sa premiĂšre saison dans le sous-sol de lâancien site industriel. Ces âcavesâ, pour lâinstant sous-employĂ©es, seront sĂ»rement un jour la rĂ©plique souterraine des galeries en surface mais, pour lâheure, ce sont surtout des couloirs, murs en briques et grosses portes en bois brut. Seuls vivants en ces lieux : la coopĂ©rative Permafungi et son voisin : le Baixu.
Lâendroit est chaleureux. Si la brique apparente et le style industriel ont Ă©tĂ© prĂ©servĂ©s, aucune concession nâa Ă©tĂ© faite quant Ă la praticabilitĂ© pour les artistes. Martine tĂ©moigne : « Quand jâai dĂ©couvert la cave, elle avait 100 ans de poussiĂšres, pas dâeau, pas dâĂ©lectricitĂ©, rien du tout » et elle ajoute en riant quâil a bien fallu « un petit brin de folie pour se lancer lĂ -dedans ». âSe lancer lĂ -dedansâ a commencĂ© par des travaux : peindre, Ă©chafauder, dĂ©corer et, surtout, garantir une acoustique irrĂ©prochable. En la matiĂšre, on aurait difficilement pu faire mieux : le Baixu a fait appel au mĂȘme acousticien que⊠Flagey, La Monnaie et Bozar. Un trĂšs bon piano complĂšte le tableau.
Car, cĂŽtĂ© concerts, on sâoriente vers les rĂ©pertoires du classique, du jazz et des musiques du monde. Chaque mardi soir, on peut aussi participer (ou assister) gratuitement Ă une jam âĂ thĂšmeâ : manouche, handpan ou âRoda de Choroâ dâascendance brĂ©silienne. Du cĂŽtĂ© des artistes, on sâest dĂ©jĂ bien passĂ© le mot. « Je pourrais faire cinq concerts par jour tous les jours de lâannĂ©e ! ». Les propositions affluent, il nây a âplus quâĂ â fidĂ©liser le public, ce qui ne devrait pas ĂȘtre trop difficile car lâendroit peut aussi sâenorgueillir dâune qualitĂ© dâaccueil avec une capacitĂ© de 80 Ă 130 personnes, un bar autour duquel tout le monde se cĂŽtoie gaiement aprĂšs-spectacle et une salle modulable oĂč lâon peut jouer aussi bien sur la scĂšne que dans le coin salon ou encore au milieu de la salle, entouré·es du public. Au grĂ© des envies, on le rĂ©pĂšte : lâacoustique est excellente partout.
Mais cet Ă©crin, quâon devine ĂȘtre un formidable outil de travail pour les artistes, est aussi destinĂ© depuis sa gestation Ă un projet
plus large, mĂȘlant culture et vocation sociale. Martine et son associĂ© Emmanuel ont partagĂ© le constat que Bruxelles, vive et multiculturelle, regorge de possibilitĂ©s de rencontres mais manque de lieux conviviaux oĂč les convoquer. Sur le site Internet, ils soutiennent que « lâart sous toutes ses formes (peut) ĂȘtre un levier puissant pour se construire et bĂątir une solidaritĂ© commune ». Un credo forgĂ© par la combinaison de leurs expĂ©riences de vie. Martine a accompli durant quatorze ans des missions sociales au BrĂ©sil⊠aprĂšs une carriĂšre de 12 ans Ă La Monnaie ! Emmanuel, riche dâexpĂ©riences brĂ©siliennes Ă©galement, partageait son envie de favoriser les rencontres en organisant des concerts. Câest ainsi que la âcultureâ et âle socialâ se sont assemblĂ©s autour dâune seule et mĂȘme idĂ©e, concrĂ©tisĂ©e par ce lieu aux multiples ressources.
Leurs buts ? Contribuer au soutien des artistes et encourager lâaccĂšs Ă lâart pour des jeunes qui nây ont pas ou peu accĂšs. Donner un coup de pouce aux jeunes talents, y compris en leur louant la salle Ă des prix attractifs. Et enfin, et surtout, favoriser un mĂ©lange social, culturel et gĂ©nĂ©rationnel.
Câest lĂ tout lâenjeu du projet et en mĂȘme temps sa difficultĂ©, mais les cartons dĂ©bordent dâidĂ©es et dâĂ©nergie : en moins de six mois Martine a dĂ©jĂ tissĂ© des liens avec la Maison des Cultures de Molenbeek, des associations locales, le Centre Communautaire Maritime, le ComitĂ© de Quartier « de lâautre cĂŽtĂ© de la passerelle », etc. Des forces motrices qui viennent complĂ©ter son ancien carnet dâadresses et Ă©largir les perspectives.
Le matin de notre rencontre, Martine et moi sommes seules dans la salle mais « câest rarement aussi calme, le lieu est de plus en plus souvent occupĂ© », confie-t-elle. En journĂ©e, lâouverture se veut maximale : un partenariat est dĂ©jĂ amorcĂ© avec lâĂcole de Cirque en vue des congĂ©s scolaires, un professeur de musique vient rĂ©pĂ©ter certains mercredis aprĂšs-midi avec les enfants du quartier et un projet est aussi en gestation avec le Théùtre Royal de Toone⊠sans compter les rĂ©pĂ©titions, activitĂ©s thĂ©matiques et Ă©vĂšnements privĂ©s qui mettent du beurre dans les Ă©pinards car les instigateurs du Baixu ont pensĂ© Ă tout : sans perspective de subvention au cours de la premiĂšre annĂ©e, lâĂ©quilibre financier est un exercice dĂ©licat qui ne doit pas empĂȘcher la juste rĂ©munĂ©ration des artistes, ni lâaccessibilitĂ© au plus grand nombre.
âBaixuâ signifie âbeauâ en langue PataxĂł. Ainsi les BrĂ©siliens ont-ils baptisĂ© leur Maison de la Culture lorsque Martine menait ses activitĂ©s auprĂšs dâeux. Aujourdâhui, avec son associĂ©, elle baptise de la mĂȘme maniĂšre son propre vivier, sa propre terre dâĂ©changes. Une invitation Ă la rencontre suscitĂ©e par tout ce qui est beau. On a envie dây croire.
Musique en ville : vaste débat
DOSSIER : DIDIER STIERS
Par les temps qui courent, pas simple dâĂȘtre un club ou une salle de concerts⊠quand on a des voisins ! Entre les âpas dans mon jardinâ
(le fameux NIMBY) et âil faut dĂ©fendre la cultureâ, mĂȘme les politiques semblent avoir du mal Ă faire valoir des idĂ©es claires. Sinon, le Fuse, ça vous dit quelque chose ?
«La pollution sonore dans nos villes va croissant, brisant la vie de nombreux citoyens europĂ©ens. Plus quâune nuisance, le bruit excessif constitue un risque sanitaire, contribuant par exemple aux maladies cardiovasculaires. Pour protĂ©ger notre santĂ©, nous devons agir, contre les nombreuses sources de pollution sonore, des vĂ©hicules motorisĂ©s aux boĂźtes de nuits et concerts bruyants. » Ainsi parlait en octobre 2018, non pas Zarathoustra, mais le Dr. Zsuzsanna Jakab, devenue directrice gĂ©nĂ©rale adjointe de lâOrganisation Mondiale de la SantĂ© un an plus tard. Alarmiste, son commentaire ? Ăa dĂ©pend : en Europe, plus de 20% de la population est touchĂ©e par la pollution sonore, le bruit Ă©tant considĂ©rĂ© comme la seconde nuisance ayant un effet sur la santĂ©. On parle bien de âbruitâ, pas uniquement de âsonâ. Les plus exposĂ©s : les gens qui vivent en ville, oĂč cette pollution nâest pas juste le produit du trafic routier ou aĂ©rien mais aussi de tout ce qui est liĂ© Ă lâactivitĂ© humaine. La chose a Ă©tĂ© bien entendue par nos autoritĂ©s. RĂ©sultats : ces derniĂšres annĂ©es, la lĂ©gislation en la matiĂšre est devenue plus contraignante et, certes, ce nâest pas toujours une mauvaise chose.
Pourtant⊠âLa musique nâest pas un bruitâ, rĂ©plique-t-on un peu partout dans les milieux concernĂ©s. Live DMA, le rĂ©seau europĂ©en, non officiel mais reconnu par la Commission, attachĂ© Ă la dĂ©fense de la musique live, en fait son leitmotiv. La musique, câest de lâart, de la diversitĂ©, de lâexpression et donc de la libertĂ© dâexpression. Quelques voisins du Fuse, haut lieu de la techno Ă Bruxelles depuis des lunes, ne lâont manifestement jamais entendu de la sorte. Et dĂ©but 2023, ce paradis de la musique Ă©lectronique doit fermer ses portes, suite Ă un ArrĂȘtĂ© du gouvernement bruxellois et la plainte dâun voisin. Impossible pour ses exploitants de respecter le prescrit en vigueur, Ă savoir ne pas dĂ©passer les 95dB et cesser ses activitĂ©s Ă deux heures du matin. Peu de temps aprĂšs pourtant, suite Ă un assouplissement des mesures imposĂ©es par lâAdministration, le Fuse rouvre.
Lorenzo Serra â Brussels By Night Federationbruyant que les autres. « Les artistes se rendent bien compte de la taille de la salle. Ăa ne sert Ă rien dây jouer trop fort parce que ça va ĂȘtre plus gĂȘnant quâautre chose. Et de toute maniĂšre, on demande en gĂ©nĂ©ral de ne pas excĂ©der 95dB. Plus, ça ne se justifie pas dans un petit club comme le nĂŽtre. » Ă LiĂšge, du cĂŽtĂ© du KulturA, imbriquĂ© dans les bĂątisses de la rue Roture, on ne dit pas autre chose. « Pas trop de problĂšmes de voisinage, commente âJFâ Jaspers. Nous nâavons jamais eu de plainte. Mais oui, au dĂ©but, nous avons dĂ» effectuer quelques travaux. » Au Fuse, on en a dĂ©jĂ effectuĂ©, on en a fait rĂ©aliser chez le voisin mĂ©content aussi mais ils ont manifestement Ă©tĂ© insuffisants. Et en faire plus semble impossible, techniquement comme financiĂšrement parlant.
Renvois de balle
Alors oui, le Fuse a rouvert. Mais pour combien de temps, sâeston vite demandĂ© ? Et puis, câest lâimbroglio qui sâinstalle : la direction du club dĂ©clare son intention de dĂ©mĂ©nager dans les deux ans. Et mi-fĂ©vrier, on apprend quâune âtask forceâ, dirigĂ©e par le ministre-prĂ©sident de la RĂ©gion de Bruxelles-Capitale Rudi Vervoort (PS), Ă©tudie les divers paramĂštres de la situation et envisage des pistes pour la rĂ©soudre. Notamment : la possibilitĂ© dâexproprier les immeubles avoisinants et lâinscription de certains clubs comme le Fuse au patrimoine immatĂ©riel du pays !
InterpellĂ© mi-fĂ©vrier en Commission Environnement/Ănergie, Alain Maron, ministre (Ăcolo) du gouvernement de la RĂ©gion de Bruxelles-Capitale chargĂ© de la transition climatique, de lâenvironnement, de lâĂ©nergie et de la dĂ©mocratie participative, revenait sur ces diverses pistes. « La Ville de Bruxelles et la RĂ©gion pourraient exproprier des immeubles environnants et leur donner une autre affectation que celle du logement, ce qui pourrait en partie rĂ©soudre la question puisquâil nây aurait plus de plaignant. » Et dâautre part : « Si lâinscription de certains clubs au patrimoine immatĂ©riel ne suffirait pas en soi, elle pourrait toutefois avoir un effet sur la mise en Ćuvre dâautres lĂ©gislations comme le Code bruxellois de lâamĂ©nagement du territoire ou mĂȘme des lĂ©gislations environnementales. Tous ces Ă©lĂ©ments sont souvent reliĂ©s les uns aux autres et nâont pas de sens de façon isolĂ©e. Ils doivent donc ĂȘtre pris comme un ensemble Ă traiter conjointement. » Traduction : on y verra plus clair quand la âtask forceâ aura fini de âtaskerâ.
Selon les cas
Depuis les quatre ans quâil est coordinateur Ă lâAtelier Rock de Huy, Patrice Saint-Remy nâa jamais eu Ă vivre une situation de ce genre. âĂa aurait puâ se dit-on pourtant, quand on voit oĂč et comment est implantĂ©e la salle hutoise, enchĂąssĂ©e dans un bloc de bĂątiments⊠Un peu comme le Fuse, finalement, symbole de la difficultĂ© de faire de la musique en ville. Sauf quâĂ droite de lâAtelier Rock, il sâagit de la maison des jeunes, inoccupĂ©e le soir. Et Ă gauche, câest un casino qui sâest installĂ©, coiffĂ© par des appartements. « Il y eu des soucis avant que je nâarrive, commente-t-il. Ă lâarriĂšre de la salle, il y avait des vitres, donnant sur une petite rue fort Ă©troite et qui faisait donc un peu caisse de rĂ©sonance. Il a Ă©tĂ© demandĂ© que ce soit calfeutrĂ©. Câest principalement une voisine qui se plaignait tout le temps. Mais je pense quâelle nâhabite plus dans le quartier. Nous nâavons plus reçu de plaintes. » Le son, lui, nâa pas Ă©tĂ© totalement contenu⊠« Il nây a pas eu de rĂ©clamations de la part des autres voisins. En mĂȘme temps, on fait attention Ă ne pas jouer Ă 140 dB⊠»
Aujourdâhui Ă lâAtelier Rock, on ne se tracasse plus vraiment parce que tel ou tel groupe programmĂ© pratique un genre plus
Quelles rĂšgles pour les clubs ? Il aura fallu attendre un bon moment avant que des rĂšgles claires ne soient Ă©tablies quant au niveau sonore admis dans les salles. La problĂ©matique Ă©tait en effet scrutĂ©e depuis des annĂ©es. En 2007, par exemple, lâasbl Modus Vivendi travaillait dĂ©jĂ avec les autoritĂ©s Ă lâĂ©laboration dâune âcharte du bien-ĂȘtre dans les milieux festifsâ, charte dont les signataires se voyaient dĂ©cerner un label de qualitĂ©. Parmi les critĂšres Ă respecter, celui du niveau sonore, justement : « Agir pour limiter les risques de nuisances sonores au moyen, soit de la mise Ă disposition de bouchons dâoreilles, soit dâun avertissement au public du niveau sonore Ă©mis, ou encore par le placement dâun limiteur de bruit respectant les normes sonores europĂ©ennes ».
Ă Bruxelles, les rĂšgles ont Ă©tĂ© fixĂ©es dans lâArrĂȘtĂ© (rĂ©gional) du 21 fĂ©vrier 2018. Trois seuils sont distinguĂ©s, valables pour les soirĂ©es en intĂ©rieur comme pour les concerts en clubs ou en salles.
Aucune condition nâest posĂ©e
en-dessous de 85dB, voilĂ pour le premier seuil. JusquâĂ 95dB, le public doit ĂȘtre informĂ© des risques liĂ©s aux niveaux sonores, le niveau sonore doit ĂȘtre affichĂ© en temps rĂ©el et, aprĂšs minuit, doit ĂȘtre enregistrĂ©. TroisiĂšme seuil : au-dessus de 100dB, comme⊠dans les clubs.
OĂč lâon doit pouvoir disposer de bouchons, avoir accĂšs Ă une zone oĂč le niveau ne dĂ©passe pas 85dB, tandis que les niveaux doivent ĂȘtre enregistrĂ©s et ces enregistrements conservĂ©s. Et lĂ , enfin, une personne de rĂ©fĂ©rence veille au respect de ces conditions.
Et en Wallonie, alors ?
Un ArrĂȘtĂ©, concoctĂ© par Carlo Di Antonio, a Ă©tĂ© publiĂ© le 13 dĂ©cembre 2018 sous lâintitulĂ© âArrĂȘtĂ© du Gouvernement wallon fixant les conditions de diffusion du son amplifiĂ© Ă©lectroniquement dans les Ă©tablissements ouverts au publicâ. Avec la prĂ©cision suivante : âEntrĂ©e en vigueur Ă dĂ©terminer par le Gouvernementâ. Laquelle entrĂ©e en vigueur nâa toujours pas eu lieu et dâici Ă ce que cela arrive, câest toujours un ArrĂȘtĂ© royal de 1977 qui prĂ©vautâŠ
« La gentrification a attirĂ© les familles⊠les enfants dĂ©barquent et on se plaint dâun bruit venant de lieux quâon a jadis frĂ©quentĂ©s. De nombreux clubs nây ont pas survĂ©cu. »
Le principe dâantĂ©rioritĂ©
LâidĂ©e est simple : si vous emmĂ©nagez dans les environs dâun aĂ©roport, dâune scierie ou dâune salle de concerts, vous devez savoir que vous risquez dâentendre un peu de bruit : lâĂ©tablissement Ă©tait lĂ avant et, pour peu quâil respecte les rĂ©glementations en vigueur â notamment celles relatives aux nuisances sonores â, il nây aura pas de raison de venir sâen plaindre. La fermeture initiale du Fuse a inspirĂ© la Brussels By Night Federation qui a demandĂ© quâon puisse sâinspirer de ce principe. Un principe dâapplication ailleurs, dans des villes riches en clubs comme Londres (les Anglo-Saxons lâappellent âlâagent of changeâ) ou Ă Berlin dont la ânuitâ a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©e âpatrimoine culturel immatĂ©rielâ. Mais pas chez nous. Comme lâexpliquait Lorenzo Serra de la Brussels By Night dans La Libre, ce principe peut avoir son utilitĂ© : « Dans les annĂ©es 90, beaucoup dâhabitants se sont installĂ©s Ă Berlin-Est. CâĂ©tait cool dây habiter. Et on sait comment ça se passe. La gentrification a attirĂ© les familles avec enfants. Les prĂ©occupations des habitants changent, les enfants dĂ©barquent et on se plaint dâun bruit venant de lieux quâon a jadis frĂ©quentĂ©s. De nombreux clubs nây ont pas survĂ©cu. » Chez nos voisins français, lâidĂ©e fait Ă©galement son chemin : suite Ă un rapport du ministĂšre de lâIntĂ©rieur sur le rĂŽle touristique de la nuit, Paris sây est mis dĂšs 2016.
InterpellĂ© Ă ce sujet Ă©galement mi-fĂ©vrier, le ministre Alain Maron a rĂ©pondu : « Le fait que le Fuse existe Ă cet endroit depuis des annĂ©es peut amener Ă sâinterroger sur les choix des riverains et leur perception de cette nuisance qui prĂ©existe Ă leur installation. NĂ©anmoins, il convient de faire correspondre la prĂ©sence de ce type de lieu festif avec des objectifs de qualitĂ© de vie. » Et de prĂ©ciser : « Sâagissant de la question de lâagent de changement ou celle de lâantĂ©rioritĂ©, elle ne pourrait pas sâappliquer pour le Fuse, car si une dĂ©cision Ă©tait prise en ce sens maintenant, elle nâaurait pas dâeffet rĂ©troactif. On pourrait simplement la rendre dâapplication Ă partir dâaujourdâhui mais le Fuse existe depuis longtemps⊠»
Bourgmestre de nuit, câest quoi ? En gros, il sâagit dâune personne chargĂ©e par la Ville de traiter des dossiers relatifs Ă la nuit. Quâil sâagisse dâĂ©conomie, de sĂ©curitĂ©, de culture, de rĂ©soudre avec les autoritĂ©s des diffĂ©rends Ă ces propos ou encore dâinformer, voire dâĂ©duquer, dans ce secteur Ă©galement. Les NĂ©erlandais connaissent bien cette fonction : le ânachtburgemeesterâ Ă Amsterdam fut dâabord un collectif constituĂ© aprĂšs Ă©lection, en 2003, au Melkweg. Elle sâest institutionnalisĂ©e depuis 2014, câĂ©tait alors une premiĂšre mondiale.
En Belgique, on y pense⊠On note des envies, des initiatives, mais pas encore vraiment de coordination. Ă Saint-Trond par exemple, la Ville sâest mise en quĂȘte dâun, dâune ou de plusieurs bourgmestres de nuit : « Des gens sans titre officiel, qui seront chargĂ©s dâamener un nouveau souffle dans la vie nocturne. Les personnes candidates vont ĂȘtre soumises Ă un test : organiser une soirĂ©e⊠». Ă Bruxelles, Ăcolo/Groen a plaidĂ© pour « la dĂ©signation (aprĂšs appel Ă candidatures et Ă projets) dâun.e âBourgmestre de la Nuitâ chargĂ©.e dâĂ©laborer un âplan nuitâ (navette, prĂ©vention, zone âfestiveâ identifiĂ©e, concertation avec les habitant·e·s, gestion des nuisances) ». Envie similaire du cĂŽtĂ© du PS oĂč Delphine Houba, actuelle Ă©chevine de la Culture, du Tourisme, des Grands Ă©vĂ©nements et du MatĂ©riel communal, entendait soutenir « la crĂ©ation dans nos quartiers. Par exemple en mettant Ă disposition des locaux de rĂ©pĂ©tition, renforcer le soutien au secteur musical Ă©mergent et bruxellois (structures de crĂ©ation, studios dâenregistrement, locaux de rĂ©pĂ©tition, festivalâŠ) et lâinstitution dâun âBourgmestre de Nuitâ pour coordonner la vie nocturne Ă Bruxelles (soirĂ©es, Ă©vĂ©nements, lieux, nuisances, confort des riverainsâŠ) ».
Finalement⊠le gouvernement bruxellois crĂ©e en 2020 un Conseil de la Nuit, dĂ©sormais installĂ© au sein de Visit Brussels (lâorganisme dâintĂ©rĂȘt public subsidiĂ© par la RĂ©gion de Bruxelles-Capitale) et composĂ© notamment de la Brussels by Night Federation, la FĂ©dĂ©ration Horeca, 24h Brussels, la Ville de Bruxelles et Visit Brussels. Le hic ? Comme le soulignait
Ingrid Parmentier (Ăcolo) en Commission
Environnement/Ănergie : « Il nâa pas de statut formel et ne compte pas de reprĂ©sentants des habitants vivant Ă proximitĂ© de ces lieux dâactivitĂ©s ni de personnes dĂ©fendant la santĂ© de ceux-ci et qui soient indĂ©pendantes de la Ville de Bruxelles. Pourquoi ne pas institutionnaliser ce Conseil, en effet, avec une composition Ă©quilibrĂ©e qui reprĂ©sente vraiment tous les intĂ©rĂȘts concernĂ©s ? ». En outre, Bruxelles Environnement ne participe pas au Conseil bruxellois de la nuit comme membre effectifâŠ
Bruxelles Environnement
Lâadministration de lâEnvironnement et de lâĂnergie de la RĂ©gion de Bruxelles-Capitale sâappelle⊠Bruxelles Environnement. Câest elle qui est chargĂ©e de concevoir et de mettre en Ćuvre les politiques rĂ©gionales dans toutes les matiĂšres liĂ©es Ă lâenvironnement. Et câest donc elle qui a imposĂ© la fermeture du Fuse, avant de quelque peu revoir sa copie et dâautoriser une ouverture de deux jours par semaine jusquâĂ 7h du matin⊠Autre âphareâ dans le secteur de la musique Ă Bruxelles : Forest National⊠dont le permis dâenvironnement a Ă©tĂ© renouvelĂ© par la mĂȘme administration en dĂ©cembre 2020. LĂ , cĂŽtĂ© bruit, RAS : « Le permis dâenvironnement existant avait dĂ©jĂ intĂ©grĂ© de sĂ©vĂšres conditions pour lutter contre les nuisances sonores. Le bureau dâĂ©tudes en charge de la demande de permis a conclu Ă une absence dâimpact, avec et sans concert. »
Les sorties
Caballero & JeanJass
High & Fines Herbes La Mixtape â Vol. 2 Saison 4
BackInTheDayz
Sous-titrĂ©e pour ĂȘtre vraiment complet : Parce quâon nâa pas fait de mixtape pour les deux premiĂšres saisons. Ok, câest pas trĂšs logique, mais on-sâen-bat-lescouilles, le projet il tue sa mĂšre ! Difficile de parler de retour aux affaires, tant JeanJass et Caballero ont occupĂ© le terrain ces deux derniĂšres annĂ©es. Avec Hat Trick et Doudoune en Ă©tĂ© pour le premier, Oso et Osito pour le second, sans parler des derniĂšres aventures en pays boom-bap de leur projet Zushiboys. Cette fois, câest aux commandes de la sĂ©rie High & Fines Herbes que rempile le duo le plus enfumĂ© du plat pays. La 4e saison depuis la naissance du show en 2017, et une formule qui marche et reste donc inchangĂ©e. InspirĂ©e des shows US du emcee/cuistot Action Bronson ou encore des plus franchouillardes Recettes Pompettes, cette Ă©mission de cuisine stupĂ©fiante a pour ingrĂ©dient principal la marijuana. Six invitĂ©s sây affrontent au fil dâĂ©preuves Ă©piques en quĂȘte du trĂšs convoitĂ© Poumon dâOr⊠Du joint et des jeux ! Parmi les conviĂ©s dans lâarĂšne â du chef Xavier Pincemin Ă lâhumoriste Paul Mirabel, en passant par une kyrielle de rappeurs belges, français et canadiens â, certains figurent au gĂ©nĂ©rique de cette mixtape. Lâartwork fait rĂ©fĂ©rence Ă celui du How High de Method Man et Redman, pĂšres spirituels de JJ & Caba. Si les fans et la nouvelle gĂ©nĂ©ration sây retrouveront (« On fait la musique que les jeunes veulent »), peu de morceaux parviennent ici Ă percer le plafond. On retiendra nĂ©anmoins lâintro efficace de Zumba, les volutes de Beatrice soufflĂ©es par So La Lune, cette douce Vie en vert chantĂ©e par Sopico et JokâAir, ou le savoureux Donut concoctĂ© par Soso Madness et tonton RimâK. â NC
Karim Baggili
Ocho Manos - Tome 1
Autoproduction
Sur ce disque entiĂšrement consacrĂ© au oud, Karim Baggili retrouve ses fidĂšles comparses Youri Nanai et Vivian LadriĂšre ainsi que le superprotĂ©inĂ© Ătienne Serck en sa qualitĂ© dâhabile percussionniste. On y entre par un envoĂ»tant Space cowboy qui dĂ©gaine un genre dâorientalisme de lâOuest. Le ton est donnĂ© : rĂ©invention ! Car si le oud Ă©voque naturellement le Moyen-Orient, tout ce qui est frappĂ© ou pincĂ© sur ce disque invite au tour de monde, au son de rythmes et dâinfluences trĂšs diverses. On entend notamment le PĂ©rou et lâEurope de lâEst mais, si on nây prend pas garde et quâon dĂ©bride lâimaginaire, on se retrouvera aussi en Chine (Zen Zen), au Far West, dans un concert de rock (Homerun, Funny Stuntman) ou mĂȘme, par petites touches, dans un salon mondain de lâĂ©poque baroque. Tout est permis et le voyage nâengage que lâauditeur·rice : on devine que les artistes partagent un rĂ©el plaisir et leur complicitĂ© nourrit une belle performance, surprenante et qui tend Ă lâuniversalitĂ©. â VF
Neolys Superflux
Blue Milk Records
Sur son premier EP 5 titres, Neolys observe le (super) flux des informations diffusĂ©es sur les rĂ©seaux sociaux qui conduit inexorablement « Ă une vie menĂ©e Ă cent Ă lâheure ». Sans donner de leçons, il photographie le moment prĂ©sent avec un sens profond du rĂ©alisme. Voix claire, rythmiques feel good, musicalitĂ© limpide, couplets gĂ©nĂ©rationnels⊠Le garçon nous distille une french pop moderne finalement euphorique pour dresser un constat dĂ©sabusĂ© (DĂ©rangĂ©s, ĂphĂ©mĂšres), mais aussi pour exprimer ses failles sentimentales (Attraction) et ses envies de tout secouer pour trouver sa place dans un monde prisonnier de ses certitudes (Sauvage Ă la production taillĂ©e pour le dancefloor). Fruit de deux ans de travail, cet EP se rĂ©vĂšle bien plus quâune carte de visite. â LL
Fievel Is Glauque
Flaming Swords la Loi Records
Duplex Maelstrom
Zig Zag World/ARC Music
Un âmaelstromâ est un courant marin tourbillonnant et, par extension, un mouvement impĂ©tueux. VoilĂ la banniĂšre de Duplex, avec un premier disque qui dĂ©voile lâimpĂ©tueuse musique dâune rencontre insolite : Didier Laloy et Damien Chierici arpentaient chacun leur univers musical que rien ne prĂ©destinait Ă se rencontrer, jusquâen 2018 oĂč un projet commun fait pĂ©tiller entre eux le dĂ©sir de collaboration. Avec Olivier Cox Ă la batterie audacieuse et Quentin Nguyen aux claviers aĂ©riens, ils cĂ©lĂšbrent lâunion fĂ©conde de lâaccordĂ©on diatonique et du violon Ă travers quatorze titres, chacun comme une porte entrouverte sur une tradition sonore : les Balkans, lâAmĂ©rique latine, la diversitĂ© anglo-saxonne⊠Une invitation au voyage dont on apprĂ©cie la libertĂ©, lâitinĂ©rance et la permĂ©abilitĂ© des frontiĂšres. â VF
Apparu Ă la faveur dâune rencontre impromptue entre la chanteuse bruxelloise Ma ClĂ©ment et le multi-instrumentiste new-yorkais Zach Phillips, Fievel Is Glauque est un ensemble libre et totalement protĂ©iforme. En 2021, leur premier album rassemblait ainsi une trentaine de personnes autour dâun incroyable rĂ©pertoire lo-fi. Sous des mĂ©lodies dâapparence bancales, il y avait un peu de tout : du jazz, de la bossa nova, des souvenirs folk ou yĂ©yĂ©, mais aussi beaucoup dâamour. Le nouveau Flaming Swords reprend plus ou moins les mĂȘmes ingrĂ©dients, en amĂ©liorant sensiblement la recette. EnregistrĂ© Ă Forest, en compagnie de Daniel Bleikolm (Robbing Millions, Mathilde Fernandez), ce deuxiĂšme essai se faufile entre jazz, dream pop et rock expĂ©rimental pour servir dix-huit titres hors du temps et des tendances. Tout juste revenu dâune tournĂ©e amĂ©ricaine aux cĂŽtĂ©s de Stereolab, le duo belgo-amĂ©ricain prend, une fois encore, tout le monde par surprise. â NA
EDGES
The End Of The F***ing World Igloo Records
Voici enfin lâalbum complet de EDGES, le groupe formĂ© par Guillaume Vierset dans lequel on retrouve Jim Black (batterie), Anders Christensen (basse) et Dorian Dumont (claviers). On reprend le EP (digital) lĂ oĂč on lâavait laissĂ© en 2021 â avec toutes ses promesses â et on dĂ©veloppe. Et on nâest pas déçu, loin de lĂ . Le guitariste enfonce le clou et continue sa quĂȘte de libertĂ© et de combat. Il profite de son background jazz pour laisser exploser impros et riffs rageurs. « La notion de riffs est importante pour moi, dit-il, ici il nây a pas de grilles dâaccords et on improvise ». Dâailleurs, EDGES souligne bien ses intentions avec I Love Triads, par exemple. « Ce sont les premiers accords de trois sons que lâon apprend Ă la guitare. Le jazz est beaucoup plus complexe et sur cet album, jâassume le fait de jouer simple ». Cela permet aussi au batteur de se libĂ©rer totalement, comme sur le trĂšs dĂ©lurĂ© Better Call Pam. Si Second Round dĂ©marre en douceur, il ne craint pas de partir en vrille. Tout comme AC Blues ou Doctor BartholomĂ© qui possĂšdent leurs lots de surprises. Enfin, The End Of The F***ing World donne la parole Ă David BartholomĂ© (Sharko avec qui Guillaume partage la scĂšne) pour une apothĂ©ose dĂ©sabusĂ©e. « Il a proposĂ© dâĂ©crire des paroles et de chanter sur la compo. Câest une histoire de fin dâamour et ça colle parfaitement au sujet du disque. Rien nâa Ă©tĂ© calculĂ©, câest brut et câest ce que jâaime faire en ce moment ». Cet album, aussi dense que nuancĂ©, oscille entre jazz nerveux et rock acĂ©rĂ©. Un plaisir Ă se mettre dans les oreilles. â JP
Robbing Millions
RĂȘve Party
Capitane Records / Born Losers Records / Requiem Pour Un Twister
AprĂšs Robbing Millions et Holidays Inside, le multi-instrumentiste et chanteur bruxellois revient en grandes pompes avec un troisiĂšme disque joueur et Ă©clectique, RĂȘve Party. En dix ans de carriĂšre, Robbing Millions nous en aura fait voir de toutes les couleurs : rock psychĂ©, pop française ou encore jazz amĂ©ricain, ce vĂ©ritable Ă©lectron libre a toujours bourlinguĂ© entre les styles. Un Ă©clectisme assumĂ© que lâon retrouve avec plaisir sur RĂȘve Party, son dernier album en date : « Il y a un Ă©lĂ©ment de fun et de surprise qui est toujours trĂšs prĂ©sent : quand je vais trop dans une direction, jâessaye inconsciemment de contrecarrer ça avec une partie totalement diffĂ©rente par la suite », explique lâartiste. Niveau surprise, on a rarement fait mieux : nichĂ© derriĂšre les nappes de son synthĂ©tiseur fĂ©tiche â le cĂ©lĂšbre Juno Alpha 1 â ou encore les riffs de guitares imbibĂ©es dâoverdrive et de chorus, Robbing Millions nous emmĂšne dans une dimension nouvelle, jusquâici inexplorĂ©e. InfluencĂ© par ses amis Shags Chamberlain et Judith Kiddo, il nous Ă©tonne â Ă chaque mesure, ou presque â avec des mĂ©lodies poignantes, juste assez dissonantes. « JâĂ©coutais pas mal les Beach Boys ces temps-ci et je me suis rendu compte quâils avaient beaucoup de morceaux qui faisaient un peu collage. Câest ce que je commence Ă faire aussi avec mes structures », ajoute-t-il. Cet effet patchwork se reflĂšte aussi dans les paroles de lâalbum, Ă la fois teintĂ©es de second degrĂ© et trĂšs ancrĂ©es dans le rĂ©el : tantĂŽt en français, tantĂŽt en anglais, lâartiste transpose ses rĂ©flexions les plus intimes sans dĂ©tour ni langue de bois. Une chose est sĂ»re, ce gars-lĂ ne se refuse rien. Et ça fait du bien ! â DT
Lo Bailly ProsaĂŻque (Face A)
30 Février
La musique proposĂ©e par le jeune musicien bruxellois se montre⊠à lâopposĂ© du titre choisi pour ce EP, premiĂšre moitiĂ© dâun album âcompletâ Ă venir. Celle-ci nâa rien de banal ou passe-partout car, depuis son premier single, Mort NĂ©, Lo Bailly impose une Ă©criture acĂ©rĂ©e, un univers propre et un phrasĂ© singulier. Entre spoken word et productions Ă©lectroniques, le gagnant du concours Du F. dans le texte en 2021 dĂ©peint un monde morose et contemple la vie quotidienne se montrant tantĂŽt acteur, tantĂŽt observateur. Dans cette face A, composĂ©e aux cĂŽtĂ©s du batteur Antoine Pierre (VAAGUE) et du producteur Olvo, le pianiste remet en question sa sensibilitĂ© (HS), Ă©voque des dĂ©boires amoureux (Ătoile Filante) et alerte sur la crise migratoire ou climatique dans Palabres. Quand est-ce quâon retourne le disque ? â LH
Aleph Quintet Shapes of Silence
Igloo Records
Ceux et celles qui voudraient mettre Aleph Quintet dans une case en seront pour leurs frais. Ces cinq musiciens venus dâhorizons diffĂ©rents (les Tunisiens Akram Ben Romdhane au oud et Wajdi Riahi au piano et les Français Marvin Burlas au violon, ThĂ©o Zipper Ă la basse Ă©lectrique et Maxime Aznar aux drums) mĂ©langent allĂšgrement et tout naturellement le jazz, la musique orientale traditionnelle avec de la pop, de la fusion et une touche de manouche. Le rĂ©sultat est aussi surprenant que rafraĂźchissant ! Le quintet Ă©vite toutes les Ă©vidences et nous fait galoper (Letâs Go), frissonner (SamaĂŻ) et nous Ă©meut plus dâune fois (Parfums ou Peace). Et sur deux titres, Fabrizio Cassol ajoute une poussĂ©e de fiĂšvre supplĂ©mentaire. Un dĂ©lice. â JP
marcel charivari
Luik Music
Cela faisait longtemps quâon nâavait plus Ă©crit le mot âcharivariâ ! Un terme qui sied Ă ravir Ă ces Arlonnais et pour lesquels on utilisera aussi les termes ânoiseâ ou le plus Ă la mode : âpost punkâ, un style quâon met un peu Ă toutes les sauces ces derniĂšres annĂ©es et sous lequel on regroupe des formations aussi variĂ©es que Shame, Squid, Metz, etc., toutes hĂ©ritiĂšres des 90âs et de stars comme Fugazi, Pixies et autres Sonic Youth ou Butthole Surfers. Bref : pas le temps de sâennuyer avec marcel, la batterie emmĂšne tout son petit monde dans un train dâenfer (Playroom en tĂȘte et son petit cĂŽtĂ© Mountain Bike), ça dĂ©file Ă toute vitesse (six seconds), Ă peine le temps de respirer avec le slacker Salvator mundi quâon arrive Ă bbl et son revival Shaun Ryder / Happy Mondays. Beaucoup de rĂ©fĂ©rences donc pour caractĂ©riser ce âcharivariâ qui nâen manque aucunement, ni de personnalitĂ©, de fun ou de fraĂźcheur. â FXD
The Wild Classical Music Ensemble & Lee Ranaldo
Hell Gate
Le Wild Classical Music Ensemble, dont nous vous avions dĂ©jĂ parlĂ© lors de notre dossier sur lâart outsider (Larsen°49), a donnĂ© naissance Ă un nouvel album avec un invitĂ© de renommĂ©e internationale : Lee Ranaldo, guitariste au sein du groupe Sonic Youth (mais pas queâŠ). Et câest dans le champ de lâart plastique que le band de Damien Magnette a rencontrĂ© Lee : « Lâasbl Wit.h Ă Courtrai organise souvent des expos dâartistes outsiders et le sculpteur Johan Tahon voulait collaborer avec nous â la photo de la pochette de lâalbum est lâune de ses Ćuvres â mais il souhaitait avoir un autre guest. » Et comme Johan connaĂźt bien Lee, la rencontre a pu se faire lors dâun concert Ă Den Hague. LĂ germe lâidĂ©e dâune rĂ©union entre tous les artistes dans lâatelier de Johan Tahon Ă Menin afin de voir si quelque chose se passe et de filmer le processus. La thĂ©matique se centrait sur la perte dâun enfant Ă la naissance, Ă©vĂ©nement tragique que lâartiste a lui-mĂȘme vĂ©cu. « On joue pendant deux jours comme des tordus, la rencontre humaine et musicale se passe extrĂȘmement bien donc on a la matiĂšre pour faire un disque, ce qui nâest pas du tout prĂ©vu⊠» Trois longs morceaux ont Ă©tĂ© sĂ©lectionnĂ©s pour lâalbum, des impros pures avec mĂȘme les commentaires du moment. Entre psychĂ©dĂ©lisme et musique tibĂ©taine, le tout agrĂ©mentĂ© par le son de Lee. Le rĂ©sultat est magique ! â JPL
Anna et Tatiana Sam(o)uil
Il Mondo Felice
Cypres
Elles en rĂȘvaient, elles lâont fait. Les sĆurs Tatiana et Anna Sam(o)uil, la violoniste qui vit Ă Bruxelles et la soprano qui rĂ©side Ă Berlin, signent avec Il Mondo Felice un disque qui consacre leur âamour sororalâ. La playlist peut surprendre, qui va de Bach Ă Strauss en compagnie de lâOrchestre Royal de Chambre de Wallonie et de son chef Vahan Mardirossian. Lâoccasion de savourer le violon de Tatiana dans les concertos BWV 1056 de Bach et N°1 de Mendelsshon, mais surtout dâentendre les deux sĆurs dans quelques tubes. « Ce sont nos Ćuvres prĂ©fĂ©rĂ©es, assument-elles. Elles sont le miroir de nos Ă©motions ». Des piĂšces rĂ©unies par un Ă©tonnant fil rouge, celui quâaurait pu tisser Maria Malibran (1808-1836) Ă laquelle Tatiana et Anna vouent une rĂ©elle admiration. Certaines de ces Ćuvres ont Ă©tĂ© interprĂ©tĂ©es par la diva, qui ne sâenferma jamais dans lâopĂ©ra italien, mais osa aussi Bach et son sublime Erbarme Dich extrait de la Passion selon saint Matthieu ou le bouleversant When I m laid in Earth de Purcell, que lâon retrouve ici. Câest cependant Ă Mendelssohn que lâalbum emprunte son titre Il Mondo Felice, extrait de lâaria Infelice que le compositeur dĂ©dia Ă la Malibran et Ă son amant de BĂ©riot. Au cours de ce parcours guidĂ©, selon Tatiana et Anna, par leur « amour de lâopĂ©ra, de lâexpression lyrique et la beautĂ© de la voix », on croise aussi une adaptation du cĂ©lĂšbre Intermezzo que glissa Mascagni dans Cavalliera rusticana ainsi que lâAve Maria extrait de lâOthello de Verdi, avant de conclure par Morgen !, lâun des quatre Lieder que Strauss offrit Ă sa femme. Lâamour, toujours⊠â SR
Coralien Métronome Autoproduction
AprĂšs quelques mini-cartons sur les plateformes (MĂ©tronome, Aime ou Freedom) et de grosses audiences sur les rĂ©seaux Ă travers des reels Insta ou TikTok aux milliers, voire millions, de vues â welcome dans le nouveau monde de la com 3.0 comme le souligne Coralien â, voici que dĂ©barque donc le premier album du locataire de Louvain-la-Neuve. Coralien ravira les amateur·es de guitares un peu swing (et mĂȘme un peu disco : La pluie), de rythmes mid-tempo et dâarrangements vocaux ludiques. AssurĂ©ment feel good, il y manque encore Juste un truc pour toucher la toute grande foule et trouver la voie des oreilles des fans de Ben MazuĂ© et autres FrĂ©ro Delavega. Il y arrivera sĂ»rement. â FXD
Bandler Ching Coaxial
Sdban Ultra
Dans une veine Ă©lectro-jazz en fusion, la Belgique se taille actuellement la part du lion. AprĂšs les exploits de STUFF., ECHT! ou Tukan, il convient dĂ©sormais de suivre lâitinĂ©raire alternatif tracĂ© par Bandler Ching. Le quatuor bruxellois, guidĂ© par le saxophoniste Ambroos De Schepper (Azmari), se positionne Ă la pointe dâune formule instrumentale passionnante : une bande-son truffĂ©e de rĂ©fĂ©rences hip-hop, de beats Ă©lectromagnĂ©tiques et de super sons psychĂ©dĂ©liques. Au centre des (d) Ă©bats, le saxophone sâappuie sur la basse de Federico Pecoraro (ECHT!), sur la batterie dâOliver Penu (Kel Assouf), sans oublier les nappes synthĂ©tiques dĂ©ployĂ©es par le claviĂ©riste Alan Van Rompuy. Formation dĂ©vouĂ©e au groove, Bandler Ching emballe les neufs morceaux de lâalbum Coaxial sous une pochette imaginĂ©e par Raimund Wong, graphiste connu pour ses collaborations avec Alabaster Deplume ou The Comet Is Coming. Du travail de pro. â NA
Roza SystĂšme Ouvert
Naff
Camille, Tinariwen, Nils Frahm, Bachar Mar-Khalifé⊠Câest rare quâune artiste puisse Ă©voquer une palette aussi variĂ©e de rĂ©fĂ©rences. Mais cette Ă©numĂ©ration savante ne doit pas faire oublier la singularitĂ© de Roza. En huit titres aux mĂ©lodies Ă©purĂ©es par Antoine Flippo (Glass Museum) et Ă lâĂ©criture au plus proche de la nature, cette artiste nomade nous emmĂšne dans son (Ă©co) SystĂšme Ouvert. Voix tutoyant les anges, poĂ©sie citoyenne et cordes pincĂ©es avec Ă©lĂ©gance sur le nâgoni (la guitare traditionnelle malienne), la jeune femme rĂ©vĂšle ses envies dâun monde meilleur. Et on a envie dây croire. Ă la croisĂ©e des continents, ses chansons (les singles Si Petite, Coule Amour et Rappelle-Moi la beautĂ© sont Ă Ă©couter en prioritĂ©) ont des vertus insoupçonnĂ©es qui se renouvellent Ă chaque Ă©coute. â LL
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ArrĂȘt sur image
Alexandre De Bueger
RĂ©alisateur, ce nâest pas forcĂ©ment le job auquel on lâassocie en premier lieu quand on lit son nom. Il serait dâailleurs plutĂŽt musicien, Alexandre, puisquâil a jouĂ© entre autres avec Annabel Lee ou Alaska Gold Rush, avant dâofficier aujourdâhui Ă la batterie pour Ada Oda et Gros Coeur. Pourtant, on peut retrouver sa signature sous un joli paquet de clipsâŠ
dit ne pas trop prendre au sĂ©rieux le âprocessusâ de la vidĂ©o. Jâaime bien ce cĂŽtĂ© un peu potache, un peu bricolĂ©. Il faut que ça reste ludique. » Gros Coeur avait remportĂ© beaucoup de prix lors de lâĂ©dition 2022 du concours Du F. dans le texte.
Quelques noms ? TĂ©mĂ© Tan, par exemple, Mountain Bike et Oberbaum, ou justement, Ada Oda, Gros Coeur et Annabel Lee⊠Sauf quâAlexandre De Bueger ne considĂšre pourtant ni la musique ni la rĂ©alisation comme son mĂ©tier. « Jâai fait une Ă©cole de cinĂ©ma, nous raconte cet ancien de lâINRACI qui avait au prĂ©alable tentĂ© lâIAD, mais jâai un boulot alimentaire sur le cĂŽtĂ©. Je suis monteur, Ă la tĂ©lĂ© principalement. Dâun point de vue crĂ©atif, ce nâest pas trĂšs Ă©panouissant mais ça paie les factures. » Et les clips, alors ? Il sây est mis dâabord pour les groupes dans lesquels il jouait. « Câest un milieu oĂč on est souvent un peu fauchĂ©. Donc, câĂ©tait une facilitĂ© : je trouvais une camĂ©ra Ă prĂȘter et, souvent, je ne me payais pas. On peut brainstormer ensemble sur une idĂ©e plutĂŽt que solliciter un rĂ©alisateur âextĂ©rieurâ qui aura forcĂ©ment des honoraires un peu diffĂ©rents. »
Au sortir de ses Ă©tudes, entre deux ou trois petits boulots, il a Ă©tĂ© stagiaire dans une boĂźte de prodâ qui a travaillĂ© sur lâun ou lâautre clip. Des productions plus ambitieuses⊠« Ăa mâa permis de voir comment ça marche. Mais je me suis vraiment rendu compte que ça ne me plaisait quâĂ moitiĂ©. La pression, le dĂ©corum un peu classique du cinĂ©ma quâon transpose dans les clips, souvent avec un rĂ©alisateur, un directeur photo, des Ă©lectros, toute cette hiĂ©rarchie Ă respecter et puis tout le travail de prĂ©production⊠Pour moi, câest trop stressant, trop intense. » Avec âsesâ groupes ou les groupes de copains et de proches pour lesquels il tourne, Alexandre De Bueger se prend nettement moins la tĂȘte. Ni scĂ©nario, ni dĂ©coupage prĂ©alable, plutĂŽt de lâimpro et de lâexpĂ©rimentation ! « Câest toujours un truc quâon fait ensemble, avec le groupe. Beaucoup de dĂ©cisions sont prises sur le moment mĂȘme. Tout est souvent fait avec des bouts de ficelles mais dans une optique de jeu. »
NĂ© en 1988, il a grandi bercĂ© par MTV et MCM. Grand consommateur dâimages, il est aussi lâauteur dâun travail de fin dâĂ©tudes sur la clipographie de Michel Gondry. Et donc, il voit le clip comme un espace de jeu hyper amusant oĂč tout est permis. Mais sâil devait caractĂ©riser sa touche ? On en revient Ă la mĂȘme idĂ©e, celle de la dĂ©brouille : « Outre la volontĂ© dâĂȘtre un peu ludique et dâexpĂ©rimenter, câest de fonctionner avec trĂšs, trĂšs peu de moyens. Avec trois francs six sous et un peu de bonne volontĂ©, un minimum de connaissances techniques, juste une camĂ©ra et les bases dâun programme de montage, on fait dĂ©jĂ beaucoup de choses ! ».
Judith Kiddo
TEXTE : LOUISE HERMANT IMAGE : PABLO ANTOINE NEUFMARS
AprĂšs un EP remarquĂ© (Petit Chien), la Bruxelloise continue les prĂ©sentations avec un premier long format. Dans Ready To Heal, lâanxiĂ©tĂ© se danse et la pop sâobscurcit. Retour sur ses albums fondateurs.
Quand jâĂ©tais petite, vers sept ans, jâĂ©coutais tout le temps la chanson Babooshka, qui se trouve, elle, sur lâalbum Never For Ever, sans savoir qui chantait. Quand je lâentendais, je me disais, waw, mais qui est donc cette femme ? Jâai par la suite dĂ©couvert que câĂ©tait Kate Bush. Je me suis alors dirigĂ©e vers son premier album. Et lĂ , ça Ă©tĂ© le flash. Jâai vraiment saignĂ© ce disque. Il est trĂšs pop et accrocheur, on ressent la
spontanĂ©itĂ© des dĂ©buts. Il y a une magie et une fantaisie qui sont inimitables chez elle. Mais ce nâest pas non plus une musique inaccessible, elle touche au cĆur. Cet album est vraiment devenu une rĂ©fĂ©rence. On me dit souvent quâil y a du Kate Bush dans ma voix quand je sors de scĂšne. Cela me surprend toujours. Je nâessaie pas du tout de chanter comme elle, mais peut-ĂȘtre que ça me dĂ©passe un peu.
Ce disque appartenait Ă ma grande sĆur, je lâai beaucoup Ă©coutĂ©. Björk sâimpose comme lâune des plus grandes vocalistes pop du monde. Elle propose des chansons qui font voyager grĂące Ă leurs paroles. Son clip Army of Me, rĂ©alisĂ© par Michel Gondry, mâa beaucoup marquĂ©. Lâunivers Ă©tait plus rigolo Ă cette Ă©poque que dans les albums qui ont suivi, bien quâils soient magnifiques aussi, bien sĂ»r. Une de mes plus grandes
rĂ©fĂ©rences visuelles reste Itâs Oh So Quiet, rĂ©alisĂ© par Spike Jonze. Son clip est le plus beau du monde. Il sâagit dâune comĂ©die musicale complĂštement psychĂ©, dans laquelle elle travaille dans un garage un peu triste et puis, tout dâun coup, tout explose, tout le monde se met Ă danser autour dâelle. Les comĂ©dies musicales, câest un peu ma passion et le meilleur des deux mondes, comme je suis Ă©galement actrice.
On me compare parfois Ă elle aussi quand je sors de scĂšne mais ça nâa vraiment jamais Ă©tĂ© une volontĂ© de ma part. Je crois que je peux Ă©galement avoir ce cĂŽtĂ© un peu mystĂ©rieux et dĂ©primant, qui me dĂ©passe mais qui me rapproche dâelle. Ainsi soit je appartenait aussi Ă ma sĆur. Jâaimais beaucoup les mĂ©lodies. JâĂ©tais super fan de Sans Contrefaçon, je ne sais pas si cela
Ă©veillait dĂ©jĂ en moi certaines choses. Je pouvais me reconnaĂźtre dans les paroles. Dans mon Ă©cole primaire, je dĂ©notais dans un milieu plutĂŽt aisĂ© et snob. Je me sentais moins seule avec ce morceau. Jâaimais aussi beaucoup LâHorloge. Dans tout lâalbum, il y a vraiment une ambiance, qui fait presque peur. Jâaime bien quand on peut ressentir des choses assez effrayantes et inquiĂ©tantes.
VoilĂ un album un peu plus rĂ©cent ! Souvent, jâai tendance Ă parler des disques qui ont marquĂ© mon enfance ou mon adolescence. Mais il y a des choses biens qui ont Ă©tĂ© faites aprĂšs 1995 ! Au moment de la sortie du disque de Caroline Polachek, jâĂ©tais en train de travailler sur mon album Ready To Heal. Il mâa beaucoup inspirĂ©. Jâaimais dĂ©jĂ beaucoup son travail quand elle Ă©tait avec Chairlift. Dans son projet solo, on
retrouve quelques qualitĂ©s de son ancien groupe mais elle part vers quelque chose de plus personnel, elle va au bout de son geste artistique. Celui-ci sâapparente Ă un mĂ©lange de mystique et de pop, tout en restant accessible. Elle sâoccupe aussi de la production. Sur mon album, je me suis fait aider Ă ce niveau-lĂ mais jâaimerais acquĂ©rir plus dâindĂ©pendance pour mes prochains projets.
Belgium Booms fait rayonner les artistes belges Ă lâĂ©tranger
INTERVIEW : LOUISE HERMANT
breuses initiatives sont mises en place pour leur permettre de se faire connaĂźtre des professionnelâąles Ă©trangerâąĂšres et ainsi dĂ©passer nos frontiĂšres.
Pour de nombreux artistes belges professionnels ayant dĂ©jĂ jouĂ© dans les salles principales du pays, il devient vite nĂ©cessaire de sâexporter. Ceux-ci se retrouvent rapidement trop Ă lâĂ©troit dans un territoire restreint. Les francophones regardent du cĂŽtĂ© de la France, quand les flamands lorgnent sur lâAllemagne ou la Hollande. Belgium Booms, projet de coopĂ©ration entre Wallonie-Bruxelles Musiques (WBM), lâagence de soutien Ă lâexportation du secteur musical de la FĂ©dĂ©ration Wallonie-Bruxelles et VI.BE, son homologue flamand, Ćuvrent toute lâannĂ©e pour soutenir les artistes de chez nous dans le dĂ©veloppement dâune carriĂšre internationale. Des moments dâĂ©changes et de rencontres sont organisĂ©s dans les principaux festivals de showcases en Europe comme le MaMA Ă Paris, le Reeperbahn Festival Ă Hambourg, Eurosonic Ă Groningen, The Great Escape Ă Brighton ou lâAmsterdam Dance Event, mais aussi lors de salons ou confĂ©rences comme Jazzahead ou Womex. Rencontre avec les deux porteurs du projet, Julien Fournier, directeur de Wallonie-Bruxelles Musiques et Wouter Degraeve, responsable des relations internationales chez VI.BE.
Dans quelles conditions Belgium Booms a été créé ?
Wouter Degraeve : Lâinitiative a Ă©tĂ© lancĂ©e en 2009, Ă lâoccasion dâun focus belge Ă Eurosonic, le plus grand Ă©vĂ©nement de showcases en Europe. Pour la premiĂšre fois, Muziekcentrum Vlaanderen, devenu par la suite Kunstenpunt et puis VI.BE, et Wallonie-Bruxelles Musiques ont travaillĂ© ensemble pour organiser ce focus. Depuis ce moment-lĂ , on a davantage collaborĂ© pour promouvoir les artistes et le secteur musical belge dans diffĂ©rents Ă©vĂ©nements Ă travers lâEurope. Cette collaboration a plusieurs avantages. Tout dâabord dâun point de vue financier. Nos deux structures ont des budgets limitĂ©s. Ensemble, on possĂšde davantage de moyens. On a aussi chacun notre propre rĂ©seau. Du cĂŽtĂ© flamand, on travaille plutĂŽt avec la Hollande, lâAllemagne et tout ce qui se trouve au nord de lâEurope. WBM, lui, a plutĂŽt un gros network en France. On peut ainsi joindre nos forces et se montrer plus efficace sur le marchĂ© Ă©tranger.
Est-ce plutĂŽt rare une collaboration sur des projets culturels entre la Flandre et la Wallonie ?
Julien Fournier : La structuration de notre pays fait que nous avons deux ministĂšres de la culture, avec deux politiques diffĂ©rentes et deux types de financements diffĂ©rents. On sâest vite rendu compte que câĂ©tait beaucoup plus intĂ©ressant pour nous en termes de levier financier de travailler ensemble. On peut faire plus de choses et puis câest surtout plus lisible. Ă lâĂ©tranger, lorsquâon parle de Wallonie-Bruxelles, personne ne sait de quoi on parle. CâĂ©tait un peu bĂȘte dâarriver chacun de son cĂŽtĂ© avec son drapeau rĂ©gional. On a alors dĂ©cidĂ© dâutiliser massivement la marque âBelgium Boomsâ et dâĂ©tendre le projet. Aujourdâhui, on se rend compte quâil nây a peut-ĂȘtre que deux ou trois Ă©vĂ©nements que lâon fait chacun de notre cĂŽtĂ©, parce que ce sont des marchĂ©s trĂšs spĂ©cifiques. Il nây a, par exemple, pas beaucoup dâintĂ©rĂȘt pour les flamands dâĂȘtre avec nous au Printemps de Bourges et inversement, il y en a peu pour nous de nous rendre Ă The Great Escape. âBelgium Boomsâ reste une marque, un nom. Il nâexiste pas de structure. En coulisses, ce sont deux organisations qui reprĂ©sentent chacune un cĂŽtĂ© de la Belgique et qui doivent fonctionner avec leurs rĂ©alitĂ©s budgĂ©taires, leurs projets, leurs objectifs.
W.D. : Les professionnels Ă©trangers parlent avant tout de musique belge, ils vont rarement dire âça, câest flamandâ ou âça, câest wallonâ. CâĂ©tait mieux pour tout le monde dâarriver Ă lâĂ©tranger en incluant le terme âBelgiqueâ, dâoĂč Belgium Booms.
Avez-vous un rĂŽle dans les programmations ? Intervenez-vous dans la sĂ©lection des artistes qui se rendent aux showcases Ă lâĂ©tranger ?
W.D. : Non, on crĂ©e plutĂŽt de bons contacts avec les organisateurs des Ă©vĂ©nements de showcases et avec tous les lieux oĂč nous sommes prĂ©sents. Si lâon prend le cas dâEurosonic, câest Robert Meijerink qui se charge de la programmation. Quand il reçoit la liste de tous les groupes belges qui ont postulĂ©, il nous lâenvoie et on lâaide Ă sĂ©lectionner des groupes quâon estime prĂȘts pour lâĂ©tranger.
J.F. : On ouvre dâabord un peu les portes pour les bookeurs dâartistes belges. Pour que ça vaille la peine pour nous dâorganiser des moments de rĂ©seautage entre professionnelâąles belges et Ă©trangerâąĂšres dans des festivals, ceux-ci doivent aussi booker des artistes de chez nous. On ouvre les portes, mais on ne dĂ©cide pas qui passe Ă travers celles-ci. Cela nâaurait dâailleurs pas trop de sens car chaque festival a une identitĂ© propre. Il connaĂźt son public, il sait ce quâil cherche. Lâavis que lâon peut transmettre aux opĂ©rateurs reste purement technique. On regarde si les groupes ont dĂ©jĂ fait des concerts en Belgique, si ça marche bien chez nous Ă tel ou tel endroit, dans quels festivals ils se sont rendus⊠On sert de relais pour les programmateurâąrices qui nous posent des questions.
Est ce quâon peut mesurer lâefficacitĂ© de ces initiatives ?
J.F. : Pour moi, il existe deux types de rĂ©sultats. Un premier que lâon peut observer. On a, par exemple, envoyĂ© une dĂ©lĂ©gation Ă Waves Vienna il y a quelques annĂ©es. Les Belges et les Autrichiens ont commencĂ© Ă se parler. Le programmateur sâest alors dit quâil voulait organiser un focus belge pour la prochaine Ă©dition, parce quâil connaĂźt dĂ©sormais mieux les gens et le marchĂ©. Ăa, câest un rĂ©sultat que lâon peut lier concrĂštement Ă ce que lâon a mis en place. Le deuxiĂšme est moins tangible. Des personnes peuvent se rencontrer grĂące Ă notre action, il peut ne rien se passer pendant des annĂ©es pour finalement aboutir Ă une collaboration. Difficile de savoir si nous en sommes responsables. Câest trĂšs difficile dâobtenir des rĂ©sultats prĂ©cis et concrets. Sauf, par exemple, si on organise de la promo. Quand des articles sont publiĂ©s, on sait que cela est dĂ» au fait quâon ait payĂ© quelquâun ou une agence pour faire de la promo sur tel Ă©vĂ©nement avec nos artistes. Si un groupe explose et fait des tournĂ©es partout dans le monde, câest compliquĂ© de savoir si on y est pour quelque chose. MĂȘme si câest probablement un petit peu grĂące Ă nous Ă un moment prĂ©cis de la carriĂšre. Mais il y a bien sĂ»r plein dâautres intervenants ou facteurs qui jouent aussi.
Remarquez-vous plus dâattrait pour les artistes belges venant des opĂ©rateurâąrices Ă©trangerâąĂšres ces derniĂšres annĂ©es ?
W.D. : Je crois quâon a de la chance dâavoir beaucoup de groupes intĂ©ressants en Belgique. Certains ont des projets artistiques vraiment uniques, et peut-ĂȘtre typiquement belges. Il nây a pas dâimitation. Les professionnels Ă©trangers aiment venir ici pour dĂ©couvrir de nouveaux talents.
J. F. : Câest ce que lâon nous dit assez frĂ©quemment Ă lâĂ©tranger. Quand on regarde les autres pays qui ont le mĂȘme nombre dâhabitants quâen Belgique, on a davantage de groupes sĂ©lectionnĂ©s dans les diffĂ©rents Ă©vĂ©nements. Câest aussi dĂ» au fait que chez VI.BE et WBM, on focalise nos efforts sur des groupes qui marquent les esprits. Quand on regarde la programmation dâEurosonic cette annĂ©e, tous les groupes avaient une proposition super franche. Quand on les Ă©coute, on nâa pas lâimpression dâavoir dĂ© jĂ entendu ça ailleurs. On est reconnu en Belgique pour cette production intĂ©ressante et diversifiĂ©e. Dâautres pays peuvent parfois avoir des propositions plus monolithiques.
W.D. : VPRO, la radio publique hollandaise a Ă©tabli une liste des vingt-cinq groupes les plus intĂ©ressants dâEurosonic parmi les trois cent programmĂ©s. Il y avait sept belges dedans ! Dans le top, on retrouve Catherine Graindorge, Lander & Adriaan et The Haunted Youth.
Quels sont les prochains projets de Belgium Booms ?
J. F. : On dĂ©veloppe plusieurs outils informatiques pour permettre aux opĂ©rateur rices de mieux travailler Ă lâinternational. Ceuxci permettront, par exemple, dâavoir un historique de tous les endroits oĂč ont jouĂ© les belges Ă lâĂ©tranger depuis 2008, de regarder toutes les Ă©volutions, de retracer le parcours des artistes. Il y aura aussi un agenda que lâon pourra consulter pour connaĂźtre les prochaines dates des artistes belges Ă lâĂ©tranger.
Plus dâinfos ?
www.belgiumbooms.be
Aleph Quintet
Ils se sont rencontrés à Bruxelles et viennent de sortir un album qui dissout les frontiÚres du jazz, de la musique orientale, du manouche ou de la pop. Trop précieux pour passer cela sous silence.
TEXTE : JACQUES PROUVOST
Comment fait-on pour se rencontrer Ă Bruxelles ?
Akram Ben Romdhane : Je suis venu au Conservatoire de Bruxelles pour continuer mes Ă©tudes de violon. JâĂ©tais en colocâ avec Marvin Burlas, que je ne connaissais pas, qui venait du sud de la France et jouait Ă©galement du violon, tendance manouche. Il a frappĂ© Ă ma porte quand il mâa entendu jouer du violon oriental. On a discutĂ© puis jouĂ© ensemble. Ensuite, jâai ramenĂ© mon oud de Tunisie, on a Ă©changĂ© nos compositions et il mâa prĂ©sentĂ© le bassiste ThĂ©o Zipper qui venait de Marseille. Et moi, je lui ai prĂ©sentĂ© le pianiste Wajdi Riahi que jâavais croisĂ© en Tunisie lors dâun concert. On a mĂ©langĂ© nos musiques venues de partout. Sans prĂ©tention et lâamitiĂ© a fait le reste.
Aleph. Pourquoi ce nom ?
ABR : Câest la premiĂšre lettre dans lâalphabet arabe ou hĂ©breux. Dans ces cultures-lĂ , les lettres ont vraiment une signification spirituelle et sont trĂšs liĂ©es aux divinitĂ©s. LâAleph, dans le soufisme, signifie lâunitĂ© divine. Câest aussi le dĂ©part, la continuitĂ© et la stabilitĂ©. Câest le noyau dâoĂč Ă©mane toutes les pensĂ©es. Câest un peu le lien entre la mĂ©taphysique et le matĂ©riel. Câest une connexion naturelle et silencieuse que lâon a avec la nature et la culture.
Câest la raison de ce titre : Shapes of Silence ?
ThĂ©o Zipper : Une personne peut ĂȘtre silencieuse mais Ă©mettre beaucoup dâĂ©nergie et de messages aux autres. Sans quâon le sache.
ABR : La musique naĂźt du silence. Il faut faire mieux que le silence.
On retrouve cette philosophie dans la sublime illustration de Mohammad Zaza pour lâalbum (voir âLes sortiesâ p. 36).
TZ : Câest une Ćuvre personnelle qui correspondait bien Ă lâidĂ©e de lâalbum. On lui a demandĂ© ensuite dâillustrer les chansons. Il nây a pas eu de discussions techniques ou picturales. On a laissĂ© lâĂ©motion traverser les peintures. Il y a la musique mais il y a lâobjet aussi.
Manu Hermia, Fabrizio Cassol. Pourquoi ces choix ?
TZ : On avait besoin dâune oreille extĂ©rieure lors de lâenregistrement. Manu nous accompagne et nous supporte depuis longtemps. Il ne nous a jamais dit ce quâil fallait faire mais nous a aidĂ©s Ă prendre les bonnes dĂ©cisions.
ABR : On avait invitĂ© Fabrizio pour un concert au Saint Jazz Festival. CâĂ©tait assez improbable car il refuse habituellement les âguestâ. CâĂ©tait un honneur. Il Ă©tait normal de lui demander de participer aussi Ă lâenregistrement et, Ă notre grande surprise, il a acceptĂ© de figurer aussi sur lâalbum pour deux titres.
Marc Pinilla (Suarez)
Suarez est de retour et son leader Marc Pinilla nous reçoit en visioconfĂ©rence dans sa piĂšce de rĂ©pĂ©tition, une guitare Ă la main. Le nouvel album est en pleine crĂ©ation et sa sortie prĂ©vue pour la fin de lâĂ©tĂ©. Depuis novembre 2022, le single La vie devant annonce ce nouveau disque et la tournĂ©e printaniĂšre des 15 ans dâexistence du groupe.
TEXTE : JEAN-PHILIPPE LEJEUNE
« Nous sommes assez surpris du succĂšs de la tournĂ©e, cela nous encourage Ă poursuivre lâaventure. On est privilĂ©giĂ©s, tenir un groupe de cinq musiciens pendant quize ans câest remarquable ! Concernant lâalbum, il prend un peu plus de temps que prĂ©vu⊠» Il sortira plutĂŽt fin aoĂ»t mais dâici-lĂ il y aura Ă©videmment plusieurs singles. Qui dit nouvel album, dit nouvelle collaboration. Marc a coĂ©crit le dernier single La vie devant avec Vincent Brion, un auteur-compositeur français qui a Ă©crit pour Ben MazuĂ©, Yannick Noah, Julien Clerc, Gauvin Sers⊠Au niveau de la production, le boulot a Ă©tĂ© confiĂ© Ă un duo bruxellois, Julien et Ben du groupe Delta dont les compositions pop sont dans la mĂȘme veine que Suarez : « On a tous le mĂȘme Ăąge, on est des quadras avec enfants, on a une vie mi-papa mi-saltimbanque. Câest assez cool de travailler avec des gens qui ont la mĂȘme vision de la vie. » Puisque Suarez performera quinze concerts en quinze jours (du 18 mars au 2 avril), Marc sâest replongĂ© dans ses souvenirs de tournĂ©e, notamment en France, au temps oĂč la technologie nâĂ©tait pas aussi Ă©voluĂ©e quâaujourdâhui⊠« Ă lâĂ©poque, le single Quâest-ce que jâaime ça cartonnait et passait beaucoup sur NRJ. Et nous tournions trĂšs souvent en France. On descendait en camionnette, on faisait huit ou neuf cent kilomĂštres puis on revenait. Nous devions jouer en premiĂšre partie de Julien Clerc au Festival de Poupet, un gros festival situĂ© prĂšs du Puy du Fou en VendĂ©e, câĂ©tait en juillet 2012. Ă lâĂ©poque, le truc branchĂ© quand tu Ă©tais invitĂ© Ă un festival, câĂ©tait de tâenvoyer les coordonnĂ©es GPS. Je reçois donc la feuille de route des organisateurs, je rentre les coordonĂ©es 46° 55â 29â nord, 0° 52â 27â ouest (ça ce sont les bonnes coordonnĂ©es, â ndlr) et on dĂ©marre pour huit heures de route. Pour moi, le temps de trajet Ă©tait plausible puisque câĂ©tait la deuxiĂšme fois que nous faisions ce festival. AprĂšs huit heures de route, le GPS nous annonce que nous sommes arrivĂ©s et⊠on se retrouve en plein milieu des champs. On se rend vite compte quâon est deux cent kilomĂštres trop Ă lâest⊠MalgrĂ© ce âdĂ©tourâ, nous sommes arrivĂ©s quasiment Ă lâheure du show, on a dĂ©ballĂ© tout le matos devant les quatre mille personnes qui nous attendaient et aprĂšs un line check de six minutes, câĂ©tait parti ! Le concert a Ă©tĂ© une pure folie. »
WEâVE GOT YOUR BACK
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