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C’est culte

Henri Pousseur PORTRAIT : DOMINIQUE SIMONET

Ils sont nombreux aujourd’hui, musiciens et mélomanes, à reconnaître que le paysage musical actuel ne serait pas ce qu’il est s’il n’y avait eu Henri Pousseur. Compositeur et pédagogue, ce chercheur invétéré s’est attelé, durant toute sa vie, à lever les barrières séparant les genres musicaux, les époques, les gens. Le Centre de recherche musicale qui porte son nom fête ses cinquante ans cette année. Retour sur un personnage hors du commun avec sa fille Marianne, ses anciens élèves Michel Massot et Fabrizio Cassol.

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ans ce qu’on a appelé la musique ‘contemporaine’, comme chez Dumas, les trois mousquetaires étaient quatre… à Luciano Berio, Pierre Boulez et Karlheinz Stockhausen, il convient d’ajouter Henri Pousseur. Pour les Liégeois aussi, qui ont tendance à être un peu chauvins comme leurs amis français, le Malmédien est considéré comme le quatrième as, après Johannes Ciconia (14e-15e siècle), André-Modeste Grétry (18e) et César Franck (19e). Pousseur incarne au plus profond l’esprit de la seconde moitié du 20e siècle où l’ouverture et la quête de liberté n’étaient pas des vains mots. Né le 23 juin 1929 à Malmedy, mort à Bruxelles le 6 mars 2009, il est, durant ses études musicales, sous l’influence de l’organiste et compositeur Pierre Froidebise, féru de dodécaphonisme et de musique aléatoire, sous celle également d’André Souris, proche des Surréalistes, de Boulez et de Stockhausen, intéressé par la musique ancienne, le dodécaphonisme et le jazz. De quoi façonner la personnalité artistique du jeune Pousseur. Toutes personnalités, toutes expressions musicales qui se croisent et s’entrecroisent dans la carrière du compositeur de quelque deux cents œuvres, comme dans celle du pédagogue, enseignant à l’université ainsi qu’au Conservatoire de Liège, qu’il dirigea dix ans, de 1975 à 1985. Ce vénérable établissement du numéro 14 de la rue Forgeur, comme la musique qui y était enseignée, Pousseur s’est appliqué à les dépoussiérer pour les projeter dans le 20e siècle.

quelqu’un d’ « hyper charmant et très accueillant. Avec lui, une personne était une personne. Il connaissait tous les étudiants. Toujours à leur service, il était d’une humanité incroyable, malgré sa stature de directeur et son emploi du temps très chargé de compositeur », souligne Michel Massot. « Sans lui, je ne serais pas là où je suis, dit encore le tromboniste-tubiste, il a été déterminant pour mon parcours, alors qu’en général, si les profs le sont, un directeur l’est moins. Mais ici, le projet a permis à un tubiste de sortir du cadre, de rencontrer pleins de gens, musiciens, comédiens, metteurs en scène… » Le visionnaire « Une des choses les plus visionnaires que mon père ait faite, c’est la création de la première section jazz au conservatoire de Liège, estime Marianne Pousseur, l’une des filles du musicien, musicienne elle-même. Il a fait venir une carrure incroyable comme Garrett List. » Décédé le 27 décembre 2019, List enseignait à la Juilliard School of Music de New York, avait formé le Juilliard Ensemble avec Berio, s’était penché sur le free jazz et l’improvisation via Steve Lacy, John Cage ou encore Frederic Rzewski. Une pointure assurément, originaire de Phoenix, en Arizona, débarquant à Liège en 1981 et y créant la classe d’impro par laquelle sont passés Michel Massot et Fabrizio Cassol. « En rentrant au conservatoire à 18-19 ans, je me suis trouvé en face d’un monde que Pousseur avait complètement décloisonné – musique électro-acoustique, classique, baroque, jazz, musique contemporaine –, dans la rigueur et la liberté », se souvient Fabrizio Cassol (Aka Moon). « Et surtout, renchérit Marianne Pousseur, mon père a bien fait comprendre à tout le monde qu’il n’y avait pas de hiérarchie, par exemple entre le classique et le jazz. Et ça, c’est quelque chose qui n’est pas encore communément admis. » « À 18 ans, je pensais que le monde entier était

Le dépoussiéreur Selon le tromboniste, tubiste et compositeur Michel Massot, Henri Pousseur était « un directeur exemplaire, qui a apporté une sorte d’énergie au conservatoire. C’était plus qu’une école : un lieu de rencontres. » Pour lui, alors jeune étudiant à Liège, c’était

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