ANDRÉ LABARRÈRE, UNE VIE POUR PAU pendant trente-cinq ans
mairie
Des milliers de personnes ont suivi les obsèques célébrées par Mgr Pierre Molères, évêque de Bayonne, Lescar et Oloron, et Pierre Dufourcq, curé de la paroisse, assistés de plusieurs prêtres de l’agglomération, et du vicaire général, André Esteben. (Photo JeanPhilippe Gionnet)
Saint-Pierre d’Irube, Roger Hanin, Thierry et Didier Gadou, basketteurs de l’Elan Béarnais, François Bayrou, président de l’UDF et Jean Lassalle, député. Le grand rassemblement des proches Peu à peu, le cœur de la mairie se vide de ses fleurs qui s’en vont grossir une marée colorée sur le parvis de l’église Saint-Jacques. Un détachement du 5e RHC forme une haie d’honneur. Garde-à-vous aussi pour les jeunes sapeurspompiers. Seuls les moineaux des tilleuls de la place Royale semblent ignorer la solennité du moment. Au deuxième étage de la mairie règne une ambiance particulière faite de chagrin et de stress. Le téléphone ne sonne plus. La mairie est en deuil. Et pourtant, on ressent une agitation fébrile. Les plus proches collaborateurs du maire accueillent les élus qui composeront le cortège. On enchaîne les cafés. En bas, le drapeau tricolore qui était posé sur le cercueil a été replié et l’on a ôté avec précaution l’inséparable chapeau. Le conseil municipal au complet partira en rangs serrés. Dehors le cortège se forme. La Marche funèbre de Chopin retentit. Visages fermés, les employés des pompes funèbres hissent le cercueil dans un corbillard bleu nuit. Trentecinq drapeaux ouvrent la marche vers l’église Saint-Jacques. André Labarrère quitte définitivement la place Royale suivi de ses proches collègues et de ses employés effondrés. CAROLE GAMELIN
Un requiem pour l’éternité D
e la musique avant toute chose. Pour André Labarrère, c’était presqu’une religion. Ce vendredi matin, elle transcende les obsèques et unit en une même émotion toutes les âmes, croyantes ou profanes. Tous ceux qui, comme le note Mgr Pierre Molères, « sont atteints dans leur cœur ». Le cortège funèbre arrive sur le parvis de Saint-Jacques alors que le glas résonne dans le silence de la place de la Libération. Fayçal Karoui et l’orchestre de Pau entament l’« Introït » du « Requiem » de Mozart pour accueillir André Labarrère. Le musicien a perdu un ami, et cette perte, immense, tend son interprétation, lui confère sa ferveur et sa profondeur. « Il ne faut pas que vous soyez abattus »
Mgr Molères, évêque de Bayonne, Lescar et Oloron, ac-
cueille André Labarrère dans la maison de Dieu. L’Église n’ignore pas « les écarts de la cascadante existence » du sénateur maire, mais elle retient qu’il était un des siens —par son baptême— et qu’il a consacré sa vie à être utile aux autres, un engagement qui reviendra plusieurs fois au cours de la célébration («Il a travaillé, souffert, servi… tout cela ne peut mourir dans le tombeau, dans le néant »). En un sens, André Labarrère a suivi la parole des Évangiles, à sa façon. Les mots de Mgr Molères ont aussi une portée séculière, quand il invite à prier pour que la succession du sénateur maire s’attache à « servir le bien commun ». De même, l’extrait de la première épître de Saint-Paul aux Thessaloniciens, lue par Enora Michon, une amie proche, est un message d’espoir : « Il ne faut pas que vous soyez abattus comme d’autres qui n’ont pas d’espéran-
ce ». Le second texte, tiré de l’Évangile de Saint-Luc, vient en écho : « Restez en tenue de service et gardez vos lampes allumées. Soyez comme des gens qui attendent leur maître à son retour des noces… ». « Nous évoquons un passé qui ne reviendra pas » L’abbé Dufourcq trouve ici la source de son homélie : « Quand un proche nous a quittés, comme pour le retenir encore parmi nous, nous évoquons un passé qui ne reviendra pas. André Labarrère disait aussi : ‘on n’est pas vraiment mort tant que quelqu’un continue à penser à vous’. Il restera sûrement longtemps dans le cœur de beaucoup ». Alors que l’orchestre attaque l’aria de la Troisième Suite de Jean-Sébastien Bach, chacun se retrouve face à lui-même, près du cercueil posé au pied de l’autel, recouvert de l’hommage tricolore
et de l’inamovible chapeau noir. S’impose alors la photo d’André Labarrère, mi-Bruand, mi-Mitterrand, le regard perçant entre le couvre-chef et le col relevé du manteau. La vie est là, et un éclair canaille trouble la religiosité de l’instant. Les souvenirs affluent au moment de la communion, portés par l’harmonie du requiem, avec chœur et orchestre. L’émotion est à son comble sur le « lacrimosa ». Le temps des larmes. L’assemblée retrouvera cette empathie pour le « Boune May dou boun Diu », le chant à Marie repris par des centaines de voix. Un frisson parcourt l’assistance. Après les ultimes hommages des personnalités politiques, André Labarrère traverse l’église sur le « Communio » du requiem. Puis Frank Sinatra le rejoint pour un ultime « New York, New York ». Pour l’éternité aussi, André Labarrère a choisi sa musique. BRUNO ROBALY
Le silence et les larmes des Palois
Dès 10 heures, les nombreuses gerbes de fleurs sont enlevées du péristyle de la mairie pour être installées sur le parvis de l’église Saint-Jacques. Une marée odorante de lys et de roses.
silence. Mais quand Jean-Pierre Bel, vice-président du Sénat, trébuche sur les « Paloisiens », la foule sursaute. Des sourires s’esquissent, puis s’estompent rapidement.
A la minute où le cortège funèbre fait son apparition sur la place de la Libération, le silence envahit la foule. Les têtes se tournent vers le corbillard. Les visages sont graves. Les commentaires qui, quelques minutes auparavant, avaient largement accompagné l’arrivée des officiels, se sont maintenant tus. Quelquesuns se hissent sur la pointe des pieds pour apercevoir telle ou telle personnalité. « Il paraît que Ségolène Royal est là ! » assure une dame à sa voisine. Les téléphones portables dominent les têtes pour capter les visages connus. Cabas en main, quelques personnes pressées, totalement indifférentes à l’événement, tentent de se frayer un chemin à travers la foule impassible.
La foule bascule avec Sinatra
La musique envahit la place Sur la place de la Libération, Pau semble retenir son souffle quand apparaît, sur l’écran géant, l’image du cercueil du défunt maire. Certains se signent discrètement. D’autres choisissent de retenir l’instant à l’aide des appareils photos numériques et téléphones portables. Et puis s’élève, magistral, le Requiem de Mozart. L’émotion est à son comble : la musique envahit la place, résonne sur les façades et fait vibrer les
Des centaines de Palois ont assisté aux obsèques, réunis place de la Libération dans un silence absolu. (Photo Nicolas Sabathier) cœurs. Une jeune femme ne peut retenir ses larmes. D’autres, pudiques, ont choisi de garder leurs lunettes noires malgré la grisaille du ciel. Dans l’église, Mgr Pierre Molères, évêque de Bayonne, invite l’assistance à s’asseoir. Dehors, les
quelque 2 500 Palois réunis devant les deux écrans géants, resteront debout pendant plus de deux heures. Rares sont ceux qui ont prévu des sièges de camping. A l’heure des oraisons funèbres, quelques applaudissements timides rompent le
A la fin de la cérémonie, l’Orchestre de Pau a repris de la voix. Une salve d’applaudissements salue la sortie du cercueil. Les Palois semblent alors lâcher l’intense émotion contenue pendant plusieurs heures. Dans les larmes et les applaudissements. Entre tristesse et admiration. La foule chavire aux premières notes de New York, New York de Franck Sinatra. L’émotion se teinte de gaieté. Les mains, parfois même les pieds, battent désormais la mesure. Les cœurs se soulèvent dans cette étonnante transition musicale, ultime pirouette du maire de Pau. Les yeux rougis, les Palois prolongent l’instant. Tous les yeux sont tournés vers l’écran géant qui projette maintenant le portrait d’André Labarrère réalisé par Marie-Claire Dubourg. Les notes s’épuisent, le silence reprend sa place. Un vieil homme remet son béret et lâche en guise de conclusion: «Je crois qu’il aurait aimé ça, Dédé».
VALÉRIE CÈBE
16 - 19 mai 2006
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