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Les rêves étranges de Flóra Anna Buda

Les films de Flóra Anna Buda sont beaux comme des rêves étranges. Chaque plan, chaque image, pourrait être un tableau exposé dans une galerie onirique, sensorielle et sensuelle. Les couleurs se superposent comme des pensées, des souvenirs parfois refoulés, dans des paysages où la nature comme la ville deviennent des hallucinations. Tout y est maîtrisé, millimétré et rythmé avec talent, la condition finalement pour offrir à l’œil – et à l’esprit qui est derrière – la possibilité de l’évasion.

Flóra Anna Buda a grandi dans la banlieue de Budapest, bercée par un environnement artistique. Son père est sculpteur, et durant son enfance elle traînait souvent dans son atelier où il y avait beaucoup de statues de nus et de copies en gypse de statues grecques. Ses frères et sœurs ont étudié l’art et elle regardait souvent des films d’art et d'essai avec son frère. « Je dessine depuis que j’ai 2 ans, et j'ai commencé à rêver de devenir réalisatrice vers l'âge de 9 ans. » Elle découvre l’animation, et particulièrement les films animés d’Europe de l’Est, ce qui se ressent si fort dans les traits de ses dessins. « Mes parents ne me laissaient pas regarder Disney et les dessins animés ; c’est peutêtre ces restrictions qui ont généré une envie subconsciente de m’intéresser encore plus à l’animation. » Plus tard, ce sont les clips de Michel Gondry qui l’incitent à dessiner des personnages et commencer à imaginer qu’ils puissent s’animer. Elle étudie dans des écoles d’art dès la primaire, et décide ensuite de s’orienter vers la mode et le design du cuir. Très vite, elle s’aperçoit qu’elle est plus concentrée sur le mouvement et les personnages des mannequins que sur les robes. « J’adorais ce que j’apprenais, mais rapidement mon intérêt pour le cinéma et mon amour du dessin m’ont décidée pour l’animation. Alors j’ai candidaté et j'ai été acceptée à la MOME [la prestigieuse université d’art appliqué Moholy-Nagy de Budapest]. Fabriquer des chaussures me manque encore parfois. »

Les influences de Flóra Anna Buda sont nombreuses et issues de tous les univers artistiques : Dziga Vertov, Niki de Saint Phalle, Rihanna, le Marquis de Sade, Anaïs Nin, Alain Robbe-Grillet, Wim Wenders, Kelly Reichardt, entre autres, et elle pourrait continuer cette liste à l’infini. Des sources qui résonnent dans ses films, d’où se dégagent une immense sensibilité et un érotisme charnels. Elle l’analyse encore par les effluves du milieu esthétique dans lequel elle a grandi. « J’étais entourée de corps féminins nus sous forme de statues et de dessins ; mais au-delà de leur influence, il y avait une attirance générale et une aisance très personnelle que je trouve dans la nudité et le toucher. »

Sans s’attacher à des sujets particuliers, elle cherche à créer quelque chose d'honnête, de direct, sans filtre. « Je pense que l'un de mes plus grands défis est de choisir des sujets qui sont très difficiles à aborder, qui ont été considérés comme des tabous pendant longtemps, et de trouver un moyen de les montrer avec amour et sincérité. »

Entropia, son film de fin d’étude à la MOME, réalisé en 2018, annonce immédiatement les hautes ambitions artistiques de la jeune réalisatrice. Des lignes, des mouvements érotiques, une langueur traînante, des couleurs chaudes, des textures ciselées, des ombrages, des soleils orange sanguine de fin d’après-midi, des lèvres pourpres en forme de fraise, le bruit du vent dans les feuilles, des seins qui deviennent des îles au milieu d’une rivière d’eau calme, puis une sirène qui se déclenche pour annoncer la fantaisie, l’irrationalité d’une histoire qui passe en forme de spasmes, comme un songe sans parole, comme une rêverie étrange et esthétique. On se laisse aller dans une aventure désordonnée sans même chercher à lutter contre l’incompréhension ; mais au contraire un lâcher-prise s’impose devant la beauté des tableaux qui se succèdent, devant l’entropie, justement, de cette progression en forme d’incertitude dans ces mondes étranges.

La bande-son, intitulée par suggestion "Mulholland Drive", n’est d’ailleurs pas innocente à l’ambiance très lynchéenne qui émane de cette première œuvre.

Alors, récompense méritée d’un travail minutieux, le film est sélectionné dans les plus grands festivals et remporte le TEDDY Award du meilleur film d’animation à la Berlinale de 2019.

Ses films sont comme des illustrations qui dansent. Le second, 27, confirme ce qui était déjà à l’œuvre dans Entropia et qui séduit si bien le regard. Ses outils préférés sont l'aquarelle, le crayon de couleur et l’encre, combinés à d’autres techniques et une recherche de nouveaux matériaux. « Pour 27, j'ai travaillé essentiellement en numérique ; mais pendant le développement, j'ai dessiné de nombreux portraits au crayon de couleur pour étudier les émotions du film et comprendre comment le jeu des acteurs devait fonctionner. J’ai peint quelques dessins conceptuels qui étaient en quelque sorte des illustrations, puis j'ai eu peur de ne pas pouvoir animer dans ce style. Mais mon producteur Emmanuel-Alain Raynal m’a dit d'oublier les compromis et de rêver grand, alors je me suis lancée. J'ai essayé de garder le même style : j’ai peint tous les arrière-plans et dessiné toutes les poses. Il m’a fallu un an et demi juste pour le développement visuel et technique, et j'ai également composé le processus de coloration du film. Ensuite, une formidable équipe de professionnels m'a rejoint pendant encore un an et demi et nous avons réalisé ce film ensemble. Mais comme en animation, il faut prendre beaucoup de décisions à l'avance, il était important pour moi de laisser 15 % du film en suspens afin de pouvoir trouver de la nouveauté et de la motivation même à la fin de la production. »

Entropia commençait avec la naissance d’une mouche ; 27 s’ouvre sur le plan d’une punaise qui grimpe le long d’une bouteille au goulot brisé. Une nappe sonore pareille à celle de son précédent film, qui laisse imaginer qu’on prolonge l’histoire, du moins qu’on est plongés dans le même genre d’univers parallèle. Ici aussi les corps sont des décors, qui se découpent sur un ciel texturé. Un fantasme, un rêve érotique. Alice a 27 ans aujourd’hui et s’ennuie en famille. « Vie de merde ! Petit con, va. » Alors elle sort, prend un peu de drogue et s’envole au-dessus des toits d’une ville sans étoiles peuplée d’enseignes. Sa vision se déforme et elle voit des silhouettes psychotropes absorber son horizon. Alice tombe comme l’autre Alice dans un trou hallucinatoire, portée par le son électrique d’arcs-en-ciel fluorescents sous l’œil de la lune rouge, l’incitant à reprendre sa rêverie voluptueuse au milieu des champs. Jusqu’à chuter, vraiment, inévitablement, afin que le cycle soit bouclé.

Le film, beau comme une toile, a embarqué tout le monde à Cannes cette année et a reçu fin mai la Palme d’or du meilleur court-métrage. Normal : c’est un vrai chef d’œuvre. Depuis, elle travaille en parallèle sur plusieurs petits projets d'art plastique, tout en réfléchissant à de nouvelles idées pour ses prochains films. « Tout ce que je sais, c'est que je veux travailler avec de l'encre et du graphite, pour essayer quelque chose de nouveau. Peut-être aussi de la prise de vue réelle… »

Les films de Flóra Anna Buda sont visibles sur Kiblind.com

Quand le clip vient sublimer une musique qui est déjà de toute beauté, alors là, l’extase est maximale. Chaque mois, sur notre site kiblind.com, nous célébrons le clip musical animé. Qu’il soit en 2D, en 3D, en stop motion, ou encore dessiné à la mano, le clip illustré est partout et il a fière allure. On vous présente ici deux clips illustrés récents qui nous ont coupé la chique. Et pour en parler, qui de mieux que les personnes qui les ont illustrés et animés ?