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Clocki

CRÉPUSCULE ■ Les idoles ne veulent montrer qu’une seule face. Celle, brillante et humble, d’un être parvenu à se hisser au-dessus du niveau des hommes tout en paraissant l’égal de tous. Mais il y a bien un revers à la médaille. La dissonance cognitive issue de cet état d’entre-deux, moitié nous moitié dieu, tend quelques ressorts dans notre cerveau, jusqu’à fatalement en rompre certains. Prenons l’exemple de Clocki dont les gloires et les déchéances nous sont contées par Mathias Martinez dans sa superbe BD du même nom. Clocki est la star du petit-déjeuner, de la cour de récré, du goûter, de tout ce qui rythme la vie des enfants. C’est un réveil anthropomorphe aux aiguilles en tire-bouchon et à l’humeur toujours rigolarde. En 1955, il règne en maître sur l’esprit de nos chers bambins, à tel point qu’un parc d’attractions lui est dédié. C’est cet espace fantastique, coincé entre le rêve et la réalité, qui servira de fil rouge aux divers chapitres du livre. Il sera le symptôme des vicissitudes traversées par Clocki, entre alcoolisme, renaissance et extinction définitive. Mathias Martinez, pour nous parler des superficialités de la célébrité, nous embarque donc dans les grands huit de ce lieu fanfare qu’est le parc d’attractions. Adoré, délaissé, jalousé, saboté, rempli de fantasmes en même temps qu’obéissant à l’avidité la plus crasse qui se niche derrière la belle histoire de Clocki, le parc est un nœud de contradictions. À la manière d’un documentariste omniscient, le jeune auteur nous livre les histoires de celles et ceux qui font vivre le lieu, depuis son absurde star jusqu’à ses agents d’entretien. Dans son élan extraordinaire, le dessinateur pousse tous les curseurs à fond et ce qu’il détruit bruyamment d’une main, il le reconstruit de l’autre. Il n’y a pas de haine, ni d’adoration de la part de celui qui a grandi à quelques pas de Disneyland Paris, simplement une fascination brûlante que chaque page déroule en soufflant sur les braises.

Et ce n’est pas son dessin qui mettra le pied sur la pédale de frein. Inspiré par les cartoons américains des années vingt (Betty Boop, entre autres) et par l’ébouriffante imagination de Winsor McCay (dont un des fanzines reprend superbement le Little Nemo), Mathias Martinez laisse son crayon remplir la page de personnages impossibles, de situations improbables et d’arabesques enchanteresses. Inédite, inouïe et inoubliable, cette première œuvre cartonnée de ce diplômé de la HEAR laisse les yeux tourner dans leurs orbites et le cerveau faire des bonds pendant une lecture qu’on espère jamais finie. Garanti sans redescente.

→ Clocki de Mathias Martinez, Misma, 128 pages, 22 € → misma.fr