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EHPAD : QUAND LA SOLIDARITÉ S’EXPRIME AUSSI AVEC LES PERSONNES ÂGÉES EN FRANCE
from Yessod 17
QUAND LA SOLIDARITÉ S’EXPRIME AUSSI AVEC LES PERSONNES ÂGÉES EN FRANCE
Par Sandra Allouch
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Remise de chèque à FIR De g. à d. : Judith Oksc o-présidente du KH, Marie-Laure Delillle, directrice de l'Ehpad, Nadia Neiman, présidente d'honneur et Amir Lapid. À la suite de la crise déclenchée par la Covid, le Keren Hayessod France a mené une campagne de collecte pour aider les personnes âgées, fortement impactées, en Israël. Les fonds ont été essentiellement distribués au programme Amigour, qui offre un hébergement adapté aux personnes âgées défavorisées (voir l’article page 19).
Mais à situation exceptionnelle, aide exceptionnelle : le Keren Hayessod a souhaité qu’une partie des fonds soit attribuée à des EHPAD français, pour marquer sa solidarité avec l’ensemble du peuple juif. Les établissements suivants en ont bénéficié et ont apprécié ce geste hautement symbolique : Eliza à Strasbourg, FIR à Paris, Alfred Kermes Saint-Antoine à Saint-Martin-Vésubie dont la région a été fortement touchée par la tempête Alex.
"Ce soutien indispensable s'est imposé comme une évidence au vu de la situation" a déclaré Amir Lapid, directeur général du Keren Hayessod France.
Etablissement Eliza à Strasbourg. En présence de Thierry Ross, Arnaud Weill et Fabienne Gaude, directrice de l'Ehpad.

JUIFS D'AILLEURS
DIASPORAS OUBLIÉES, IDENTITÉS SINGULIÈRES
Recension : Sylvie Sebag
Cet ouvrage de référence se lit comme une encyclopédie : c’est une vraie mine d’or avec des informations -parfois surprenantes- sur les diasporas juives d’aujourd’hui. On y apprend, par exemple, que, « jusque vers 1800 environ, les Juifs du Suriname constituent la plus importante communauté juive des Amériques ». Le livre est sous-tendu par une « thèse politique » qui se décline en plusieurs points et suscite des questions et débats fructueux, alimentés par diverses contributions théoriques proposées dans l’introduction générale et dans la dernière partie « Identités en mouvement ». 1/ Les diasporas juives constituent le paradigme des autres diasporas, si nombreuses aujourd’hui et du multiculturalisme contemporain. 2/ Les diasporas « émergentes », notamment en Afrique, en Amérique latine et en Inde, sont plus des diasporas « d’adhésion », ancrées dans les contextes sociopolitiques des pays dans lesquels elles vivent, que des diasporas réellement liées à des origines juives perdues. Du fait des déplacements et des immersions successives dans les cultures locales, les membres de ces diasporas n’ont pas une identité figée. Ce qui les caractérise, c’est plutôt un « kit identitaire », un large spectre identitaire. E. Bruder semble préférer ce judaïsme d’adhésion, conforme aux valeurs juives, à un judaïsme « ethnique » et « génétique », lié selon elle à un « idéal-nationalisme ». En tant qu’historienne, elle est est à cet égard réservée à propos de certaines recherches sur les crypto-judaïsmes et le marranisme, qui font l’hypothèse d’un ancrage historique direct des communautés dans des racines juives. 3/ Dans son chapitre « Les tribus perdues d’Israël, mythe moderne et post-moderne », E. Bruder déconstruit les représentations conventionnelles sur cette question, confortant la thèse de l’hétérogénéité des diasporas contemporaines. Finalement, une question essentielle demeure : y a-t-il une spécificité de la diaspora juive ? Dans le chapitre « L’exil selon la Bible et la littérature rabbinique », Julien Darmon rappelle que le peuple juif a pour mission d’être Or La Goyim, lumière parmi les nations. C’est là que l’approche spirituelle peut se découpler de l’approche socio-historique. E. Bruder nous permet de mettre sa thèse en débat, ce qui est stimulant et fidèle à la tradition juive de « mahloket ». Ce livre riche et stimulant témoigne d’une marche incessante SOUS LA DIRECTION D'EDITH BRUDER de la pensée, du questionnement fertile.
JUIFS D’AILLEURS ED. ALBIN MICHEL, 2020

ZEKHER (LE SOUVENIR)
Par Richard Prasquier
Les commémorations qui marquent le centième anniversaire de la création du Keren Hayessod sont l’occasion de réfléchir sur le mot רכז (zekher), le souvenir. C’est probablement une des racines les plus connues de l’hébreu. Yzkor est la cérémonie du souvenir : l’Yzkor de Yom Kippur est le moment où beaucoup de Juifs qui ont par ailleurs abandonné toute pratique religieuse viennent à la synagogue en mémoire de leurs défunts. « Zekher litsiat Mitsraïm » (en souvenir de la sortie d’Egypte), le texte du Kiddoush lui-même rappelle que si le Shabbat commémore la création du monde, la sortie d’Égypte est aussi un Shabbat, celui de ia création du peuple juif. Le Shabbat Zakhor, " le Shabbat du Souvenir ", est celui qui précède la fête de Pourim. Il est signalé dans la synagogue par la lecture d'un court passage du livre du Deutéronome (25 : 17-19) qui commence par le mot Zakhor : םִיָרְצִּמִמ םֶכְתאֵצְּב ךְֶרֶּדַּב קֵלָמֲע ךְָל הָׂשָע ר ֶׁשֲא תֵא רוֹכָז (zakhor ma asa lekha Amalek baderekh bemitsraïm): rappelle-toi ce que t’a fait Amalec sur la route au sortir de l’Égypte. L’injonction du souvenir est reprise sous une autre forme à la fin du paragraphe : חָּכ ְׁשִּת אֹל (lo tichkah) : n’oublie pas. Haman, le génocidaire avorté de Pourim, est un descendant de Amalec.
ןורכיז (zikaron) est le souvenir (Yom ha zikaron, le jour du souvenir), le ריכזמ est le secrétaire. Le secrétaire général d’un parti au secrétaire d’État ou encore une personne qui exerce le métier de secrétaire: celui qui note pour qu’on puisse se rappeler... La racine se retrouve à peu près identique (d ou dh remplaçant le zain initial) dans toutes les langues sémitiques. Elle ne semble pas poser de problème particulier. Elle soulève cependant deux remarques, l’une d’ordre linguistique, l’autre d’ordre culturel. Sur le plan linguistique, on ne peut pas ne pas remarquer que la même racine רכז ne signifie pas seulement mémoire, mais aussi mâle : הָבֵקְנוּ רָכָז, « Zahar ve nekeva », mâle et femelle, écrit la Genèse au moment où Noé fait entrer dans son arche les couples d’oiseaux. La prise électrique « mâle », se dit chèka zekher רכז עקש

Inutile de dire qu’on s’est posé la question du lien entre le souvenir et la masculinité. Pour certains, passablement sexistes, seul l’homme véhiculerait la transmission. Comme le judaïsme se transmet par les femmes, cette assertion doit être prise avec
beaucoup de réserves... L’antonyme de zekher, autrement dit la féminité connote indiscutablement l’idée de « perforation » בוקינ nikouv, (depuis les cartes perforées, jusqu’à la ponction...). On est tenté de penser que la comparaison s’est faite a contrario entre membre viril, monolithe dressé et signal commémoratif... À moins que se souvenir signifie simplement enfoncer quelque chose dans sa tête... Sur le plan culturel, il est banal de dire que les Juifs sont le « peuple de la mémoire ». Dans un livre magnifique d’érudition et de finesse, Zakhor, histoire et mémoire juive, le grand historien Yosef Hayim Yerushalmi s’interroge sur ce paradoxe de l’absence de référence historique dans la littérature rabbinique. L’histoire est une perte de temps, aurait écrit Maïmonide. Ce qui compte c’est la recherche du sens, témoignage de la participation divine dans l’histoire et injonction de comportement. D’où la référence, à Amalec, qui est capitale : ne pas oublier celui qui a voulu faire disparaitre les Juifs de la terre. Ce n’est qu’au XIXe siècle, dans la ligne de la haskala, que s’est développée une historiographie juive factuelle et scientifique, dont les archives du ghetto de Varsovie, sous la direction de Emmanuel Ringelblum, sont le témoignage héroïque. Mais dans le temps long, les Juifs ont été le peuple de la mémoire plutôt que le peuple de l’histoire. L’année 2020 est aussi la soixante quinzième année du la « libération » d’Auschwitz (toujours avec des guillemets, le camp avait été vidé des survivants encore valides, engagés dans les terribles marches de la mort...). La dénomination du génocide des Juifs aurait pu utiliser le mot הדמשה (hachmada, anéantissement, vernichtung en allemand), mais ce mot qui fait partie du vocabulaire courant de l’hébreu, et probablement pour cette même raison, ne fut pas utilisé.
Le terme de ןברח (hourban) proche de herev (le glaive) et de hourva (la ruine, comme la synagogue célèbre de Jérusalem), avait été employé déjà pour les grandes catastrophes de l’histoire juive: destruction du premier et du second Temple avant
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tout, puis les massacres, par exemple ceux d’Ukraine sous la houlette des cosaques de Chmielniciki. Dans l’après-guerre, ce terme, largement employé en yiddish fut celui de la plupart des Juifs survivants pour qualifier les événements et il est resté utilisé dans le monde des yechivot. Or, le mot hourban insère l’événement (souvent aussi appelé la « catastrophe » dans une chaine religieusement signifiante : destruction- exil-rédemption (gueoula). Il en fait un épisode paroxystique mais supplémentaire du long martyrologue juif, dont le premier exemple faillit être Isaac (l’Akeda). Les victimes étaient éprouvées en lien avec leur foi (kidoush haChem). Cependant, certains dérivés de la racine ברח s’étaient trivialisés dans le yiddish parlé au point de contribuer à des expressions argotiques reprises en hébreu moderne (détruire, « foirer » un projet, voire déféquer), ce qui a pu contribuer au progressif déclin de cette dénomination, d’autant que sa connotation religieuse n’était pas acceptée dans les milieux juifs marxistes ou bundistes. En France, c’est le terme de Shoah qui est utilisé. Le film de Claude Lanzmann l’a imposé. Lanzmann, ne parlait pas hébreu et a dit l’avoir choisi pour sa sonorité hermétique et son sens mystérieux, qui en faisait un événement hors norme. Le terme de Shoah avait été utilisé à plusieurs reprises dès avant la guerre par des dirigeants sionistes, tel Moshe Sharett, ou par la presse juive de l’époque, pour évoquer la « catastrophe » qui s’abattait sur les Juifs d’Allemagne avec l’arrivée des nazis au pouvoir, catastrophe dont nul ne pouvait à l’époque prévoir l’ampleur. Un tel emploi serait aujourd’hui évidemment impossible. La Shoah était bien une catastrophe, toute catastrophe n’est pas la Shoah. Le mot de Shoah signifie un événement destructeur, qui peut aussi être d’origine « naturelle » par exemple météorologique. S’il n’avait pas la même historicité que le hourban, le terme de Shoah n’était pas non plus dénué de connotation théologique. Avec certains de ses dérivés, il est retrouvé à une dizaine de reprises dans la Bible, notamment chez les Prophètes, Job ou les Psaumes : il prend l’aspect d’une mise en garde. En voici quelques exemples dans la traduction (mise entre guillemets) du Mechon Mamre. PSAUME 35/8
עָדֵי-אֹל ,הָאוֹשׁ וּהֵאוֹבְּת
(qu’une « catastrophe » fonde sur eux à l’improviste) ESAIE 47/11
יִעָדֵת אֹל ,הָא ֹׁש םֹאְתִּפ ךְִיַלָע אֹבָתְו
(la « ruine » t’accable soudain à l’improviste) EZECHIEL 38/9
אוֹבָת הָא ֹׁשַּכ ָתיִלָעְו
(tu monteras, tu viendras comme « l’ouragan »)

« Shoah » est devenu un terme officiel en Israël avec le décret du 12 avril 1951 instituant une Journée du Souvenir, fixée au 27 nissan de chaque année et portant le nom de Yom ha-Shoah vemèred ha-Guètaoth. Le 9 août 1953 la Knesset vote la loi sur « la Shoah et la Guevoura » (guevoura signifie héroïsme) qui institue le Mémorial de Yad Vashem. Cette association avec l’héroïsme est une constante de l’époque qui voit se créer deux lieux emblématiques du combat des Juifs contre le nazisme : le kibboutz Lochamei Hagetaot (les Combattants des ghettos) et le Kibboutz Yad Mordekhai (d’après Mordekhai Anielewicz, chef de la révolte du ghetto de Varsovie). Ce n’est qu’avec le procès Eichmann que la disproportion entre le génocide et les moyens de résistance armée est devenue si flagrante que les arrière-pensées sur la « passivité » des victimes se sont amorties. Dans la majorité des pays cependant, et en particulier aux États-Unis, en Allemagne et dans les pays slaves, le terme utilisé pour parler du génocide des Juifs n’est pas Shoah mais « Holocauste ».
Holocauste est un terme grec, utilisé par la Septante, qui signifie une consomption par le feu (καύστος, « kaustos », qu’on retrouve dans « caustique ») se faisant de façon complète (ὅλος, holos, entier, avec de nombreux dérivés en « holo »).

C’est avec la série du même nom (Holocaust), présentée à la télévision américaine en 1978, et vue par des centaines de millions de téléspectateurs que le nom de Holocauste s’est imposé. Cette fiction, qui conte le destin de la famille Weiss, des Juifs allemands, a été à juste titre critiquée pour ses approximations et ses invraisemblances, mais c’est par elle, peut-être plus que par n’importe quelle autre oeuvre de plus grande qualité historique ou artistique que la notion de génocide des Juifs s’est imposée dans la mémoire collective et a notamment enfin transformé le regard des Allemands sur la guerre.
À méditer : les difficultés et les spécificités de « l’enseignement de la mémoire/ histoire de la Shoah » en un temps où une étude montre que plus de la moitié des jeunes Allemands de moins de 17 ans ne savent pas aujourd’hui ce qui s’est passé à Auschwitz Birkenau, dont le nom est pourtant devenu, à tort, une sorte de métonymie de la Shoah. Et des résultats comparables ont été retrouvés en France…
